La relance des négociations de licences d'IA par l'APIG
Les éditeurs français pressent pour des accords de licence d'IA, avec une menace de recours judiciaire et des attentes plus robustes.

Depuis ce matin, la pression s’intensifie chez les éditeurs français: Pierre Louette, à la tête de l’Alliance de la presse d’information générale, relance publiquement le bras de fer avec les plateformes d’IA. En jeu, des accords de licence jugés indispensables, la perspective de saisir les tribunaux et une demande claire de garde-fous européens renforcés.
Accords avec les plateformes d'IA : la ligne rouge tracée par l'APIG
Pierre Louette réaffirme une priorité: sécuriser des accords de licence avec les acteurs de l’IA générative. Il rappelle la possibilité d’un recours judiciaire si les échanges n’aboutissent pas et défend un cadre européen plus robuste pour sanctuariser la valeur de l’information politique et générale.
Au cœur du dossier, des inquiétudes montent sur la nature de certains accords déjà signés. L’entente conclue entre Mistral et l’AFP est citée comme un cas limite: elle matérialise la faisabilité d’une rémunération mais poserait un double risque pour la presse payante, cannibalisation des abonnements et concurrence déloyale si un modèle d’accès indirect aux contenus éditoriaux évite les négociations directes avec les titres.
Dans le même temps, des discussions avancées sont confirmées entre Les Echos-Le Parisien et Perplexity, un signal distinct sur le marché: la plateforme multiplie les échanges, affiche une enveloppe dédiée à la rémunération et défend une approche réputée respectueuse des droits. Côté calendrier, l’urgence est palpable, nourrie par des déclarations récentes publiées dans la presse spécialisée.
Mistral et l'AFP : risques soulevés
- Risque de cannibalisation des abonnements aux titres qui financent l’AFP et diffusent ses dépêches.
- Risque de concurrence déloyale si des modèles d’IA exploitent l’AFP pour contourner la négociation directe avec les éditeurs.
- Question de principe: l’AFP, coopérative à mission de service public, ne doit pas priver la presse française de recettes issues de la valeur qu’elle contribue à créer.
OpenAI : accords sélectifs remis en cause
OpenAI a opté pour des partenariats limités, titre par titre et pays par pays, avec des exemples cités en France. Cette sélectivité, même si elle atteste que la rémunération est possible, est contestée sur le plan juridique par l’APIG. Les éditeurs y voient une fragmentation du marché qui maintient une asymétrie de négociation et une incertitude sur la couverture des usages réels des contenus.
Les droits voisins de la presse visent à garantir une rémunération lorsque des plateformes exploitent les contenus journalistiques. Pour l’IA générative, la logique est similaire: acquisition licite des contenus, traçabilité des usages et compensation financière. Les éditeurs plaident pour l’intégration explicite de ces mécanismes dans les accords avec les opérateurs d’IA et pour des audits de conformité.
Négociations en cours : Perplexity en tête, Mistral sous observation
Pour l’APIG, plusieurs voies restent ouvertes. Perplexity apparaît aujourd’hui comme l’interlocuteur le plus proactif: dialogue établi, volonté de contractualiser et visibilité sur le volet financier. À l’inverse, Mistral demeure un partenaire « possible » aux yeux des éditeurs, sous réserve de garanties sur la non-cannibalisation des revenus de la presse et sur la définition d’un périmètre d’usage clair.
ProRata.ai est également mentionné comme un intermédiaire susceptible de fluidifier les échanges entre éditeurs et opérateurs d’IA. Des discussions naissantes pourraient structurer un cadre standard de licences, utile pour des titres qui n’ont pas les ressources internes d’un grand groupe.
Perplexity : modèle Comet Plus et enveloppe dédiée
Selon la presse économique, Perplexity porte une proposition différenciante: via l’abonnement Comet Plus, un modèle de partage de revenus reverse une part substantielle aux éditeurs. La start-up, valorisée à un niveau élevé, affiche une stratégie d’alignement d’intérêts entre agrégateur d’IA et producteurs d’information. Les éditeurs saluent des signaux positifs tout en restant vigilants sur la tranche financière finale, déterminante pour l’équilibre économique de leurs rédactions.
ProRata.ai : un intermédiaire à l'épreuve du terrain
La médiation par un tiers pourrait accélérer la conclusion d’accords en série, à condition de certifier les flux de données, de rendre auditables les sources et de définir des mécanismes de reporting sur les usages réels. L’APIG évoque des contacts préliminaires avec ProRata.ai pour tester la faisabilité d’un tel schéma.
Pourquoi l’approche Perplexity se distingue
Trois marqueurs opérationnels donnent de la consistance aux échanges:
- Des discussions avancées avec de grands groupes de presse, dont Les Echos-Le Parisien.
- Une enveloppe de rémunération dédiée, compatible avec des signatures individuelles.
- Un modèle Comet Plus orienté partage de revenus, présenté comme une base contractuelle prévisible.
Les éditeurs jugeront sur pièces: transparence, granularité des droits, capacités de contrôle en feront un précédent ou non.
Pratiques de collecte et preuves : la riposte procédurale des éditeurs
Depuis plus d’un an, des signaux techniques sont adressés aux crawlers: collecte non autorisée sans licence. Devant l’absence de réponses jugées satisfaisantes, les éditeurs organisent la preuve des aspirations illégales par constats d’huissier. La séquence type est désormais rodée: mise en demeure, relance de la négociation, puis, le cas échéant, action coordonnée.
Ce dispositif se double d’une action de nettoyage des sources d’entraînement: Common Crawl a retiré les contenus de 81 éditeurs sur demande, ce qui oblige désormais les fournisseurs qui s’étaient appuyés sur ces bases à rendre des comptes et, potentiellement, à indemniser les usages passés.
Common Crawl : 81 retraits obtenus
Le retrait des corpus de 81 éditeurs d’un gisement public fréquemment utilisé pour l’entraînement des modèles envoie un signal aux grands acteurs: l’absence de titre dans une base n’emporte pas renonciation aux droits. Les éditeurs sollicitent désormais directement les entreprises ayant utilisé ces données pour enclencher des discussions financières, avec la menace explicite d’une action de groupe si nécessaire.
Meta et Microsoft : demandes de rémunération formalisées
Les éditeurs ont engagé des négociations droits voisins avec plusieurs plateformes. Ils documentent une asymétrie économique, notamment lorsque certaines offres de rémunération reculent alors que les revenus globaux des plateformes progressent. Cet écart pourrait, selon eux, relevé d’une problématique de concurrence à analyser par les autorités compétentes.
- Objectif court terme: tarifer les usages passés lorsqu’ils ont été réalisés sans licence claire.
- Objectif long terme: standardiser des clauses de licence IA qui couvrent l’entraînement, la génération, la citation et les résumés.
- Éléments de preuve: logs techniques, constats, analyses de trafic et comparaisons de snippets générés.
Les constats d’huissier matérialisent la preuve d’un usage à un instant donné. Ils s’articulent avec des éléments techniques: vérification du respect des fichiers d’exclusion, identification des adresses IP des crawlers, horodatage des accès et rapprochements avec des extraits générés par des modèles. Cet assemblage probatoire prépare des actions judiciaires et renforce le levier de négociation.
Google AI Overviews : un détournement de trafic redouté
La fonctionnalité Google AI Overviews agrège des réponses étendues en s’appuyant, entre autres, sur des contenus d’éditeurs. Les professionnels y voient un risque de déport de clics hors des sites de presse, avec deux impacts majeurs: l’érosion publicitaire et la baisse de la rémunération liée aux droits voisins. Bien que la fonctionnalité ne soit pas déployée en France selon les éditeurs, son fonctionnement dans d’autres pays interroge déjà l’usage transfrontalier de contenus français sans compensation.
Pour l’APIG, une voie de sortie existe: intégrer explicitement l’IA dans le champ des droits voisins via des accords-cadres sectoriels. Cette approche réconcilierait innovation et pluralisme, à condition de donner aux éditeurs une visibilité sur les revenus générés par les réponses enrichies et la part attribuable aux sources journalistiques.
Droits voisins et modèles économiques des titres
Les titres d’information politique et générale portent un coût de production élevé: reporting, vérification, pluralisme. Les agrégations algorithmiques qui délivrent la réponse sans renvoi effectif à la source affaiblissent la monétisation des contenus. D’où l’insistance des éditeurs pour que la chaîne de valeur incorpore un reversement en cas d’usage par un moteur de réponse.
2019, un précédent structurant
Les éditeurs rappellent un épisode antérieur: leurs combats autour des droits voisins face aux grandes plateformes. La stratégie revendiquée aujourd’hui s’inscrit dans cette continuité: peser collectivement, documenter la valeur créée et exiger des conditions financières à la hauteur, y compris si une solidité transatlantique est nécessaire.
Cadre européen : de l'AI Act à un texte sectoriel pour les contenus
Au plan réglementaire, les éditeurs saluent l’adoption de l’AI Act, qui encadre pour la première fois les usages de l’IA à l’échelle européenne. Ils jugent toutefois indispensable un texte dédié au droit des contenus face aux LLM, incluant une présomption d’usage pour basculer la charge de la preuve vers les plateformes. Un rapport du ministère de la Culture publié au printemps 2025 étudie précisément les modalités de rémunération des contenus culturels utilisés par les systèmes d’IA, soutenant la demande d’un garde-fou sectoriel.
Cette orientation s’insère dans un écosystème national dynamique: la France recense des centaines de start-up IA et des licornes, appuyées par un volume important d’aides publiques. En miroir, les éditeurs défendent l’idée qu’une partie de cette création de valeur doit revenir aux producteurs d’information qui irriguent les modèles.
Qui est l'APIG : représentativité et enjeux éditoriaux
L’Alliance de la presse d’information générale regroupe des éditeurs qui emploient 14 000 journalistes. Elle porte une vision centrée sur la qualité de l’information, la vérification et le pluralisme. Sa revendication essentielle: faire reconnaître, dans l’économie de l’IA, la valeur singulière des contenus d’information politique et générale, distincte d’une logique de volumes.
La compatibilité repose sur trois conditions contractuelles: 1) une licence claire couvrant entraînement et génération, 2) un partage de revenus proportionné aux usages et 3) un contrôle par audit technique. Les éditeurs acceptent l’innovation si la chaîne de valeur est traçable et rémunérée, y compris pour les réponses enrichies générées par des moteurs.
Plateformes et éditeurs : la bataille des preuves et de la valeur
Les plateformes contestent fréquemment la portée des revendications, arguant d’une difficulté à prouver l’usage des contenus en dehors des citations explicites, et d’une dévaluation des articles lorsque plusieurs médias relatent la même information. Réponse des éditeurs: chaque papier, même sur un même fait, porte un travail propre de sourcing et de validation, fondamental pour la démocratie.
Les éditeurs constatent par ailleurs des plateformes qui lèvent des capitaux importants tout en minimisant la valeur de la presse. Ils entendent rééquilibrer la relation par des clauses de rémunération et par la capacité de vérifier les flux d’usage. Le point de bascule interviendra lorsque les modèles de partage de revenus deviendront standards et réplicables entre acteurs.
- Message clé aux plateformes: prouver que la rémunération est techniquement mesurable et calculable.
- Message clé aux éditeurs: structurer l’offre de droits pour éviter des négociations éclatées et asymétriques.
- Message clé au régulateur: rendre opposables des obligations de transparence sur les jeux de données et l’usage des contenus.
Le Monde, Les Echos-Le Parisien, AFP : des stratégies divergentes
La cartographie des accords montre des stratégies différenciées selon les acteurs médiatiques. Certains titres concluent des partenariats sélectifs avec des opérateurs d’IA.
D’autres privilégient un cadre collectif via l’APIG. L’AFP, pour sa part, incarne un modèle d’agence au service des médias qui appelle, selon les éditeurs, une attention particulière pour éviter de fragiliser la presse abonnée à ses dépêches.
Paramétrer la « juste part » : jalons économiques
La détermination d’un prix de licence et d’un taux de reversement reste la pierre d’achoppement. Les éditeurs attendent des propositions qui s’écartent des offres dérisoires déjà constatées par le passé, notamment dans le champ des droits voisins. La valeur ne se déduit pas uniquement de volumes d’articles, mais aussi de la qualité éditoriale et de l’impact réel sur les réponses génératives.
Partage de valeur ou contentieux : l'heure du choix pour les plateformes
La séquence s’accélère. Trois chantiers convergent: accords bilatéraux avec partage de revenus, actions coordonnées en cas de refus persistant et possible renforcement du cadre européen pour rééquilibrer les rapports de force. Dans l’immédiat, les négociations avec Perplexity, les demandes adressées à Meta et Microsoft et les réserves émises sur l’accord Mistral-AFP fixent le tempo.
La balle est, désormais, autant dans le camp des plateformes que dans celui des législateurs: l’IA peut soutenir la presse française si la valeur créée est justement répartie.