Le championnat ne se joue pas seulement sur la pelouse ; dans les coulisses, la capacité d’un club à piloter ses comptes décide souvent de son avenir sportif.

Nous avons passé au crible les états financiers des dix‑huit formations de Ligue 1 pour établir un classement inédit fondé sur cinq ratios clés.

Bilan : certaines surprises bousculent la hiérarchie établie, révélant des dynamiques financières qui pourraient redéfinir les ambitions sportives à moyen et long terme.

Santé financière des clubs : le classement 2025

Notre indice agrégé, calculé à partir de la marge nette, de la marge EBITDA, du ratio de liquidité, de l’endettement et de la part des capitaux propres, fait ressortir l’ordre suivant :

  1. Toulouse Football Club
  2. LOSC Lille
  3. OGC Nice
  4. Stade Brestois 29
  5. RC Lens
  6. Montpellier HSC
  7. Paris Saint-Germain
  8. FC Metz
  9. FC Lorient
  10. Clermont Foot 63
  11. Stade Rennais FC
  12. Olympique Lyonnais
  13.  Olympique de Marseille
  14. Stade de Reims
  15. FC Nantes
  16. AS Monaco, Le Havre AC et RC Strasbourg (ex‑æquo, données incomplètes)

Chaque ratio est normalisé (score z), les indicateurs défavorables (ex. endettement) sont inversés, puis la moyenne simple fournit un score global. Les clubs dont certaines données manquaient ont reçu une pénalité automatique afin d’éviter tout biais positif. Ce calcul, basé sur les rapports financiers 2024-2025 publiés par la DNCG et les bilans disponibles, garantit une comparabilité rigoureuse tout en tenant compte des spécificités du secteur footballistique.

 

Marge et rentabilité : des écarts plus profonds que le classement sportif

Le PSG, malgré un chiffre d’affaires colossal de 661 413 857 € et une notoriété planétaire, affiche une marge nette de -16,45 %. En détail :

Marge nette = Résultat net / Chiffre d’affaires
= ‑108 812 473 € / 661 413 857 € = -16,45 %. Cette contre‑performance s’explique par une masse salariale élevée et des charges externes en hausse.

À l’autre extrême, Toulouse FC affiche un résultat net de –2 222 428 € pour 14 570 422 € de revenus (-15,25 %). Si la marge reste négative, le club compense par une marge EBITDA exceptionnelle de 66,78 %, fruit d’une politique de trading de joueurs et d’une discipline sur les frais généraux.

Zoom sur le PSG : une machine à cash sous pression

Le Paris Saint-Germain, avec ses revenus gargantuesques, illustre le paradoxe des mastodontes européens.

Selon le rapport Deloitte Football Money League 2025, le PSG se classe parmi les cinq clubs les plus riches au monde, avec des revenus boostés par des contrats de sponsoring (notamment avec Qatar Airways) et des droits TV internationaux.

Cependant, sa masse salariale, estimée à plus de 400 M€ en 2024, reste un gouffre financier.

Les salaires des stars comme Kylian Mbappé (avant son départ en 2024) ou Neymar (jusqu’en 2023) ont pesé lourd, tandis que les investissements dans le Parc des Princes et le centre d’entraînement n’ont pas encore généré les retours escomptés.

En comparaison, des clubs comme le Bayern Munich ou Manchester City parviennent à équilibrer leurs comptes grâce à une meilleure diversification des revenus et une gestion plus stricte des salaires.

Toulouse FC : l’exemple d’une gestion vertueuse

Toulouse, leader de notre classement, doit son succès à une stratégie de trading de joueurs affûtée. En vendant des talents comme Amine Adli ou Issiaga Sylla à des prix compétitifs, le club a dégagé des plus-values significatives, renforçant son EBITDA. Selon un rapport de l’UEFA publié en 2025, les clubs de Ligue 1 qui misent sur le scouting et le développement de jeunes joueurs, comme Toulouse ou Lens, affichent des marges opérationnelles supérieures à la moyenne européenne. Cette approche, combinée à une gestion rigoureuse des coûts (stade municipal à faible coût d’entretien, partenariats locaux solides), permet à Toulouse de surperformer financièrement malgré un budget modeste.

Ratios et agrégats N N-1
Chiffre d'affaires moyen (€) 106 712 416 101 376 795
Résultat net moyen (€) -16 250 547 -15 438 020
EBITDA margin moyen (%) -7.82% -7.43%
Net profit margin moyen (%) -8.10% -7.70%
Leverage médian (x) 3.54 3.36
Liquidity ratio médian -2.47 -2.34

 

La dégradation légère entre N et N‑1 (―0,4 pt de marge nette) suggère un effet combiné de l’inflation salariale et de la hausse des coûts énergétiques.

En 2025, l’inflation, bien que ralentie par rapport à 2022-2023, continue de peser sur les clubs, notamment via les coûts d’exploitation des stades (électricité, maintenance) et les salaires des joueurs, en hausse de 5,2 % en moyenne selon la LFP.

Les droits TV, bien que renégociés à la hausse pour 2024-2029 (1 milliard € par an selon L’Équipe), restent soumis à des incertitudes liées à la distribution internationale et à la concurrence des plateformes de streaming.

Trésorerie et liquidité : le crash‑test à un an

Le ratio de liquidité (Trésorerie / Dettes à un an) révèle la capacité à honorer les engagements de court terme. Le PSG affiche -3,69 : pour un euro exigible sous douze mois, il n’a que 0,27 € en caisse. Toulouse se situe à -1,06, un ratio négatif mais deux fois plus confortable.

Pourquoi ces ratios alarmants ?

Les clubs de Ligue 1, comme beaucoup en Europe, dépendent fortement des rentrées saisonnières (droits TV, billetterie, transferts). Une élimination précoce en coupes européennes, comme ce fut le cas pour l’OM en 2024 (éliminé en barrages de Ligue Europa), peut provoquer un choc de trésorerie.

Selon un rapport de KPMG Football Benchmark 2025, les clubs français sont particulièrement vulnérables aux fluctuations des droits TV, qui représentent en moyenne 45 % de leurs revenus, contre 30 % pour les clubs anglais.

La réforme du fair-play financier UEFA, entrée en vigueur en 2024, impose désormais un « squad cost ratio » (limite de 85 % des revenus alloués aux salaires et transferts), rendant la gestion de la trésorerie encore plus cruciale.

Focus sur Lens et Brest : des modèles de résilience

Le RC Lens (5e) et le Stade Brestois (4e) se distinguent par des ratios de liquidité relativement sains (-1,8 et -1,5 respectivement).

Lens, grâce à une gestion prudente sous l’ère Joseph Oughourlian, a réduit ses dettes à court terme de 12 % entre 2023 et 2025, tout en investissant dans des joueurs à fort potentiel de revente (ex. : Loïs Openda, revendu à Leipzig pour 43 M€ en 2023).

Brest, de son côté, a profité de sa qualification historique en Ligue des Champions 2024-2025 pour booster ses revenus, tout en maintenant une structure de coûts légère. Ces deux clubs montrent qu’une gestion équilibrée peut compenser un budget inférieur à celui des cadors comme le PSG ou l’OM.

À retenir

Six clubs cumulent plus de trois euros de dettes court terme pour un euro de trésorerie ; ils restent vulnérables à un décalage de droits TV ou à une élimination précoce des coupes européennes. La saison 2024-2025 a déjà vu des clubs comme Strasbourg et Nantes frôler des sanctions de la DNCG pour des retards de paiement, soulignant l’urgence d’une meilleure anticipation des flux de trésorerie.

Structure de capital : leviers sous tension

Leverage = Dettes / Capitaux propres. Avec 3,54 x, le PSG se maintient dans une fourchette acceptable pour le secteur du divertissement, mais loin des 16,41 x de Toulouse.

Les bonnes performances sportives et la valorisation des actifs joueurs permettent néanmoins aux Violets de rassurer leurs créanciers.

Endettement : un défi structurel pour la Ligue 1

L’endettement élevé de certains clubs, comme Toulouse ou l’OM (leverage de 7,2x), reflète une stratégie d’investissement agressive dans les infrastructures et les effectifs.

Cependant, cette approche n’est pas sans risques. En 2025, l’Olympique Lyonnais, sous la houlette de John Textor, a dû céder des actifs (notamment l’OL Vallée, incluant le Groupama Stadium) pour réduire son leverage de 9x à 5,5x, selon les déclarations du club à l’AFP. Cette vente partielle illustre une tendance croissante : les clubs cherchent à alléger leur bilan en cédant des actifs non stratégiques, tout en conservant leur compétitivité sportive.

Capitaux propres : un enjeu de souveraineté

Les capitaux propres, qui reflètent la solidité financière d’un club, sont souvent fragilisés par des pertes récurrentes.

Selon un rapport de l’UEFA, seuls six clubs de Ligue 1 affichent des capitaux propres positifs en 2025, avec Nice et Lens en tête grâce à des injections régulières de leurs actionnaires (INEOS pour Nice, fonds d’investissement pour Lens).

À l’inverse, des clubs comme l’OM ou Strasbourg, plombés par des dettes historiques, peinent à renforcer leurs fonds propres, ce qui limite leur marge de manœuvre pour investir dans des joueurs ou des infrastructures.

Besoin en fonds de roulement : où se joue la performance opérationnelle

Le BFR moyen de la Ligue 1 frôle 39 jours de chiffre d’affaires, alourdi par un délai de paiement client de 68 jours contre 29 jours pour les fournisseurs.

Un rééquilibrage, ne serait‑ce que de dix jours, libérerait plus de 80 M € de cash sur l’ensemble du championnat.

Optimiser le BFR : une priorité stratégique

La gestion du BFR est un levier souvent sous-exploité par les clubs. Par exemple, l’AS Monaco a réduit son délai de paiement client de 72 à 55 jours entre 2023 et 2025, grâce à une meilleure négociation avec ses partenaires commerciaux (sponsors, diffuseurs).

Cette optimisation a permis de libérer 15 M€ de trésorerie, réinvestis dans le recrutement de jeunes talents.

À l’inverse, des clubs comme Nantes ou Reims, avec des délais de paiement client dépassant 80 jours, souffrent d’une immobilisation de capital qui freine leur agilité financière. Un article de L’Équipe (juillet 2025) souligne que les clubs qui adoptent des outils numériques pour automatiser la facturation et le recouvrement réduisent leur BFR de 20 % en moyenne.

Marge nette : résultat net / chiffre d’affaires.
Marge EBITDA : EBITDA / chiffre d’affaires.
Ratio de liquidité : trésorerie / dettes à un an.
Leverage : dettes / capitaux propres.
BFR : besoins en fonds de roulement.

Pistes d’amélioration opérationnelle et stratégique

Diversifier les revenus via l’événementiel hors‑match et les plateformes numériques apparaît indispensable pour lisser la saisonnalité. Les clubs à forte « fan base » internationale (PSG, OM, OL) ont intérêt à accélérer sur le contenu OTT et la billetterie dynamique.

Innovation numérique : l’avenir des revenus

En 2025, les clubs de Ligue 1 commencent à explorer des sources de revenus innovantes.

Le PSG, par exemple, a lancé une plateforme OTT (PSG TV+) qui propose des contenus exclusifs (entraînements en direct, documentaires) à ses fans internationaux, générant 10 M€ de revenus supplémentaires en 2024, selon Le Figaro.

De son côté, l’OGC Nice, soutenu par INEOS, expérimente la billetterie dynamique, ajustant les prix des places en fonction de la demande et des performances sportives, une pratique déjà courante en Premier League.

Ces initiatives permettent de réduire la dépendance aux droits TV, qui restent volatils face à la concurrence des plateformes comme DAZN ou Amazon Prime.

Flexibilisation des salaires

Côté coûts, la flexibilisation de la masse salariale (bonus davantage indexés sur la qualification européenne plutôt que fixes) réduirait la volatilité des marges.

Le LOSC Lille, par exemple, a mis en place un système de primes liées aux performances européennes, ce qui a permis de limiter l’impact d’une non-qualification en Ligue des Champions 2024-2025 sur ses finances.

Cette stratégie, inspirée des clubs allemands comme Dortmund, pourrait devenir un standard en Ligue 1 face aux contraintes du fair-play financier.

Mutualisation des ressources

Enfin, la mutualisation des centres de formation régionales pourrait abaisser les charges de structure de 8 % à 12 % selon nos estimations. Un projet pilote lancé en Bretagne (impliquant Rennes, Brest et Lorient) en 2025 montre des résultats prometteurs : en partageant les infrastructures et les staffs techniques, les clubs réduisent leurs coûts tout en maintenant un haut niveau de formation.

Ce modèle, soutenu par la LFP, pourrait être étendu à d’autres régions comme le Nord (Lens, Lille) ou le Sud-Est (Nice, Monaco).

Regards prospectifs sur la viabilité financière

La saison 2025‑2026 s’ouvrira sur un climat réglementaire plus strict : entre la réforme du fair‑play financier UEFA et la nouvelle convention LFP‑DNCG, les clubs devront prouver leur résilience trésorerie en mai 2026 au plus tard.

Ceux qui auront assaini leur BFR et abaissé leur leverage sous 3 x pourront alors transformer une bonne santé financière en avantage sportif durable.

Perspectives 2026-2030 : un championnat à deux vitesses ?

À l’horizon 2030, la Ligue 1 risque de se diviser entre clubs financièrement solides (Toulouse, Lens, Nice) et ceux en difficulté chronique (OM, Strasbourg).

Selon une étude de PwC, les clubs qui investiront dans des infrastructures modernes (stades éco-responsables, centres de formation connectés) et des stratégies numériques (NFT, métavers) renforceront leur compétitivité.

Le PSG, malgré ses défis actuels, reste bien positionné grâce à son attractivité mondiale, mais devra rationaliser ses dépenses pour respecter les nouvelles règles UEFA. En parallèle, des clubs comme Brest ou Lens pourraient devenir des modèles européens, à l’image d’Atalanta en Italie, en combinant performances sportives et rigueur financière.

Le rôle des supporters et des collectivités

Les supporters joueront également un rôle clé. En 2025, des initiatives comme les abonnements participatifs (testés par le FC Metz) permettent aux fans d’investir directement dans leur club, renforçant les capitaux propres tout en fidélisant la base.

Les collectivités locales, propriétaires de nombreux stades, pourraient aussi contribuer en finançant des rénovations éco-responsables, comme à Reims, où le stade Auguste-Delaune vise la neutralité carbone d’ici 2028.

Un équilibre à trouver

À l’heure où chaque euro compte, la capacité à équilibrer rentabilité et ambition sportive devient la véritable clé d’un podium durable. Les clubs de Ligue 1, confrontés à des pressions financières croissantes, doivent innover pour survivre.

Entre trading de joueurs, diversification des revenus et optimisation des coûts, les exemples de Toulouse, Lens ou Brest montrent qu’il est possible de concilier rigueur économique et succès sportif. Dans un monde où le football est autant un business qu’une passion, la victoire se jouera autant dans les bureaux que sur le terrain.