Chaque année, les entreprises ultramarines suscitent l’intérêt des spécialistes de l’économie en raison de leurs approches singulières et de leurs défis structurels.

Les professionnels de la finance et du juridique s’attachent à comprendre ces spécificités pour mieux éclairer la prise de décision.

Dans cet article, nous mettons en avant les caractéristiques clés des PME dans les départements et régions d’outre-mer (DOM), tout en comparant leurs dynamiques à celles de la France métropolitaine.

Regards sur les caractéristiques structurelles des PME ultramarines

La diversité qu’offrent les DOM (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion) contraste avec les atouts et contraintes relevés en France métropolitaine. Sans surprise, chacune de ces régions ultramarines présente un cadre économique marqué par l’insularité ou l’éloignement. On observe, par exemple, un marché local plus étroit et un coût logistique plus élevé lié aux importations de biens de consommation ou de matières premières.

En 2022, la taille médiane d’une PME dans les DOM (hors Mayotte) demeure généralement plus modeste qu’en Hexagone. Selon les estimations officielles, le chiffre d’affaires hors taxes moyen d’une PME est d’environ 1,53 million d’euros en France métropolitaine, alors qu’il n’atteint que 1,41 million à La Réunion, 1,38 million en Martinique, 1,36 million en Guyane et 1,34 million en Guadeloupe.

Cette taille réduite s’explique en partie par le caractère insulaire de certains territoires, la dispersion géographique ou encore des marchés internes plus limités. D’autres facteurs de disparité incluent le statut juridique privilégié par les entrepreneurs ou bien le niveau de spécialisation sectorielle. Prenons, à titre d’illustration, la propension des PME à intégrer un groupe : 7,7 % en Martinique, 7,5 % à La Réunion, 7,3 % en Guyane, 6,5 % en Guadeloupe contre 11,6 % en Hexagone. Une telle différence peut agir sur leur capacité à mutualiser les frais ou à déployer des stratégies via des filiales.

Il convient de rappeler que les petites et moyennes entreprises sont définies par le décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008. Une PME compte moins de 250 salariés, et son chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou le total de son bilan n’excède pas 43 millions d’euros. Au-delà, on bascule dans la catégorie d’entreprise de taille intermédiaire (ETI), voire de grande entreprise (GE).

Hormis le fait que les PME relevant d’un groupe sont moins nombreuses dans les DOM, on souligne également que les entreprises individuelles y prennent davantage de place, surtout en Guyane (9,6 %) et à La Réunion (10,2 %), contrairement à la moyenne nationale de 5,7 %. À l’inverse, les formes sociétaires restent plus fréquentes en Martinique, en Guadeloupe et en France métropolitaine.

Exemple avec la distillerie familiale d'une PME martiniquaise

Une PME spécialisée dans la distillation de spiritueux martiniquais, qui demeure en activité depuis plus de trente ans, illustre bien ces particularités. De structure familiale, elle réinvestit la majorité de son excédent brut d’exploitation dans des équipements modernes pour accroître sa productivité. Toutefois, en l’absence de filiale puissante, son accès au crédit reste plus coûteux que dans l’Hexagone, ce qui freine parfois ses projets d’expansion.

Poids élevé des consommations intermédiaires et contraintes d'approvisionnement

Les régions ultramarines doivent faire face à des coûts d’approvisionnement supérieurs, régulièrement influencés par la nécessité d’importer une large palette de biens. Cela se vérifie dans le ratio consommations intermédiaires / chiffre d’affaires hors taxes. On constate une part oscillant entre 70,5 % à La Réunion et 73,1 % en Guadeloupe, là où elle est de 69,1 % en moyenne nationale française.

En outre, le taux de couverture – c’est-à-dire le rapport entre les exportations de biens et les importations – met en exergue ces disparités. Il varie par exemple de 5,9 % à La Réunion à 12,4 % en Martinique pour 2022, quand l’Hexagone, dans son ensemble, affiche 78,6 %. Il en résulte une dépendance marquée vis-à-vis des intrants importés, réduisant la valeur ajoutée produite localement.

Un rôle décisif de la structure sectorielle

Dans les DOM, la concentration sectorielle est nettement plus élevée qu’en Hexagone. Avec un nombre d’activités principales exercées (APE) plus restreint, les possibilités de mutualiser des compétences intersectorielles ou de générer des synergies se trouvent souvent limitées. À La Réunion, on recense 408 codes APE actifs contre 602 dans l’Hexagone.

Au niveau des coûts, la conséquence directe s’observe sur un taux de valeur ajoutée légèrement inférieur. Dans les DOM, ce dernier s’élève à environ 29,1 % de moyenne globale, alors qu’il dépasse 31,9 % dans l’Hexagone. En miroir, le taux de marge (excédent brut d'exploitation / chiffre d’affaires) demeure parfois équivalent, voire plus haut. Les charges de personnel, moins élevées dans la valeur ajoutée, expliquent en partie ce paradoxe.

La filière agroalimentaire réunionnaise : stratégie et résultats

Considérons un groupement agroalimentaire implanté à La Réunion, spécialisé dans la transformation de produits tropicaux. Ses coûts d’achat de matières premières atteignent environ 72 % de son chiffre d’affaires. Ses marges sont cependant préservées grâce à des exonérations fiscales spécifiques et à une main-d’œuvre locale engagée. L’entreprise valorise au mieux la proximité entre producteurs et transformateurs, tout en restant vulnérable aux fluctuations des prix du fret maritime.

Une productivité du travail plus faible et un ancrage dans la sphère présentielle

La faible productivité apparente du travail (mesurée par la valeur ajoutée divisée par le nombre de salariés) demeure l’un des sujets majeurs pour les PME ultramarines. En 2022, elle se révèle plus faible qu’en métropole : 57,9 milliers d’euros par salarié en Guyane, 57,4 en Guadeloupe, 54,2 en Martinique et 52,8 à La Réunion, contre 64,9 en moyenne pour la France métropolitaine.

Pourquoi un tel écart ? Les PME locales dépendent souvent d’une sphère présentielle, c’est-à-dire d’activités répondant principalement à la demande courante des résidents et des visiteurs. Dans ces secteurs, on recourt moins massivement à la mécanisation et l’innovation de rupture y est plus rare. Les activités de commerce, de services de proximité ou encore de construction alimentent fortement le tissu productif dans les DOM sans nécessairement générer d’importants gains de productivité.

Exemple de PME de services à la personne en Martinique

En Martinique, une petite société de services d’aide à domicile illustre cette réalité. Son activité séduit surtout une clientèle résidant sur l’île (seniors isolés, familles). Le nombre de salariés est conséquent, mais la valeur ajoutée reste en deçà d’une société proposant des services techniques exportables à l’international. Ainsi, la productivité apparente par employé s’avère plus modeste qu’en métropole.

La sphère présentielle regroupe l’ensemble des activités de services et de biens principalement consommés sur place (commerces, hôtellerie-restauration, services à la personne). Dans les DOM, elle contribue fortement à l’emploi mais dispose d’un levier de croissance plus restreint, dans la mesure où les débouchés externes à la région restent limités.

Soulignons enfin que la présence de cadres, souvent associée à un plus grand investissement en recherche, développement et digitalisation, demeure moins importante dans certains DOM. Cette situation freine la montée en gamme de secteurs pourtant prometteurs, comme le tourisme d’affaires aux Antilles ou la sous-traitance spatiale en Guyane.

Le financement des PME ultramarines : un accès plus cher

Au-delà de ces réalités économiques, la politique de financement appliquée aux DOM reste un enjeu crucial. Les instituts d’émission (IEDOM) rappellent que le coût du capital y est souvent supérieur à celui rencontré en métropole. En effet, certains établissements financiers perçoivent un risque accru lié à la vulnérabilité économique et aux taux de défaillance plus élevés de certaines entreprises. Ce sentiment de risque se traduit concrètement par un taux d’intérêt apparent souvent majoré.

En Guyane, ce taux moyen s’établit autour de 3,7 %, alors qu’il ne dépasse pas 2,8 % à La Réunion et 1,9 % dans l’Hexagone. De plus, on constate un taux de prélèvement financier (proportion des charges financières rapportées à la valeur ajoutée) sensiblement plus élevé qu’en métropole, dépassant 10 % en Guyane ou encore 9,4 % à La Réunion contre 6,5 % en France hexagonale.

Comparaison des taux d’intérêt

Le taux d’intérêt apparent reflète le coût moyen retenu pour rémunérer les prêts et autres dettes financières d’une entreprise. La Guyane concentre les conditions de crédit les plus exigeantes avec un risque jugé plus élevé, suivi par La Réunion. En métropole, la densité concurrentielle du marché bancaire contribue à l’effet inverse, car un plus grand nombre d’établissements financiers se disputent la clientèle.

Malgré tout, les PME ultramarines s’efforcent d’explorer des sources de financement alternatives : capital-investissement local, microcrédit, dispositifs de garantie spécifiques ou encore participation de fonds publics. Néanmoins, la plus grande difficulté reste d’accroître la capitalisation et de diversifier les soutiens financiers disponibles sur ces territoires isolés géographiquement.

Exemple du secteur spatial en Guyane : stratégie et résultats

Grâce à la présence du Centre Spatial Guyanais (CSG), quelques PME spécialisées dans la logistique, la maintenance ou l’ingénierie aérospatiale ont su nouer des partenariats solides avec de grands acteurs du secteur. Elles profitent indirectement de plus gros volumes d’activité, qui sécurisent le retour sur investissement et facilitent (légèrement) l’accès au crédit. Leur taux d’intérêt demeure néanmoins plus fort qu’en métropole du fait d’anticipations prudentes des banquiers.

Les spécificités de la rentabilité financière dans les DOM

Quand on évoque la performance économique d’une PME, la rentabilité financière occupe une place centrale. Or, en moyenne, dans les DOM, ce taux de rentabilité reste légèrement inférieur à celui relevé dans l’Hexagone : 11,2 % en Guyane, 11,1 % à La Réunion, 10,1 % en Martinique et 8,0 % en Guadeloupe contre 11,6 % dans le reste de la France.

Cette différence globale peut s’expliquer par plusieurs facteurs :

  • La taille plus restreinte des marchés locaux et la difficulté à générer des économies d’échelle.
  • L’accès plus coûteux au financement et un endettement parfois plus lourd à supporter.
  • L’impact notable d’une fiscalité provinciale spécifique, compensée parfois par des exonérations ciblées.
  • Une productivité apparente plus faible et un taux de charge intermédiaire important.

Pourquoi la rentabilité financière est-elle si privilégiée ?

La rentabilité financière (résultat comptable / capitaux propres) permet de vérifier la capacité de l’entreprise à créer de la valeur directement pour ses actionnaires. Elle intègre la structure de financement, contrairement à la rentabilité économique qui ne se centre que sur l’efficacité de l’actif.

Cependant, lorsque l’on neutralise les écarts structuraux (taille, productivité, secteur, âge, forme juridique), les différences de rentabilité tendent à se réduire. Selon plusieurs analyses par appariement, les PME guadeloupéennes ou martiniquaises comparées à des PME françaises de caractéristiques similaires ne présentent pas d’écart moyen significatif sur le long terme, sauf sur le haut de la distribution où l’on relève parfois des résultats plus divergents.

Exemple de PME très rentable à La Réunion

On peut évoquer la situation d’une entreprise réunionnaise dans le secteur de la promotion immobilière, avec moins de dix salariés. Grâce à un marché local protégé par certaines lois de défiscalisation et un dispositif d’abattements, elle présente des taux de rentabilité financière supérieurs à nombre de PME métropolitaines comparables. Son top 10 % en rentabilité financière surpasse de 1,6 % les équivalents nationaux.

En Guyane, on observe même un écart résiduel pouvant atteindre 3,9 % pour les 10 % de PME les plus rentables. Cette situation semble liée à la dynamique tirée par la filière spatiale et aux effets d’entraînement sur d’autres secteurs comme la construction, l’intérim ou la prestation de services techniques.

Les dispositifs de défiscalisation ultramarins (ex. déduction pour investissements en outre-mer, majoration d’amortissement) peuvent accroître artificiellement la rentabilité financière de certaines entreprises, notamment dans l’immobilier ou le tourisme. Cependant, ces avantages ne concernent pas exclusivement les entreprises en DOM : des acteurs métropolitains y recourent aussi, suivant les conditions d’éligibilité.

Panorama chiffré : productivité et taux d'intérêt dans les DOM

Pour enrichir l’analyse, il est souvent utile de synthétiser certains indicateurs clefs dans un tableau. Ci-dessous, quelques repères concentrent l’attention sur la productivité apparente du travail, la part des activités de services locaux et le taux d’intérêt moyen pratiqué en 2022.

Métriques DOM (moyenne) France métropolitaine
Productivité apparente (k€ / salarié) 55,6 64,9
Part de la sphère présentielle dans le CA (%) 58,3 49,4
Taux d’intérêt apparent (%) Entre 2,0 et 3,7 1,9

Les chiffres reflètent l’impact d’un contexte insulaire sur le fonctionnement des PME, démontrant clairement la nécessité d’inclure ces territoires dans une stratégie économique adaptée, à la fois sur le plan de l’investissement et du soutien institutionnel.

Vers de nouvelles perspectives pour les PME ultramarines

À la lumière des données passées en revue, les spécificités du tissu productif des DOM méritent une attention soutenue de la part des experts. En effet, la taille plus restreinte des PME, l’ampleur des consommations intermédiaires, les difficultés relatives au financement ou encore la plus faible productivité apparente du travail constituent autant de freins à la compétitivité. Toutefois, certains leviers existent : diversification sectorielle, montée en gamme, renforcement des dispositifs de garantie.

Les pistes d’amélioration peuvent passer par :

  1. L’encouragement à la spécialisation raisonnée dans des domaines porteurs (spatial, écotourisme, transformation agroalimentaire).
  2. L’augmentation de la part de cadres afin de favoriser l’innovation et d’améliorer l’automatisation.
  3. L’accès simplifié aux dispositifs de financement nationales et européennes pour rehausser la compétitivité.
  4. La promotion d’un marché inter-DOM, visant à atténuer l’isolement économique en facilitant les échanges.

Du point de vue financier, les PME qui misent sur des modèles économiques résilients, capables de surmonter l’isolement géographique, tirent leur épingle du jeu. Dans des secteurs comme la maintenance aérospatiale en Guyane ou l’immobilier à La Réunion, les marges résiduelles élevées compensent un surcoût de financement. Pour d’autres PME, en particulier dans le commerce ou les services peu exportables, l’enjeu prioritaire reste de renforcer leur structure de coûts et d’améliorer la qualité de leur offre.

Ce vaste panorama illustre l’importance d’approches différenciées en matière de politique économique et financière en outre-mer, condition essentielle pour pérenniser et dynamiser la croissance des PME dromiennes.