À Illkirch-Graffenstaden, l’agence de communication Sprey a été placée en liquidation judiciaire le 8 septembre 2025, avec un arrêt immédiat de l’activité dès le lendemain et le licenciement économique de 28 salariés. Figure historique de la publicité alsacienne, l’ex-Reymann disparaît après plus d’un demi-siècle d’existence, victime d’une rupture de contrat majeure et d’une contraction rapide de ses revenus.

Liquidation judiciaire de Sprey : impacts immédiats sur l’emploi et l’activité

La décision de liquidation judiciaire, prononcée le 8 septembre 2025, a mis un terme sans délai à l’exploitation. L’entreprise a cessé ses opérations le jour suivant. La conséquence sociale est lourde : 28 collaborateurs perdent leur poste dans le cadre de licenciements économiques.

Pour un acteur régional de taille intermédiaire, la disparition est brutale mais s’inscrit dans une dynamique financière dégradée depuis plusieurs exercices. Le déclencheur aura été la perte d’un client historique représentant l’essentiel des revenus, sans alternative suffisamment rapide pour rétablir l’équilibre.

Sprey : jalons clés

Quelques repères factuels pour situer l’agence dans le temps et ses transformations récentes.

  • 1973 : création par Jean-Marc Reymann à Illkirch-Graffenstaden.
  • Mai 2023 : changement de nom Reymann vers Sprey, ouverture d’un bureau à Paris.
  • Novembre 2023 : annonce publique de la marque Sprey portée par La Phratrie.
  • Fin 2024 : rupture d’un contrat historique représentant plus de 80 % des revenus.
  • 8 septembre 2025 : jugement de liquidation judiciaire, arrêt immédiat de l’activité.

En droit français, la liquidation judiciaire est ouverte lorsque l’entreprise est en cessation des paiements et que le redressement est manifestement impossible. Un liquidateur est désigné par le tribunal pour inventorier les actifs, traiter les créances et mettre fin aux contrats si nécessaire.

Les licenciements économiques, lorsqu’ils s’imposent, sont encadrés par le Code du travail et doivent respecter des priorités et des obligations d’information. Ces principes s’appliquent de manière générale et ne présument pas des modalités spécifiques du dossier Sprey.

Qui est Sprey : un demi-siècle d’ancrage alsacien

Fondée en 1973 par Jean-Marc Reymann, l’agence a façonné l’ADN publicitaire de l’Alsace pendant plus de cinq décennies. Longtemps, son activité s’est structurée autour d’un client majeur de la grande distribution, une relation commerciale de plus d’un demi-siècle qui a soutenu son développement, puis concentré son risque.

En mai 2023, Reymann adopte la marque Sprey et annonce l’ouverture d’un bureau à Paris, afin d’étendre sa présence au-delà du Grand Est. Quelques mois plus tard, en novembre 2023, l’agence est présentée publiquement comme une entité portée par le groupe La Phratrie, avec un positionnement renouvelé en conseil en communication et marketing digital pour l’Est de la France.

La Phratrie : intégration et positionnement

Maison-mère de Sprey, La Phratrie fédère plusieurs entités créatives indépendantes, dont Steve, Hungry and Foolish et Babel RP. Selon des communications professionnelles publiées en 2023, le groupe est basé à Paris, présent dans sept villes françaises, emploie environ 260 collaborateurs et revendique un chiffre d’affaires d’environ 60 millions d’euros (CB News, 2023). La direction est assurée par Céline Pulido depuis 2023.

Une relation commerciale de très long terme peut apporter stabilité et volume, mais expose à des chocs asymétriques. Lorsque le client pèse plus de la moitié, et a fortiori plus de 80 % du chiffre d’affaires, la résiliation du contrat équivaut souvent à une restructuration immédiate et massive. Les coûts fixes, la spécialisation des équipes et la visibilité commerciale se trouvent simultanément fragilisés.

Trajectoire économique : contraction du chiffre d’affaires et rupture de contrat

Le profil financier de l’agence s’est dégradé en quelques exercices. En 2021, le chiffre d’affaires atteignait 10,3 millions d’euros, en baisse de 8 % sur un an, d’après des données rapportées par la presse économique régionale (Le Journal des Entreprises, 2023). Une estimation fait état d’environ 4,5 millions d’euros de revenus en 2024, soit une contraction de plus de moitié en trois ans.

La cause immédiate de la crise est identifiée : la rupture fin 2024 du contrat avec le client historique, représentant plus de 80 % des revenus. Une telle perte bouleverse l’architecture financière et met en tension la trésorerie, les capacités d’investissement et le maintien des compétences clés. La fenêtre de redressement s’avère alors étroite, surtout dans un cycle économique marqué par un durcissement budgétaire côté annonceurs.

Un choc de cette amplitude implique souvent : 1) une sous-activité instantanée, 2) une incapacité à absorber les coûts fixes sans restructuration deep, 3) une difficulté à refinancer sans plan crédible de reconquête, 4) la remise en cause des relations fournisseurs et des délais de production. Dans les services B2B, la reconstitution d’un panier d’affaires de taille équivalente requiert un cycle de prospection trop long pour enrayer la dégradation.

Déclarations des dirigeants : transformation, soutien et limites

La direction opérationnelle a souligné les efforts de repositionnement. Sarah Nicastro Auer, directrice générale depuis 2020, déclare : « Par leur talent, les équipes ont prouvé que l'agence pouvait se réinventer et séduire.

Mais la perte subie était colossale, et la pression financière de plus en plus intenable ». Ce témoignage insiste sur la capacité créative de l’équipe, mais aussi sur la disproportion du choc économique.

Côté actionnariat, Céline Pulido, présidente-directrice générale de La Phratrie, ajoute : « Nous avons soutenu cette transformation avec conviction et un appui financier autant que possible... mais la liquidation a fini par s'imposer comme le déchirant choix de la raison ». Le message explicite un soutien apporté à la transition de l’agence, sans toutefois suffire à compenser l’effet de la concentration du risque.

Communication responsable et digital : les axes engagés

Sprey avait enclenché un virage vers la créativité, la communication responsable et la transformation numérique. Ce repositionnement visait à diversifier les sources de revenus et à réduire la dépendance commerciale. L’arrêt de l’activité ne remet pas en cause la pertinence de ces axes, mais révèle la difficulté à convertir rapidement ces orientations en volumes d’affaires stabilisateurs, surtout lorsque le principal client se retire.

Rappels utiles sur la procédure pour les entreprises

Sans préjuger du dossier Sprey, quelques points d’attention de portée générale :

  • Liquidateur : il administre la cession des actifs et traite les créances selon l’ordre légal.
  • Contrats en cours : ils peuvent être poursuivis ou résiliés selon l’intérêt de la procédure.
  • Salariés : les licenciements économiques sont encadrés, avec intervention de l’AGS pour les garanties de salaires le cas échéant.
  • Redevabilité : les délais de déclaration des créances sont stricts pour les partenaires et fournisseurs.

Grand Est et agences indépendantes : une pression accrue en 2025

La fermeture de Sprey intervient dans un climat tendu pour les agences indépendantes. Les budgets marketing restent volatils, les arbitrages se durcissent et la priorité au ROI pousse à une redistribution des volumes vers des dispositifs mesurables, notamment digitaux. Des estimations macro sectorielles montrent une croissance modérée en 2023-2024, puis un environnement plus incertain en 2025, lié aux inflations passées et à la discipline budgétaire côté annonceurs.

Dans le Grand Est, Strasbourg agit comme hub européen et attire une offre plurielle d’agences. Les indépendants, en revanche, sont souvent challengés par les ressources et la capillarité commerciale des grands groupes. La dynamique concurrentielle est exacerbée par des comptes nationaux pilotés au niveau central, avec des redistributions fréquentes.

Becoming : un signal d’alarme sectoriel

Le cas de Becoming, groupe de communication placé en liquidation judiciaire à l’été 2025, illustre l’ampleur des difficultés rencontrées par certains acteurs, y compris d’envergure. L’entreprise, qui employait environ 150 personnes, s’est retrouvée en quête d’un repreneur selon des informations rapportées en juillet 2025 par la presse régionale. Ce dossier, distinct de Sprey, met en lumière la sensibilité de l’écosystème aux retournements d’activité.

Grand Est : budgets marketing volatils et concurrence des groupes

Le tissu économique régional combine industrie, distribution et services, des secteurs où les enveloppes publicitaires sont traditionnellement cycliques. Les indépendants se distinguent par leur agilité et leur connaissance fine des marchés locaux, mais leurs marges de manœuvre financières restent limitées face aux baisses soudaines de volumes. Les plateformes numériques capent une partie croissante des investissements, exigeant un niveau d’outillage data et d’automatisation coûteux pour les structures moyennes.

Répertoire Sirene : lecture rapide pour les agences

Le répertoire Sirene identifie les entreprises et leurs établissements en France. Pour les agences de communication :

  • Cartographie : repérage des établissements actifs par code NAF pour un panorama sectoriel.
  • Dynamique locale : flux d’entrées-sorties utiles pour suivre les créations et cessations d’activité.
  • Repérage des tendances : concentration géographique, taille des structures, multiplicités d’établissements.

Ces éléments sont indicatifs pour suivre le secteur, sans lecture causale directe des difficultés individuelles.

Les recueils des actes administratifs des préfectures et les publications des services déconcentrés du ministère du Travail, comme les DRIEETS, diffusent des informations relatives aux procédures, agréments et listes utiles aux relations du travail. Ces documents ne décrivent pas nécessairement un dossier d’entreprise particulier mais offrent un cadre pour comprendre les obligations et les acteurs intervenant lors de restructurations.

Mesures pour les salariés et recomposition interne chez La Phratrie

Les 28 salariés concernés par la liquidation ont fait l’objet de licenciements économiques. D’après les éléments communiqués, plusieurs auraient été reclassés au sein des entités du groupe La Phratrie, qui dit vouloir préserver l’esprit et les savoir-faire de l’agence. Cette démarche s’inscrit dans des pratiques courantes de mobilité interne lors de réorganisations.

La PDG de La Phratrie souligne l’impact humain : « Aujourd’hui, je pense surtout aux collaborateurs méritants que nous perdons », évoquant malgré tout une possible « renaissance » à moyen terme, par la diffusion des expertises au sein du groupe. Des anciens salariés décrivent leur attachement et l’idée d’un « rêve de grand retour », signe d’une identité de marque et d’équipe encore vivace.

Mobilité interne : pratiques de groupe

Les groupes marketing-communication exploitent souvent la mobilité pour préserver les compétences critiques et limiter la perte de capital humain. En période de contraction, cette mécanique permet de repositionner des profils sur des comptes actifs ou des pôles en croissance, au sein d’un portefeuille d’agences complémentaires. La réussite dépend de la compatibilité des expertises et de la capacité à absorber des ETP supplémentaires dans des structures sœurs.

À titre général, un licenciement économique ouvre droit, selon l’ancienneté et la taille de l’entreprise, à des indemnités spécifiques et à des dispositifs d’accompagnement. Le contrat de sécurisation professionnelle peut être proposé dans certaines conditions.

L’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) peut intervenir en cas de défaillance de l’employeur pour garantir le paiement des salaires et indemnités. Ces mécanismes sont d’ordre général, sans préjuger du contenu précis du dossier Sprey.

L’histoire de Sprey : d’un ancrage régional à une ambition nationale

Sur la durée, l’ancienne agence Reymann a incarné l’école alsacienne de la publicité, avec des campagnes façonnées par la proximité client et une compréhension fine du retail. Le rebranding en 2023 et l’installation d’un bureau à Paris témoignaient d’une volonté d’atteindre une échelle élargie tout en capitalisant sur l’héritage créatif local. La mise en avant de la communication responsable et du digital visait un repositionnement dans un marché dominé par les plateformes et la mesure de la performance.

La séquence 2024-2025 aura toutefois montré que la modernisation stratégique ne suffit pas à neutraliser l’exposition à un choc commercial majeur. C’est l’un des enseignements clés : la diversification du portefeuille clients est un prérequis stratégique, y compris lorsque l’exécution créative est saluée et que l’appui du groupe actionnaire se matérialise.

Illkirch-Graffenstaden et Paris : trajectoire et rayonnement

Le binôme Illkirch-Graffenstaden–Paris reflète l’équation de nombreuses agences régionales : conserver l’ancrage local, tout en accédant à des comptes nationaux pilotés depuis la capitale. Cette dualité peut constituer un atout compétitif, mais nécessite un pipeline commercial robuste et une capacité à amortir les cycles des grands comptes, plus sensibles aux revues annuelles et aux appels d’offres centralisés.

Données financières de référence

Les chiffres cités éclairent l’évolution récente :

  • 10,3 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2021, soit -8 % sur un an selon la presse économique régionale (Le Journal des Entreprises, 2023).
  • Estimation d’environ 4,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024.
  • Perte d’un contrat représentant plus de 80 % des revenus fin 2024.

Ces données pointent une contraction rapide, incompatible avec un redéploiement commercial à court terme.

Après Sprey, quelles recompositions pour l’écosystème communication du Grand Est

La disparition de Sprey laisse un vide symbolique et opérationnel dans le Grand Est. Les compétences pourraient toutefois se redéployer via les reclassements opérés au sein de La Phratrie et les recrutements opportunistes d’acteurs régionaux ou nationaux. Les annonceurs locaux, confrontés à des arbitrages budgétaires serrés, chercheront des partenaires capables de conjuguer proximité, expertise sectorielle et preuves de performance digitale.

Reste une note de méthode pour l’ensemble du marché : préserver la créativité et renforcer la diversification commerciale, tout en sécurisant les fondamentaux économiques. Des groupes intégrés comme La Phratrie, forts d’environ 260 collaborateurs et 60 millions d’euros de revenus en 2023, devraient absorber une partie du choc et redistribuer les expertises disponibles vers des pôles en croissance, sans effacer l’impact humain de la fermeture (CB News, 2023).

Le chapitre qui s’ouvre maintenant se jouera à la croisée de la rigueur économique et du capital créatif, deux leviers indissociables pour rebâtir durablement.