Achats en 2025 : ce que révèle la 16e étude AgileBuyer – CNA
Défaillances fournisseurs, cybermenaces, RSE et déflation : la 16e étude AgileBuyer – CNA décrypte les priorités et enjeux clés des Achats pour 2025.

Il s’agit de la 16e édition de l’étude AgileBuyer – CNA sur les tendances et priorités des Départements Achats pour 2025, consultable dans sa version intégrale sur www.agilebuyer.com.
Elle met en lumière des défis majeurs pour les organisations en France : entre risques de défaillances fournisseurs, nouvelles offensives de cyber-attaques ou encore impact grandissant de la RSE sur les coûts, les fonctions Achats ne sont pas au bout de leurs surprises.
Panorama général de l’étude : défaillances, déflation et priorité RSE
L’actualité bouscule largement les idées reçues : si la réduction des coûts reste une quête primordiale (77 % des participants), les actions RSE occupent une place considérable, même si elles impliquent pour 57 % des directions achats des hausses tarifaires demandées par les fournisseurs. Par ailleurs, 65 % des directeurs Achats pointent un risque de défaillances fournisseurs sans précédent en 2025.
Nous traitions d'ailleurs de ces défaillances dans un article récent.
Dans un contexte où les pressions inflationnistes laissent progressivement place à une amorce de déflation, le rapport de force « acheteurs-fournisseurs » connaît une timide reconfiguration.
Au fil des pages qui suivent, vous découvrirez les principaux enseignements de cette étude, enrichis d’analyses sur la transformation des métiers Achats. Nous apporterons des éclairages concrets, notamment sur les risques de cyber-attaques (42 % des sondés), les ententes illicites, la relocalisation, ou encore les pénuries de main-d’œuvre. Enfin, une vision plus « RH » de la fonction Achats dévoilera la manière dont les professionnels Achats perçoivent leur métier.
La fonction Achats a connu ces dix dernières années de nombreuses réformes légales, environnementales et numériques. Désormais, la maturité se perçoit davantage dans la gestion proactive des risques, l’intégration d’outils digitaux (IA, data analytics) et la RSE. Cette triple approche fait évoluer la vision « classique » du métier, historiquement centrée sur la réduction des coûts.
Enjeux majeurs en 2025 : la menace cyber, les défaillances et l’effet domino
La crainte de voir un partenaire important cesser son activité constitue une priorité centrale : 65 % des responsables Achats perçoivent cet aléa comme « majeur ». Selon la Banque de France, plus de 55 500 entreprises ont fait défaut en 2023. À la fin de 2024, ce chiffre avoisinait 65 000, un record depuis plus de 15 ans. Par effet domino, la cessation d’activité d’un acteur clé peut bloquer toute une chaîne. Cette vulnérabilité touche massivement l’immobilier/BTP, l’automobile et l’industrie lourde.
En parallèle, la cybersécurité fait trembler 42 % des directions achats. Il faut dire que, selon un rapport Cohesity, 86 % des sociétés françaises auraient été victimes d’une attaque par rançongiciel en 2024, contre 53 % un an plus tôt. Les coûts associés, rapportés par Statista, dépasseraient 120 milliards d’euros en France sur la même période. La prolifération d’outils d’IA accélère les tactiques malveillantes, imposant aux Achats une vigilance accrue, qu’il s’agisse de la gestion des données ou de la résilience de la supply chain.
Point sectoriel : BTP et immobilier totalisaient à eux seuls plus de 16 800 défaillances à fin 2024 selon l’Observatoire BPCE. L’automobile subit aussi de forts soubresauts : certains grands sous-traitants approchent la faillite, fragilisant la production de géants comme Safran ou Airbus (côté aéronautique) et de groupes majeurs de la filière auto.
Bon à savoir : actions de sécurisation
69 % des directions achats privilégient le double sourcing pour sécuriser leurs approvisionnements, 56 % optent pour des contrats longs, tandis que 54 % recourent à diverses formes de sécurisation (stocks, approches collaboratives). L’anticipation contractuelle et le suivi des partenaires deviennent fondamentaux pour circonscrire les menaces.
Cartels et situations de monopoles : un climat concurrentiel sous surveillance
Les ententes illicites – ou cartels – sont une plaie pour les acheteurs. 60 % des directions achats redoutent d’être confrontées à de telles pratiques, en hausse sur un an (56 % en 2023). Le secteur de l’immobilier/BTP (82 %) est le plus vulnérable, suivi par l’industrie lourde. L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs condamné en 2024 plusieurs entreprises du béton à payer 76,6 millions d’euros d’amende pour répartition de volumes et échanges d’informations sensibles.
Les monopoles ne sont pas en reste : 67 % des répondants en ont relevé au cours de l’année 2024. En tête, la pharmacie/santé/cosmétique (78 %) et l’immobilier/BTP (76 %). Dans la Tech, Google a dû se justifier devant la justice américaine pour pratique monopolistique. Avec environ 90 % de part de marché dans la recherche en ligne, la firme de Mountain View aurait versé 26 milliards de dollars pour être installée par défaut sur divers équipements, bridant de facto la concurrence.
Juridiquement, c’est un accord, une décision ou toute pratique concertée entre entreprises concurrentes faussant le libre jeu de la concurrence. Souvent invisibles et insidieuses, les ententes (cartels) portent sur la fixation des prix, la répartition de marchés ou l’échange d’informations confidentielles.
Un contexte de déflation qui rebat les cartes tarifaires
Après un cycle d’inflation aigüe, 67 % des répondants indiquent qu’ils renégocient actuellement leurs contrats fournisseurs sous l’effet d’une déflation commençante. La dynamique de hausse des prix n’est plus unidirectionnelle, et les directions achats tentent de récupérer une marge de manœuvre. Malgré tout, certaines catégories de dépenses (ou secteurs) maintiennent des tarifs élevés, justifiés par l’évolution des réglementations environnementales ou sociétales. 57 % des répondants déclarent d’ailleurs que la RSE est utilisée par les fournisseurs pour exiger des majorations de prix.
Au final, si la baisse des coûts redevient un objectif plus accessible, la vigilance demeure : 77 % des directions achats mettent encore la réduction des coûts au premier rang en 2025 (contre 23 % pour qui cet enjeu passera après d’autres priorités comme la RSE ou la gestion des risques).
RSE : progrès incontestables, coûts plus élevés
Le rôle de la RSE s’affirme comme un standard incontournable : 78 % des directeurs Achats auront des objectifs liés à la RSE en 2025. Toutefois, 57 % constatent que les exigences RSE se traduisent par une hausse des coûts. Nouvelles normes, contrôles renforcés, éco-conception… Les fournisseurs répercutent ce surcoût. C’est particulièrement vrai dans l’agroalimentaire, soumis à la loi AGEC (anti-gaspillage) imposant des emballages plus respectueux, mais nettement plus chers.
Du côté des audits relatifs aux droits humains, la vigilance varie selon le secteur : le mode/luxe s’y consacre activement (82 % mènent des audits externes), tandis que seulement 12 % des banques/assurances y ont recours. Le manque de visibilité sur la supply chain et le coût des audits figurent parmi les obstacles majeurs.
Bon à savoir : achats responsables
On emploie l’expression achats responsables pour désigner le fait de prendre en compte les implications sociales et environnementales à chaque étape du cycle d’approvisionnement (sélection, contractualisation, logistique). La norme ISO 20400 en fournit une définition plus formelle, intégrant les impacts tout au long du cycle de vie et la réduction des risques humains (sécurité, travail forcé, etc.).
Gestion des risques fournisseurs : une priorité toujours d’actualité
Les tensions géopolitiques continuent d’alimenter les inquiétudes (74 % des directions achats anticipent un impact sur leurs stratégies). D’une part, les crises politiques ou climatiques pèsent sur le transport maritime (ex. : baisse du trafic par le canal de Panama). D’autre part, les conflits dans diverses zones (mer Rouge…) rallongent encore les délais. Dans 77 % des entreprises, la gestion des risques est listée comme un objectif Achats à mener en 2025.
Le secteur qui concentre le plus cette préoccupation est le tourisme/transports (89 %), talonné par la mécanique/équipement et l’automobile. Par ailleurs, la fluctuation des matières premières (un sujet cité à 53 %) ou encore la dépendance chinoise (43 %) restent dans le viseur.
43 % des entreprises veulent réduire leurs achats auprès de fournisseurs chinois, contre 51 % en 2024. Ce repli s’explique parfois par la volonté de rapprocher la production (réduction CO2), mais les tensions commerciales sino-occidentales peuvent également motiver ces arbitrages. À noter que certains secteurs, notamment l’agro/hôtellerie/restauration (62 %), sont particulièrement enclins à limiter cette dépendance.
Relocalisation : un élan qui faiblit
Si, en 2024, 45 % des répondants envisageaient de relocaliser une partie des achats, ils ne sont plus que 30 % à l’envisager pour 2025. Les directions achats confirment ainsi un ralentissement. Lorsqu’une relocalisation est tout de même évoquée, 62 % y voient un moyen de réduire l’empreinte carbone. La sécurisation des flux, grande raison des relocalisations passées, n’apparaît plus que dans 26 % des justifications.
Par ailleurs, seuls 11 % des professionnels Achats sollicitent activement leurs fournisseurs pour qu’ils relocalisent. Et pour 76 %, « la relocalisation » n’est plus un critère impératif de discussion. De la même façon, on observe que le Made in France, bien que de plus en plus valorisé (60 % intègrent ce paramètre dans leur cahier des charges), est parfois considéré comme cher (19 %). Les tensions sur les coûts restent donc un frein pour certaines entreprises.
Déplacements sur le terrain : difficultés de livraison et pénuries en net recul
À l’inverse d’il y a deux ans, les pénuries critiques se font plus rares. Seuls 29 % des sondés affirment y avoir été confrontés en 2024, contre 59 % en 2022. De même, les difficultés de livraison ne concernent plus que 38 % des directions achats. Ces chiffres indiquent une forme de normalisation, malgré la persistance de blocages dans l’aéronautique/défense (67 % disent en subir les conséquences).
Sur le long terme, ce reflux des pénuries s’explique par des ajustements de la demande, la diversification des fournisseurs et la mise en œuvre de plans d’urgence. Mais la prudence reste de mise : en cas de nouvelle crise, le système pourrait à nouveau vaciller.
Digitalisation et IA : un changement de paradigme
En 2025, l’utilisation de l’Intelligence Artificielle dans les Achats grimpe à 40 % (contre 25 % un an plus tôt). Secteur leader : l’informatique/télécoms (59 %). Ces outils d’IA servent surtout à :
- Rédiger des e-mails, à 44 % ;
- Sourcer de nouveaux fournisseurs, à 40 % ;
- Analyser des études de marché, à 33 %.
Près de la moitié (52 %) y voit une transformation de la fonction Achats, et une simplification des tâches routinières. Les data analytics (38 %) et les outils collaboratifs (60 %) figurent aussi en bonne place.
Pour aller plus loin : 63 % des sondés utilisent les plateformes achat pour le reporting, 47 % pour le sourcing et 40 % pour l’approvisionnement. L’IA permet par ailleurs d’automatiser la rédaction de contrats (22 %), le reporting (25 %) et d’accélérer la prise de décision. La fonction Achats renforce ainsi son orientation data-driven, et anticipe un gain de temps afin de se concentrer sur l’innovation et la stratégie.
Décarbonation : le levier numéro 1 des achats RSE
La lutte contre le changement climatique est devenue le pilier des plans RSE en 2025. 51 % des décideurs intègrent désormais le critère CO2 dans la sélection des fournisseurs, et 47 % mesurent l’empreinte carbone de leurs achats (contre 23 % seulement en 2022). L’industrie lourde et la consommation/distribution sont particulièrement concernées.
Par ailleurs, 85 % des directions achats estiment que la réduction de l’empreinte carbone est la priorité RSE en 2025, loin devant les considérations sociales (inclusion, handicap) ou la biodiversité, même si ces sujets progressent (29 % la citent, +6 points par rapport à l’an dernier).
En parallèle, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) est entrée en vigueur pour les grandes entreprises européennes le 1er janvier 2024, et oblige à publier des rapports extra-financiers détaillés. Selon l’étude, 77 % des entreprises ont déjà réalisé un bilan carbone. Signe de maturité, la décarbonation s’imbrique progressivement dans la politique achats (appel d’offres, sélection du panel, orientation contractuelle, etc.).
Moins de tensions dans la relation fournisseurs ?
En 2025, 78 % des directions achats jugent avoir des relations déséquilibrées avec certains fournisseurs (contre 85 % en 2024). On note donc une légère amélioration. L’excès de pouvoir dans certains marchés paraît s’atténuer, du fait d’une meilleure stabilité des offres et d’une activité économique plus modérée. Les pénuries et la pression inflationniste ayant été les principaux générateurs de ce déséquilibre, leur recul relatif explique que ce climat se détende.
Certains secteurs conservent toutefois des points d’achoppement. Dans la chimie, 38 % des sondés mentionnent encore des conditions tarifaires ou contractuelles peu flexibles, ce qui en fait le plus haut niveau de déséquilibre relevé dans cette étude.
Focus RH et formation dans la fonction Achats
D’un point de vue « ressources humaines », les indicateurs sont plutôt positifs pour les responsables Achats. 87 % déclarent se sentir « heureux » dans leur activité professionnelle, soit un regain progressif (82 % en 2023, 85 % en 2024). Les projets d’évolution interne se multiplient : 80 % pensent poursuivre leur carrière Achats dans les cinq prochaines années.
Autre éclairage, la pénurie de main-d’œuvre Achats recule nettement, ne touchant plus que 34 % des répondants en 2025. C’est un signe de dynamisme : le marché se stabilise, et la fonction gagne en notoriété. Par ailleurs, 66 % déclarent avoir bénéficié d’1 à 3 jours de formation en 2024 (contre 62 % un an auparavant), illustrant la volonté de développer les compétences (RSE, digitalisation, négociation avancée, etc.).
Bon à savoir : la formation, levier crucial
Les compétences Achats associées à la digitalisation, à la gestion des risques et à la RSE sont très recherchées. Dans les grandes organisations publiques ou privées, des programmes internes de montée en compétences se multiplient, parfois couplés à des certifications d’organismes reconnus.
Répartition du panel et méthodologie de l’enquête
Cette analyse repose sur 865 réponses complètes, issues d’un questionnaire en ligne diffusé à des professionnels Achats (secteurs variés) en novembre-décembre 2024. 42 % proviennent de grandes sociétés (> 5000 salariés) et 37 % d’entreprises intermédiaires (250-4999 salariés). Pour 21 %, il s’agit de structures plus petites (moins de 250 personnes). Les secteurs dominants sont la pharmacie/santé/cosmétique et l’aéronautique/défense (10 % chacun), suivis par l’énergie/environnement et l’automobile (9 % chacun). Les participants exerçaient majoritairement des fonctions de Responsable ou Directeur Achats (62 %).
Cette étude est le fruit d’une collaboration entre AgileBuyer et le Conseil National des Achats (CNA), en concertation avec un Comité scientifique composé de 12 experts reconnus de la fonction.
Les restitutions se basent aussi sur les retours d’expérience et analyses complémentaires des membres de ce comité et d’autres acteurs économiques.
Vers quels horizons s’orientent les Directions Achats ?
À la lecture des résultats, plusieurs pistes émergent pour l’année 2025. Premièrement, continuer à sécuriser les flux (double sourcing, diversification) reste au cœur des priorités. Deuxièmement, la dimension RSE se généralise et impose des coûts supplémentaires, qu’il faudra parvenir à négocier ou à compenser. Troisièmement, l’IA et la digitalisation pourraient remodeler la manière d’approcher le sourcing et la gestion quotidienne, tout en libérant du temps pour des réflexions stratégiques.
L’étude montre également que la relocalisation, malgré son attrait post-crise, n’est plus un axe privilégié. La question du Made in France, bien que toujours séduisante, peine à convaincre quand les tarifs se révèlent trop élevés. Enfin, un mot sur la réduction des coûts : toujours cruciale, elle n’empêche pas une diversification des indicateurs de performance (RSE, relation fournisseurs, réactivité, etc.).
En filigrane, ce document confirme que la fonction Achats demeure un acteur majeur de la compétitivité, de la résilience et de la durabilité des entreprises, tout en s’armant de solutions toujours plus innovantes.