À première vue, le site d’Aubert & Duval dans le Puy-de-Dôme se présente comme une gigantesque forteresse métallique. Mais au-delà des hauts murs et des fours à l’aspect intimidant, c’est un pilier historique de la métallurgie française qui se replace aujourd’hui au cœur des grands enjeux de souveraineté.

Entre alliances industrielles, modernisation des outils de production et retombées pour la filière aéronautique, ce groupe autrefois en difficulté séduit de nouveau.

Une pièce maîtresse pour la propulsion navale française

Début 2025, un énorme creuset de 50 tonnes a été coulé dans le four à arc électrique d’Aubert & Duval, au sein de son site des Ancizes-Comps. Derrière un fracas électrique comparable à des orages imbriqués, la fusion du métal a débuté pour concevoir un lingot destiné à une application particulièrement stratégique : la fabrication d’un composant de chaudière pour le futur porte-avions à propulsion nucléaire. Programmé pour 2035, ce navire incarne les ambitions de la Défense nationale.

Ce volume d’acier colossal témoigne aussi de la vitalité retrouvée de l’entreprise. À l’échelle hexagonale, Aubert & Duval peut produire des superalliages, des aciers spéciaux ou du titane capables de répondre à un cahier des charges très exigeant. À l’époque où Eramet s’en défaisait, le métallurgiste était entaché par des problèmes de rentabilité et d’organisation. Depuis avril 2023, la structure a intégré un consortium composé d’Airbus, de Safran et de Tikehau Capital. Passé ce tournant, la nouvelle direction s’active pour rétablir la confiance et augmenter les cadences.

Aux dernières estimations, 6 usines françaises et 4 250 salariés composent ce maillage stratégique, réputé pour ses procédés industriels de haut niveau. Mais ce renouveau ne repose pas seulement sur l’aéronautique. La Défense, l’énergie et diverses filières critiques, du fait de la complexité des alliages et des méthodes de forge, s’intéressent aussi de près à cette entreprise. La mission affichée est claire : retrouver un « poids de forme » de 1,3 milliard d’euros à moyen terme et renforcer la souveraineté industrielle.

Héritage et transformation

L’histoire d’Aubert & Duval remonte au début du XXe siècle, période où la métallurgie constituait un fleuron de l’industrie française. Le rachat progressif par Eramet a permis à l’entreprise de franchir de nouvelles étapes. Cependant, les difficultés post-COVID, couplées à des problèmes de pertes financières, ont conduit à une vente stratégique en 2023. Le trio formé par Safran, Airbus et Tikehau Capital a alors pris les rênes pour éviter un démantèlement ou des rachats étrangers jugés trop risqués pour la souveraineté de la filière.

Lorsque Étienne Galan devient PDG le 1er janvier suivant, il hérite d’une entité en pleine recomposition. Ce dirigeant, passé par Safran, puis Roxel (fabricant de moteurs pour missiles), souligne la performance industrielle amorcée. Selon lui, le bilan de 2024 est à la hauteur : 844 millions d’euros de chiffre d’affaires, soit environ 22 % de hausse par rapport à l’année précédente. L’EBITDA (excédent brut d’exploitation) revient en terrain positif, un signe d’espoir pour la suite. Désormais, l’enjeu est d’inscrire cette dynamique dans la durée.

Enracinée depuis longtemps dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’entreprise a été façonnée par la tradition métallurgique locale. Aujourd’hui, la modernisation des forges et la numérisation des procédés réinventent ce patrimoine, tout en conservant l’expertise pionnière acquise au fil des générations.

Cette solidarité entre ancien et moderne est à la base du renouveau d’Aubert & Duval : on retrouve le savoir-faire originel, enrichi de technologies de pointe, pour répondre aux défis actuels de l’industrie. Au fil des projets, la direction insiste sur la nécessité de ne pas diluer l’héritage métallurgique, car c’est lui qui alimente la confiance de grands clients comme Airbus ou Safran.

Cap sur l’investissement et la stratégie de relance

Depuis son passage sous la houlette du trio Airbus-Safran-Tikehau, Aubert & Duval enclenche d’importants investissements. Un budget de 75 millions d’euros concerne l’installation d’une nouvelle presse à forger à Pamiers, dans l’Ariège, dont la mise en service est prévue en 2027. Selon la direction, l'objectif est de renforcer la capacité de production de pièces volumineuses à haute valeur ajoutée, en particulier pour l’aéronautique.

La société prévoit au total 350 millions d’euros de financement, dont une partie se consacre à la digitalisation interne : adoption de nouvelles solutions logicielles comme SAP, et optimisation des systèmes de supply chain afin de mieux gérer les flux de commandes et les processus de livraison. Les responsables affirment vouloir éviter les goulets d’étranglement qui pénalisaient auparavant les cadences. Ce rééquilibrage permettra de tenir une promesse majeure : honorer en temps et en heure les contrats aéronautiques, énergétiques et de défense.

Les carnets de commandes semblent soutenus, notamment dans l’aviation civile, qui pèse à hauteur de 67 % du chiffre d’affaires. En complément, la production destinée au secteur de l’énergie (14 %) et celui de la défense (13 %) demeure prioritaire, dans un contexte mondial où les besoins en turbines électrogènes et en matériels de défense connaissent un regain significatif.

Le rôle du titane dans l’industrie aéronautique et militaire

Le titane se distingue par sa légèreté, sa robustesse et sa résistance à la corrosion. Ces trois critères forment un triptyque essentiel pour les avions, les moteurs de missiles et même certains composants spatiaux. Sa complexité de production justifie des investissements conséquents, car la construction d’un écosystème local de recyclage et d’approvisionnement renforce l’indépendance des acteurs européens.

D’un autre côté, la crise globale de l’acier ne touche pas vraiment cet industriel, car ses alliages et ses superalliages relèvent de niches demandées par la propulsion aérienne ou la fabrication d’équipements militaires sophistiqués. Et alors que les menaces de pénuries de matières premières pèsent, la volonté de réduire la dépendance aux importations russes ou chinoises conforte la démarche d’Aubert & Duval.

En interne, les équipes managériales insistent également sur la logique d’innovation. L’entreprise ne cherche pas seulement à accroître ses volumes : elle veut conquérir de nouveaux marchés, comme les monocouloirs d’Airbus, où sa part reste à développer. D’ici un à deux ans, l’ambition est de solidifier le retour aux bénéfices et d’accompagner la montée en cadence de l’industrie aéronautique civile.

Focus sur l’organisation interne et l’enjeu de la supply chain

Avant le rachat, Aubert & Duval subissait un véritable labyrinthe organisationnel. Selon Jean-François Juéry, vice-président chargé des filières d’avenir et de la stratégie, l’absence de coordination fluide entre les différentes étapes de la production provoquait des retards et des surcoûts. L’objectif est désormais clair : réhabiliter l’efficacité industrielle et garantir la fiabilité des livraisons.

D’un côté, la fonderie doit être mieux synchronisée avec la forge et l’usinage ; de l’autre, il est indispensable que les services de planification et de méthode minimisent les temps morts. L’enjeu, plus large, est de redonner confiance aux clients historiques (constructeurs d’avions, motoristes, groupes de défense), tout en conquérant de nouveaux segments comme le médical, qui exige des matériaux à très haute pureté.

La méthodologie Lean ou la planification intégrée (via des logiciels de type SAP) permettent de limiter les ruptures de stocks, mieux orchestrer les équipes et respecter les délais. Cette culture de la performance industrielle, mise en œuvre progressivement, vise à sécuriser les engagements avec l’ensemble de la chaîne de sous-traitance.

Pour faire face aux pénuries de main-d’œuvre qualifiée, l’entreprise recrute désormais 70 à 80 personnes par an dans le bassin d’emploi des Ancizes, principalement des techniciens et des ingénieurs, ainsi que sur les autres sites. Ces embauches ciblées accompagnent la croissance. Des mesures incitatives sont aussi adoptées pour former durablement les nouveaux arrivants et les fidéliser.

Du point de vue syndical, cette dynamique est accueillie avec soulagement. Denis Bontemps, délégué syndical central FO, salue le fait que les promesses d’investissements ont été tenues. Les partenariats se multiplient, sans pour autant délaisser les marchés hors aéronautique. Ce rééquilibrage conforte l’idée qu’Aubert & Duval veut rester le plus diversifié possible. Une orientation qui pourrait consolider sa résilience face aux aléas économiques.

Le pôle titane : France Titane et EcoTitanium en pleine croissance

Sur les hauteurs des Ancizes, deux sites incarnent la nouvelle ambition du groupe. Le premier, anciennement connu sous le nom d’UKAD, est depuis peu baptisé France Titane. Cette infrastructure abrite une imposante presse de forge spécialisée dans le titane. La seconde entité, dénommée EcoTitanium, exploite un four à plasma hautement novateur dédié au recyclage du titane. Tout ceci répond à un double impératif : réduire la dépendance étrangère et promouvoir un modèle plus circulaire.

En 2011, Aubert & Duval s’associe au partenaire kazakh UKTMP pour créer UKAD, focalisée sur le titane. Mais l’entreprise a racheté, en janvier 2022, la participation de son associé et renommé le site dans la foulée. Aujourd’hui, France Titane ferait fonctionner sa presse pratiquement jour et nuit, affichant des taux d’indisponibilité inférieurs à 5 % et visant une hausse de 30 % de la production annuelle. L’objectif est notamment de batailler contre les lourdes dépendances vis-à-vis de matières venues de Russie, de Chine ou des États-Unis.

Le four à plasma d’EcoTitanium

Fonctionnant à plus de 1 700 degrés, ce four recycle les copeaux et chutes de titane, souvent jugés très coûteux à revaloriser. Une technologie encore rare en Europe, qui laisse entrevoir une intégration complète des boucles de production entre la forge (France Titane) et l’usine de recyclage (EcoTitanium).

L’histoire d’EcoTitanium débute en 2017, dans le but de détourner de la décharge des volumes importants de déchets industriels. Malheureusement, la crise du COVID-19 a interrompu ce projet durant dix-huit mois, le temps d’en repenser la structure et d’ajuster la production. Désormais, la relance est effective : la presse titane reçoit des lingots, à la fois vierges (provenant d’approvisionnements au Kazakhstan) et recyclés localement. Pour Aubert & Duval, qui détient 56,4 % d’EcoTitanium (le reste appartenant à l’Ademe et au Crédit agricole), le site vise un plein régime d’ici deux à trois ans, grâce à l’implantation d’un second four de refusion VAR et à la mise en place de contrats garantissant la récupération systématique des copeaux de titane. L’enjeu réside dans l’acquisition de compétences avancées sur certains alliages de titane plus techniques que le TA6V standard.

Panorama des performances financières

Sans avancer de chiffres définitifs pour 2025, la direction anticipe la poursuite de l’expansion entamée en 2024. Pour illustrer ces performances, voici un aperçu (réévalué et reformulé) des tendances financières d’Aubert & Duval pour les dernières années :

  • Chiffre d’affaires : Après un revenu d’environ 497 millions d’euros en 2021, la conjoncture pénalisée par la crise sanitaire avait conduit l’activité à redescendre sous les 500 millions. Mais en 2023, on monte déjà à 692,9 millions, avant d’atteindre 844 millions en 2024.
  • Marge brute : Cette donnée varie de 8 % à 15 % selon les exercices, montrant une reprise progressive de la rentabilité, même si certains indicateurs sont encore en phase de redressement.
  • EBITDA : Significativement négatif en 2020 et 2021, il s’est réduit en 2023 et vient d’entrer en territoire positif, validant le changement de stratégie et la robustesse des nouveaux projets.
  • Résultat net : Longtemps déficitaire, il suit une trajectoire de renouveau, avec des anticipations d’équilibre, voire de bénéfices d’ici un an ou deux, à condition que les forts investissements se poursuivent.

Actuellement, la direction souligne son souhait de renforcer la structure financière pour faire face aux pics de trésorerie indispensable à la montée en cadence. Grâce à l’apport des actionnaires Airbus, Safran et Tikehau, le groupe semble disposer d’un socle plus solide pour investir dans la R&D et moderniser ses infrastructures.

Le besoin en fonds de roulement (BFR) s’élève à plusieurs centaines de millions d’euros. Il reflète la capacité à couvrir le décalage entre les encaissements clients et les décaissements fournisseurs. Dans la métallurgie, l’achat de matières premières et les temps longs de production tendent à gonfler ce BFR. Un pilotage strict est donc crucial pour éviter tout étranglement financier.

D’après les chiffres internes, les indicateurs de productivité progressent depuis deux ans. Le taux de marge brute frôle les 15 % pour l’exercice 2023. Les salaires et charges sociales, qui représentent près de 23 % du chiffre d’affaires, démontrent la forte intensité en main-d’œuvre d’une industrie nécessitant des qualifications poussées. Malgré ces contraintes, l’entreprise table sur une meilleure couverture de ses dettes. La direction parle d’ailleurs d’une perspective de profitabilité renouvelée dès l’année prochaine.

Alliances industrielles et partenariats stratégiques

Le rachat d’Aubert & Duval par Safran, Airbus et Tikehau s’inscrit dans une logique plus vaste de mutualiser les compétences autour de la métallurgie et de l’aéronautique. L’un des objectifs consiste à sécuriser l’accès aux matériaux critiques comme le titane ou les superalliages. Avec le boom des commandes d’avions civils, la relance de programmes militaires (Rafale, hélicoptères, drones) et la hausse des budgets de Défense des pays occidentaux, la demande s’accélère, tout comme les impératifs de souveraineté.

Ce faisant, Aubert & Duval se retrouve au cœur d’un écosystème intégré à la chaîne de valeur aéronautique française. Airbus y voit un gage de fiabilité : en investissant dans son fournisseur, l’avionneur s’assure d’une certaine maîtrise des calendriers. Safran bénéficie de la même façon d’un approvisionnement pérenne pour la production des trains d’atterrissage, des arbres de turbines et autres composants vitaux de ses moteurs civils et militaires.

Tikehau Capital, de son côté, apporte une expertise financière et un soutien en capital, permettant à l’entreprise de réfléchir sur des horizons plus longs. Pour la France, cet actionnariat est aussi une manière de sanctuariser une entreprise sensible, garante de l’indépendance et du savoir-faire dans un domaine industriel clé. Quant à la concurrence internationale, la volonté d’accélérer les innovations (par exemple sur la fusion par plasma ou la forge de pièces de plus en plus grosses) est clairement assumée pour rester dans le peloton de tête mondial.

Le retour de la Défense comme client prioritaire

Au-delà de l’aviation, le contrat du porte-avions nucléaire et les commandes de pièces pour d’autres applications militaires montrent la diversification d’Aubert & Duval. L’accroissement des budgets défense en Europe, dans un contexte géopolitique incertain, profite à la marque. Tandis que la Marine nationale prépare le renouvellement de sa flotte, l’Armée de l’air modernise ses Rafale et l’Armée de terre renforce son artillerie, la société voit ses carnets de commandes gonfler.

Le groupe fournit des alliages pour les réacteurs de missiles, pour MBDA, et collabore avec ArianeGroup dans le domaine spatial. Cette pluralité dans les segments Défense et spatial est un argument supplémentaire pour justifier les sommes investies, qu’il s’agisse de l’extension des forges de Pamiers ou de l’intégration de nouveaux procédés de fusion sous vide dans l’usine des Ancizes-Comps.

Par ailleurs, le savoir-faire métal titane est indispensable à différents modules motorisés (turbines, aubes, carters), dont la solidité et la légèreté sont recherchées. En s’impliquant aussi dans la recherche sur de nouveaux alliages, Aubert & Duval s’assure une avance technologique valorisable dans d’autres secteurs comme le nucléaire civil ou les énergies renouvelables.

Impacts socio-économiques en Auvergne

Pour le territoire auvergnat qui abrite plusieurs sites (dont les Ancizes-Comps, Saint-Georges-de-Mons et Pamiers plus au sud, en Occitanie), ce regain d’activité est un signal fort. L’emploi local reprend des couleurs, alors que certaines zones industrielles avaient souffert de délocalisations ou de fermetures d’usines. Le maintien d’une filière titane et acier hautement spécialisée attire par ailleurs des sous-traitants, créant un effet d’entraînement global.

Les élus locaux saluent une stabilisation des effectifs et voient dans cette croissance l’opportunité de valoriser des savoir-faire régionaux. Cela contribue également à la transmission d’un patrimoine industriel. Les écoles et centres de formation, de leur côté, s’orientent vers des parcours techniques en métallurgie. Certains cursus soutenus par l’État ou par les Régions pourraient encourager l’essor de talents formés à ces technologies de pointe, indispensables à la modernisation de sites parfois centenaires, comme celui des Ancizes.

Les retombées pour les jeunes et moins jeunes se mesurent par des recrutements, des formations en alternance et des stages de spécialisation. Dans un contexte national où l’attractivité de l’industrie reste parfois restreinte par rapport à d’autres secteurs, l’exemple d’Aubert & Duval renvoie un message : conjuguer modernité et traditions est possible.

Complexité de la production du titane : approche technique

Le titane ne se manipule pas comme un acier standard. La fusion requiert la présence d’atmosphères contrôlées pour éviter l’oxydation. Les fours à plasma montent en température jusqu’à 1 700 °C, tandis que la refusion à l’arc sous vide (VAR) assure une pureté maximale. Les propriétés mécaniques dépendent de la moindre inclusion d’oxygène ou d’azote, ce qui impose des protocoles de contrôle qualité.

L’un des avantages de recycler les copeaux produits lors de la découpe, du tournage ou du fraisage est la réduction des coûts et de l’impact environnemental. Parallèlement, la clé consiste à organiser des boucles courtes, évitant d’exporter les déchets hors d’Europe et de racheter du titane transformé à l’étranger. D’où l’importance d’unités comme EcoTitanium, capables de traiter localement ces métaux précieux.

La forge de Pamiers, pour sa part, doit être équipée de presses capables d’exercer une force colossale de plusieurs milliers de tonnes, afin de façonner des lingots massifs. Chaque étape (ébauche, forge, traitement thermique) est surveillée de près. Si le titane supporte des températures élevées, il exige aussi un savoir-faire pour maîtriser sa ductilité et éviter les fissures.

Améliorer la compétitivité : l’exemple du monocouloir

Si la production de titane ou de superalliages motive largement la dynamique actuelle, Aubert & Duval souhaite en parallèle renforcer sa présence dans certains segments aéronautiques, notamment celui des avions monocouloirs. De fait, l’aviation civile se développe fortement, tirée par le marché des court et moyen-courriers. Or, la production de ces appareils nécessite des volumes considérables de composants métalliques performants.

Aujourd’hui, les A320 d’Airbus et B737 de Boeing dominent le marché mondial. Pour accompagner ce segment, le groupe veut rationaliser sa chaîne d’approvisionnement, accélérer le cadencement des fabrications et renforcer les partenariats déjà existants avec les constructeurs et leurs motoristes associés. L’idée est de prendre une place plus importante dans la fabrication de pièces critiques, que ce soit dans les structures ou dans la motorisation. Le potentiel de croissance dans ce créneau est considérable.

D’après les estimations de la direction, s’implanter davantage chez Airbus pour les monocouloirs pourrait augmenter significativement le chiffre d’affaires. De plus, être présent sur ces gammes grand public diffuse une image positive, dans la mesure où ces appareils sont très médiatisés et produits à de nombreux exemplaires.

Les défis de la compétitivité internationale

S’engager sur le marché du monocouloir implique toutefois une compétition accrue face à un marché mondial où d’autres métallurgistes, chinois ou américains, sont également positionnés. Le défi pour Aubert & Duval sera de maintenir sa rigueur en matière de qualité et de respect des délais, tout en maîtrisant les coûts. Les investissements dans la modernisation des lignes (montage d’un nouveau système d’information, robotisation de certains process, etc.) répondent en partie à cet impératif.

Chez EcoTitanium, la montée en puissance de la production recyclée contribue à réduire la facture liée à l’importation de matières premières. C’est un atout de compétitivité à souligner. Dans le contexte actuel, où l’on parle beaucoup de la chaine d’approvisionnement critique, cette dynamique renforce la légitimité d’Aubert & Duval sur les marchés internationaux. L’Europe considère de plus en plus l’acier spécial et le titane comme des ressources stratégiques.

Parallèlement, les engagements sociétaux et environnementaux deviennent un argument marketing majeur. La filière aéronautique, comme celle de la Défense, est soumise à des requis de traçabilité et de réduction de l’empreinte carbone. Le fait qu’Aubert & Duval investisse dans des fours à arc électrique et des processus de recyclage de titane positionne l’entreprise dans une perspective de durabilité. L’industriel sait que la sensibilité écologique croît dans les cahiers des charges internationaux.

Résilience face aux crises et perspectives de croissance

Le souvenir de la crise du COVID-19 est encore vif dans l’esprit de nombreux acteurs du secteur aéronautique. La chute du trafic passager, les restrictions de déplacements et l’arrêt momentané de la production d’avions ont provoqué un recul très marqué du chiffre d’affaires d’Aubert & Duval entre 2020 et 2021. Mais le ciel s’est éclairci depuis, au rythme de la reprise du transport aérien et de la relance des grands programmes militaires et spatiaux.

Cependant, la volatilité des marchés mondiaux du minerai et la concurrence internationale restent des facteurs de risque. Les dirigeants s’emploient à construire une capacité de résistance, en s’adossant sur la robustesse financière du consortium actionnaire et en poursuivant la diversification des marchés. Rendre le site plus attractif pour les ingénieurs, améliorer la compétitivité-coût et garder la confiance d’acteurs de référence comme Airbus, Safran ou MBDA forment autant de sas protecteurs.

Totalement remis à flot – c’est la promesse – Aubert & Duval pourrait investir encore dans de nouveaux outils, notamment une troisième ou quatrième presse, ou imaginer des synergies avec d’autres industriels européens. Cette expansion devrait être soutenue par une industrie aéronautique quasi euphorique quant aux carnets de commandes, mais aussi par des enveloppes de défense consolides.

Agrandir la palette des alliages spéciaux

Parce que la compétition s’intensifie, le développement de superalliages capables de supporter des températures extrêmes ou des contraintes mécaniques hors normes est devenu un cheval de bataille. L’entreprise veut peaufiner la recherche de solutions s’intégrant éventuellement à l’hydrogène, où la résistance à la corrosion et la légèreté prennent toute leur importance (pour les réservoirs, par exemple). Les équipes R&D misent sur la métallurgie des poudres, technique permettant de diminuer le poids des composants tout en préservant leurs propriétés mécaniques.

Au bout du compte, la promesse se résume à élargir le spectre technologique pour ne pas dépendre d’un unique marché ou segment. C’est un positionnement résolument tourné vers la souveraineté, que ce soit pour l’aviation européenne (Airbus), la Défense (Safran, Dassault, Naval Group) ou l’énergie (nucléaire, turbines à gaz, solutions pour les énergies renouvelables). Au-delà de la compétitivité industrielle stricto sensu, la maîtrise des alliages rares devient un enjeu géostratégique majeur.

Regards sur la gouvernance et la structure actionnariale

L’arrivée d’un consortium piloté par deux grandes firmes aéronautiques (Airbus et Safran) et un fonds financier (Tikehau) n’est pas anodine. Certains observateurs y voient la garantie de poursuivre un pilotage industriel authentique, sans être submergé par des arbitrages purement financiers. De fait, Airbus et Safran ont tout intérêt à bénéficier d’un outil de production fiable, compétent et flexible, tandis que Tikehau est réputé pour sa capacité à injecter des capitaux sur des projets d’infrastructures stratégiques.

Il se dégage de cette gouvernance une volonté partagée de limiter le morcellement de la chaîne de production. Les échanges interusines sont plus fluides ; les budgets planifiés pour la modernisation sont enfin débloqués. Les salariés, souvent lassés par les bouleversements successifs, commencent à percevoir les bénéfices concrets : hausse d’activité, mise à jour des équipements, sécurisation de l’emploi.

La relation avec l’État reste également importante. La signature de divers contrats de défense et l’accent mis sur la nécessaire indépendance industrielle face aux tensions géopolitiques constituent un point d’appui pour maintenir la compétitivité, d’autant que l’État peut être amené à garantir certains volumes de commandes pour les besoins de la Défense. De tels mécanismes aident l’entreprise à se projeter sur le long terme.

Une importance cruciale pour l’aéronautique civile

Bien que la défense et le nucléaire focalisent souvent l’attention en raison de leur nécessité stratégique, il est essentiel de rappeler que la majeure partie du chiffre d’affaires d’Aubert & Duval provient encore de l’aviation civile. Les trains d’atterrissage d’Airbus A350 en titane sont forgés dans ses usines, et Boeing figure également parmi les clients. Un tel positionnement procure une grosse visibilité.

Plus généralement, sur le marché mondial, le trafic aérien connaît une rapide remontée post-pandémie, soutenu par la propension des compagnies à renouveler leurs flottes pour des appareils moins gourmands en carburant. Cette volonté d’avions plus économiques pourrait accentuer la demande d’alliages légers et résistants. Dans ce contexte, se positionner sur des programmes phares comme l’A321XLR d’Airbus, par exemple, constituerait un nouveau levier de croissance. Ainsi, la stratégie d’Aubert & Duval vise aussi bien la fiabilité (respect de la timeline de livraisons) que la capacité à innover.

Rebond d’EcoTitanium et chaîne titane intégrée

EcoTitanium, après sa longue interruption due à la crise, constitue aujourd’hui le fleuron du recyclage du titane en Europe. Sa production redémarre et se trouve déjà à un niveau encourageant pour répondre aux commandes civiles, militaires et même médicales. Dans un horizon de deux à trois ans, l’unité devrait tourner à plein régime, alimentant en lingots recyclés l’usine France Titane, rebaptisée ainsi depuis le retrait du partenaire kazakh. Ce couplage représente un atout stratégique pour la France, qui limite considérablement ses importations de titane brut alors même que la multiplication des besoins se fait sentir.

La réduction de la dépendance aux grandes puissances exportatrices est un argument central dans la politique industrielle française. De plus, recycler sur le territoire national permet de maîtriser la qualité et la traçabilité, un point clé pour l’aéronautique et la défense. Savoir revaloriser des chutes de titane provenant de sites européens rassure également les partenaires, qui souhaiteraient peut-être mutualiser leurs déchets afin de bénéficier de ce circuit fermé.

Si EcoTitanium table sur une montée en charge progressive, l’installation d’un second four de refusion ou d’un système plus automatisé stimule les ambitions. L’enjeu, à terme, est de diversifier les nuances de titane produites, afin de couvrir non seulement l’aéronautique classique, mais aussi les dérivés plus techniques exigés par certains systèmes de missiles ou par des dispositifs médicaux de haute spécificité. Chaque année, on pressent la signature de nouveaux contrats permettant de sécuriser le plan d’investissement de l’entité.

Feuille de route environnementale et responsabilité sociétale

Allier renouveau industriel et moindre impact sur la planète fait partie des impératifs du moment. D’après la direction, « réduire l’empreinte carbone » passera par l’électrification des outils de fusion (four à arc électrique, four à plasma plutôt que fours à gaz), l’intégration de plus de matières recyclées et la modernisation des bâtiments. Avec l’essor de la écotaxe aérienne ou le durcissement des normes environnementales, cette stratégie RSE constitue également un argument concurrentiel, notamment aux yeux d’Airbus et de Safran, dont les bilans carbones sont scrutés.

Les mesures plus concrètes incluent la rénovation des toitures pour capter l’énergie solaire, l’installation de bornes de recharge, ou encore la réduction des déplacements corporatifs grâce à la visio. Par ailleurs, un suivi précis des émissions de CO2 liées à la production fait partie des tableaux de bord managériaux. L’objectif annoncé serait d’abaisser significativement l’intensité carbone par tonne de métal produite d’ici à 2030, même si aucun chiffre précis n’est encore communiqué publiquement.

Du point de vue local, il est intéressant de noter que transformer un site vieilli en pôle industriel high-tech enclenche de multiples améliorations dans la vie quotidienne : réaménagement des postes de travail, installation de filtrations plus performantes, et renforcement des mesures de sécurité. L’image d’une métallurgie polluante, peu respectueuse de la santé de ses salariés, tend à disparaître, remplacée par un projet se voulant exemplaire.

Un acteur majeur en voie de consolidation

Malgré la présence de concurrents mondiaux, Aubert & Duval est l’un des leaders mondiaux de la transformation de l’acier spécial et du titane sous forme de pièces critiques, tant pour l’aviation que pour la Marine. Le rebond financier amorcé s’appuie sur une longue expérience technique et un plan d’investissement ambitieux. Néanmoins, cette récupération reste fragile. Les flux logistiques, la main-d’œuvre et l’énergie représentent des postes de dépense importants. L’inflation pourrait varier, tout comme la stabilité des prix de l’électricité et des matières premières.

Côté commercial, l’entreprise mise sur la fiabilité des livraisons pour distancer la concurrence, tout en s’appuyant sur les évolutions du marché. Si les grands avionneurs (Airbus, Boeing, Embraer) augmentent leur production, et si la Défense poursuit son effort de réarmement, Aubert & Duval espère atteindre rapidement ce fameux 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires. À cela, la modernisation par la digitalisation (SAP et autres outils) devrait apporter une meilleure visibilité sur la planification et les coûts réels, un impératif pour la rentabilité.

Enfin, le soutien d’actionnaires nationaux de premier plan prévient les risques de rachats étrangers. Dans un monde aux tensions géopolitiques exacerbées, l’expertise en superalliages et en titane apparaît comme un arme économique et stratégique. Le développement de partenariats intra-européens pour la recherche, notamment sur l’hydrogène et les nouveaux matériaux, pourrait également fournir des opportunités de croissance durable.

Regards vers de futurs horizons industriels

La renaissance d’Aubert & Duval n’est pas seulement une affaire de bilan comptable. Elle reflète un mouvement de fond vers la reconquête de savoir-faire industriels en France. En conjuguant contenus recyclés, titane forgé localement, alliances avec de grands groupes et investissements massifs, le métallurgiste incarne la nouvelle stratégie d’autonomie prônée par l’État et l’Union européenne.

L’entreprise veut porter encore plus loin son héritage, servir de pivot à l’innovation dans la métallurgie des alliages spéciaux et des matériaux avancés. De stakes modestes, elle a ainsi pris une dimension majeure dans les secteurs aéronautiques, militaires et énergétiques, contribuant à la réputation mondiale de l’industrie française.

Rester à l’avant-garde, sécuriser des filières stratégiques et contribuer à l’ambition écologique : tels sont les marqueurs d’une métamorphose réussie pour Aubert & Duval, désormais symbole de résilience industrielle et défenseur de la souveraineté économique française.