1 200 milliards d’euros de chiffre d’affaires à l’étranger et plus de 25 000 entreprises françaises implantées hors de l’Hexagone en 2023 : l’international n’est plus un simple relais de croissance, c’est un centre de gravité. Reste une question décisive pour les dirigeants : comment structurer l’actionnariat des filiales pour optimiser gouvernance, fiscalité et flux financiers sans perdre en agilité.

Structurations d’actionnariat : trois voies stratégiques à l’international

À l’heure d’arbitrer entre contrôle, coûts et conformité, trois architectures dominent. Elles ne s’excluent pas forcément, mais chaque voie expose à des risques et bénéfices distincts qu’il faut apprécier en amont de l’implantation.

Détention par la société mère française : contrôle et lisibilité

Modèle direct, la maison mère détient les titres de la filiale étrangère. L’avantage est immédiat : chaîne de contrôle courte, gouvernance homogène, décisions rapides. Côté pilotage financier, la centralisation se facilite, notamment via des conventions de trésorerie intra-groupe qui optimisent le besoin en fonds de roulement et réduisent le coût de la liquidité.

Sur le plan fiscal, cette configuration s’articule bien avec deux outils du droit français : le régime mère-fille, qui permet une exonération à hauteur de 95 % des dividendes sous conditions, et l’intégration fiscale nationale si les seuils de détention sont réunis. À l’international, les flux remontants bénéficient, selon les pays, des conventions fiscales bilatérales qui allègent les retenues à la source et réduisent la double imposition.

Enfin, la lisibilité de l’actionnariat est un signal positif pour les prêteurs et investisseurs. C’est un point récurrent des opérations de financement : les structures simples accélèrent la due diligence et rassurent sur la continuité des contrôles internes.

Cash pooling intra-groupe : règles et vigilance

Les conventions de trésorerie doivent respecter les principes de taux de marché et de documentation des flux. Les banques exigent souvent :

  • Des accords-cadres détaillant la rémunération et la répartition des risques.
  • Des testings de taux et analyses de prix de transfert sur les comptes courants d’associés.
  • Une cohérence avec les restrictions locales de transferts de fonds.

Détention en nom propre du dirigeant : accélérateur mais risque accru

Souvent retenue lors d’une première implantation, la détention personnelle par le dirigeant peut simplifier l’entrée dans un pays, surtout quand la mise en place d’une structure groupe est longue ou coûteuse. Avantages : rapidité, flexibilité pour négocier avec des partenaires locaux.

Cette configuration expose toutefois à des contraintes structurelles : absence de consolidation fiscale au niveau groupe, transferts de bénéfices potentiellement plus complexes et, surtout, risque patrimonial direct pour le dirigeant. L’attractivité pour des investisseurs externes peut s’en trouver réduite, faute de visibilité sur la chaîne de contrôle finale.

Montages hybrides et investisseurs locaux : souplesse sous conditions

Entre les deux extrêmes, des schémas « hybrides » combinent investisseurs locaux, participations croisées et véhicules dédiés. Objectif : négocier des accès de marché, respecter des quotas ou règles sectorielles et, parfois, positionner des holdings intermédiaires dans des juridictions favorables pour optimiser la gestion de flux.

Dans certains pays et secteurs, des partenariats avec des acteurs locaux demeurent structurants pour l’accès au marché. L’Irlande, avec un taux d’impôt sur les sociétés à 12,5 %, est parfois sollicitée pour loger une holding régionale. Cette souplesse suppose toutefois une documentation rigoureuse, le respect des règles anti-abus et la maîtrise des risques de requalification.

Dans les montages mixtes, les pactes d’actionnaires doivent traiter : gouvernance, droits de sortie, non-concurrence, transfert de titres et résolution des conflits. Les clauses de liquidité et les mécanismes d’ajustement de prix sont essentiels dans les juridictions à volatilité réglementaire.

Gouvernance et pilotage financier : pourquoi la simplicité paie

Le retour d’expérience converge : plus la structure capitalistique est lisible, plus le pilotage économique est fluide. Trois leviers ressortent pour les directions financières et juridiques.

  • Consolidation sans frictions : la détention directe facilite l’alignement des calendriers comptables, réduit la complexité des éliminations intra-groupe et accélère la clôture.
  • Contrôles internes homogènes : procédures de délégations, politiques de dépenses et référentiels de risques deviennent transposables d’une filiale à l’autre.
  • Négociation bancaire : un groupe à l’actionnariat lisible obtient plus facilement des covenants adaptés et un coût du financement compétitif.

À l’inverse, l’empilement de véhicules intermédiaires allonge la chaîne de décision, multiplie les dépendances juridiques et renchérit les coûts cachés : honoraires, reporting, audit, conformité. C’est un arbitrage à effectuer au regard de la taille des flux, du pays d’implantation et des exigences locales.

Indicateurs d’alerte côté gouvernance

Signaux de complexité non maîtrisée :

  • Multiplication des conventions intragroupe sans cartographie centralisée.
  • Pilotage des flux par exceptions plus que par politiques.
  • Délais récurrents dans la remontée des dividendes ou l’obtention de documents juridiques locaux.

Fiscalité des groupes : leviers français et neutralisation de la double imposition

La soutenabilité d’une expansion internationale tient souvent à la capacité de faire remonter la valeur vers la maison mère à un coût maîtrisé et de sécuriser les positions fiscales sur la durée.

Régime mère-fille et intégration fiscale : mécanique et précautions

Le droit français offre deux mécanismes centraux. D’abord le régime mère-fille qui, sous conditions, permet l’exonération de 95 % des dividendes reçus d’une filiale.

Ensuite, l’intégration fiscale qui autorise de compenser les résultats au sein du périmètre, sous réserve notamment d’un niveau minimal de détention. L’effet combiné est puissant : consolidation des performances et réduction de l’impôt global sur le périmètre français.

Reste l’extra-territorialité : en amont, les retenues à la source étrangères et, en aval, la taxation à l’arrivée. Les conventions bilatérales signées par la France, largement diffusées au niveau mondial, organisent la réduction des retenues et les mécanismes d’élimination de la double imposition. Elles sont au cœur de la modélisation de cash-flows des filiales à l’étranger.

Points d’attention fréquemment contrôlés :

  • Seuil de participation minimal et durée de détention.
  • Qualité des titres et nature des distributions.
  • Absence de montages principalement fiscaux au sens des clauses anti-abus.

Une documentation probante sur l’intérêt économique et la substance des entités reste déterminante.

Conventions fiscales internationales : retenues à la source et clauses anti-abus

La France dispose d’un réseau étendu de conventions fiscales qui encadrent l’imposition des dividendes, intérêts et redevances. Dans de nombreux cas, les retenues sur dividendes sont plafonnées, souvent à 15 % ou moins, sous réserve de conditions de détention. Les groupes doivent vérifier au cas par cas les formulaires d’éligibilité, les délais et la documentation exigée par l’administration étrangère.

Depuis les travaux internationaux de l’OCDE, la plupart des conventions intègrent désormais des clauses anti-abus de type « Principal Purpose Test » qui neutralisent les structures dont le but principal serait d’obtenir un avantage fiscal. C’est un pivot de la stratégie des holdings : la substance locale et le rôle économique sont devenus des facteurs déterminants pour sécuriser les flux.

IS en 2025 : points clés à connaître

Le taux normal de l’impôt sur les sociétés en France est de 25 %. Un taux réduit peut s’appliquer, sous conditions, à une fraction du bénéfice des PME. Les directions financières doivent vérifier les seuils et critères d’éligibilité et coordonner les effets avec l’intégration fiscale et le régime mère-fille.

Pour appliquer une retenue conventionnelle réduite, la filiale étrangère doit souvent disposer d’un certificat de résidence fiscale récent de la société mère. Anticipez :

  • Les formulaires pays par pays et la périodicité des renouvellements.
  • Les délais d’obtention de l’attestation de résidence auprès de l’administration française.
  • La cohérence des adresses et dénominations sociales sur tous les documents.

Tendances 2024-2025 : charges, optimisation légale et garde-fous

La pression fiscale et réglementaire est une donnée à intégrer tôt dans les modèles. En 2024, les grandes entreprises ont versé 85,1 milliards d’euros d’impôts, un niveau en hausse d’une année sur l’autre, selon des données relayées par la presse économique sur la base d’un rapport d’organisation professionnelle (AFEP, 2024). Pour 2025, la prévision de croissance du PIB en France se situe à 0,8 %, avec des entreprises plus prudentes sur l’investissement et la consommation.

Cette toile de fond favorise les stratégies solides et auditables. Les holdings intermédiaires dans certaines juridictions restent utilisées, mais l’objectif économique doit être documenté : gestion des risques, financement régional, mutualisation des fonctions, couverture de change. À défaut, un risque de requalification peut apparaître si la structure est perçue comme artificielle.

Les conventions fiscales ont été modernisées pour intégrer des mécanismes anti-évasion, de sorte qu’une bonne part des schémas reposant sur des véhicules à « vocation fiscale principale » sont désormais fragilisés. Les directions fiscales et juridiques doivent limiter les arbitrages aux montages où la substance est vérifiable : équipes, dépenses, fonctions, prise de décision locale.

Outre les obligations nationales, les groupes suivent :

  • La montée en charge des exigences de reporting pays par pays public au niveau européen.
  • Les dispositifs de déclaration des schémas transfrontières potentiellement agressifs.
  • Les attentes accrues en matière d’ESG et de responsabilité fiscale.

Objectif : aligner le discours public, la pratique opérationnelle et la documentation fiscale.

Carte des risques opérationnels : change, flux et droits locaux

Au-delà du schéma capitalistique, l’exécution opérationnelle conditionne la réussite. Plusieurs familles de risques reviennent systématiquement lors des implantations.

  • Monnaie et rapatriement : restrictions de change, délais bancaires, autorisations spécifiques pour sortir des dividendes, redevances ou intérêts.
  • Licences et autorisations : secteurs régulés avec exigences de participation locale, conformité sectorielle et contrôles renforcés.
  • Contrats intragroupe : compatibilité entre droit local et droit français sur les prestations de services, redevances de marque ou d’assistance technique.

Historiquement, certains marchés ont imposé des coentreprises dans des secteurs sensibles pour sécuriser l’accès, ce qui favorise les montages hybrides. Les groupes doivent alors calibrer la gouvernance contractuelle pour maîtriser les décisions stratégiques et les flux financiers, en prenant en compte les règles de transfert de technologie, les exigences de localisation des données et les clauses de non-concurrence.

Contrats intragroupe : sécuriser la rémunération

Pour chaque flux, une logique économique claire et documentée est nécessaire :

  1. Prestations de services : pricing à la juste valeur et preuve de la réalité des services.
  2. Redevances de propriété intellectuelle : traçabilité des actifs, inscription et protection locale.
  3. Financements : règles de sous-capitalisation, documentation des prêts, covenants cohérents.

Outre le dividende, d’autres canaux existent :

  • Redevances pour marque ou technologie lorsque cela reflète un usage réel.
  • Management fees pour assistance, selon des service level agreements précis.
  • Intérêts dans la limite des règles de sous-capitalisation et anti-hybrides.

La combinaison doit éviter la double imposition et respecter les plafonds conventionnels.

Décider vite et bien : méthode d’arbitrage pour comités d’investissement

Un comité d’investissement efficace tranche en s’appuyant sur un dossier resserré intégrant gouvernance, fiscalité, droit local et contraintes bancaires. Voici une grille de lecture opérationnelle pour sécuriser la décision.

  • Objectif économique de l’entité : distribution, production, propriété d’actifs, centre de services, financement. Le schéma actionnarial doit découler du rôle.
  • Test de substance : équipes, bureaux, charges locales, pouvoirs de décision. Documenter pour répondre aux clauses anti-abus.
  • Cartographie des flux : dividendes, redevances, intérêts, prestations. Simulation de la charge fiscale nette avec conventions applicables.
  • Risque juridique : exigences de partenaires locaux, droits de sortie, limitations à la détention par des non-résidents.
  • Risque financier : exposition de change, remontée des liquidités, encadrement bancaire, coût de la couverture.
  • Réputation et conformité : cohérence ESG, transparence publique, exposition aux dispositifs de reporting.

Le meilleur schéma est celui qui reste opérationnel malgré la complexité internationale et défendable devant un auditeur ou une administration fiscale.

Indicateurs chiffrés à garder à l’esprit en 2025

Les chiffres éclairent les priorités. En 2023, l’INSEE recense plus de 25 000 entreprises françaises à l’étranger pour un chiffre d’affaires consolidé de 1 200 milliards d’euros.

Le maillage conventionnel de la France couvre un large spectre de pays, de l’Allemagne aux États-Unis en passant par la Chine, avec des plafonds de retenues souvent compris autour de 15 % pour les dividendes lorsque les conditions de détention sont remplies. La montée des exigences de transparence et le maintien du taux normal d’IS à 25 % commandent des structures lisibles et rationnelles pour capter les flux sans dégrader le coût du capital.

À l’appui des décisions d’investissement, deux repères macro renforcent l’exigence de discipline : le volume d’impôts supportés par les grandes entreprises en 2024, soit 85,1 milliards d’euros, et l’hypothèse de croissance du PIB à 0,8 % pour 2025. Dans ce paysage, l’arbitrage entre simplicité actionnariale et flexibilité locale se fait au bénéfice de schémas sobres qui préservent la trésorerie et la vélocité décisionnelle tout en respectant les règles anti-abus internationales.

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Cap juridique et fiscal 2025 : lignes de force pour s’implanter à l’étranger

Pour les groupes français, la priorité reste d’articuler contrôle, fiscalité maîtrisée et crédibilité auprès des investisseurs. La détention par la société mère constitue un socle robuste, qui peut se compléter de montages locaux lorsque les contraintes réglementaires le justifient. Le tout, sous l’angle d’une documentation rigoureuse sur la substance et l’intérêt économique des entités.

Le cap est clair pour 2025 : sécuriser les flux via les conventions bilatérales, exploiter les mécanismes français de type mère-fille et intégration fiscale, et limiter les interpositions aux cas où elles créent de la valeur opérationnelle. L’équation gagnante combine lisibilité capitalistique, discipline des prix de transfert et robustesse contractuelle, au service d’une expansion durable. La simplicité bien documentée reste la meilleure alliée de la croissance internationale.