L’annonce officielle par Google de ses nouveaux « AI Overviews », suivie un an plus tard de l’« AI Mode », a suscité un mélange de fascination et d’inquiétude dans l’univers numérique. Depuis leur déploiement aux États-Unis, plusieurs rapports pointent des baisses notables du trafic des sites web et des transformations radicales du comportement des internautes. 

Les grands enseignements de l’étude

Dans la recherche d’une photographie précise de l’impact de l’IA sur les résultats Google, le Pew Research Center a publié, le 22 juillet 2025, des données éclairantes. Aux États-Unis, sur un échantillon de 900 personnes interrogées en mars 2025, il apparaît que 8% des internautes cliquent sur un lien après avoir vu un résumé généré par l’IA, contre 15% dès lors qu’aucun résumé n’est affiché. Les AI Overviews, placés en haut des pages de résultats, ôtent donc une part significative de visibilité aux sites tiers, ce qui interroge la solidité du modèle économique de nombreux éditeurs.

Au-delà de ce premier constat, l’étude nous apprend aussi que 26% des internautes quittent totalement Google après avoir consulté ces fameux résumés IA. Les utilisateurs estiment souvent avoir trouvé leur réponse instantanément. L’effet cumulé d’une information perçue comme « suffisante », associé à la volonté de ne pas multiplier les recherches, semble conforter l’émergence de la « recherche sans clic ».

Les AI Overviews condensent parfois un large éventail de sources en une formulation courte. Or, du fait des « hallucinations » que peut générer un modèle de langage, l’internaute néglige parfois de vérifier l’exactitude de ces informations en quittant Google immédiatement. Ce phénomène suscite des interrogations sur la diffusion potentielle d’erreurs factuelles.

Un autre chiffre met en évidence l’ampleur de cette mutation: selon Alphabet, 1,5 milliard d’utilisateurs auraient déjà accès aux AI Overviews, bien que leur déploiement ne soit pas encore complet à l’international. L’éclair d’une ascension si rapide, comparée aux lancements précédents, signale un bouleversement susceptible de perdurer dans le temps.

Les répercussions pour les éditeurs et annonceurs

En occupant la position zénithale de la page de résultats, les AI Overviews captent l’attention dès les premières secondes. Ils englobent différents segments d’informations: réponses directes sur des questions variées, guides pratiques ou encore comparaisons de produits, réduisant la nécessité de visiter un site tiers. Les éditeurs et entreprises locales, qui dépendent souvent d’un trafic organe ou payant (Google Ads), voient leur visibilité se contracter.

L’étude Seer Interactive, publiée en février 2025, souligne une chute de 70% des clics sur les résultats organiques lorsque les résumés IA sont présents, et une baisse additionnelle de 12% pour la publicité payante. Si ces deux canaux servent de colonne vertébrale au financement de la plupart des portails en ligne, on comprend pourquoi tant d’acteurs s’inquiètent de perdre leurs revenus.

Ce qu’il faut retenir en priorité

L’emplacement privilégié des résumés IA éclipse de facto les sites restants. Leurs chiffres de clics affichent de nets reculs, affectant autant les grands groupes médiatiques que les PME spécialisées.

Exemple avec The Verge

Pour appréhender cette réalité, on peut citer l’impact sur The Verge, grand média technologique international. Avant le déploiement des AI Overviews, une recherche du type « Innovations IA en 2025 » renvoyait largement vers leurs articles. Désormais, cette même requête produit un condensé IA indiquant rapidement plusieurs faits marquants. L’utilisateur, conforté par ces informations succinctes, ne clique plus autant sur le lien vers The Verge, amputant la plateforme d’un trafic qui jouait un rôle majeur dans son positionnement publicitaire.

Médias français en alerte

Bien que l’IA de Google ne soit pas encore activée en France, certaines rédactions anticipent déjà l’éventuelle chute de leurs audiences. Les dirigeants de certains titres, comme Le Monde ou des journaux spécialisés dans la finance, craignent que cette dynamique ne se reproduise sur l’Hexagone en cas de déploiement similaire à celui des États-Unis. Subsidiairement, les recettes issues des abonnements numériques se développent, mais souvent pas suffisamment pour compenser la disparition d’une part conséquente des revenus publicitaires basés sur le trafic.

Selon une consultante SEO renommée, la persistance de ce phénomène en Europe dépendra aussi des régulations en vigueur. Elle souligne que la protection des contenus par des lois sur les droits de reproduction pourrait limiter l’accès massif de Google aux données nécessaires pour générer des résumés exhaustifs. Cependant, aucun consensus n’existe encore sur la part de données que l’IA est autorisée à extraire.

Perspectives juridiques et économiques en Europe

En Europe, des éditeurs ont fait part de leur crainte concernant l’essor d’une fonctionnalité qui, sans rétribuer les créateurs originaux, utiliserait les informations de leurs articles, infographies ou contenus enrichis. Les réactions récentes de certains groupes de presse sont particulièrement virulentes: invoquant leur droit à la propriété intellectuelle, ils demandent à Google de clarifier les modalités d’application de ses résumés IA dans un marché soumis à des contraintes réglementaires fortes, comme la directive sur le droit d’auteur.

D’un point de vue plus global, l’Union européenne examine déjà la question de savoir si cette évolution de Google respecte la neutralité du marché numérique. Les autorités craignent qu’en concentrant l’attention de l’utilisateur dès la première impression, l’IA de Google oriente fortement la navigation sur le web, restreignant le pluralisme de la presse et la concurrence loyale.

L’Europe en quête d’équité

Ces craintes ont un écho particulièrement fort dans des pays comme la France, où l’on défend un modèle pluraliste et équilibré. Les discussions portent déjà sur la mise en place de partenariats économiques avec Google pour compenser la perte de trafic des éditeurs.

Cette orientation entraîne un questionnement sur la redistribution des ressources. Certains observateurs, comme Bill Gross de ProRata, invitent Google à partager une partie des bénéfices publicitaires générés par l’utilisation des éléments de contenu originaux. À l’instar du droit voisin arraché par les éditeurs de presse, un nouveau cadre législatif pourrait émerger pour protéger la viabilité de l’industrie numérique.

Diversification et adaptation: comment rebondir?

Face à ces bouleversements, les créateurs veulent à la fois préserver leur audience et maintenir leur rentabilité. Les acteurs concernés ne se limitent pas aux médias: les plateformes de e-commerce, d’annonces immobilières ou encore les comparateurs de prix subissent aussi une baisse notable du volume d’internautes redirigés depuis le moteur de recherche. Chercher des solutions de contournement ou de réinvention apparaît inévitable pour bien des entreprises.

Une piste privilégiée consiste à améliorer la qualité des contenus pour être mieux référencés dans les extraits d’AI Overviews. Malgré cette ambition, l’incertitude demeure: même si votre site est cité, l’utilisateur peut se contenter des quelques phrases issues du résumé. Plusieurs acteurs du référencement conseillent donc d’allonger la durée de navigation sur site (via de l’interactivité, des calculatrices en ligne, ou toute plus-value que l’IA ne peut pas reproduire en un court résumé).

Exemple avec un e-commerçant local

En prenant le cas d’un artisan proposant des articles de décoration en ligne, on constate que son trafic peut gravement chuter si Google IA affiche directement « Les 5 produits phares » dans la SERP. L’artisan pourrait alors développer une stratégie d’email marketing dynamique ou des contenus interactifs (vidéos, guides pratiques, quiz) inaccessibles via un simple aperçu IA. Il fidélise ainsi le visiteur et l’incite à s’engager dans un processus d’achat plus personnalisé.

Plateformes de comparateurs: stratégie et résultats

Les comparateurs se sont retrouvés eux aussi en première ligne: l’IA propose parfois un tableau comparatif succinct, diminuant l’incitation à cliquer. Conscientes de ces défis, certaines plateformes investissent désormais dans des services d’accompagnement auprès de leurs utilisateurs, combinant chatbots personnalisés et espaces d’avis communautaires. L’objectif est d’offrir plus qu’une simple liste de prix: elles ambitionnent de créer un univers où la communauté trouve des conseils clarifiés sur l’utilisation d’un produit, ses durées de garantie, les retours clients, etc. Ainsi, l’IA ne peut pas, à ce jour, répliquer la totalité de l’interaction humaine et la tonalité du forum d’entraide.

Selon plusieurs juristes, la réglementation européenne pourrait obliger tout fournisseur d’IA intégrée à la recherche à mentionner automatiquement la ou les pages d’origine sous une forme suffisamment explicite. Cela impliquerait potentiellement un partage des revenus publicitaires générés par l’IA elle-même. Les discussions sont en cours et aucun texte final n’est encore entériné.

Mais ces évolutions stratégiques n’empêchent pas que le taux de clic global recule. Par conséquent, la recherche SEO et PPC doit être repensée pour engager l’utilisateur dès la première occurrence: accroches plus incitatives, micro-contenus vidéo, ressources exclusives réservées aux visiteurs, ou encore programmes de fidélisation par code promotionnel.

Points clés et chiffres comparatifs

Si les entreprises et les médias observent d’un œil circonspect l’expansion de l’IA dans la SERP (Search Engine Results Page), quelques statistiques mises côte à côte aident à visualiser l’ampleur de la tendance actuelle. Les études convergent pour témoigner de l’allure descendante du trafic organique vers les sites web. Ci-dessous, un aperçu synthétique:

Métriques Valeur Évolution
Taux de clic moyen sans IA Overview 15 % -
Taux de clic moyen avec IA Overview 8 % -47 %
CTR de la position #1 avec IA active (selon Ahrefs) 2,6 % -64 %
Requêtes comportant un AI Overview en mars 2025 18 % +8 pts vs 2024

Ces indicateurs traduisent la bascule qui s’opère en faveur des extraits générés automatiquement. Plus ces fonctionnalités gagnent du terrain, plus les utilisateurs ont tendance à moins cliquer, voire à ignorer la page d’origine. Les chiffres laissent présager un environnement durablement transformé.

Comprendre le pivot comportemental des internautes

Les motivations et les freins des internautes se réinventent jour après jour. Les études de terrain révèlent ainsi un ancrage grandissant de la recherche conversationnelle via les IA. Les utilisateurs attendent des réponses exhaustives mais concises. Confrontées à des chatbots comme ChatGPT, les plateformes classiques doivent trouver un moyen de rivaliser. Google, avec ses AI Overviews, s’établit comme un intermédiaire se voulant polyvalent et omniscient, au risque de parasiter l’audience retournant historiquement aux éditeurs.

En mars 2025, SparkToro indiquait que seule 30% des sollicitations adressées à ChatGPT étaient apparentées à des recherches similaires aux requêtes traditionnelles du moteur. Google domine donc toujours. Mais le rôle de l’assistant virtuel dans la vie quotidienne croît vite, conditionnant une nouvelle génération d’usagers à formuler des questions contextuelles plus précises et évasives à la fois. Cette habitude se répercute dans le champ des résultats Google, renforçant l’adhésion à un format de réponse ultra-ciblée.

Point sémantique crucial

Le concept de Zero-click search (ou « recherche sans clic ») désigne le fait qu’un internaute obtient immédiatement sa réponse dans la SERP. Aucun site tiers ne profite alors de visites additionnelles, ce qui bouscule le modèle économique reposant sur la captation du trafic.

Cette transition engage une réflexion profonde sur la manière de rédiger et présenter l’information. Les internautes, habitués à scroller rapidement, privilégient la commodité. Il devient donc indispensable pour les sites de proposer une valeur premium: accès exclusif, outils interactifs, contenus immersifs, etc. À défaut, la dépendance à un trafic Google menacé par les extraits IA fragilise leur présence sur le marché numérique.

Quel avenir pour les revenus publicitaires?

Cette transformation du parcours utilisateur perturbe sensiblement les revenus publicitaires qui reposaient traditionnellement sur l’affichage de bannières et l’exposition prolongée de l’internaute à des annonces contextuelles. Les espaces publicitaires sur la SERP se retrouvent concurrencés par les blocs AI, qui captivant davantage l’internaute. Résultat: moins de clics, moins d’impressions, et potentiellement moins de recettes pour les sites tiers.

L’étude d’Ahrefs relayée en avril 2025 signale notamment une chute de la visibilité de la première position pour certaines requêtes. Là où les analyses SEO classiques tablaient sur 30 à 35% de clics pour la place de numéro un, le CTR s’établit désormais autour de 2,6% avec IA Overviews, selon leurs relevés. Quelle stratégie mettre en œuvre pour endiguer ce revers?

Certains observateurs suggèrent de repenser le modèle marketing, en intégrant des voies d’accès plus directes à la marque. En clair, déployer une stratégie de notoriété et de fidélité, pour que l’utilisateur saisisse spontanément l’URL d’un site ou recoure à une application mobile dédiée, sans transiter par Google. Les professionnels notent que ce chemin reste complexe, car l’outil d’indexation demeure un passage quasi-obligé pour la découverte de nouveaux contenus.

Un horizon incertain pour l’écosystème du web

À la lumière de ces tendances convergentes, l’expansion des IA dans les SERP bouleverse en profondeur la manière dont les utilisateurs interagissent avec l’information. Entre le ralentissement des clics, la menace de la « zero-click search », la perte de contrôle sur la présentation de leur propre contenu et les risques d’erreurs factuelles, les éditeurs de sites et annonceurs naviguent en terrain miné. Les démarches aux États-Unis et dans l’Union européenne en matière de régulation définiront probablement le futur équilibre entre technologie et préservation de la pluralité de l’information.

Du côté des entreprises locales et des médias français, l’anticipation s’avère essentielle. Tant qu’aucune solution stable n’a émergé, optimiser le contenu pour les snippets IA et proposer un accès à forte valeur ajoutée sont devenus des priorités. Parallèlement, l’harmonisation légale autour d’une possible rémunération des éditeurs lorsque leurs informations alimentent les algorithmes génératifs se retrouve sur la table des discussions. Certains considèrent que cette option demeure le seul levier possible pour soutenir financièrement les créateurs originaux dans le grand jeu de l’IA.

La perspective d’un web intégralement dominé par les réponses automatiques suscite la nécessité impérieuse d’un surcroît de créativité et de régulation, pour que l’avenir numérique conserve une pluralité de voix et de sources vérifiées.