Bruxelles, 16 septembre 2025 : la Commission européenne ouvre un nouveau chapitre sur les cookies en ligne. Objectif affiché : remplacer les bandeaux intrusifs par un paramétrage unique et centralisé du consentement, dans le cadre d’une révision d’ePrivacy intégrée au futur paquet législatif Digital Omnibus. Pour les entreprises françaises, l’enjeu est double : alléger la conformité et sécuriser la publicité numérique sans affaiblir la protection des données.

Cookies en Europe : vers un consentement paramétré une seule fois

La Commission européenne propose d’en finir avec la répétition des bandeaux, source de fatigue du consentement depuis plus d’une décennie. Dans son document du 16 septembre 2025, elle pose le principe d’un mécanisme centralisé : l’utilisateur choisit une fois ses préférences, potentiellement via son navigateur ou un outil européen dédié. Les sites se conforment ensuite à ces choix, sans sollicitation répétée.

Cette logique s’inspire de dispositifs antérieurs comme le Do Not Track et des paramètres de protection déjà présents chez plusieurs navigateurs. Les éditeurs seraient incités à adopter des techniques moins intrusives comme des cookies pseudonymisés ou strictement nécessaires à la fourniture d’un service expressément demandé.

Dans l’écosystème médiatique, plusieurs analyses évoquent une possible fin des bandeaux cookies si ce paramétrage global est adopté, une orientation qui créerait un choc d’usage pour les internautes et un basculement opérationnel pour les directions marketing et juridiques (Les Numériques, 23 septembre 2025).

Chronologie et base juridique

Le cadre initial remonte à la directive ePrivacy de 2002, modifiée en 2009, qui impose le consentement préalable pour les cookies non essentiels. L’entrée en vigueur de la RGPD en 2018 a renforcé ce socle, mais la mise en pratique a généré une inflation de bandeaux, parfois peu lisibles et difficiles à paramétrer.

La révision en cours vise à réactualiser ePrivacy sans déstabiliser la protection des données. Le projet s’articule avec des textes plus récents sur la cybersécurité et l’intelligence artificielle, au sein d’un calendrier législatif resserré en fin d’année.

La directive ePrivacy permet, sans consentement, les cookies strictement nécessaires à la fourniture d’un service explicitement demandé par l’utilisateur. Exemples typiques : mémorisation d’un panier d’achat, authentification de session, équilibrage de charge. À l’inverse, la publicité comportementale et la mesure d’audience approfondie nécessitent un consentement préalable, sauf aménagements spécifiques validés par les autorités de contrôle.

Directive ePrivacy : blocages actuels pour les utilisateurs et les entreprises

La réalité terrain est documentée : après quinze ans de bandeaux, une part importante des internautes se contente d’accepter par réflexe. Le 18 septembre 2025, l’avocat Peter Craddock résumait le problème : trop de consentement finit par neutraliser le consentement. La promesse d’un choix éclairé se dilue dans l’urgence d’accéder au contenu.

Pour les entreprises, notamment les PME, la conformité multiplie les coûts : déploiement de plateformes de gestion du consentement, paramétrage par finalité, audit des partenaires, monitoring des dépôts effectifs et traitement des demandes de retrait. Ces tâches pèsent particulièrement sur les acteurs à marges contraintes.

CNIL : constats 2023 sur les bandeaux

Une étude mentionnée en 2023 souligne que plus de 80% des sites européens recourent à des bandeaux de consentement, avec un impact sur l’ergonomie et, selon les cas, sur les temps de chargement. Les interfaces inégales ou ambiguës compliquent encore la lisibilité des options.

Coûts PME : une charge de 2% du chiffre d’affaires

Un rapport de la Commission européenne publié en juillet 2025 chiffre à environ 2% du chiffre d’affaires la charge globale de conformité RGPD et ePrivacy pour des petites structures numériques. En France, un indicateur cité fait état d’une dépense moyenne de 15 000 euros par an en conformité pour les PME du secteur tech. Cet ordre de grandeur illustre la pression sur les budgets non directement productifs.

Eurobaromètre 2024 : lassitude et consentement de façade

Selon une enquête de 2024, 65% des Européens se disent agacés par la répétition des pop-ups et seuls 20% ajustent réellement leurs préférences. La conséquence est double : une protection de la vie privée en trompe-l’œil et un signal juridique affaibli, car déconnecté d’un consentement véritablement informé.

Chiffres à retenir pour les directions juridiques

Des ordres de grandeur structurent le débat économique et légal en France :

  1. 2% du chiffre d’affaires pour la conformité RGPD et ePrivacy dans de petites structures numériques selon la Commission européenne en juillet 2025.
  2. 15 000 euros dépensés en moyenne par an en conformité pour les PME tech en France.
  3. 80% des sites utilisent des bandeaux de consentement d’après une étude citée par la CNIL en 2023.
  4. 65% d’agacement chez les Européens face aux pop-ups et 20% seulement ajustent leurs préférences.

Les pistes de simplification envisagées par Bruxelles

Le cœur de la réforme tient en un triptyque : centralisation du choix au niveau utilisateur, réduction des sollicitations et incitation à des technologies plus respectueuses de la vie privée. Les préférences pourraient être définies une fois, puis propagées aux sites consultés. Les bandeaux deviendraient alors exceptionnels, cantonnés aux cas non couverts par le paramétrage global.

Sur la technique, la Commission met en avant les cookies anonymisés et les pratiques minimisant l’identification. L’industrie publicitaire serait invitée à requalifier des usages dans une logique d’essentiel stricte et contrôlable, avec des garde-fous pour éviter l’extension indue de cette notion. Cette orientation a été relayée comme une évolution possible vers la disparition des bandeaux sur une large partie du web européen (JustGeek, 23 septembre 2025).

Navigateurs et préférences globales : l’option privilégiée

La solution la plus fréquemment citée repose sur un paramétrage dans le navigateur, maîtrisé par l’utilisateur. Avantages : cohérence d’expérience, moindre friction, alignement avec les app stores et terminaux. Défis : interopérabilité des signaux, auditabilité pour les autorités, gestion des cas d’exception ou des services hybrides.

Fin des bandeaux cookies obligatoires : état du débat médiatique

Plusieurs médias soulignent la portée symbolique d’une "fin des bandeaux". En pratique, tout dépendra du périmètre juridique retenu et de la portabilité des choix. Tant que l’utilisateur peut exprimer un refus simple, documentable et opposable, les contrôles resteront possibles, mais le canal privilégié changera : paramétrage d’amont plutôt que micro-choix répétés à chaque site.

Atouts : cohérence multi-sites, moins de frictions, réduction des dark patterns. Angles morts : granularité fine par finalité, gestion des partenaires tiers, traitement des cas B2B avec paramétrage par compte ou par appareil. Les éditeurs devront également démontrer qu’aucune donnée non nécessaire n’est déposée en cas d’opposition globale.

Arbitrages entre vie privée et modèle économique publicitaire

La simplification recherchée s’accompagne d’un risque identifié : l’extension de la notion de cookies essentiels pourrait servir de cheval de Troie à des finalités publicitaires plus larges. C’est l’avertissement formulé le 20 septembre 2025 par Itxaso Domínguez de Olazábal pour EDRi, qui appelle à verrouiller juridiquement le périmètre du "strictement nécessaire".

À l’inverse, la Fédération française des télécoms a salué une baisse des frictions, y voyant un levier d’innovation et de fluidité commerciale. Sur le plan économique, la Commission fixe un cap de 25% de réduction des charges administratives globales, jusqu’à 35% pour les PME, en cohérence avec l’objectif de compétitivité.

EDRi : garde-fous à préserver

EDRi plaide pour une définition stable et stricte de l’"essentiel", pour éviter des requalifications opportunistes. Les critères recommandés : finalité directement liée au service, durée limitée, absence d’utilisation pour du profilage ou de la monétisation. Les dispositifs centralisés ne sauraient justifier une baisse du niveau de protection, mais bien un gain d’effectivité du consentement.

FFT : les e-commerçants veulent de la fluidité

La FFT met l’accent sur la simplification du parcours d’achat et la réduction de l’abandon au moment du consentement. Pour les acteurs retail et médias, l’optimisation du taux d’acceptation conditionne une partie de la monétisation publicitaire. Un paramétrage unique, bien conçu, pourrait réduire les frictions et stabiliser les revenus publicitaires tout en respectant les choix.

Trois pistes souvent évoquées : 1. Définir précisément les finalités de base autorisées et les exclure explicitement du marketing comportemental. 2. Exiger des journaux de conformité prouvant l’absence de dépôts non nécessaires en cas de refus global. 3. Prévoir des contrôles post-marché ciblant les secteurs à risque, avec sanctions proportionnées.

Digital Omnibus : mise en cohérence avec l’AI Act et la cybersécurité

La réforme des cookies s’agrège au Digital Omnibus, annoncé pour décembre 2025. Ce paquet inclura des normes renforcées pour la cybersécurité des infrastructures critiques et l’application de l’AI Act, adopté en 2024 avec une entrée en vigueur complète attendue pour 2026. Selon des analyses publiées, les systèmes d’IA utilisés dans la publicité en ligne devraient faire l’objet d’évaluations de risques harmonisées à l’échelle européenne.

La Commission a ouvert une consultation publique jusqu’au 14 octobre 2025. Au 22 septembre 2025, elle comptabilisait déjà plus de 500 contributions. Ce processus participatif est appelé à préciser l’ergonomie du signal de consentement, les mécanismes de preuve et l’articulation avec les obligations existantes de la RGPD.

Calendrier législatif et consultation publique

Les débats au Parlement européen sont attendus en novembre 2025. Un vote ouvrirait la voie à des actes d’exécution sur l’implémentation technique du signal. Les entreprises françaises devront suivre de près ces jalons pour anticiper les mises à jour de leurs plateformes de gestion du consentement et de leurs chaînes d’approvisionnement publicitaires.

AI Act : publicité en ligne sous évaluation de risques

L’intégration des pratiques publicitaires dans le champ de l’AI Act, lorsqu’elles mobilisent des modèles d’IA, se traduira par des revues de risques et une documentation renforcée. Le calibrage des exigences dépendra du niveau de risque lié aux cas d’usage. L’enjeu pour les éditeurs français : éviter la superposition incohérente des obligations et rechercher des solutions de conformité mutualisées.

Le Digital Omnibus vise à harmoniser la mise en œuvre de plusieurs textes. Axes clés : 1. Convergence technique des signaux de consentement et des audits. 2. Interopérabilité entre navigateurs, terminaux et CMP. 3. Réduction des coûts de conformité par standards communs. L’ambition est d’éviter les doublons RGPD ePrivacy IA et de rendre la conformité plus prédictible pour les entreprises.

Impacts opérationnels pour les entreprises françaises

La France compte plus de 200 000 entreprises du numérique en 2024. Pour ces acteurs, la bascule vers un consentement centralisé rebat les cartes de la relation avec l’utilisateur.

Côté coûts, l’objectif européen d’une baisse de 25% des charges administratives, voire 35% pour les PME, offre un levier d’arbitrage budgétaire en faveur du produit et de la R&D. Un rapport du Ministère de l’Économie daté du 10 septembre 2025 évoque une hausse possible du PIB numérique de l’UE de 1,5% d’ici 2030, dont 0,8% pour la France.

Les directions juridiques et marketing devront toutefois reconfigurer leurs outils : attribution, mesure d’audience, capping publicitaire, vérification de l’âge, et relations avec les partenaires tiers. Les contrats avec les régies et fournisseurs de données devront intégrer les signaux de consentement globaux et préciser les responsabilités en cas de non-conformité.

Station F : adtech et terrain d’expérimentation

Les start-ups adtech incubées à Station F pourraient tirer parti du nouveau cadre pour développer des solutions privacy by design s’imbriquant nativement avec les préférences globales. Atout compétitif : proposer des outils qui maximisent la pertinence publicitaire sans recourir à des identifiants persistants non essentiels. Les éditeurs français gagneraient à tester ces innovations à l’échelle pilote avant généralisation.

AMF : vigilance sur l’usage des données

Des experts proches de l’Autorité des Marchés Financiers soulignent la nécessité d’un contrôle attentif des usages de données, notamment lorsque la publicité finance des services financiers ou d’investissement. Transparence des algorithmes publicitaires, prévention des biais et des ciblages inadéquats : autant de chantiers à documenter pour éviter les risques réputationnels et de conformité.

PME tech : économies et reconfiguration des outils CMP

Pour les PME du numérique, l’abandon progressif des bandeaux au profit d’un signal utilisateur centralisé pourrait réduire la charge de maintenance des CMP tout en rendant la conformité plus prédictible. Trois axes de travail se dessinent :

  • Audit des dépendances publicitaires et analytiques pour n’activer que l’essentiel.
  • Refonte contractuelle avec les partenaires afin d’intégrer les signaux globaux.
  • Gouvernance des données pour assurer une traçabilité fine et opposable des choix utilisateurs.

Consentement centralisé : préférences exprimées une fois, appliquées ensuite sur tous les sites compatibles. Cookie essentiel : nécessaire à un service demandé par l’utilisateur. CMP : plateforme de gestion du consentement. AI Act : règlement européen encadrant l’IA, adopté en 2024, avec plein effet attendu en 2026.

Feuille de route 2025-2026 : ce que les décideurs doivent surveiller

Les prochains mois seront structurants. À court terme, la consultation publique jusqu’au 14 octobre 2025 permettra d’affiner les modalités du signal et sa gouvernance.

Les débats au Parlement en novembre 2025 donneront une visibilité sur le périmètre final. Les entreprises françaises ont intérêt à prototyper dès maintenant l’intégration de préférences globales et à renégocier leurs chaînes de sous-traitance publicitaire.

Si l’ambition se confirme, la navigation pourrait devenir plus fluide, avec un consentement mieux respecté et moins de friction commerciale. La vigilance restera de mise pour éviter qu’un élargissement des "cookies essentiels" ne dévoie l’équilibre visé par la réforme, au détriment des droits des utilisateurs.

Cap annoncé, arbitrages à venir : le marché français entrevoit un cadre plus lisible, à condition de tenir la ligne entre efficacité économique et protection effective des données.