Une soif de modernité anime le Barreau de Bordeaux, décidé à s’équiper d’outils capables de faciliter le quotidien de ses 2 200 avocats. C’est dans cet esprit qu’il a développé un projet d’IA ambitieux, concrétisé par une signature avec la jeune pousse Haiku, pour un lancement programmé au 1er septembre 2025.

De la tradition à la modernité

Longtemps considéré comme l’un des barreaux les plus prestigieux de France, le Barreau de Bordeaux combine aujourd’hui une solide tradition et un désir de franchir un cap décisif en matière de transformation technologique. Si la profession d’avocat conserve ses fondements historiques (déontologie, respect du secret professionnel, défense des justiciables), elle n’échappe pas aux enjeux numériques du moment.

La volonté de se doter d’un assistant intelligence artificielle développé localement ne procède pas d’un simple effet de mode. Les instances ordinales bordelaises misent sur la proximité et l’expertise de Haiku, une start-up basée en Gironde et douée d’une expertise reconnue en legaltech. L’idée est de fournir aux avocats un accès rapide à des fonctionnalités innovantes : analyse automatisée de dossiers, génération de supports de recherche ou encore filtrage de documents par mots-clés, directement connectés à leurs environnements métiers tels que Diapaz, Septeo, Google Drive ou SharePoint.

En apportant des évolutions concrètes dans la pratique quotidienne, le Barreau concrétise un objectif essentiel : renforcer l’efficacité et la compétitivité de ses praticiens. L’humain demeure cependant au cœur du métier, et l’outil IA n’a pas vocation à se substituer aux avocats. Il doit plutôt leur permettre de se concentrer sur la réflexion stratégique, l’accompagnement personnalisé et la défense en justice.

 

Un tournant crucial pour les tâches répétitives

La charge de travail inhérente aux cabinets d’avocats reste particulièrement dense, surtout dans un barreau regroupant plus de deux mille professionnels. Chaque jour, ces derniers passent de longues heures à compulser de la jurisprudence, à analyser des textes de loi ou à rédiger des mémoires complexes. D’où l’idée de s’appuyer sur un assistant conversationnel d’IA, de type ChatGPT, qui facilitera la préparation de dossiers en s’intégrant aux outils classiques de la profession.

Avec la solution Haiku, il sera ainsi possible de réaliser plusieurs opérations de façon semi-automatisée :

  • Recherches juridiques ciblées : identification des arrêts de la Cour de cassation, du Conseil d’État ou d’autres juridictions clés sur un thème donné.
  • Rédaction d’actes types : contrats, courriers aux juridictions, requêtes standardisées, etc.
  • Synthèse automatisée : création de résumés ou de points d’alerte sur la base d’un corpus de documents sélectionnés.

En réduisant le temps passé sur ces tâches, l’outil promet d’accroître la réactivité et la compétitivité des cabinets, qu’ils soient de grande taille ou plus modestes. Les équipes de Haiku insistent sur l’accompagnement personnalisé pour une bonne prise en main de leur assistant virtuel, tenues de garantir la confidentialité des données sensibles.

 

L’histoire d’un partenariat local

Le rapprochement entre le Barreau de Bordeaux et Haiku ne doit rien au hasard. Cette start-up girondine, fondée en 2023 par un doctorant en droit de l’Université de Bordeaux, est rapidement parvenue à montrer son savoir-faire dans la conception d’outils dédiés à la profession juridique. Un prototype a d’abord été proposé à une poignée de cabinets expérimentateurs, avant d’envisager une adoption à plus large échelle.

Le succès initial auprès des avocats-testeurs a alors convaincu l’Ordre de lancer un appel d’offres pour sélectionner un outil d’IA correspondant aux spécificités de l’exercice à Bordeaux. Haiku s’est démarquée par sa maîtrise technique et l’aspect user-friendly de son interface, au point de lever 1,3 million d’euros fin 2024 auprès du fonds Newfund Capital. Un soutien financier qui a permis à l’entreprise d’embaucher des ingénieurs et de finaliser un produit adapté aux besoins quotidiens des avocats.

Dans ce climat favorable, la bâtonnière en exercice, Caroline Laveissière, a décidé de mettre les moyens pour que ses confrères puissent être dotés d’outils de pointe. La signature officielle de l’accord est intervenue le 16 juillet 2025, toutefois la date de mise en route du dispositif a été fixée au 1er septembre 2025 afin de préparer la migration des données et la formation des collaborateurs.

 

Le barreau a privilégié une intégration en douceur pour s’assurer que toutes les compatibilités techniques et réglementaires soient éprouvées, et que les avocats bénéficient d’un accompagnement progressif. Le vote d’une enveloppe budgétaire suffisante a également nécessité des procédures internes, justifiant un délai plus long avant la mise en production.

 

Une évolution parmi d’autres : Doctrine et LexisNexis en renfort

Le partenariat avec Haiku ne constitue pas la première incursion du Barreau de Bordeaux dans l’univers de l’intelligence artificielle. Depuis plusieurs mois, des accords avec LexisNexis et Doctrine ont été finalisés, offrant aux praticiens bordelais des solutions complémentaires. LexisNexis, référence internationale en matière de documentation juridique, permet aux avocats d’accéder rapidement à un fonds documentaire exhaustif, couplé à des fonctionnalités sophistiquées telles que l’analyse prédictive. Ce type d’outil se base sur d’immenses volumes de décisions de justice pour anticiper les tendances jurisprudentielles.

De son côté, la start-up Doctrine s’est faite remarquer par ses options d’automatisation et de simplification, notamment pour la recherche jurisprudentielle. Adoptée par les barreaux de Paris, Lyon et Dijon, elle propose un chatbot juridique, un module de résumé automatique et un assistant de rédaction dans Word. Cet ensemble d’outils fluidifie grandement le travail des petits cabinets qui ne disposent pas forcément de documentalistes dédiés. Son utilisation à Bordeaux confirme l’orientation résolue du barreau pour une démocratisation de l’IA dans la sphère juridique.

 

Miser sur l’égalité et le développement professionnel

Au-delà de la prouesse technologique, l’enjeu réside dans le fait d’éviter une fracture numérique entre les avocats. Avec l’apparition d’outils pointus et parfois coûteux, le risque est que seules les grosses structures bénéficient de ces solutions tandis que les cabinets plus modestes en seraient exclus. C’est pourquoi le Barreau de Bordeaux prend en charge une partie des frais liés à l’abonnement de ces plateformes.

Parallèlement, des sessions de formation sont déjà prévues, destinées à l’ensemble des avocats bordelais. L’objectif est de favoriser l’inclusion numérique et de promouvoir une culture digitale commune, afin que chacun s’approprie pleinement les fonctionnalités offertes par ces nouvelles technologies. Cet accompagnement s’accompagnera de guides pratiques, de tutoriels en ligne et de webinaires, renforçant ainsi la montée en compétence collective.

 

Bon à savoir

Le Conseil National des Barreaux (CNB) encourage activement les initiatives digitales qui s’inscrivent dans un cadre éthique, respectueux du secret professionnel. Chaque nouvel outil employé doit respecter les principes de confidentialité des données et de non-traitement des informations sensibles par des serveurs non sécurisés.

 

Focus sur la plateforme Haiku

Au cœur du dispositif se trouve l’intégration de l’assistant IA de Haiku avec les outils métiers existants. Concrètement, chaque avocat bordelais pourra paramétrer son compte pour accéder à un tableau de bord unique. Celui-ci permettra de naviguer entre la consultation de bases documentaires, la création de modèles de documents et la recherche jurisprudentielle.

Le concept développé par Haiku repose notamment sur une technologie de traitement du langage naturel conçue pour comprendre les subtilités des requêtes en langage juridique. Ainsi, en saisissant des mots-clés ou des questions précises, l’utilisateur bénéficiera d’une synthèse adaptée, pouvant inclure des articles de loi, des extraits de doctrine ou des références majeures issues de la jurisprudence. Cette perspective novatrice doit à terme fluidifier les procédures de veille et rendre l’avocat plus autonome dans son travail de documentation.

Depuis sa création, Haiku s’est imposée comme une référence régionale en obtenant le soutien d’organismes locaux tels que le Village by CA Aquitaine, structure qui accompagne et accélère des start-up innovantes en Nouvelle-Aquitaine. Cette dynamique territoriale a facilité l’adoption de l’assistant juridique par une quarantaine de cabinets dès la phase pilote. Aujourd’hui, l’outil franchit un cap majeur avec une implémentation ciblée dans l’un des plus grands barreaux de France.

 

Proposée en mode cloud (Software as a Service, ou SaaS), la solution Haiku simplifie la maintenance et les mises à jour régulières. Les nouvelles versions sont automatiquement poussées aux utilisateurs, sans qu’ils aient à gérer un lourd parc informatique. Cette souplesse s’avère particulièrement appréciable pour les cabinets dont l’infrastructure technologique est parfois limitée.

 

Quand l’IA remodèle la pratique du droit

Dans l’imaginaire collectif, l’IA est souvent associée à des outils spectaculaires, capables de produire des textes complexes sans intervention humaine. En réalité, son intégration dans la pratique juridique se fait de manière progressive et pragmatique. Les avocats n’ont pas vocation à déléguer entièrement la rédaction d’actes importants. Ils s’appuieront plutôt sur la capacité prédictive et la génération d’ébauches textuelles pour gagner en fiabilité et en rapidité.

Le Barreau de Bordeaux voit dans cette convergence entre l’expertise humaine et l’automatisation une opportunité de sécuriser la chaîne de valeur. L’analyse d’un dossier complexe implique de comprendre son contexte, d’évaluer l’argumentaire adverse et de proposer une stratégie. L’IA vient alors en soutien pour repérer des jurisprudences similaires ou des angles d’attaque précis, renforçant l’efficacité globale de la plaidoirie. Le rôle d’un avocat se trouve ainsi conforté, tandis que l’IA agit comme un levier d’aide à la décision.

Dès lors, la modernisation amorcée par le barreau n’est pas qu’un simple dépoussiérage. Elle témoigne d’une volonté de fédérer les cabinets autour d’une transition numérique positive, mais aussi de reconstruire la relation entre avocats et justiciables par un accès plus rapide à certains documents ou informations essentielles.

Point de vigilance

Dans le domaine du droit, la confidentialité prime. Les acteurs de l’IA juridique doivent impérativement proposer les meilleures garanties de sécurité et chiffrer toutes les données échangées via leurs plateformes. Les avocats restent responsables du secret professionnel et doivent s’assurer que leurs prestataires respectent la législation française et européenne en la matière.

Défis et enjeux éthiques

L’arrivée de l’IA dans le milieu juridique ne saurait se faire sans prendre en compte les conséquences éthiques et déontologiques. Les avocats sont garants du respect de la loi, de la confidentialité et de la défense des intérêts de leurs clients. S’appuyer sur un algorithme pour conclure sur certains aspects d’un dossier pose la question de la fiabilité des données et de la traçabilité de l’argumentaire.

Le Barreau de Bordeaux insiste donc sur la nécessité de respecter les règles déontologiques qui régissent la profession. Un code de bonne conduite sera présenté lors d’un colloque le 26 mars 2025 à l’Université de Bordeaux. Les intervenants, parmi lesquels Hélène Laudic-Baron (vice-présidente du Conseil National des Barreaux) et Pierre Hoffman (bâtonnier de Paris), reviendront sur la notion de « responsabilité partagée ». Elle implique que chaque utilisateur doit être conscient des limites technologiques et prendre les précautions nécessaires pour valider les suggestions de l’outil.

L’objectif est ainsi de combiner l’analyse humaine indispensable et la capacité de traitement rapide de l’IA. Ni la machine ni l’avocat ne sauraient œuvrer seul de manière optimale ; c’est dans la complémentarité que réside la clé. Si cette synergie est calibrée avec rigueur, les retombées positives pourraient se mesurer tant en termes de qualité de service rendu qu’en termes d’allègement des procédures.

 

En marge des conférences plénières, plusieurs ateliers pratiques sont prévus. Dans ces ateliers, les participants pourront tester les outils Haiku, Doctrine ou LexisNexis et échanger sur des cas d’usages concrets. Des retours d’expériences seront partagés par des cabinets pilotes et des conseils seront donnés quant à l’insertion de l’IA dans les process internes.

 

Quels avantages pour la justice et les justiciables ?

Au-delà du confort pour les cabinets d’avocats, la modernisation induite par l’IA peut également bénéficier à l’ensemble du système judiciaire. Des procédures plus efficaces, une documentation rapide, une veille permanente sur les évolutions législatives : autant d’éléments qui favorisent la rapidité et la fiabilité des services rendus aux justiciables. À terme, un dispositif bien rodé pourrait se conjuguer avec des initiatives de justice prédictive dans le but de mieux anticiper les délais, voire d’optimiser la répartition des audiences.

Certes, l’IA ne prétend pas régler à elle seule les grandes problématiques de l’encombrement judiciaire. Néanmoins, en allégeant les tâches répétitives incombant aux professionnels, elle ouvre la voie à un travail plus qualitatif. Selon certains experts, la quête d’efficience dans les cabinets d’avocats est un puissant levier d’amélioration de la chaîne judiciaire dans son ensemble. Des avocats plus disponibles peuvent nouer un dialogue constructif avec les magistrats et les greffes, décrochant in fine des solutions plus rapides et mieux ciblées.

Le Barreau de Bordeaux semble clairement miser sur cet effet vertueux, en espérant que l’intégration technologique vienne appuyer une industrialisation raisonnée du traitement du contentieux. Le but n’est pas de déshumaniser la justice, mais de permettre aux avocats de focaliser leur énergie sur les points cruciaux, et non plus sur éléments répétitifs ou procéduriers.

 

Une perspective internationale

Le mouvement initié à Bordeaux s’inscrit dans un contexte mondial où les acteurs du droit expérimentent toujours davantage d’outils assistés par l’IA. Aux États-Unis, plusieurs legaltech ont prouvé leur utilité dans le suivi automatique des contentieux, l’épluchage de pièces volumineuses ou la rédaction accélérée de mémoires. Des associations professionnelles, comme l’American Bar Association, encouragent d’ailleurs les avocats à se former aux nouvelles technologies pour rester compétitifs et maintenir un service de qualité.

En France, on constate déjà un certain dynamisme : à Paris, le barreau s’est rapproché de divers fournisseurs de solutions IA, tandis que Lyon et Dijon ont suivi le chemin initié. Dans ce panorama, Bordeaux souhaite marquer sa singularité en soutenant une jeune pousse régionale à fort potentiel, favorisant ainsi le rayonnement local. Les ambitions internationales ne sont pas exclues, Haiku visant à terme une extension en Europe francophone (Belgique, Suisse) pour mutualiser la construction de bases de données à l’échelle francophone.

En plaçant la Nouvelle-Aquitaine au cœur de l’innovation juridique, le barreau espère stimuler un écosystème composé de start-up, d’incubateurs et de centres de recherche. Cette synergie profite d’autant plus à la marque « Bordeaux », qui devient un épicentre de la transformation numérique dans le secteur professionnel du droit.

 

Comment se former efficacement ?

L’introduction d’une IA comme celle de Haiku requiert un temps d’adaptation. Pour en accélérer la prise en main, le Barreau de Bordeaux a prévu plusieurs dispositifs de formation continue. Les avocats bénéficient d’ateliers pratiques, de cours en ligne et de réunions pédagogiques pour que l’immersion dans l’interface se fasse sereinement. Le but : démystifier l’IA, faciliter la configuration des différents modules et donner envie d’aller plus loin.

Les formateurs insistent sur l’importance de poser des questions précises à l’assistant virtuel, afin d’affiner les réponses proposées. Ces formations incluent également des retours d’expérience, car la technologie peut se heurter à certaines limites : le manque de contextualisation, l’obligation de vérifier systématiquement la source des informations suggérées, ou encore la prise en compte de nuances législatives récentes.

Le barreau n’hésite pas à encourager la solidarité inter-cabinets. De grands cabinets ayant déjà testé la solution partagent leurs conseils d’optimisation avec les confrères plus modestes. Cette entraide traduit la volonté d’assurer une adoption homogène, indépendamment de la taille de la structure ou du budget initialement disponible.

 

Quelles perspectives pour la profession ?

L’IA n’a pas vocation à supplanter l’avocat, mais bien à le seconder dans ses tâches à faible valeur ajoutée. Avec le projet Haiku, le Barreau de Bordeaux témoigne de son ouverture à une évolution cruciale, propulsant les avocats girondins dans une forme de modernité réfléchie. Il y a fort à parier que ce mouvement va s’amplifier au fil des prochaines années, faisant de la digitalisation un levier majeur de croissance et d’attractivité.

D’ici quelques mois, on assistera sans doute à la mise en place de retours chiffrés, mesurant le gain de productivité et l’impact sur la satisfaction client. Cette démarche contribuerait à légitimer encore davantage le recours à l’IA dans le monde juridique. La balle est désormais dans le camp des autres barreaux, et notamment de ceux qui cherchent à concilier l’excellence traditionnelle avec les technologies de pointe.

Au fond, la vision portée par le Barreau de Bordeaux démontre que l’intelligence artificielle peut aider les avocats à réinventer leur pratique, sans jamais perdre de vue leur rôle de conseil, de proximité et de défense des libertés.