La fermeture d’Initiatives & Cité, coopérative lilloise emblématique de l’économie sociale et solidaire, acte la fin d’un pari collectif entamé en 2010. La décision de liquidation judiciaire, annoncée à la fin de l’été 2025, cristallise un enchaînement de chocs financiers et d’opportunités manquées. Elle devient, à sa manière, un révélateur des tensions qui traversent la filière ESS en France.

Liquidation judiciaire à lille : ce que l’on sait et ce que cela implique

Initiatives & Cité aura tenu quinze ans. Créée sous forme de SCIC, la coopérative s’était imposée comme point d’appui pour des TPE et PME de l’ESS de la métropole lilloise. Son PDG, Michel Bouchaert, en fonctions depuis 2023, assume un constat sévère : les dettes accumulées pendant la pandémie, couplées à une baisse prononcée des subventions, ont rendu la poursuite d’activité impossible.

La procédure de redressement engagée en 2023 avait pourtant laissé entrevoir un rebond. Un plan de continuation sur dix ans avait été validé, avec une trajectoire de désendettement progressive. Le modèle de la coopérative reposait sur la mutualisation de services pour des structures de petite taille, un segment dont la résilience a été mise à l’épreuve depuis 2020.

Au moment de la liquidation, la coopérative compte douze adhérents, non impactés juridiquement par la décision. Côté emploi, la conséquence directe demeure limitée : un licenciement économique est annoncé, celui de la directrice, unique salariée de la SCIC.

Chiffres clés d’Initiatives & Cité au moment de l’arrêt

Des jalons pour mesurer l’empreinte et la dégradation des équilibres :

  • 2010 : création de la SCIC Initiatives & Cité.
  • 2013 : lancement de l’espace de bureaux partagés La Grappe, en centre-ville de Lille.
  • 2018 : ouverture de l’incubateur Évident! dédié à l’innovation sociale.
  • 2020-2021 : vacance prolongée des bureaux, fermeture définitive de La Grappe fin 2021.
  • 2023 : redressement judiciaire avec plan sur dix ans, non mené à terme.
  • Été 2025 : liquidation judiciaire prononcée.
Métriques Valeur Évolution
Adhérents au pic d’activité 18 N/A
Subventions publiques annuelles 150 000 € puis 40 000 € -73 % environ
Vacance locative à La Grappe plus de 2 ans Fermeture fin 2021
Plan de continuation 10 ans Interrompu en 2025
Salariés au moment de l’arrêt 1 Licenciement annoncé
Porteurs accompagnés par Évident! 71 2018-2025
Structures créées via Évident! 25 entreprises, 13 associations + 3 projets intrapreneuriaux
Label PTCE Candidature 2025, non retenue Perte de financement potentiel

Au-delà du constat comptable, deux actifs organisationnels concentrent désormais les enjeux de transmission : le réseau d’adhérents que la coopérative avait fédéré et l’incubateur Évident!, désormais en recherche de repreneur. Sur ce dernier, deux contacts avancés sont mentionnés. C’est la seule ligne qui pourrait éviter une perte sèche pour l’écosystème local.

Une scic orientée mutualisation : trajectoire et enseignements d’un modèle

Le cœur du projet reposait sur une idée simple : offrir à des structures de petite taille les services d’un groupe, sans perdre l’esprit coopératif. Initiatives & Cité a donc réuni entreprises, associations, partenaires et bénéficiaires au sein d’une SCIC, forme juridique qui organise la gouvernance partagée et la poursuite d’une mission d’utilité sociale.

Concrètement, la coopérative proposait des formations, des services collectifs type mutuelle, accès à des avantages sociaux proches de ceux d’un comité d’entreprise et des bureaux à loyer maîtrisé. La proposition de valeur tenait dans la mutualisation des coûts et l’épargne d’échelle. Les adhérents bénéficiaient d’offres difficiles à négocier individuellement.

La grappe : immobilier partagé et effet levier

L’initiative la plus visible, lancée en 2013, fut l’espace La Grappe, en centre-ville de Lille. Pensé comme un levier d’attractivité et de stabilisation pour les acteurs de l’ESS, le site réunissait des structures qui n’auraient pas pu s’installer seules à ces adresses.

Cet outil a soutenu la dynamique de réseau et la circulation d’idées entre structures. Il a aussi généré des recettes récurrentes qui sécurisaient l’équilibre de la coopérative. Le choc Covid a toutefois inversé le mécanisme : la vacance prolongée a érodé la trésorerie et conduit à la fermeture de La Grappe fin 2021.

La SCIC permet d’associer, au capital, des parties prenantes diverses : salariés, usagers, partenaires économiques et collectivités. Elle poursuit une mission d’utilité sociale avec une gouvernance démocratique et la majorité des excédents réinvestie. Ce cadre juridique a été retenu par Initiatives & Cité pour organiser la mutualisation et l’ancrage territorial (ministère de l’Économie).

L’histoire d’Initiatives & Cité illustre la capacité des SCIC à créer des coopérations efficaces dans les services aux entreprises de l’ESS. Elle montre aussi leur dépendance à des produits d’exploitation stables lorsqu’un actif immobilier devient central. La volatilité de l’occupation des bureaux n’a pas été absorbée par d’autres sources de revenus, ce qui a accéléré la dégradation financière.

Crise sanitaire et effets financiers durables : l’équilibre rompu

La pandémie a constitué une rupture nette. Les confinements successifs ont provoqué une vacance de plus de deux ans à La Grappe. L’érosion des loyers et des services associés a trop pesé sur une structure qui fonctionnait déjà avec des marges limitées.

Le plan de redressement de 2023, étalé sur dix ans, visait à étaler la dette et à relancer une activité de services hors immobilier. Mais la reprise des revenus n’a pas suivi. La fermeture de La Grappe en 2021 avait privé la coopérative de son principal actif économique, rendant la trajectoire de désendettement fragile.

Du côté des tendances sectorielles, la crise a aggravé des fragilités déjà observées chez de nombreuses structures de l’ESS. Plusieurs analyses ont mis en évidence des replis de ressources à deux chiffres dans les associations et coopératives, avec une reprise hétérogène selon les territoires et les métiers. Une part de la base économique s’est reconstituée, mais trop lentement pour compenser des dettes contractées en urgence.

Dans un espace partagé, chaque bureau inoccupé réduit mécaniquement les loyers et charges récupérées. Les postes fixes de la copropriété et des équipements restent, eux, dus. En cas de vacance prolongée, la quote-part de charges non couvertes par les loyers augmente et la structure porte l’écart, ce qui affaiblit la trésorerie. C’est typiquement ce qui s’est produit à La Grappe, avec un effet boule de neige sur les dettes liées au Covid.

Le contexte public n’a pas suffi à amortir le choc. Les aides d’urgence ont limité les faillites à court terme, mais le ralentissement de la demande sur les prestations mutualisées a pesé plus longtemps. Pour Initiatives & Cité, cette inertie a empêché d’atteindre le seuil d’activité requis pour financer le service de la dette.

Subventions en reflux et labels manqués : une fenêtre qui se referme

Autre pièces du dossier : l’évolution des financements publics. Dans ses meilleures années, la coopérative recevait jusqu’à 150 000 euros de subventions annuelles. Sur la période récente, pour des actions d’accompagnement de même nature, les montants avaient glissé autour de 40 000 euros. La baisse, très marquée, a fait basculer l’économie des projets.

Le choix d’une stratégie de labellisation, via la candidature au label Pôle territorial de coopération économique (PTCE) en 2025, devait rouvrir l’accès à des guichets nationaux et régionaux. Cela n’a pas abouti.

Selon la direction, le positionnement tertiaire de la coopérative n’entrait pas dans les critères ciblés. Le manque à gagner potentiel se chiffre en centaines de milliers d’euros sur plusieurs années, au regard des soutiens auxquels accèdent les PTCE retenus.

Ptce sud aquitaine : stratégie et résultats

Référence souvent citée, le PTCE Sud Aquitaine agrège des acteurs économiques, publics et associatifs autour de projets d’innovation sociale. Les travaux académiques qui documentent ce pôle insistent sur la capacité de coordination territoriale et l’effet d’entraînement pour l’emploi local. Ce type de coalition illustre ce que la labellisation peut rendre possible, du pilotage stratégique jusqu’au financement d’actions collectives.

En miroir, l’échec d’Initiatives & Cité à obtenir le label n’a pas seulement une conséquence financière. Il prive aussi la structure d’un cadre d’alliances plus large et d’une visibilité utile pour mobiliser des investisseurs solidaires, des collectivités ou des grands comptes engagés.

ESUS : le sésame des financements à impact

L’agrément entreprise solidaire d’utilité sociale ouvre l’accès à des financements dédiés et peut faciliter l’entrée d’investisseurs souhaitant soutenir l’impact social. Il s’adresse aux structures dont l’objet social prime et dont la gouvernance s’assure que les excédents sont majoritairement réinvestis. L’incubateur Évident! s’aligne sur ce cadre, vecteur d’attractivité pour un repreneur potentiel.

Plus largement, la politique publique en faveur de l’ESS continue d’outiller les porteurs de projet via des dispositifs d’accompagnement, de garanties et de financement. Elle s’appuie sur un périmètre qui regroupe coopératives, associations et mutuelles, avec un objectif d’utilité sociale supérieur à la logique de profit (ESS France).

Chaîne d’impact local : adhérents préservés, bazaar saint-so autonome, évident! en suspens

La conséquence opérationnelle la plus directe de la liquidation concerne l’incubation. L’entité Évident!, créée en 2018, a déjà accompagné 71 porteurs de projets, avec des résultats concrets : 25 entreprises et 13 associations créées, et 3 projets intrapreneuriaux poussés au sein d’organisations existantes. Son arrêt serait un manque pour l’écosystème d’innovation sociale régional.

Deux perspectives de reprise sont évoquées par la direction. C’est un signal positif, car l’actif principal d’Évident! tient moins à ses équipements qu’à son capitale immatériel : méthodologies d’accompagnement, réseau d’experts, partenaires publics et privés, et réputation auprès des porteurs.

Bazaar saint-so : un tiers-lieu solidement arrimé

Lancé en 2020 avec l’appui d’Initiatives & Cité, Bazaar Saint-So s’est imposé comme un tiers-lieu majeur de la métropole lilloise. Sur le plan capitalistique, cette structure est indépendante : la liquidation de la coopérative ne modifie ni sa gouvernance ni son agenda d’activités. Cette autonomie évite l’effet domino souvent redouté dans des écosystèmes très interconnectés.

La dynamique des tiers-lieux, en complément des incubateurs, joue un rôle spécifique dans la visibilité des projets ESS et l’hybridation des publics. Bazaar Saint-So demeure un vecteur d’ancrage territorial pour des initiatives à impact.

Évident! : trajectoire et enjeux d’une reprise

La trajectoire d’Évident! est notable. En 2019, la presse locale le décrivait comme le seul incubateur régional dédié à l’innovation sociale, après deux promotions déjà riches de 23 projets accompagnés. La suite a confirmé la pertinence du positionnement : l’incubateur a contribué à faire émerger des structures créatrices d’emplois et de solutions locales.

Dans le contexte 2025, une reprise crédible devra garantir trois points : la continuité d’accompagnement des promotions en cours, la consolidation de l’offre partenariale avec les collectivités et opérateurs de financement, et un projet économique articulant ressources publiques et revenus marchands. La présence de l’agrément ESUS constitue un levier pour recomposer ce mix.

Plusieurs architectures de reprise sont réalistes :

  • Intégration par un acteur ESS régional déjà doté d’un pôle incubation, pour mutualiser les fonctions support et les réseaux.
  • Consortium public-privé autour d’une association ou d’une SCIC, avec une feuille de route ciblée sur des filières prioritaires locales.
  • Spin-off porté par une équipe interne ou d’anciens mentors, adossé à des financements à impact et à un espace de travail déjà existant.

Chaque scénario suppose un socle financier pluriannuel et une articulation claire avec les dispositifs de la collectivité et de la région.

Concernant les adhérents historiques d’Initiatives & Cité, l’annonce se veut rassurante : la liquidation n’emporte pas d’effet sur leurs activités. La coopérative avait déjà recentré son périmètre, ce qui limite les transmissions opérationnelles complexes à orchestrer.

Ce que ce dossier dit de l’ess française en 2025

La trajectoire d’Initiatives & Cité s’inscrit dans une trame plus large. L’ESS en France, composée d’associations, coopératives, mutuelles et entreprises sociales, pèse lourd dans l’économie et l’emploi et continue de croître en créations d’entreprises.

Elle s’est renforcée dans les métiers de la transition écologique et de l’innovation sociale. Mais une fraction des structures demeure sous-capitalisée, sensible à la volatilité des subventions et aux chocs exogènes.

Deux caractéristiques ressortent. D’abord, les modèles à base immobilière, comme les tiers-lieux ou bureaux partagés, exposent à des aléas forts en période de crise. Ensuite, l’accès ou non à des labels structurants type PTCE peut créer des divergences de trajectoire marquées entre structures comparables.

Dans le champ des politiques publiques, l’ESS s’appuie sur une architecture de financements qui mêle subventions, prêts participatifs, investissements solidaires et contributions des membres. Des décrets d’application, au fil des années, ont affiné ces outils, tandis que des collectivités comme la Ville de Lille portent des stratégies pluriannuelles de soutien, avec un accent sur l’innovation sociale et les tiers-lieux. À l’échelle nationale, l’ESS représente environ 2,4 millions d’emplois et près de 10 % du PIB, selon les données de référence du secteur (ESS France).

La leçon économique est nette : une coopérative peut conjuguer impact social et modèle économique, mais l’équation nécessite des amortisseurs. La combinaison d’un fonds de roulement plus solide, d’un portefeuille d’activités moins corrélé à un seul actif, et d’un accès fluide aux labels et financements conditionnés, réduit l’exposition aux chocs.

Repères utiles sur l’ESS en France

Pour situer Initiatives & Cité dans un paysage plus large :

  1. Définition : l’ESS regroupe des structures dont la finalité est l’utilité sociale, avec une gouvernance démocratique et un encadrement de la lucrativité (ministère de l’Économie).
  2. Périmètre : associations, coopératives, mutuelles, fondations et sociétés commerciales de l’ESS.
  3. Poids : millions d’emplois sur tout le territoire, forte présence dans l’action sociale, l’éducation, la santé, la culture et des segments de l’économie verte.

Sur le terrain, les données locales confirment la pertinence d’une politique d’écosystème. La municipalité lilloise, via son plan 2021-2026 pour l’ESS, promeut l’innovation sociale, outille les tiers-lieux et oriente des financements ciblés. Ce type d’engagement pluriannuel réduit la complexité de la chaîne d’accompagnement et donne de la visibilité aux porteurs.

En miroir, le cas d’Initiatives & Cité rappelle que la diversification des revenus n’est plus un atout, mais une condition de viabilité. Les coopératives orientées services doivent articuler prestations facturées, contributions de membres, dispositifs publics et capitaux à impact pour amortir une contraction ponctuelle d’une ligne de produits.

Gouvernance et dettes covid : un arbitrage sous tension

La gouvernance coopérative fait le choix explicite de la délibération collective. En période de crise, ce temps long peut se heurter à des contraintes de cash immédiates. Le traitement des dettes contractées pendant la pandémie a exigé des arbitrages rapides. Le plan de continuation sur dix ans, cohérent sur le papier, a buté sur l’insuffisance de flux opérationnels après l’arrêt de La Grappe.

Leçons à tirer : préparer des scénarios de stress, décliner des seuils de déclenchement d’actions correctives et s’ouvrir à des apports de capital patient via des véhicules d’investissement solidaires. Ces outils existent et permettent d’absorber un choc de trésorerie sans casser l’outil productif.

Effets de réseau et attractivité des labels

La labellisation PTCE concentre des avantages au-delà des subventions. Elle crédibilise une démarche auprès des financeurs, attire des partenaires techniques et facilite la mise en commun de ressources à l’échelon interentreprises. Ne pas être retenu, pour une structure qui faisait du collectif sa raison d’être, a créé un déficit d’alliances et de visibilité difficile à compenser en phase de redressement.

Pour autant, l’écosystème ESS lillois reste dense. La présence de tiers-lieux actifs, d’incubateurs thématiques et d’une politique municipale ancrée offrent un terrain d’accueil à des reprises ou à de nouveaux montages portés par des coalitions locales.

Quatre chantiers prioritaires, observés sur des relances réussies de structures ESS :

  • Trésorerie : sécuriser 12 à 18 mois de fonds de roulement, mixant subventions d’amorçage, prêts participatifs et apports associatifs.
  • Design d’offre : privilégier des prestations peu capitalistiques et récurrentes, adossées à des contrats tripartites avec des collectivités et des fondations d’entreprise.
  • Labellisation : cibler un label structurant avec un dossier qualifié, sponsorisé par un consortium d’acteurs du territoire.
  • Gouvernance : instaurer un comité d’impact externe pour piloter les pivots stratégiques et renforcer la redevabilité.

En arrière-plan, une dynamique nationale soutient la filière. L’ESS demeure un pilier d’emplois et de valeur ajoutée, avec un socle de 2,4 millions d’emplois et une contribution macroéconomique significative, selon les données structurantes du secteur (ESS France). À Lille, les outils locaux prolongent cet appui, notamment via l’animation des tiers-lieux et l’accompagnement des entrepreneurs sociaux.

Après initiatives & cité : les marges de rebond pour l’incubation sociale à lille

La disparition d’Initiatives & Cité laisse un vide, mais pas un désert. L’essentiel se joue désormais autour de la transmission d’Évident! et de la capacité des acteurs locaux à agréger des moyens autour d’une feuille de route claire. Les deux pistes de reprise à l’étude doivent rapidement se traduire par un montage équilibré, financiarisé et lisible pour les porteurs de projets, afin d’éviter une interruption de service dans l’accompagnement.

Pour les entreprises et associations de l’ESS du territoire, la période exige de resserrer les coopérations, d’optimiser les coûts partagés et de strategiser l’accès aux labels et financements. La trajectoire d’Initiatives & Cité rappelle qu’un modèle coopératif puissant peut se fragiliser face à une double peine conjoncturelle. À l’inverse, c’est souvent en période de contraintes que se structurent les alliances les plus durables, à même de soutenir l’innovation sociale à long terme.

La liquidation d’Initiatives & Cité clôt un cycle et souligne la nécessité de modèles plus résilients, articulant mutualisation, diversité des revenus et accès aux labels, pour que l’incubation sociale lilloise conserve sa capacité à transformer l’économie locale.