Brigitte Singh, 67 ans, s'efforce de maintenir en vie l'art de l'impression à la planche, qui a prospéré aux XVIe et XVIIe siècles sous la dynastie moghole conquérante, mais sophistiquée qui régnait alors sur l'Inde. 

Redonner naissance au design moghol

La créatrice de textiles Brigitte Singh étale avec amour un morceau de tissu imprimé d'une plante rouge de pavot qui, selon elle, a probablement été conçu pour l'empereur Shah Jahan, bâtisseur du Taj Mahal, il y a quatre siècles.

Pour Mme Singh, qui a quitté la France pour l'Inde il y a 42 ans, cette pièce exquise reste le cœur de la mission de son atelier.

Cette femme de 67 ans s'efforce de maintenir en vie l'art de l'impression à la planche, qui s'est développé aux XVIe et XVIIe siècles sous la dynastie moghole conquérante, mais sophistiquée qui régnait alors sur l'Inde.

"J'ai été la première à donner une renaissance à ce type de design moghol", explique Mme Singh à l'AFP dans son atelier d'impression traditionnelle au Rajasthan.

Animée par l'amour de l'art de la miniature

Après avoir étudié les arts décoratifs à Paris, Mme Singh est arrivée à 25 ans en 1980 à Jaipur, dans l'ouest de l'Inde. Le "dernier bastion" de cette technique qui consiste à utiliser des blocs de bois sculptés pour imprimer des motifs sur des matériaux.

"Je rêvais de pratiquer (l'art de la miniature) à Ispahan. Mais les ayatollahs venaient d'arriver en Iran (lors de la révolution islamique de 1979). Ou à Herat, mais les Soviétiques venaient d'arriver en Afghanistan", se souvient-elle. "Donc par défaut, je me suis retrouvée à Jaipur", dit-elle.

Quelques mois après son arrivée, après avoir parcouru la ville à la recherche de papier traditionnel sur lequel travailler, elle est tombée sur des ateliers utilisant l'impression par blocs. "Je n'ai jamais pu revenir en arrière", raconte-t-elle à l'AFP.

Sur le chemin de l'entrepreneuriat

Elle a commencé par fabriquer quelques écharpes et, lors de son passage à Londres deux ans plus tard, les a offertes à des amis connaisseurs de textiles indiens. Séduits, ils la persuadent de les montrer à Colefax et Fowler, la célèbre société britannique de décoration intérieure.

"L'instant d'après, j'étais en route pour l'Inde avec une commande de textiles imprimés", raconte-t-elle.

Pendant les deux décennies suivantes, elle a travaillé avec une "famille d'imprimeurs" dans la ville avant de construire son propre studio dans la ville voisine d'Amber - à deux pas du célèbre fort de Jaipur.

C'est son beau-père, un grand collectionneur de miniatures du Rajasthan, qui lui a offert la toile de pavot de l'époque moghole liée à Shah Jahan. La reproduction qu'elle en a faite a connu un énorme succès dans le monde entier, se révélant particulièrement populaire auprès des clients indiens, britanniques et japonais.

En 2014, elle a réalisé un manteau matelassé en imprimé coquelicot moghol, appelé Atamsukh - ce qui signifie "confort de l'âme" - qui a ensuite été acquis par le Victoria and Albert Museum de Londres. Une autre pièce de son travail fait partie de la collection du Metropolitan Art Museum de New York.

Un atelier simple et sophistiqué à la fois 

Singh entame son processus créatif en remettant des peintures précises à son sculpteur, Rajesh Kumar, qui cisèle ensuite minutieusement les dessins sur des blocs de bois.

"Nous avons besoin d'un sculpteur remarquable, avec un œil très sérieux", a-t-elle déclaré. "La sculpture des blocs de bois est la clé. Cet outil a la sophistication de la simplicité."

Kumar fabrique plusieurs blocs identiques pour chaque couleur utilisée dans chaque tissu imprimé. "Le motif du coquelicot, par exemple, comporte cinq couleurs. J'ai dû fabriquer cinq blocs", a-t-il déclaré. "Cela m'a pris 20 jours".

Dans l'atelier de Singh, six employés travaillent sur des pièces de tissu disposées sur des tables de cinq mètres (16 pieds) de long. Ils trempent les blocs dans la teinture, les placent soigneusement sur le tissu, appuient et tapent.

Le travail est lent et complexe, ne produisant pas plus de 40 mètres de tissu par jour. Son atelier fabrique tout : des édredons aux rideaux, des poupées de chiffon aux chaussures.

"L'important est de maintenir le savoir-faire en vie. (...) Plus précieux que le produit, le véritable trésor est le savoir-faire", conclut-elle.