C'est à Roncq, dans le nord de la France, que le site de production de l'entreprise a été récemment installé. Dans le laboratoire de contrôle de la qualité, des techniciens vérifient le processus à intervalles réguliers. Pour la démonstration, le gel visqueux à base de polymère est déposé sur du papier : un petit filament bleu qui, photo-activé, va se "solidifier" en moins de trente secondes.

Tissium ambitionne d'en finir avec les points sutures

Il faut imaginer le même effet dans le corps humain, pour permettre, par exemple, à des nerfs sectionnés de se régénérer et de se reconnecter, sans avoir recours à des sutures : le gel agira comme une colle, avant de se résorber naturellement en plusieurs mois. L'objectif est d'utiliser ce polymère pour réparer les tissus, tout en limitant le traumatisme potentiel associé à la chirurgie.

Tissium est né en 2013, sous le nom de Gecko Biomedical, lorsque Christophe Bancel, son dirigeant et cofondateur, a pris connaissance des travaux des chercheurs du prestigieux Massachusetts Institute of Technology de Boston, en chirurgie cardiaque pédiatrique. Un point de départ que l'ingénieur de formation, frère du fondateur de la biotech Moderna, a voulu étendre à davantage de domaines thérapeutiques.

Ce nouveau matériau est actuellement développé dans trois applications :

  • la réparation des nerfs périphériques,
  • le traitement des hernies ventrales pour fixer l'implant de renfort, en remplacement des vis actuellement utilisées,
  • et le traitement des fuites de suture en chirurgie cardiovasculaire.

L'ère des polymères

"Pour un médecin, cela permet d'obtenir des résultats plus rapides et plus cohérents. On constate une récupération plus rapide chez l'animal, cela reste à confirmer chez l'homme", explique Christophe Bancel.

Mais qui dit nouveau matériau dit nouveaux procédés. Tout devait être fait, rappelle le responsable. "Nous devons tout construire. " Notamment une machine de filtration et d'épuration, qui a dû être adaptée à partir d'une machine existante, un ensemble de cuves et de réacteurs occupant l'un des laboratoires du rez-de-chaussée de l'usine.

Un litre de polymère y est produit en plusieurs heures, ce qui représente environ 2 000 seringues. La machine, qui utilise du CO2 à haute pression - ce qui permet au gel de passer à un état où il n'est ni liquide, ni solide, ni vapeur - a coûté un million d'euros. 

Des années de recherche et plusieurs levées de fonds

Après des années de recherche et plusieurs levées de fonds, dont 50 millions d'euros l'année dernière, Tissium lancera cette année plusieurs essais cliniques sur l'homme aux États-Unis, en France et en Australie.

L'entreprise n'est pas la seule à s'intéresser de près à l'utilisation des polymères en médecine. Parce que ces matériaux présentent des qualités intéressantes pour la santé.

"Un polymère n'est en fait qu'une série de molécules (monomères) assemblées par des liaisons chimiques", explique Sophie Guillaume, directrice de recherche à l'Institut des sciences chimiques de Rennes. Si certains sont présents dans la nature, comme l'amidon ou les protéines, d'autres sont synthétiques, développés par l'homme. "Que ce soit pour la libération de principes actifs, la reconstruction de tissus, les prothèses ou le diagnostic, les applications des polymères dans le domaine médical sont nombreuses, dès lors qu'ils deviennent biocompatibles", explique Guillermo.

"Avec cette technologie, je pense qu'un chirurgien non spécialiste des nerfs pourrait obtenir des résultats aussi bons que ceux d'un spécialiste", a déclaré le Dr Dominic Power, un chirurgien spécialisé dans la réparation des nerfs périphériques, qui teste les produits de Tissium.

Si tout se passe bien, les adhésifs chirurgicaux Tissium pourraient être commercialisés aux États-Unis d'ici fin 2023, espère Christophe Bancel.