La vie privée du salarié au travail fait débat. À une ère de changement entre crise sanitaire et prédominance du bien-être au travail, il faut apprendre à concilier vie privée et vie professionnelle. 

À une époque où la vie privée et personnelle prend de plus en plus de place dans la sphère publique, et ce, même au sein du secteur professionnel, il est primordial de savoir ce qu’il est possible ou non de faire en tant qu’employeur. En effet, les différents changements dans le monde du travail et ceux à venir questionnent : télétravail, semaine de 4 jours, flex office, etc. Par ailleurs, le management bienveillant semble très en vogue. Il faudra alors assimiler et intégrer la vie privée du salarié à ces nouvelles méthodes de management. L’objectif des employeurs ? Réduire les risques de burn-out et garantir une satisfaction des employés. Cela a un impact direct engendrant deux atouts non négligeables : une productivité croissante et une image de marque faisant des envieux. 

Vie privée du salarié et surveillance

Auto-entrepreneurs et chefs d’entreprises ne sont plus ce qu’ils étaient il y a 10 ans. À présent, ceux-ci ne sont pas toujours présents au bureau et ne peuvent pas toujours contrôler ce qui se passe au siège ou dans les filiales et succursales du groupe. Certains pourraient et ont d’ailleurs souhaité mettre en place un système de télésurveillance ou des méthodes de contrôle. L’intérêt pour les employeurs est varié : éviter les vols, vérifier ce qui se fait dans l’entreprise, contrôler le respect des horaires des employés, contourner les conflits, trouver des solutions de gestion, favoriser le roulement des équipes sur le lieu de travail, etc. 

Mais est-ce légal ? L’employeur peut-il décider, du jour au lendemain, de mettre en place un système de télésurveillance ? D’autres systèmes de surveillance sont-ils envisageables ? Si oui, lesquels et comment ?

La télésurveillance au travail

Possible ou non ? La réponse implique quelques nuances. Légalement parlant, il est tout à fait possible que l’employeur mette en place un système de vidéosurveillance. Cependant, il devra respecter un certain processus avant de le faire, sous peine de se voir sanctionner. Les éléments à respecter impérativement sont les suivants :

  • Consulter les représentants du personnel et obtenir leur accord : l’employeur doit informer ces représentants de son intention de mettre en place un tel système de surveillance. 
  • Être 100% transparent et honnête : prévoir cette télésurveillance dans le règlement intérieur et informer chacun des salariés individuellement de cet aspect. En effet, selon l’article L1222-4 du Code du travail et la jurisprudence en la matière – Ccass ch. soc. 10/01/12 – l’employé doit savoir qu’il est filmé. 
  • Justifier convenablement son désir de mettre un tel système en œuvre : la solution doit être proportionnelle et adaptée au but recherché. 

Pour aller plus loin : 

En accord avec ces derniers points, l’employeur est aussi en droit d’effectuer un test d’alcoolémie ou un contrôle anti-stupéfiants. Cela semble logique, mais la loi prohibe l’utilisation systématique de ces contrôles. Les contrôles devront être occasionnels et justifiés. Dans ce cas spécifique, le règlement intérieur devra là encore prévoir une telle possibilité.

Fouiller un employé 

Si l’on souhaite mettre un terme à des comportements indésirables comme le vol ou l’espionnage industriel, on peut souhaiter fouiller l’un de ses employés afin de vérifier qu’il n’est pas l’auteur d’un de ces délits. Là encore, tout n’est pas blanc ou noir. Bien que la fouille corporelle ou des affaires soit pour certains l’une des pires atteintes à la vie privée du salarié et à sa dignité, la loi permet parfois à l’employeur d’y avoir recours. 

Parfois, cela ne signifie pas toujours. Ainsi, une fouille dite temporaire sera valide si l’employeur justifie de raisons impérieuses et très graves. Parmi les raisons impérieuses on retrouve un risque d’attentat ou une alerte à la bombe (Cass. ch. soc. 03/04/2001).

Le critère du corps de métier

Il existe des exceptions à l’aspect temporaire de la fouille pour certains corps de métier comme les gardiens de prisons, les employés d’aéroport, la grande distribution, le luxe, etc.

Les conditions à respecter

Pour avoir recours à la fouille, il faudra donc qu’elle soit justifiée par le corps de métier et les risques y attenant, mais aussi que :

 – Le règlement intérieur de l’entreprise le stipule et l’autorise ;

– La fouille se fasse en respectant la dignité et dans l’intimité si le salarié le souhaite ;

 – Des circonstances exceptionnelles existent : vols, dangers, etc ;

– Les salariés aient connaissance de cette obligation, et conservent au moment de la fouille, un droit d’opposition. Dans cette hypothèse, seul un Officier de Police Judiciaire pourra procéder à une fouille ;

– L’employé donne son consentement éclairé en présence de témoins : salariés ou représentants du personnel.

En plus de cela, la fouille des effets personnels reste envisageable. Dans ce sens, une décision de justice (Cass. ch soc. 15/04/2008) a affirmé que la fouille d’un casier ou d’un vestiaire est possible si l’employeur avertit son employé suffisamment à l’avance. La fouille peut se faire en l’absence du salarié. 

Vie privée du salarié et géolocalisation 

L’utilisation de moyens de géolocalisation devient de plus en plus courante dans la vie d’entreprise. Il est vrai que les employeurs peuvent souhaiter connaître l’emplacement du salarié en temps réel. Cela se passe très souvent dans des métiers comme ceux de chauffeur poids lourds, livreurs, employés avec ordre de mission, etc. 

Mais est-ce légal ? Est-ce que cela répond au principe de proportionnalité ?

Bien que sujet de controverse, l’utilisation de tels moyens est également admise. Toutefois, les conditions de validité énoncées précédemment sont également applicables. En conséquence de cela, le règlement intérieur doit le prévoir, le moyen doit être justifié et proportionné et l’employeur doit en informer ses employés.

Outre ces conditions de validité identiques, l’employeur qui veut utiliser un système de géolocalisation, ou même un simple système de badgeuse, doit obligatoirement prévenir la CNIL (Cass. ch soc. 14/09/2010).

Ordinateur professionnel et vie privée

La tendance est au télétravail et au prêt automatique d’ordinateur portable. Le ministère du Travail a d’ailleurs récemment affirmé : « Vous pouvez utiliser votre ordinateur personnel mais ce n’est pas une obligation. Si l’employeur vous impose de télétravailler, il doit vous fournir un ordinateur si vous n’en avez pas ou que vous ne voulez pas utiliser votre ordinateur personnel ».

Mais alors, dans l’hypothèse où l’employeur fournit un ordinateur professionnel et que le salarié s’en sert également à titre personnel, comment cela fonctionne-t-il ? Est-ce que tout ce qui est présent sur l’ordinateur appartient à l’employeur ? Les emails personnels et les documents de l’employé peuvent-ils être consultés par son patron ? 

Un usage abusif ou illégal

Dans un premier temps, il est important d’éclaircir un premier point : la présence de documents personnels sur l’ordinateur professionnel. Ceci n’est aucunement interdit et le supérieur hiérarchique de l’employé ne pourra pas le sanctionner pour cela. 

Cependant, à titre indicatif, il est important de mentionner qu’un usage abusif ou illégal de l’ordinateur qui sert d’outil de travail pourra faire l’objet de sanction. Par usage abusif, on entend l’utilisation ininterrompue à des fins personnelles. À titre d’exemple, on peut mentionner l’échange de centaines d’emails journaliers ou le téléchargement de musiques illégales.

À savoir : le côté légal prévaut sur tout le reste puisqu’une décision de justice (Cass. ch soc. 08/12/2009) a déclaré : « un salarié est parfaitement en droit de garder et de télécharger sur son ordinateur professionnel des photographies pornographiques, du moment qu’elles ne sont pas illégales ».

Nature professionnelle ou personnelle d’un document

Dans un second temps, intéressons-nous de plus près au contenu de l’ordinateur professionnel. Si l’employé détient des documents personnels, des images ou des dossiers dans l’ordinateur, l’employeur peut-il les consulter ?

Le droit du travail et la jurisprudence ont, au fil des années, cherché à protéger de plus en plus les salariés. Toutefois, l’ordinateur restant de base un outil de travail à visée professionnelle, quasiment tous les documents y étant présents sont de nature professionnelle et peuvent donc être consultés par l’employeur. Il existe tout de même quelques exceptions.

Les mails dits personnels

Pour les mails personnels : si les emails sont identifiés comme personnels, le fait qu’ils soient stockés sur l’ordinateur du travail et que la boîte de réception ou d’expédition soit l’adresse professionnelle fournie par l’entreprise n’influence pas. Juridiquement, on les considère comme des correspondances privées non consultables par l’employeur ou le supérieur hiérarchique. 

À savoir : les emails ne peuvent pas être consultés, que l’employé soit présent ou absent.

Les dossiers personnels

Les dossiers personnels : comme mentionné précédemment tous les documents (fichiers, dossiers, documents, photos, textes, vidéos, etc.) sont présumés de nature professionnelle. De lege lata, quand on parle de nature professionnelle, cela signifie qu’indirectement ils appartiennent à l’entreprise. Il reste possible pour un salarié de créer un dossier et de le renommer « personnel ». Alors, les documents peuvent être consultés en présence du salarié uniquement (Cass. ch soc. 18/10/2006). 

Les clés USB et disques externes

Les clés USB ou disques externes : tous les éléments annexes à l’ordinateur qui appartiennent également à l’entreprise répondent également à la présomption de nature professionnelle. Alors, ces clés USB et disques qui ne sont pas identifiés comme personnels peuvent aussi revenir à l’employeur. Celui-ci peut visionner ce qui y apparaît sans craindre de sanctions légales.

À savoir : sont considérés de nature « personnelle » les expressions « perso » ou « à moi », « privé » ou les mentions qui laissent penser  que cela appartient à la vie privée : « photos de vacances ». Cependant, l’email ou le SMS qui porte pour seule mention les initiales du salarié n’est pas présumé « personnel ».

Licenciement en lien avec la vie privée du salarié

Dans l’hypothèse où l’employeur a mis en place l’un de ces moyens de sécurité au travail ou qu’il découvre une faute de son salarié en regardant sur son ordinateur ou mobile professionnel, et qu’il en résulte la faute grave de l’un de ses employés, un licenciement est possible. Ainsi, un employeur dans son bon droit qui a respecté les principes de transparence et de proportionnalité pourra se servir de l’ensemble des éléments pour licencier l’employé. Évidemment, le licenciement doit être justifié et motivé à l’aide de preuves.

Exemple : en fouillant le casier de son employé, un patron découvre que celui-ci a volé de la marchandise. 

Irrespect de la vie privée du salarié et sanctions 

Si un employé surveille ou met en œuvre une méthode de surveillance spécifique sans en avertir son employé, il devra impérativement répondre de ses actes. De plus, le non-respect des dispositions légales attenantes à la vie privée est aussi sanctionné.

Sanctions légales : quelles sont-elles ?

Le salarié qui découvre la faute de son employeur doit alors saisir le Conseil de prud’hommes. L’employeur peut donc, et en vertu de l’article L226-1 du Code pénal, subir les sanctions qui suivent :

  • Obligation de retirer le dispositif de surveillance ;
  • Condamnation pénale de 1 an d’emprisonnement ;
  • Amende pouvant aller jusqu’à 45 000 euros ;
  • Augmentation des sanctions en cas de circonstances aggravantes ;
  • Annulation de la décision de licenciement ou de suspension de l’employé si motivations émanant d’enregistrements ou de preuves illégalement récupérées.

La charge de la preuve

Lorsque l’on parle d’un jugement au Conseil de prud’hommes, on parlera de preuve libre. Alors, la partie qui a la charge de la preuve pourra se servir de tous les éléments en sa possession. Cela va du support papier au support numérique en passant par de simples témoignages ou déclarations orales.

L'évolution jurisprudentielle en lien avec celle des réseaux sociaux

D’ailleurs, l’incidence de la vie privée sur le professionnel dépasse aujourd’hui le lieu de travail. Avec l’omniprésence des réseaux sociaux notamment, c’est de tout nouveaux questionnements juridiques auxquels il faut répondre pour délimiter le pouvoir d’ingérence de l’employeur vis-à-vis de ses salariés. Un revirement de jurisprudence récent de la Cour de cassation vient nous éclairer à ce sujet et démontre la fine limite entre vie pro et vie privée. En effet, la Cour a jugé en septembre 2020 qu’un employeur peut légalement licencier un salarié pour faute grave en se fondant sur des éléments extraits du compte privé Facebook du salarié. 

Évidemment et dans le prolongement de ce qui se fait dans la pratique, la Cour ajoute ainsi : « Pour que le licenciement soit légitime, l’employeur doit avoir obtenu les éléments par un procédé loyal et l’atteinte à la vie privée qui en ressort doit être proportionnée au but poursuivi (Cass. soc., 30/09/2020). »

La place grandissante des réseaux et la capacité des employeurs à contrôler ce qui s’y dit fait l’objet de véritables débats. Entre liberté d’expression et diffamation, les tribunaux ont dû trancher et trouver des solutions. La jurisprudence évolue donc en même temps que les outils de communication et tente de limiter les impacts négatifs des réseaux sociaux sur la vie au travail.