L'alerte de la Cour des comptes sur la santé d'EDF
Découvrez les mises en garde de la Cour des comptes sur la situation financière d'EDF et les investissements futurs prévus jusqu'en 2040.

+460 milliards d’euros d’ici 2040 : à Paris, la Cour des comptes met en garde contre la robustesse financière d’EDF alors que le groupe doit engager un cycle d’investissements sans précédent. Derrière l’ambition industrielle, un constat sec : dette nette en hausse à 54,3 milliards d’euros fin 2024 et incapacité persistante à s’autofinancer malgré des années de cessions, recapitalisations et dividendes suspendus.
Cour des comptes : vulnérabilité financière et dette révisée
Publié le 24 septembre 2025, le rapport de la Cour des comptes alerte sur la fragilité du modèle économique d’EDF. L’endettement net atteint 54,3 milliards d’euros à fin 2024, au-dessus des 53 milliards initialement envisagés. Dans un contexte de volumes nucléaires en reprise, l’entreprise reste handicapée par une génération de trésorerie insuffisante au regard des ambitions d’investissement.
La Cour note une récurrence des arbitrages défensifs au cours de la dernière décennie : cessions d’actifs, recapitalisations successives, suspension des dividendes. Malgré ces leviers, les flux de trésorerie restent négatifs, alimentant une trajectoire d’endettement qui interroge la capacité du groupe à financer son programme sans mécanisme de soutien robuste.
Le diagnostic est explicite : la situation d’EDF constitue « un sujet d’attention majeur » compte tenu de l’ampleur des projets à conduire. En toile de fond, le groupe devra composer avec des paramètres de marché volatils et une régulation en recomposition dès 2026.
Point clé de méthode : qu’est-ce que l’endettement net
L’endettement net correspond aux dettes financières brutes diminuées de la trésorerie et équivalents de trésorerie. Il mesure la charge de dette réellement portée par l’entreprise et constitue un indicateur central de soutenabilité financière pour les investisseurs et les agences de notation.
460 milliards d’euros à investir : le programme en sept chantiers
La Cour des comptes estime à près de 460 milliards d’euros le cumul des investissements sur 2025-2040 pour l’ensemble du périmètre EDF, la part la plus lourde revenant au nucléaire en France. Ce total agrège sept chantiers majeurs qui structureront la trajectoire industrielle du groupe à l’horizon 2040 :
- Prolongation du parc existant : environ 90 milliards d’euros pour étendre la durée de vie des 57 réacteurs en exploitation.
- Réseau de distribution (Enedis) : 100 milliards d’euros pour moderniser et digitaliser le réseau basse et moyenne tension.
- Gestion des déchets nucléaires : 30 milliards d’euros.
- Barrages hydroélectriques : 15 milliards d’euros.
- Projets internationaux : 60 milliards d’euros.
- EDF Renouvelables : 30 milliards d’euros.
- Programme EPR2 en France : 115 milliards d’euros pour 14 réacteurs. Parmi ce montant, 75 milliards seraient déjà mobilisés pour les six premiers EPR2, dans la lignée du plan annoncé à Belfort en février 2022.
Ce cadre d’investissement trace une feuille de route claire mais exigeante : il appelle des arbitrages financiers précis, des jalons techniques sécurisés et une visibilité réglementaire de long terme.
L’EPR2 vise une standardisation accrue et des retours d’expérience intégrés par rapport à l’EPR de première génération (notamment Flamanville). Objectif : simplifier la construction, réduire les aléas d’exécution et maîtriser les coûts unitaires. Le succès de cette itération conditionnera la courbe d’apprentissage et l’économie globale de la série des 14 réacteurs.
Rentabilité dégradée et cash-flow négatif : le cœur du problème
Au-delà des montants d’investissement, la Cour des comptes insiste sur l’érosion de la performance économique. Le taux de retour sur capitaux engagés, estimé proche de 10 % au début des années 2010, est passé sous un niveau créateur de valeur depuis 2021. La pression conjuguée des retards de chantiers, de la maintenance non planifiée et de la volatilité des prix a distendu la capacité intrinsèque d’EDF à financer son effort d’investissement par son exploitation.
Le cumul des pertes de cash-flow atteint environ 48 milliards d’euros entre 2012 et 2024. Sur ce total, 31,5 milliards d’euros proviennent des surcoûts et retards des projets EPR Flamanville en Normandie et Hinkley Point au Royaume-Uni. Cette empreinte financière pèse durablement sur la structure de bilan et sur la perception du risque d’exécution par le marché.
La respiration constatée en 2023, avec un bénéfice net de 10 milliards d’euros, ne modifie pas la trajectoire de fond : le sujet central reste la génération de cash récurrente et prévisible, indispensable pour financer la décennie à venir.
Bénéfice vs cash-flow : pourquoi l’écart
Un résultat net positif peut coexister avec des flux de trésorerie libres négatifs. L’explication tient aux décalages entre calcul comptable et encaissements effectifs, à la structure du besoin en fonds de roulement et à l’ampleur des investissements bruts. Pour les investisseurs et l’État actionnaire, le cash-flow libre demeure l’indicateur cardinal pour juger de l’autofinancement.
Prix d’équilibre et fin de l’Arenh : le nouveau risque de marché
Au 31 décembre 2025, le mécanisme Arenh s’éteint. Dès 2026, EDF devra vendre une part plus importante de sa production sur des marchés de gros dont les prix restent volatils.
Selon l’analyse relayée par la Cour, l’équilibre financier du groupe n’est viable qu’avec un prix moyen de 60 à 65 euros par MWh en base 2022. En deçà, ou si la consommation stagne, le risque de spirale d’endettement s’accroît.
Dans ce contexte, la définition d’un cadre post-Arenh deviendra le point dur de la régulation électrique dès 2026. Objectif recherché par le marché : une visibilité pluriannuelle sur les flux de revenus, qui sécurise le service de la dette et soutienne le financement des EPR2 et de la prolongation du parc existant.
Plusieurs axes sont généralement discutés dans l’industrie : mécanismes de prix régulés sur une partie des volumes, contrats de long terme, règles d’accès au nucléaire existant vs nouveau nucléaire. Sans arbitrage officiel à ce stade, le cœur de l’enjeu restera la stabilité des revenus pour financer un parc capitalistique et long-cyclique.
Production en hausse, demande contenue : un contraste macroénergétique
Le bilan énergétique provisoire 2024 relève une hausse de 9,9 % de la production primaire, tirée par une meilleure disponibilité des réacteurs nucléaires. La consommation primaire progresse de 1,9 %, signe d’une demande encore freinée par le niveau élevé des prix pour les utilisateurs finaux. Cette divergence entre offre disponible et demande modérée illustre une tension singulière : une base industrielle qui se redresse, mais des recettes exposées aux prix de marché (Ministère de la Transition écologique, avril 2025).
Paradoxalement, ce contexte conforte la nécessité d’un cadre stabilisateur des revenus pour EDF. Si le volume nucléaire s’améliore, la monétisation de l’offre dépendra davantage de la trajectoire des cours de gros et de l’architecture de régulation post-Arenh.
Trois enseignements majeurs : 1) la remontée de la production primaire portée par le nucléaire, 2) une consommation primaire qui repart légèrement mais demeure en retrait des tendances historiques, 3) des effets prix qui continuent de peser sur l’élasticité de la demande. Ce triptyque impacte directement les hypothèses de revenus d’EDF pour 2026-2030.
Grands projets et calendrier : sécuriser l’exécution avant l’industrialisation
Le pilotage des jalons techniques et budgétaires devient déterminant. L’institution financière publique identifie plusieurs déclencheurs à suivre de près au cours des 18 prochains mois, avec un devis définitif pour les EPR2 attendu fin 2025. Au-delà de ce point d’inflexion, l’enjeu est de verrouiller la trajectoire des coûts unitaires et des délais de mise en service.
Gravelines : calendrier et concertations
Le site de la préfecture des Hauts-de-France confirme qu’un dossier EPR2 à Gravelines est en cours d’examen, avec des consultations publiques ouvertes en 2025 afin d’évaluer l’impact environnemental et économique du projet. Ce volet procédural conditionne la tenue du calendrier industriel et l’acceptabilité locale, clés de voûte de l’exécution.
Flamanville et Hinkley Point : héritage financier
Les chantiers EPR de Flamanville et d’Hinkley Point constituent un passif lourd pour l’équation financière d’EDF. Avec 31,5 milliards d’euros imputés aux retards et surcoûts de ces deux projets, la pression est maximale pour que la série EPR2 engrange, enfin, des gains de productivité et de standardisation tangibles.
Enedis et réseau : modernisation à 100 Md€
L’effort de 100 milliards d’euros prévu pour le réseau de distribution opéré par Enedis doit soutenir la qualité d’alimentation, l’intégration des renouvelables et la digitalisation des usages. La pertinence économique de cette enveloppe dépendra de la capacité à lisser l’investissement dans le temps et à capter des gains opérationnels sur la maintenance et la gestion de pics.
Trois jalons techniques à haut impact budgétaire
- Devis EPR2 fin 2025 : base de référence pour coûts et financements.
- Qualification des sous-traitants : standardisation des procédés et contrôle qualité.
- Planification de maintenance du parc existant : limiter les indisponibilités et sécuriser les volumes.
L’État actionnaire et la régulation : quels arbitrages pour 2026-2040
Actionnaire à 100 % depuis 2023, l’État français porte directement le risque de financement d’EDF. La Cour des comptes évoque un scénario de renoncement partiel aux dividendes qui pourrait ramener la dette d’EDF de 190 à 104 milliards d’euros d’ici 2040.
Contrepartie : plus de 65 milliards d’euros de recettes fiscales manquantes pour l’État, selon les projections du rapport. Ce curseur illustre la nature des arbitrages à venir entre équilibre budgétaire public et compétitivité de la filière électrique.
La régulation post-Arenh dès 2026 sera l’autre levier déterminant. Sa conception dictera le profil de revenus d’EDF sur le moyen terme, avec des conséquences sur le coût de la dette et l’appétit des investisseurs pour cofinancer certains segments, notamment dans les renouvelables et les réseaux.
Sur le périmètre consolidé, une revue stratégique des filiales et participations est évoquée, incluant Edison en Italie, Dalkia dans les réseaux de chaleur, et les activités renouvelables à l’international. Objectif : rationaliser le portefeuille et dégager des marges d’autofinancement, sans compromettre la cohérence industrielle.
Le projet de loi de finances pour 2025, présenté le 2 septembre 2025, intègre des enveloppes liées à l’énergie. Si ces lignes confirment l’engagement public dans le secteur, leur articulation avec les besoins spécifiques d’EDF devra être précisée au fil de l’année budgétaire afin d’éviter des effets ciseaux entre autorisations de programme et capacités d’exécution.
Ce qu’il faut surveiller d’ici fin 2025
- Devis définitif des EPR2 attendu fin 2025 : cap de référence pour la série des 14.
- Architecture de la régulation post-Arenh pour 2026 : visibilité des revenus vs exposition aux marchés.
- Politique de dividendes de l’État actionnaire : impact sur la dette à l’horizon 2040 et sur les recettes publiques.
- Revue des filiales : cas Edison, Dalkia et actifs renouvelables à l’étranger, dans une logique de portefeuille.
Qui est EDF : colonne vertébrale du système électrique français
EDF occupe une place singulière dans l’économie française : opérateur historique, à la fois exploitant du parc nucléaire, producteur d’électricité multi-énergies, gestionnaire d’actifs hydrauliques et actionnaire d’une chaîne de valeur intégrant les réseaux, la chaleur et les renouvelables. Depuis 2023, l’État en détient 100 % du capital.
Cette position d’épine dorsale du système énergétique confère au groupe un rôle macroéconomique majeur. Le programme nucléaire relancé en février 2022 à Belfort par le président de la République, avec six EPR2 et une option pour huit supplémentaires, renforce encore la dimension stratégique du groupe. À l’horizon 2040, la réussite des chantiers conditionnera non seulement l’empreinte carbone de l’électricité française, mais aussi le coût final pour les consommateurs et la compétitivité des entreprises.
Dans cette équation, les prix de gros, la régulation et la discipline d’exécution industrielle deviennent les trois piliers de la soutenabilité d’EDF. Leur alignement déterminera la capacité du groupe à convertir des investissements colossaux en actifs productifs et rentables.
À noter : l’accélération de la production primaire en 2024, portée par une meilleure disponibilité du parc, confirme que la dimension opérationnelle se redresse. Mais le message de la Cour des comptes reste inchangé : sans cadre financier stabilisé, le risque est de voir l’endettement progresser plus vite que la capacité de financement interne (Cour des comptes, 24 septembre 2025).
Cap sur fin 2025 : devis EPR2 et régulation 2026 comme juges de paix
Deux rendez-vous gouverneront la trajectoire d’EDF : le devis de la série EPR2, attendu d’ici fin 2025, et la régulation post-Arenh applicable dès 2026. Le premier fixera la réalité budgétaire du nouveau nucléaire. La seconde structurera la prévisibilité des revenus sur un horizon pluriannuel.
Pour l’écosystème économique français, l’enjeu est d’abord industriel : réussir la standardisation EPR2 et tenir les délais. Mais la clé restera financière. Sans visibilité de prix et de cash-flow, il n’y a pas d’investissement long terme soutenable.