À Strasbourg, l’innovation sociale se heurte au droit. En quelques mois, un congé de santé gynécologique inédit a été instauré, annulé puis défendu devant la justice d’appel. L’issue dépassera le Rhin et fera école ou jurisprudence en France. Au cœur du dossier, un sujet sensible pour les employeurs publics et privés: comment prendre en compte des pathologies féminines aux effets tangibles sur le travail, sans sortir du cadre légal.

Annulation judiciaire et riposte politique: le bras de fer s’intensifie

Le 24 juin 2025, le tribunal administratif de Strasbourg a invalidé la délibération qui ouvrait un congé de santé gynécologique aux agentes de la Ville et de l’Eurométropole. Les juges ont estimé que l’initiative excédait les compétences locales en matière d’autorisations spéciales d’absence, lesquelles relèvent d’un cadre national précis pour la fonction publique territoriale.

Le 22 août 2025, la riposte est officialisée. La maire Jeanne Barseghian et la présidente de l’Eurométropole Pia Imbs saisissent la juridiction d’appel, dénonçant un « signal négatif pour l’égalité professionnelle ».

Leur ligne de défense est claire: le droit n’aurait pas encore intégré des réalités de santé qui affectent la performance et la carrière des femmes. À court terme, l’objectif est de rétablir le dispositif. À moyen terme, d’ouvrir un chantier législatif au Parlement.

Ce que dit la décision et ce que contestent les élues

La décision du tribunal administratif, motivée par le respect du bloc de légalité, rappelle que les modalités d’absence dans la fonction publique font l’objet de textes nationaux. Le tribunal considère que la collectivité ne peut créer de toutes pièces une nouvelle catégorie d’autorisations, même à titre expérimental, sans habilitation préalable.

À l’inverse, l’exécutif local défend une lecture dynamique de l’égalité: un dispositif ciblé, strictement encadré par un certificat médical, répondant à des pathologies identifiées, et proportionné dans sa durée. La Ville et l’Eurométropole affirment que la jurisprudence doit accompagner la société et non la freiner.

Les repères chronologiques à connaître

Septembre 2024: mise en place du congé de santé gynécologique à titre expérimental.

24 juin 2025: annulation du dispositif par le tribunal administratif de Strasbourg.

22 août 2025: appel interjeté par la Ville et l’Eurométropole.

Ce que prévoyait le congé de santé gynécologique strasbourgeois

Le mécanisme offrait jusqu’à 13 jours d’autorisations d’absence par an, sur présentation d’un certificat médical. Il visait des situations comme les règles douloureuses invalidantes, l’endométriose ou les manifestations de la ménopause. Les autorités locales insistent sur sa finalité: réduire un angle mort de la santé au travail et limiter l’absentéisme non anticipé.

Depuis son lancement et jusqu’au jugement d’annulation, 69 agentes ont utilisé ce droit, totalisant 316 jours d’absence. Cela représente une moyenne d’environ 4,6 jours par agente dans la période observée, bien en deçà du plafond annuel théorique (presse régionale, 24 juin 2025).

Données d’impact et calibrage du dispositif

Ces premières données montrent une montée en charge raisonnée. La collectivité présente l’expérience comme un levier d’efficacité: plutôt que des arrêts maladie longs, un droit ciblé et maîtrisé pour amortir des épisodes invalidants et conserver le lien au poste.

La lecture économique reste prudente. Sur 316 jours cumulés, l’impact équivaut à environ 1,4 équivalent temps plein annuel, calculé sur la base d’un temps de travail standard. Le ratio d’usage comparé au plafond autorisé laisse entendre que la demande est réelle mais mesurée.

Métriques Valeur Évolution
Agentes bénéficiaires 69 non communiqué
Jours d'absence cumulés 316 non communiqué
Moyenne par agente 4,6 jours non communiqué
Plafond annuel par agente 13 jours fixe
Période d’observation sept. 2024 à juin 2025 non applicable
Jugement d’annulation 24 juin 2025 événement
Appel interjeté 22 août 2025 événement

Les autorisations spéciales d’absence, ou ASA, sont des absences rémunérées prévues par des textes pour des motifs limitatifs, par exemple événements familiaux ou obligations civiques. Le congé maladie, lui, obéit à un régime médicalisé et à des durées encadrées. Le congé de santé gynécologique de Strasbourg relevait du premier schéma, en ciblant des situations définies et en imposant un certificat médical.

Le cadre juridique en question: où s’arrête la compétence locale

La fonction publique territoriale est régie par un corpus national, désormais codifié. Les collectivités peuvent aménager l’organisation du travail, mais ne peuvent pas créer ex nihilo un nouveau droit à absence rémunérée s’il n’est pas listé par les textes nationaux. Cette distinction est centrale, car elle trace la frontière entre management local et législation.

Lorsque Strasbourg et l’Eurométropole ont voté la mesure, elles ont assumé un rôle d’éclaireur, convaincues de la nécessité de combler une lacune du droit positif. Le tribunal administratif, lui, a rappelé le principe: sans habilitation législative ou réglementaire nationale, l’innovation sociale locale s’arrête à la porte de la légalité.

Pourquoi l’expérimentation locale ne suffit pas en l’état

La Constitution reconnaît des marges d’expérimentation pour les collectivités, mais celles-ci exigent une autorisation expresse du législateur ou du pouvoir réglementaire. En l’absence d’un texte national permettant un test à l’initiative de la collectivité, l’expérimentation strasbourgeoise s’est trouvée privée de filet juridique.

Tout acte d’une collectivité territoriale est transmis au préfet. Celui-ci peut former un déféré devant le tribunal administratif pour contester la légalité d’une mesure qu’il estime irrégulière. Ce mécanisme ordinaire, pensé pour l’équilibre entre libre administration et respect de la loi, explique pourquoi des dispositifs analogues ont été contestés ailleurs.

Les effets rh et économiques pour un employeur public

Bien que l’affaire soit lue à l’aune du droit, elle engage des enjeux opérationnels. Les troubles gynécologiques tels que l’endométriose induisent des pics de douleur et de fatigue qui déstabilisent l’organisation des services. L’absence de cadre dédié peut conduire à des arrêts maladie plus longs, parfois évitables, et à des retours au poste plus difficiles.

Les données publiées par Strasbourg et l’Eurométropole rendent compte d’un usage proportionné. Sur 316 jours cumulés, nous sommes loin d’une explosion d’absentéisme.

Dans un calcul de productivité, cela représente environ une personne à temps plein et demi sur un an. L’enjeu n’est pas seulement financier. Il touche à la fidélisation des agentes, à la prévention des départs et aux gains d’efficience liés au maintien du lien au travail.

Arbitrages managériaux: prévenir plutôt que subir

Un dispositif spécifique, borné et médicalisé, permet de programmer des absences brèves, plutôt que d’improviser face à un épisode douloureux imprévu. Pour un employeur public, la prévisibilité est une ressource rare. Elle sécurise les plannings, réduit les tensions d’équipe et améliore la qualité du service rendu au public.

Ce que révèlent les chiffres strasbourgeois

69 agentes concernées et 316 jours cumulés d’absence sur la période observée, soit environ 4,6 jours par agente pour un plafond de 13 jours. Le ratio d’utilisation indique une réponse ciblée, sans dérive quantitative, et un calibrage compatible avec la continuité du service.

Pour un suivi strict et respectueux, les indicateurs utiles ne sont pas nominaux. Ils combinent absentéisme agrégé, taux de recours anonymisé, temps moyen d’absence et effets sur la qualité de service. L’objectivation par des données de gestion évite la stigmatisation et éclaire les choix de pilotage.

Une dynamique nationale autour de la santé gynécologique au travail

La santé gynécologique s’impose progressivement dans l’agenda public. En mars 2025, une expérimentation nationale d’un test salivaire pour améliorer le diagnostic de l’endométriose a été lancée dans 80 hôpitaux, avec un remboursement par l’Assurance maladie. Cette pathologie touche environ 10 % des femmes en âge de procréer et altère la vie professionnelle pour les formes sévères (communication gouvernementale, mars 2025).

L’année 2025 coïncide aussi avec le cinquantenaire de la loi Veil du 17 janvier 1975. Ce repère historique rappelle les progrès accomplis, mais souligne des lacunes persistantes en matière d’aménagements de travail liés à la santé reproductive. En creux, Strasbourg pose une question simple: quel cadre commun pour des réalités déjà présentes dans les entreprises et administrations.

Autres territoires, mêmes interrogations juridiques

Dans plusieurs collectivités, des pistes semblables ont été explorées. Les préfectures ont toutefois multiplié les saisines, invoquant l’absence de base légale spécifique. L’Association des maires de France suit le sujet, soucieuse d’une harmonisation nationale qui évite les distorsions territoriales et sécurise les décisions locales.

Pourquoi les entreprises privées regardent

Le Code du travail ne crée pas de congé spécifique pour les troubles gynécologiques. Certaines entreprises introduisent des dispositifs internes, souvent via accords ou chartes, pour mieux aménager le travail. Sans cadre légal clair, ces initiatives restent hétérogènes et parfois limitées. Un signal venu du secteur public peut créer une référence.

Lecture juridique et voies de sécurisation du dispositif

Au stade de l’appel, la cour administrative d’appel sera invitée à arbitrer entre deux impératifs: respect de la hiérarchie des normes et adaptation du droit à des réalités sanitaires bien documentées. Le raisonnement du premier juge, centré sur la compétence normative nationale, a de solides fondations. Pour renverser l’analyse, Strasbourg devra démontrer que son dispositif s’inscrit, non en rupture, mais dans l’espace d’appréciation que la loi laisse aux employeurs publics.

Trois chemins émergent pour sécuriser un congé de santé gynécologique: l’intervention du législateur, une habilitation réglementaire détaillant les cas d’ASA, ou un ajustement par circulaires précisant l’étendue des marges locales. L’un n’exclut pas l’autre. Une loi-cadre pourrait prévoir une expérimentation nationale, sous contrôle scientifique et administratif, avec évaluation au bout de deux ans.

Le rôle du parlement et la mécanique d’une loi d’habilitation

Une initiative parlementaire peut fixer les contours d’un congé spécifique, calibrer la preuve médicale, limiter le volume annuel et prévoir la compensation financière le cas échéant. Elle peut également encadrer une expérimentation limitée dans le temps, déconcentrée ou réservée à des volontaires, afin de bâtir une doctrine appuyée sur des données probantes.

Trois options juridiques pour ancrer un congé ciblé

  1. La loi définit un congé spécifique, ses motifs et son plafond, assorti d’une expérimentation nationale.
  2. Le décret enrichit la liste des ASA dans la fonction publique, avec un protocole médical et de contrôle.
  3. La circulaire précise l’usage des marges existantes, si la base réglementaire est jugée suffisante.

Une procédure devant la cour administrative d’appel prend en général plusieurs mois. En cas de confirmation de l’annulation, un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État reste possible. À l’inverse, une annulation du jugement ouvrirait la voie à une relance du dispositif, probablement sous conditions renforcées de suivi et d’évaluation.

L’égalité professionnelle à l’épreuve des faits, pas des slogans

On l’oublie souvent, l’égalité professionnelle s’évalue par des trajectoires et non par des intentions. Les pathologies gynécologiques, dans leurs formes invalidantes, induisent des absences répétées et un risque accru de plafond de verre. Les études économiques montrent que la désorganisation et l’imprédictibilité coûtent cher en productivité. Un dispositif simple, anticipable et ciblé peut réduire ces frictions.

Pour un employeur public, le message compte autant que la règle. Reconnaître explicitement un problème de santé permet d’ouvrir un dialogue sans tabou avec les équipes, de former l’encadrement de proximité et d’adapter l’ergonomie des postes. Cette culture de prévention a des effets diffus: moins d’arrêts longs, moins de désengagement, plus de fidélité à l’employeur.

Strasbourg et l’eurométropole, un laboratoire de la fonction publique locale

Avec des milliers d’agents, majoritairement des femmes dans certains métiers, la collectivité strasbourgeoise se trouve en première ligne. Elle assume un positionnement de pionnier et une stratégie d’influence: faire entrer dans le débat national une réalité sanitaire qui pèse déjà sur l’organisation des services et les carrières.

Construire une politique efficace suppose des indicateurs clairs: temps moyen d’absence ciblée, taux de recours, part des retours au poste sans arrêt maladie subséquent, satisfaction des agentes et des managers. L’enjeu est de démontrer, à partir de la donnée, que le dispositif améliore la qualité de service et la performance sociale.

Ce que la controverse strasbourgeoise change pour les entreprises

Si l’appel prospère, l’impact dépassera le périmètre de la fonction publique territoriale. Un cadre validé par le juge administratif donnera un signal normatif que les employeurs privés pourront traduire via accords collectifs. L’effet miroir est classique en droit social français: ce qui est reconnu dans la sphère publique infuse parfois dans les pratiques du secteur privé.

À l’inverse, si la décision est confirmée, le message sera d’une grande lisibilité: seule une norme nationale peut sécuriser un congé spécifique. Beaucoup d’entreprises s’en empareront pour demander une clarification, afin de sortir de l’entre-deux juridico-social qui freine l’innovation RH sur la santé gynécologique.

Gouvernance et dialogue social: une opportunité de méthode

Le dossier appelle une méthode plus qu’une posture. Concevoir un congé ciblé, c’est associer médecins du travail, employeurs et représentants du personnel, définir les motifs médicaux, protéger la donnée de santé, calibrer le plafond de jours, instaurer un reporting anonymisé. Strasbourg a esquissé ce chemin. La suite dépendra de la capacité du droit à ouvrir un couloir d’expérimentation sécurisé.

Le fait majeur à retenir

Le débat n’oppose pas coût et égalité. Il vise une optimisation: réduire l’absentéisme subi, maintenir le lien au poste et reconnaître des situations médicales qui existent déjà. Le droit doit dire comment, avec quel plafond, à quelles conditions de preuve et de contrôle.

L’onde de choc médiatique et politique autour de l’appel

La médiatisation de l’appel par des titres économiques et régionaux a donné une caisse de résonance nationale à une question locale. Le message des élues tient en une phrase: « nos lois sont en retard sur la société ». Au-delà de la formule, l’idée est de replacer le sujet dans la séquence législative qui s’ouvre régulièrement sur l’égalité professionnelle.

Pour l’opinion, l’essentiel est ailleurs. Il s’agit moins de créer un droit nouveau que d’ajuster un droit existant aux pathologies ciblées par une attestation médicale. Dans un pays où le cadre des absences est déjà structuré, le débat porte sur le périmètre exact des ASA et sur la latitude laissée à l’employeur public.

Rôle des médias économiques et éclairage des investisseurs publics

Le relais par des médias économiques et régionaux a replacé la discussion sur un terrain rationnel: chiffres d’usage, durée des absences, sécurité juridique. C’est une bonne nouvelle. Car l’égalité au travail, pour s’ancrer, a besoin d’indicateurs objectivables, non de slogans.

L’endométriose touche environ 10 % des femmes en âge de procréer et peut engendrer des douleurs intenses, une fatigue chronique et des troubles de la concentration. L’expérimentation du test salivaire lancée en mars 2025 vise à accélérer le diagnostic, encore trop tardif aujourd’hui, avec un soutien de l’Assurance maladie dans 80 hôpitaux.

Le levier parlementaire, nerf du changement durable

Dans les prochains mois, l’issue se jouera autant dans les prétoires que dans l’hémicycle. Une proposition de loi, même courte, pourrait lever l’ambiguïté. Elle préciserait la nature médicale des motifs, le plafond annuel, le contrôle a posteriori et intègrerait une clause d’évaluation indépendante. Ce point est crucial pour objectiver les bénéfices et prévenir les effets indésirables.

Une voie alternative pourrait consister à modifier les textes réglementaires qui encadrent les ASA dans la fonction publique, en intégrant explicitement les troubles gynécologiques identifiés. À défaut, le statut quo juridique conduira à des annulations en série, quel que soit le territoire, tant que le préfet maintiendra une trajectoire de vigilance contentieuse.

Garanties et garde-fous à prévoir

Pour répondre aux sceptiques, le législateur peut inscrire des garde-fous: nombre de jours plafonné, certificat médical sans détail du diagnostic pour protéger la vie privée, absence de cumul avec certains congés, clause de rendez-vous au bout de deux ans. Ce calibrage permettrait de sécuriser l’adhésion des employeurs, syndicats et autorités de tutelle.

Ce que strasbourg met sur la table pour toute la fonction publique

Au-delà du cas d’espèce, Strasbourg interroge la manière d’intégrer des phénomènes de santé encore peu pris en compte par le droit. Il ouvre un chantier majeur pour la fonction publique: celui d’un pilotage par l’évidence, où les politiques RH expérimentales s’adossent à des données et à des évaluations indépendantes, en vue d’une normativité graduée.

Si l’appel aboutit, les collectivités disposeront d’un précédent utile pour bâtir des dispositifs robustes. Sinon, elles auront clarifié une ligne rouge et accéléré le débat législatif. Dans les deux cas de figure, les agentes, les managers et les services RH gagneront en lisibilité, ce qui est déjà un progrès.

Un tournant silencieux pour le droit social et la performance publique

Le congé de santé gynécologique à Strasbourg n’est ni un totem ni un chiffon rouge. C’est un test grandeur nature pour une administration qui souhaite concilier égalité, santé et qualité de service. Le juge dira si le temps de la loi est venu. D’ici là, le débat public a gagné en maturité et en précision, ce qui est essentiel pour faire évoluer le droit social sans l’affaiblir.

Entre innovation locale et hiérarchie des normes, le cas strasbourgeois trace une voie: faire primer la preuve et la proportion sur le symbole, afin de bâtir un cadre national qui reconnaît, sans l’encourager indûment, un besoin de santé au travail désormais documenté.