Comment la réforme ANC 2024-07 impacte les états financiers ?
Découvrez comment le règlement ANC 2024-07 redéfinit la présentation des dettes et fonds propres dans les états financiers français depuis 2025.

Entre sécurité juridique et transparence financière, un pivot s’opère dans les états financiers français. En adoptant le règlement n° 2024-07, l’Autorité des normes comptables redéfinit la ligne de partage entre dettes et autres fonds propres, avec un effet d’entraînement sur la présentation du bilan, la lecture des risques et l’accès au financement. Les directions financières disposent désormais d’un cadre plus lisible, mais aussi plus exigeant.
Anc 2024-07 : une frontière juridique entre dettes et autres fonds propres
Adopté le 6 décembre 2024 et publié en février 2025, le règlement ANC n° 2024-07 apporte une clarification attendue sur la présentation des instruments financiers au passif. Son apport majeur tient à la primauté des clauses juridiques des contrats pour classer un instrument, plutôt qu’à une lecture centrée sur la substance économique. Ce choix renforce la cohérence avec le droit applicable aux émetteurs et aux porteurs, et réduit les divergences d’interprétation.
Le texte modifie le Plan comptable général afin d’installer, de manière explicite, la rubrique Autres fonds propres comme ligne autonome, placée entre les capitaux propres et les provisions. Il cible à la fois les comptes individuels et les comptes consolidés, avec des effets concrets sur la structure du passif et la terminologie utilisée en annexe.
L’enjeu n’est pas cosmétique. Il s’agit d’une reconstruction du référentiel permettant aux investisseurs, prêteurs et autorités de tutelle d’identifier sans ambiguïté la nature des obligations d’une entité.
Dates et périmètre de la réforme
Adoption le 6 décembre 2024. Publication en février 2025. Entrée en vigueur pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2026, avec application anticipée possible dès la publication au Journal officiel. La réforme modifie le PCG pour les comptes individuels et s’articule avec les règles de consolidation en permettant une présentation dédiée en annexe.
La classification centrée sur les clauses d’émission évite les arbitrages fondés sur l’intention ou la perception économique. Elle conduit à interrog(er) la présence d’une obligation inconditionnelle de rembourser, l’existence d’une maturité ferme, d’un rendement cumulatif, ou encore de clauses de step-up. Si le contrat n’impose pas un remboursement, l’instrument bascule plus aisément dans la catégorie Autres fonds propres.
Que recouvre exactement la nouvelle ligne autres fonds propres
Le PCG, enrichi par l’ANC 2024-07, précise la composition de cette rubrique devenue obligatoire au passif. Elle figure entre les capitaux propres et les provisions, ce qui lui confère un statut intermédiaire, sans équivoque mais distinct des deux extrêmes. Cette présentation vise à isoler les instruments à caractéristiques quasi-fonds propres, dont la contrainte de remboursement n’est pas ferme ou dépend d’un évènement externe.
Trois sous-ensembles y prennent place, selon l’article 314-1 du PCG tel que modifié:
- Fonds non remboursables : instruments émis hors capitaux propres, dont le remboursement ne peut pas être imposé à l’émetteur. Le classement repose sur l’analyse des clauses juridiques du contrat. Le principal se comptabilise aux comptes 1671, 16711, 16712, et les intérêts courus au 1688.
- Avances conditionnées : avances de l’État ou d’organismes publics qui ne sont remboursables qu’en cas de succès du projet financé. Le principal va en 1673, tandis que les intérêts courus conditionnés utilisent le compte 1674.
- Droits du concédant : contrepartie des biens mis gratuitement à disposition dans une concession, avec le compte 229 mobilisé.
Cette classification se distingue des dettes définies par le PCG comme un passif certain avec échéance et montant déterminables et des provisions qui correspondent à un passif incertain dans son échéance ou son montant. L’apport est décisif sur la lecture des engagements financiers, notamment lorsque des instruments hybrides se multiplient.
Pour les instruments perpétuels, les obligations à remboursement subordonné ou les titres donnant droit à rémunération conditionnelle, le test-clé consiste à identifier la présence d’un droit légal de l’investisseur d’exiger le remboursement ou d’une clause automatique de remboursement à une date ferme. À défaut, l’instrument bascule dans Autres fonds propres, sauf si des clauses contradictoires rendent la dette certaine.
Où se place la ligne au bilan
La rubrique Autres fonds propres s’insère entre les capitaux propres et les provisions, de manière systématique. Elle est présentée dans les comptes individuels et peut être reproduite par sous-total dans les comptes consolidés, avec un détail fourni en annexe pour expliciter la nature des instruments et les méthodes de classement. Cette présentation favorise la comparabilité intra-groupe.
Société alpha : émission perpétuelle sans obligation de remboursement
Une société émet un titre perpétuel avec coupon discrétionnaire et sans obligation contractuelle de remboursement. Les clauses juridiques précisent que le porteur ne peut exiger le rachat.
Le classement s’oriente vers Autres fonds propres, avec une présentation en comptes 1671 pour le principal et 1688 pour les intérêts courus, en cohérence avec l’analyse juridique. En consolidé, un détail en annexe clarifie la nature perpétuelle et la subordination.
Société beta : avance publique remboursable en cas de succès
Une entreprise innovante reçoit une avance conditionnée, remboursable uniquement si certains jalons techniques ou commerciaux sont atteints. En l’absence de succès, aucune obligation de remboursement ne naît. Cette avance trouve sa place dans Autres fonds propres, compte 1673 pour le principal, 1674 pour les intérêts courus conditionnels, avec une annexe explicitant les critères de succès et l’échéancier conditionnel.
Effets collatéraux sur les capitaux propres et les instruments dilutifs
L’ANC 2024-07 ne se limite pas à la création d’une ligne intermédiaire. Il met à jour la définition des capitaux propres dans le PCG, en rappelant ce qu’ils contiennent: apports, écarts de réévaluation, bénéfices non distribués, pertes, subventions d’investissement et provisions réglementées. L’objectif est d’harmoniser les règles entre comptes individuels et comptes consolidés, afin de réduire les écarts de présentation.
Par ailleurs, le traitement des bons de souscription de titres en capital est mieux circonscrit, ce qui limite les situations où des instruments potentiellement dilutifs étaient classés de manière inhomogène. Le texte clarifie aussi la comptabilisation des rémunérations payables en capitaux propres afin d’éviter des interprétations divergentes selon que la contrepartie est un service, une acquisition ou une transaction intra-groupe.
Ce mouvement s’accompagne d’une suppression de dispositions spécifiques aux comptes consolidés prévues antérieurement dans le règlement ANC n° 2020-01, notamment ses articles 252-3 et 252-4. Le bénéfice attendu est double: une convergence de traitement entre niveaux de reporting et une meilleure comparabilité transversale entre sociétés françaises, quelle que soit leur taille.
Le règlement confirme l’importance d’examiner les droits et obligations associés aux bons et aux options. Les caractéristiques clés incluent le prix d’exercice, la discrétion de l’émetteur, les conditions de vesting et l’existence d’un engagement de rachat. Lorsque l’instrument n’implique pas d’obligation inconditionnelle de verser de la trésorerie, le classement tend vers les capitaux propres ou Autres fonds propres, selon la structure contractuelle.
Au plan stratégique, cette clarification peut influencer la politique de capital des émetteurs. Les titres hybrides conçus pour renforcer les ratios de solvabilité sans alourdir la dette ferme pourraient se développer, dans la limite d’un examen juridique rigoureux. Pour les sociétés en croissance, la distinction nette entre dette et quasi-fonds propres facilite les négociations avec les investisseurs et les prêteurs.
Conséquences opérationnelles pour la gouvernance financière
Les directions financières doivent mettre en place un cadre de contrôle pour inventorier les instruments concernés, relire les contrats et documenter les analyses de classement. Cette documentation est déterminante pour l’audit et la revue des commissaires aux comptes, notamment au moment de l’ouverture des exercices 2026 et lors des applications anticipées.
Sur le plan des covenants, la présentation d’Autres fonds propres au passif est susceptible d’améliorer certains ratios de levier si des instruments auparavant en dettes glissent vers cette nouvelle ligne. Il conviendra cependant d’anticiper l’impact sur les clauses financières, souvent libellées en termes de dettes nettes, d’EBITDA et de fonds propres. Un dialogue formalisé avec les financeurs s’impose pour ajuster les définitions contractuelles.
Les agences de notation et analystes disposeront d’indices plus clairs sur la nature des instruments hybrides. L’information en annexe, requise et structurée, jouera un rôle clé pour expliquer les effets de la reclassification et la sensibilité des flux de trésorerie aux différents scénarios. L’ANC recommande une information détaillée de première application, s’alignant avec les bonnes pratiques déjà promues en 2022 pour la modernisation des états financiers.
Groupe oméga : renégociation de covenants après reclassification
Un groupe multi-activités qui avait émis des obligations subordonnées à durée indéterminée peut constater une amélioration temporaire de ses ratios de dette, si l’instrument bascule dans Autres fonds propres. Toutefois, la banque chef de file requiert une définition contractuelle stable de l’endettement pour éviter une amélioration artificielle. Le groupe négocie alors un set de covenants qui neutralise l’effet de présentation, tout en préservant la transparence comptable.
- Cartographier tous les instruments hybrides, avances publiques et conventions de concession.
- Reconstituer les clauses contractuelles pertinentes et vérifier l’existence d’une obligation inconditionnelle de remboursement.
- Déterminer le classement cible: capitaux propres, Autres fonds propres ou dettes.
- Simuler les impacts sur les ratios et covenants, préparer le dialogue avec les financeurs.
- Structurer l’information en annexe et les justificatifs d’audit.
Première application et rétroactivité : ce qu’il faut prévoir
Le règlement s’applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2026, avec rétroactivité pour les instruments toujours en bilan à cette date. Cela implique des reclassements et, si nécessaire, des retraitements de comparatifs, afin d’assurer la continuité des séries et la lisibilité des états financiers. Les entités peuvent opter pour une application anticipée dès la publication au Journal officiel, sous réserve de pouvoir produire une information complète en annexe.
L’ANC a parallèlement ajusté certains modèles de bilan sectoriels ou spécifiques. Les exploitations agricoles, les coopératives agricoles et les entités non lucratives voient leurs schémas actualisés pour intégrer la ligne Autres fonds propres. Cette adaptation garantit l’homogénéité de présentation dans des environnements comptables historiquement différenciés, et limite le risque d’incompréhension des financeurs ou des organismes d’agrément.
En pratique, la bascule au 1er janvier 2026 requiert une revue exhaustive des contrats existants. Les sociétés devront documenter les décisions de reclassement et, le cas échéant, expliquer en annexe les changements par rapport à l’exercice précédent, en indiquant les montants et les fondements juridiques. La granularité de l’information sera cruciale pour éviter les litiges et sécuriser les rapports de gestion.
Comptes consolidés : présentation et annexe
Bien que la création d’une ligne Autres fonds propres soit d’abord pensée pour les comptes individuels, les groupes peuvent en reprendre la logique consolidée, avec un sous-total dédié et un détail explicite en annexe. L’information doit préciser la nature des instruments, les critères de classement et l’effet sur les agrégats clés. Cette transparence réduit le risque de divergences intra-groupe.
Deux points d’attention reviennent souvent: la disponibilité des contrats d’origine, parfois lacunaires, et l’existence de modifications postérieures qui changent la nature des obligations. En cas de documentation incomplète, il est recommandé d’archiver les éléments probants à la date d’émission et d’expliciter raisonnablement les hypothèses en annexe, sans masquer les incertitudes.
Interactions avec la réforme de modernisation des états financiers
L’ANC 2024-07 s’inscrit dans la dynamique plus large ouverte par le règlement n° 2022-06, qui modernise la présentation des états financiers et renforce les exigences de qualité de l’information. Le nouveau texte s’imbrique avec ces évolutions, en précisant la nomenclature et la logique de classement au passif, et en encourageant une annexe plus analytique.
Ce continuum normatif porte un message clair: sûreté juridique dans la classification, lisibilité pour les parties prenantes, cohérence entre comptes individuels et consolidés. Pour les entreprises exposées à des instruments hybrides, la réforme correspond à un réalignement structurel de la dette et des fonds propres, avec des effets sur le coût du capital et la stratégie d’émission.
Les notes techniques professionnelles publiées par la profession comptable détaillent la première application, la documentation attendue et les exigences de présentation. Le tout vise à éviter les divergences d’interprétation et à sécuriser la comparabilité nationale. Notons que la date d’entrée en vigueur en 2026 laisse une fenêtre de préparation suffisante pour les groupes lourds en instruments hybrides, qui devront orchestrer des projets de reclassification sur plusieurs mois.
Incidence fiscale et gouvernance
Le reclassement comptable ne modifie pas en soi la qualification fiscale des instruments. Toutefois, une relecture conjointe avec les fiscalistes est recommandée pour sécuriser la déductibilité d’une rémunération, les retenues à la source et la documentation prix de transfert. Côté gouvernance, la création d’un comité d’instruments hybrides peut accélérer les décisions et fluidifier le dialogue avec les auditeurs.
Questions pratiques des émetteurs et réponses de place
Les enjeux de place se concentrent sur trois sujets. D’abord, la documentation contractuelle.
Les émetteurs devront obtenir et archiver les versions intégrales des contrats d’émission et de leurs avenants. Ensuite, la cohérence des politiques: l’alignement entre la finance, le juridique et la trésorerie évite des classements discordants. Enfin, la communication vers les investisseurs: expliquer la bascule dans Autres fonds propres et ses implications sur les ratios, sans sur-promettre.
Sur les marchés, on anticipe une recomposition des financements hybrides. Les instruments qui maximisent la flexibilité juridique de l’émetteur, tout en préservant un coût raisonnable, pourraient gagner du terrain. Les prêteurs, eux, ajouteront des définitions comptables plus robustes dans les contrats, pour éviter que des reclassements ex post ne bouleversent les équilibres de leverage.
L’encadrement normatif répond enfin aux difficultés de classement observées ces dernières années pour les avances conditionnées et les droits du concédant. L’identification plus claire de ces postes améliore la traçabilité des aides publiques et la comptabilisation des concessions. Pour les acteurs de l’infrastructure, cette clarification peut faire la différence lors d’appels d’offres et de syndications de financement.
- Obligation ferme de remboursement à une date déterminée.
- Droit du porteur de demander le rachat dans des conditions non discrétionnaires.
- Coupons cumulatifs générant une dette en cas de non-paiement.
- Subordination profonde et perpétuité sans obligation d’extension.
- Conditions suspensives liées à la réussite d’un projet pour les avances publiques.
Cartographie des risques et informations à fournir en annexe
La première application exigera un chapitre dédié dans l’annexe, présentant la méthode de classement, les instruments reclassés, les effets chiffrés et les risques associés. Pour les groupes, les différences éventuelles entre comptes individuels et consolidés devront être explicitement documentées, avec réconciliation si nécessaire. Cette exigence de clarté est d’autant plus importante que la frontière entre dette et quasi-fonds propres peut affecter la perception de la solvabilité.
L’information utile inclut la nature des clauses de remboursement, l’existence de mécanismes de step-up, l’historique des coupons et l’impact sur les covenants. Une cartographie des sensibilités par scénario aidera à éviter les malentendus. En pratique, de nombreuses entreprises articuleront leur annexe autour d’un tableau récapitulatif des instruments hybrides, d’une description juridique, et d’un commentaire sur les ratios.
Une bonne pratique consistera à isoler les instruments auxquels s’appliquent des conditions suspensives ou résolutoires, ainsi que les mécanismes de conversion ou de rachat discrétionnaire. Les commissaires aux comptes apprécieront la granularité des informations et la cohérence entre le corps des états financiers, l’annexe et le rapport de gestion. Cette cohérence est un facteur d’auditabilité et de réduction du coût de la dette.
Feuille de route des directions financières d’ici 2026
À court terme, les entreprises gagneront à instituer un travail conjoint finance-juridique-treasury pour sécuriser le classement des instruments et préparer la première application. Un calendrier interne jalonnera la relecture des contrats, la simulation d’impacts et la communication aux financeurs et actionnaires. L’application anticipée est possible, mais suppose une annexe robuste et une gouvernance déjà rodée.
Au-delà de 2026, la discipline imposée par la rubrique Autres fonds propres pourrait élever les standards de structuration des instruments hybrides sur le marché français. En clarifiant la frontière juridique entre dettes et quasi-fonds propres, l’ANC donne aux émetteurs un levier de lisibilité utile pour négocier leur coût du capital, sans diluer l’exigence de transparence envers les investisseurs et les prêteurs.
En clarifiant juridiquement la distinction entre dettes et autres fonds propres, l’ANC 2024-07 trace une ligne de crête qui réorganise le passif, sécurise la lecture des risques et redessine, pour 2026, l’équilibre entre financement et transparence des comptes.