Quel bilan pour les stations alpines cet été 2025 ?
Découvrez l'impact de la fréquentation sur l'économie des stations de montagne en 2025, entre hausse des visiteurs et baisse des dépenses.

À mi-août 2025, la montagne française renoue avec une fréquentation soutenue. Les stations alpines, de la Tarentaise au Chablais, enregistrent des taux d’occupation en hausse par rapport à l’été 2024. Pourtant, derrière cette vitalité apparente, les dépenses par visiteur restent contenues, ce qui fragilise l’hôtellerie-restauration locale et complexifie les équilibres économiques.
Stations alpines : fréquentation estivale en hausse, consommation sous contrainte
Les retours consolidés par France Montagnes font état d’une progression des taux d’occupation en Savoie et en Haute-Savoie, dans des stations aux profils variés, autant familiales que sportives. Les séjours se remplissent, notamment lors des pics de chaleur en plaine, la montagne étant perçue comme un refuge climatique et une destination de déconnexion en famille.
Le désir de nature, installé depuis la période post-pandémique, demeure un moteur. Randonnées, baignades en altitude, pique-niques et activités gratuites dominent l’itinéraire des voyageurs, souvent multigénérationnels. Cette appétence redessine toutefois la structure de la dépense, au détriment des postes payants.
Les acteurs locaux confirment un comportement d’achat plus mesuré. La fréquentation grimpe, la consommation stagne : c’est le paradoxe de l’été 2025 en montagne. Ce décalage complexifie la marge et reporte la rentabilité sur des segments capables de capter un panier moyen résilient.
La fréquentation renvoie au volume de visiteurs ou au taux d’occupation des hébergements. La consommation mesure les dépenses sur place, par jour et par séjour, dans la restauration, les activités payantes et les services. Une montée de l’une sans l’autre signifie plus de monde mais des recettes unitaires en baisse, ce qui dégrade les marges malgré un taux d’occupation satisfaisant.
Ce déphasage se traduit sur le terrain par des terrasses moins remplies aux heures de repas, des paniers plus serrés en épicerie et un report sur des activités peu onéreuses. Les professionnels s’adaptent, mais la capacité à monétiser l’affluence demeure le principal défi de l’été.
Hôtellerie-restauration : réservations tardives, marges érodées
Dans les vallées comme en station, les hôteliers-commerçants subissent un double choc. D’abord un choc de demande, avec des réservations à la dernière minute très dépendantes de la météo. Ensuite un choc de coûts, qui comprime la marge opérationnelle.
En Haute-Savoie, Sébastien Buet, hôtelier à Évian et vice-président de l’UMIH pour la Savoie et la Haute-Savoie, alerte sur une baisse de fréquentation estimée entre 15 % et 30 % selon les zones par rapport à l’été 2024. Le pouvoir d’achat affaibli et l’incertitude politique retardent les décisions de réservation et réduisent les extras sur place.
Évian et le chablais : hôtellerie sous tension
Sur le Léman et en piémont, la saison est qualifiée de fragile. Les nuitées se vendent mais moins longtemps à l’avance, ce qui complique la tarification dynamique et accroît la volatilité du revenu par chambre disponible. La restauration est la première impactée lorsque les clients privilégient des repas simples, des paniers pique-niques et des horaires décalés.
L’impact est aggravé par les postes de coûts en hausse : énergie, matières premières et salaires. Une partie seulement peut être répercutée en prix sans casser la demande, ce qui creuse l’écart entre le point mort et le réalisé. Les trésoreries, déjà sollicitées depuis 2023, s’en trouvent fragilisées.
Coûts en hausse : les trois postes qui pèsent sur la marge
Énergie : contrats renégociés à des niveaux encore élevés, avec un effet retard sur les charges.
Matières premières : approvisionnements alimentaires coûteux, volatilité persistante sur certains produits frais.
Salaires : revalorisations successives et pénurie de main-d’œuvre qualifiée augmentent le coût du service.
Cantal : consommation atone au cœur de l’été
Hors Alpes, les signaux convergent. Dans le Cantal, l’UMIH départementale rapporte que 64 % des adhérents déclarent une baisse de chiffre d’affaires, pour un recul moyen de 20 % sur le début de 2025. Le mois de juillet 2025 a été jugé morose en consommation malgré une présence correcte de visiteurs.
Le constat est le même : un tourisme d’arbitrage où l’on privilégie l’expérience gratuite. Pour l’hôtellerie-restauration, la hausse du flux ne se traduit pas mécaniquement en rentrées de caisse. L’élasticité-prix devient décisive et limite les hausses tarifaires qui pourraient compenser les coûts.
Défaillances d’entreprises : un pic inédit pour un premier semestre
Sur l’ensemble du pays, la tension se lit dans les statistiques judiciaires. Sur la période d’avril 2024 à avril 2025, près de 9 000 défaillances ont concerné l’hôtellerie-restauration, un niveau historiquement élevé pour un début d’année, selon des données rapportées par un média national (France Inter).
En mai 2025, 5 433 défaillances ont été recensées tous secteurs confondus. Et sur un cumul glissant de 12 mois à fin juin 2025, la France totalise 67 340 entreprises en défaillance, données ajustées des variations saisonnières et des jours ouvrables et extraites par la Banque de France le 11 juillet 2025 (Banque de France, extraction du 11 juillet 2025).
Ces ordres de grandeur confirment un phénomène d’attrition du tissu entrepreneurial dans les secteurs de service à faible pricing power. La montagne n’y échappe pas, même si l’hiver amortit encore le choc pour les stations d’altitude les mieux positionnées.
Défaillance d’entreprise : ce que mesure la statistique
La statistique officielle suit les unités légales et non les établissements. Elle agrège ouvertures de procédures collectives, ajustées en CVS-CJO pour neutraliser la saisonnalité et les jours ouvrables. À fin juin 2025, le cumul glissant s’établit à 67 340 toutes branches confondues, niveau élevé et stable sur le premier semestre (INSEE).
Le cumul glissant lisse les à-coups mensuels et met en évidence la tendance. En 2025, il montre une stabilisation à un niveau élevé, signal d’un risque persistant sur les PME de services, plus sensibles à la pression sur les coûts et à la faiblesse du panier moyen.
Hébergements indépendants et labellisés : la bonne tenue de l’été 2025
En contraste avec les hôtels, les hébergements marchands individuels, notamment les gîtes, affichent de bonnes performances. Les chalets rénovés en altitude autour de Beaufort ou au Cormet de Roselend se louent facilement, portés par des attentes de calme, d’espace et de simplicité.
En Savoie, le réseau Gîtes de France recense 2 100 adhérents et signale une saison estivale 2025 en nette progression. Le volume d’affaires progresse de 16 % par rapport à 2024 à date, avec une clientèle à 90 % française, des réservations engagées dès le printemps et une demande soutenue sur fin août.
Seule ombre au tableau, le panier moyen recule à 980 euros, contre 1 002 euros l’an dernier, pour une durée de séjour stable à 7 nuits. Les hôtes ont modéré leurs tarifs afin de préserver les taux de remplissage dans un contexte de pouvoir d’achat comprimé.
Gîtes de france savoie : stratégie et résultats
Le label capitalise sur une offre identifiée, un processus de sélection et un standard de qualité. En 2025, 180 nouveaux hébergeurs ont rejoint le réseau savoyard, souvent via des rénovations de fermes et de chalets à proximité des parcs naturels. Cette dynamique tire parti d’un besoin de confiance et d’un usage intensif des plateformes, tout en offrant un cadre réglementaire et commercial lisible aux hôtes.
La proposition de valeur est claire : indépendance, expérience locale, prix contenus. Les gîtes captent des familles qui s’autonomisent sur les repas et privilégient le temps long en nature, réduisant mécaniquement la dépense en restauration.
Trois leviers expliquent l’écart de performance :
- Coût par nuit optimisé via la mutualisation familiale et la cuisine sur place.
- Elasticité de la demande plus faible, car l’expérience logement-nature est au cœur du séjour.
- Distribution diversifiée, combinant label, bouche-à-oreille et plateformes, ce qui sécurise le remplissage.
Résultat : taux d’occupation élevés et résilience du revenu, malgré un panier par séjour sous pression.
Concurrence des meublés et régulations : un équilibre encore instable
La montée des locations meublées de courte durée accentue la concurrence sur les zones touristiques. Les hôtels perdent des segments sensibles au prix, tandis que la restauration pâtit de la cuisine sur place dans les logements. Des changements de propriétaires dans des petits restaurants témoignent de lignes de trésorerie sous tension.
Plusieurs communes ont adopté des dispositifs encadrant les meublés. Toutefois, les moyens de contrôle restent limités, ce qui réduit l’efficacité des règles. La conséquence est un marché où l’offre se développe plus vite que la capacité de surveillance, distordant la concurrence sur certaines périodes.
Réglementation locale des meublés : ce que peuvent imposer les mairies
Selon les communes, plusieurs outils existent : enregistrement préalable des meublés, autorisation de changement d’usage pour transformer un local en meublé touristique, voire compensation dans les zones tendues. L’enjeu se joue désormais sur la capacité de contrôle et les sanctions, essentielles pour garantir l’équité concurrentielle.
Pour les stations, l’enjeu n’est pas tant de restreindre l’offre que de rééquilibrer l’écosystème afin que l’hébergement ne cannibalise pas l’économie locale, notamment l’emploi saisonnier en hôtellerie et la vitalité des commerces en cœur de station.
Un été utile mais secondaire dans l’économie des stations
Les professionnels le rappellent : l’hiver fait l’essentiel du chiffre d’affaires. Les remontées mécaniques estivales, même dynamisées par les randonneurs et les VTTistes, génèrent des recettes équivalentes à un seul samedi de février pour certaines stations. L’été reste une activité de diversification, importante pour l’image et la fréquentation, mais moins contributive à la rentabilité globale.
Les investissements consentis sur la saison chaude ciblent la montée en gamme des parcours nature, les événements sportifs et l’animation familiale. L’objectif est double : étaler la fréquentation pour réduire les pics d’hiver et créer des revenus complémentaires, sans illusions sur leur capacité à se substituer au cœur de métier hivernal.
Le modèle économique d’une station en bref
Recettes principales : forfaits de ski, hébergement marchand, restauration, écoles de ski, location de matériel.
Recettes d’été : remontées mécaniques pour la randonnée et le VTT, événements, activités de pleine nature.
Structure de coûts : exploitation des remontées, entretien du domaine, énergie, masse salariale, services publics en station.
Lecture sectorielle : comment transformer l’affluence en chiffre d’affaires
La montée de fréquentation est une opportunité si elle s’accompagne d’une conversion efficace en revenus. Trois leviers se dessinent pour les professionnels :
- Packages sans friction : offres combinant hébergement, mobilité locale, activités légères et restauration simple pour capter la dépense dès la réservation.
- Horaires et formats flexibles : menus resserrés, plats partagés, ventes à emporter de qualité, ajustés aux habitudes en extérieur.
- Tarification fine : modulation selon la météo et la demande de dernière minute, avec des incitations ciblées sur les jours creux.
Dans la restauration, la bataille se joue sur le ticket moyen et la rotation des tables. Une proposition claire à prix maîtrisé attire les familles sans dégrader la marge. Côté hébergement, la priorité est au taux d’occupation garanti, quitte à sacrifier quelques points de panier moyen si la visibilité sur le remplissage augmente.
Des réservations tardives impliquent plus de volatilité des prix et une incertitude sur le personnel. Les acteurs performants outillent la prévision via historique météo, calendrier d’événements et signaux des plateformes. Objectif : calibrer les stocks et les équipes, assurer le service et préserver la marge malgré la variabilité.
L’autre équation porte sur la chaîne de valeur locale. Plus la dépense est captée par des opérateurs légitimes en station, plus elle irrigue l’emploi, la fiscalité et l’entretien des infrastructures. La gouvernance économique territoriale devient un facteur déterminant de résilience.
Risque d’automne et pilotage prudent : ce que disent les chiffres
Les signaux microéconomiques convergent vers une vigilance élevée pour la fin d’année. Les professionnels de l’hôtellerie-restauration anticipent une nouvelle vague de défaillances à l’automne 2025 si la consommation reste molle et si les charges ne refluent pas. Plusieurs établissements, malgré une bonne saison hivernale, n’ont pas rouvert cet été, signe d’un choc d’offre persistant.
Au plan macro, les données consolidées à fin juin 2025 indiquent une stabilisation à un niveau élevé des défaillances tous secteurs. L’emploi national reste ferme au deuxième trimestre, mais les services touristiques absorbent des chocs spécifiques. La Banque de France avertit dans ses synthèses mensuelles que des marges dégradées et des coûts faiblement transmissibles pèsent sur les PME de ces filières.
Dans ce contexte, la montagne alpine combine des atouts concrets de fréquentation et des fragilités structurelles de monétisation. Les stations qui réussiront seront celles qui lieront attractivité et valeur, sans surpromettre des relais économiques que l’été ne peut pas fournir à lui seul.
Un été à la fréquentation forte mais à la consommation retenue révèle l’essentiel : en montagne, le volume ne vaut que s’il se transforme en valeur, et l’équilibre entre hébergement, restauration et services territoriaux reste la clé de voûte de 2025.