La French Tech avance encore, mais le pas se fait plus mesuré. Le nouveau baromètre France Digitale et EY, publié le 9 septembre 2025, dresse une photographie contrastée: créations en hausse mais moins vigoureuses, financements en retrait, recrutements plus prudents. Le tout sur fond d’instabilité politique et d’incertitudes internationales qui bousculent les arbitrages des dirigeants et des investisseurs.

Baromètre 2025 france digitale x ey: des progrès, des écarts et des alertes

Le millésime 2025 confirme une expansion qui perd de sa vigueur. Le compteur des jeunes pousses progresse avec 1 200 nouvelles start-up sur un an, pour atteindre un total estimé à 16 200 sociétés. Cette hausse s’inscrit toutefois en retrait face à la dynamique de l’année précédente, qui avait enregistré environ 3 500 créations.

Côté activité, la croissance de chiffre d’affaires se normalise: +16 % selon le baromètre entre 2023 et 2024, contre +27 % sur la période antérieure. La tendance reflète des vents contraires déjà identifiés par les dirigeants: consommation privée en berne, coûts de financement plus élevés, environnement réglementaire changeant et visibilité limitée sur la demande.

Sur l’emploi, les start-up consolident leur rôle d’amortisseur: 150 000 créations nettes d’ici 2025, en hausse de 11,5 %. Le rythme ralentit cependant par rapport à 2023-2024 (+18 %). Les intentions d’embauche s’ajustent, avec 52 % des fondateurs seulement qui maintiennent un plan de recrutements continue, là où l’avant COVID affichait quasi unanimité.

La lecture la plus saillante concerne le financement: le marché reste ouvert, mais le ticket moyen baisse et les tours se resserrent. Au premier semestre 2025, plusieurs signaux convergent vers un régime d’économie de capital, plaçant la rentabilité au cœur des arbitrages exécutifs et des comités d’investissement.

Métriques Valeur Évolution
Stock de start-up 16 200 +1 200 sur un an
Créations annuelles 1 200 vs 3 500 l’année précédente
Emplois créés 2024-2025 150 000 +11,5 %
Intentions d’embauche 52 % Fragilisation
Croissance du chiffre d’affaires +16 % vs +27 % un an plus tôt
Levées de fonds France, S1 2025 En baisse -35 % en valeur; méga-tours -87 % (BFMTV)

Le baromètre France Digitale x EY agrège des entreprises technologiques à forte composante d’innovation, souvent en hypercroissance, avec des modèles orientés produits et une part significative de dépenses de R&D. Ce périmètre exclut généralement les PME traditionnelles, afin de mieux saisir les dynamiques propres au capital-innovation.

Cartographie 2025: l’île-de-france recule, les régions consolident

La répartition territoriale change de visage. Alors que plusieurs métropoles confirment leur trajectoire d’essaimage, l’Île-de-France marque un repli inédit: environ 200 start-up de moins entre 2024 et 2025. Un indicateur qui interroge, au regard du poids historique de la région dans les tours de table late stage et la concentration des talents tech.

Île-de-france: effet ciseau sur la finance et l’attractivité

Au premier semestre 2025, la région capitale subit un net ralentissement des levées: -28 % en valeur et -9 % en volume. Les dossiers d’envergure se raréfient, les tours intermédiaires se compressent, et les due diligences s’allongent. Résultat: des délais de closing plus longs, des valorisations sous pression et une aversion renforcée pour les trajectoires trop gourmandes en cash.

Ce décalage pèse mécaniquement sur la natalité d’entreprises, mais aussi sur la fluidité des pivots et M&A d’opportunité. Il incite de nombreux fondateurs à privilégier des trajectoires plus capital efficient et à se positionner plus tôt sur des segments de marges tangibles.

Reste du territoire: poches de résistance et diversification sectorielle

Hors Île-de-France, l’écosystème conserve du ressort. Des hubs comme Lyon, Nantes, Lille, Toulouse ou Montpellier capitalisent sur des filières verticales solides: software B2B, santé numérique, climat et industrie 4.0. La densité académique, les réseaux d’incubation et l’accès à la commande publique locale jouent un rôle d’entraînement.

Ces écosystèmes régionaux bénéficient d’une position concurrentielle alternative: coût de la vie moindre, accès facilité à des sites industriels pour les hard tech, ancrage sectoriel propice aux premières références clients. À court terme, cet avantage peut amortir le choc financier subi par la place francilienne.

Indicateurs clés à surveiller en région

Les territoires gagnants combinent plusieurs marqueurs structurels.

  • Part de revenus récurrents dans les jeunes pousses locales: plus la base MRR est forte, plus la résilience face aux cycles est élevée.
  • Présence de donneurs d’ordres et d’achats publics innovants: un atout décisif pour franchir la vallée de la mort.
  • Accès aux talents via universités, écoles d’ingénieurs et labos: pipeline de compétences R&D et produits.

Choc politique et confiance: 82 % des start-up expriment leurs craintes

L’instabilité institutionnelle pèse sur les décisions d’investissement et la planification. Selon le baromètre, 82 % des dirigeants redoutent les répercussions de la chute du gouvernement Bayrou intervenue le 8 septembre 2025. Le sujet n’explique pas à lui seul le ralentissement, mais il accentue le risque pays perçu sur la technologie française.

Après le 8 septembre: perception et effets immédiats

Les réactions observées montrent trois lignes de force: la tentation de retarder certains tours en attente de visibilité fiscale, la renégociation des conditions dans des deals en cours, et un recentrage sur les fondamentaux unit economics des dossiers. La prudence s’impose même sur des segments réputés porteurs comme l’IA appliquée ou les infrastructures cloud.

Cette prudence ne signifie pas fermeture du marché. Elle implique une sélectivité accrue, en particulier sur les parcours commerciaux, la qualité des marges brutes et la vitesse de conversion du pipeline.

Politique budgétaire: trajectoire des aides à l’innovation

Les annonces de juillet 2025 visant 43,8 milliards d’euros d’économies et un déficit ciblé à 4,6 % du PIB en 2026 interrogent les fondateurs sur la pérennité des incitations. Si les mécanismes phares comme le crédit d’impôt recherche demeurent des piliers, la perspective d’arbitrages budgétaires relance le débat sur leur calibrage et leur ciblage au profit des technologies stratégiques.

Dans ce contexte, la vigilance de l’AMF sur les circuits de financement et l’adaptation des cadres pour faciliter les levées s’inscrivent comme un signal de stabilisation pour le marché. L’enjeu: maintenir un accès fluide au capital tout en renforçant la protection des investisseurs.

Les multiples de valorisation intègrent un surcroît de risque via une hausse du coût du capital. Concrètement: décotes plus fortes sur les tours de growth, ajustements des earn-outs en M&A, clauses de ratchet plus fréquentes et durcissement des covenants de dette. Les entreprises à fort cash burn subissent la plus grande contraction des multiples.

Financement: le marché se resserre, la rentabilité reprend le pouvoir

Le premier semestre 2025 aura été une épreuve de résistance. Les levées de fonds globales en France reculent de 35 % en valeur, avec une chute de 87 % des opérations les plus importantes, indicateur direct du gel des méga-tours et de la raréfaction des term sheets à très gros tickets (BFMTV, 9 septembre 2025).

Moins de méga-tours, plus d’exigence opérationnelle

Cette contraction déplace la frontière entre croissance et discipline financière. Les investisseurs priorisent la qualité des revenus: récurrence, taux de churn, marge brute. Les sociétés qui combinent une croissance soutenable avec un burn maîtrisé captent l’essentiel des capitaux disponibles.

L’arbitrage se lit aussi dans la dépriorisation de certaines verticales très capitalistiques, à l’exception des dossiers adossés à des revenus quasi contractuels ou soutenus par des programmes publics. Les cycles de due diligence se concentrent sur la preuve d’adéquation produit marché, la résilience du pricing et la profondeur de marché adressable.

80 % de start-up rentables ou en passe de l’être

Dans ce contexte, les dirigeants ajustent leur boussole. Près de 80 % des start-up sont déjà rentables ou planifient de l’être sous trois ans, indicateur d’un tournant culturel majeur. La rentabilité devient un objectif explicite, non plus une résultante future. Les feuilles de route mettent l’accent sur trois leviers: prix, mix produit, efficacité go-to-market.

Comme le souligne Maya Noël, il est devenu difficile de bâtir des stratégies à horizon long lorsque les règles du jeu évoluent fréquemment. La réponse passe par un pilotage granulaire du cash et une priorisation des cycles de vente les plus courts.

Trois métriques dominent les comités d’investissement: 1 le burn multiple compare les pertes au net new ARR et mesure l’efficacité capitalistique. 2 La net revenue retention capture la croissance organique du parc clients via expansion, upsell et churn. 3 Le CAC payback exprime en mois le retour sur coût d’acquisition. Un trio décisif pour les dossiers B2B.

Fiscalité et droit: les amortisseurs à préserver dans un cycle frileux

Le cadre fiscal demeure un pivot pour l’innovation. Le crédit d’impôt recherche représente environ 7 milliards d’euros en 2024, un levier central pour alléger la charge de R&D et lisser les cycles de trésorerie. Couplé au statut de jeune entreprise innovante, il permet de soutenir les profils deep tech où la maturation commerciale est plus longue.

Cir, jei et loi pacte: trois piliers pro-innovation

Le triptyque CIR plus JEI plus PACTE facilite la création et l’investissement. La loi PACTE de 2019 a fluidifié les parcours administratifs et stimulé les créations d’entreprises. D’après l’INSEE, l’Hexagone a franchi le cap du million de nouvelles immatriculations en 2024, une base fertile pour l’essaimage tech.

Stabilité, lisibilité et prévisibilité sont les maîtres mots demandés par les fondateurs. Une inflexion sur ces dispositifs, même marginale, peut déplacer des investissements ou ralentir des recrutements, surtout dans les périodes d’arbitrages budgétaires serrés.

Brevets, logiciels et marques: la propriété intellectuelle s’intensifie

Les dépôts de titres de propriété industrielle progressent. L’INPI recense +15 % de dépôts de brevets en 2024, avec un intérêt croissant pour les technologies d’IA embarquée, la cybersécurité, l’énergie et la santé. La valorisation des actifs immatériels devient un composant clé des tours de table.

Cette dynamique impose une rigueur contractuelle accrue: cession des droits salariés et prestataires, gouvernance open source, gestion de la dette technique. Autant de chantiers qui conditionnent les audits IP lors des levées de fonds série A et au-delà.

Commande publique et préférence européenne: points d’attention

Les recommandations en faveur d’une préférence européenne dans la commande publique, rappelées par France Digitale et EY, peuvent jouer un rôle d’amplificateur pour les start-up locales.

  • Accès aux référencements via des clauses d’innovation et des critères de souveraineté numérique.
  • Effet d’amorçage des premiers contrats publics sur l’attraction des capitaux privés.
  • Réduction du risque d’éviction face à des concurrents mieux capitalisés hors UE.

Outre les clauses de préférence et d’anti-dilution, soignez: 1 la propriété du code et des données d’apprentissage, 2 les licences open source à copyleft fort, 3 la conformité RGPD des pipelines d’IA. L’objectif: éviter des réserves majeures en due diligence qui pénalisent la valorisation ou retardent le closing.

Europe et géopolitique: tensions extérieures, amortisseurs internes

La toile de fond internationale reste instable: conflits, ruptures logistiques et tensions commerciales relancées par des politiques tarifaires américaines. L’effet direct se lit dans le coût des composants, la dépendance à certaines chaînes d’approvisionnement et le resserrement des conditions financières.

Chaînes d’approvisionnement, change et énergie: l’équation à trois inconnues

Les start-up industrielles et deep tech doivent composer avec des capex plus élevés et un calendrier de livraison moins prévisible. La hausse de l’énergie reconfigure les trajectoires de coût, particulièrement pour les entreprises intensives en calcul ou en production. Les stratégies d’approvisionnement multi-sources et de relocalisation partielle gagnent du terrain.

La volatilité de change complexifie la tarification export, poussant à des stratégies plus fines de couverture et de facturation. Dans ce climat, la prime est donnée aux modèles offrant des réserves de marge et une capacité à l’ajustement rapide du pricing.

France 2030 et french tech 2030: des filets de sécurité compétitifs

Malgré la conjoncture, deux catalyseurs soutiennent la trajectoire. D’une part, le plan France 2030, avec un cap de 54 milliards d’euros d’investissements ciblés, irrigue les filières IA, santé, énergie et industrie, via subventions, avances remboursables et appels à projets. D’autre part, le programme French Tech 2030 lancé en 2023 accompagne des lauréats à forte intensité technologique sur des enjeux de scale-up.

Les données sectorielles confirment l’effort d’innovation: +8 % d’investissements en R&D dans les technologies de l’information en 2024, avec un palier attendu en 2025. L’objectif affiché par les pouvoirs publics est la consolidation d’une souveraineté technologique pragmatique, conciliant commande publique, innovation privée et open science.

Pour maximiser vos chances: 1 alignez votre projet sur une filière prioritaire et ses feuilles de route, 2 présentez des jalons mesurables de TRL et d’industrialisation, 3 démontrez l’effet multiplicateur de l’aide publique sur capital privé et emplois, 4 sécurisez les aspects réglementaires dès la présélection. Un pilotage dédié accélère les boucles d’instruction.

Cap sur 2026: arbitrages à maîtriser et marges de manœuvre à préserver

La French Tech ne rompt pas, elle s’ajuste. Le ralentissement des financements et la prudence des recrutements installent une discipline de marché qui valorise la preuve d’efficacité plutôt que la seule promesse de croissance. Les dirigeants qui alignent cycle commercial, structure de coût et propriété intellectuelle gardent l’avantage.

La priorité est double: stabiliser le cadre politique et budgétaire pour maintenir les amortisseurs de l’innovation, tout en accélérant l’exécution opérationnelle. Le couple France 2030 et French Tech 2030 peut jouer l’effet de levier attendu à condition de lisser l’incertitude et de cibler les technologies à fort rendement économique et sociétal. En somme, la résilience existe, mais elle exige une gouvernance plus fine, une gestion serrée du capital et une rigueur d’exécution qui feront la différence au prochain cycle.