« Une seule chose compte: l'intérêt du pays », écrit Sébastien Lecornu au moment d’annoncer, dimanche 12 octobre 2025 à 22 heures, la formation de son second gouvernement. En six jours, Matignon rebâtit une équipe mêlant élus, experts et société civile avec un mandat resserré: donner à la France un budget 2026 avant décembre, tout en contenant un déficit annoncé à 5 % du PIB.

Remaniement express à l'Élysée : architecture du second gouvernement Lecornu

L’Élysée acte la nomination d’une nouvelle équipe resserrée autour de Sébastien Lecornu. Douze des dix-huit ministres de la première mouture sont reconduits, tandis que de nouveaux profils prennent des portefeuilles clés pour l’équilibre budgétaire. La séquence s’inscrit dans un enchaînement inédit: un premier cabinet constitué le 5 octobre 2025, une démission rapide le lundi suivant, puis une série de consultations jusqu’au 12 octobre.

Le décret publié le 12 octobre 2025 sur Légifrance entérine cette composition, pensée pour répondre à l’urgence politique et financière. Le message de Matignon est clair: un « gouvernement de mission » pour sécuriser un compromis budgétaire avant la fin de l’année.

Laurent Nuñez prend l’Intérieur, Roland Lescure hérite d’un Bercy élargi, Amélie de Montchalin reste aux Comptes publics. Dans le champ social et entrepreneurial, Jean-Pierre Farandou est nommé au Travail et aux Solidarités, et Serge Papin aux PME, au Commerce, à l’Artisanat, au Tourisme et au Pouvoir d’achat.

Le contexte reste inflammable. Des appels à un retour aux urnes sont rapportés par la presse, tandis que les échanges politiques s’intensifient pour éviter une crise gouvernementale plus profonde. L’objectif immédiat tient en une équation complexe: stabiliser les finances publiques sans casser la trajectoire d’activité devenue fragile.

Six jours de recomposition gouvernementale

Jalons de la séquence institutionnelle ayant conduit au second gouvernement Lecornu:

  1. 5 octobre 2025: première équipe gouvernementale annoncée.
  2. Lundi suivant: démission du Premier ministre, ouverture de consultations politiques.
  3. Du 7 au 12 octobre: entretiens et arbitrages autour d’un compromis budgétaire.
  4. 12 octobre 2025 à 22 h: annonce officielle du second gouvernement.

Gouvernance économique : cinq leviers pour un accord budgétaire

Sur le plan économique et social, cinq portefeuilles concentrent les leviers susceptibles d’accélérer un compromis. Ils couvrent l’intégralité du champ budgétaire: arbitrages fiscaux, maîtrise des dépenses, emploi, pouvoir d’achat et transition écologique.

Roland Lescure : pilotage de Bercy et arbitrages fiscaux

À 58 ans, Roland Lescure prend la tête d’un ministère élargi de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle, énergétique et numérique. Ancien ministre délégué à l’Industrie et à l’Énergie, il est réputé pour ses compétences de négociateur et sa vision d’une économie de marché régulée.

Les arbitrages attendus seront serrés: contenir un déficit 2025 projeté à 5 % du PIB, en arbitrant entre dépenses d’investissement et maîtrise des comptes. Lescure assume une ligne pro-industrielle, tout en s’opposant à certaines propositions de taxation ciblée et en critiquant l’accord commercial UE–États-Unis de juillet 2025 jugé défavorable à l’industrie européenne.

À Bercy, il devra orchestrer la recherche d’économies tout en préservant les moteurs de croissance. Les travaux antérieurs sur France 2030 et les politiques de réindustrialisation lui confèrent une expérience utile dans l’allocation de ressources contraintes. Il a résumé sa feuille de route: réduire le déficit sans brider l’activité.

Ce portefeuille réunit les politiques de compétitivité industrielle, les stratégies énergétiques et la transformation numérique. L’approche intégrée vise à articuler coûts de l’énergie, sécurité d’approvisionnement, transition des chaînes de valeur et adoption d’outils numériques. L’objectif affiché: orienter l’investissement public et privé vers des actifs productifs favorisant productivité et résilience.

Amélie de Montchalin : Comptes publics et 10 Md d’économies

Amélie de Montchalin demeure à la manœuvre aux Comptes publics, fonction exercée depuis décembre 2024. Sa trajectoire entre administration, secteur privé et hémicycle lui confère un profil d’opératrice budgétaire aguerrie.

Sa cible: 10 milliards d’euros d’économies en 2025, avec un effort calibré pour éviter d’alourdir la fiscalité des classes moyennes. Elle coordonne la préparation du projet de loi de finances pour un passage début décembre.

Le défi est double: tenir une dette publique élevée et arbitrer sur des dépenses sensibles, tout en ménageant les investissements utiles à la transition. Le dialogue avec Bercy sera déterminant pour hiérarchiser les programmes, prioriser les économies et traiter les postes de dépense les plus dynamiques.

Jean-Pierre Farandou : Travail et Solidarités au milieu des tensions sociales

Après six ans à la tête de la SNCF, Jean-Pierre Farandou devient ministre du Travail et des Solidarités. Ingénieur des Mines de Paris, il a conduit des négociations salariales, un pacte social en 2024 et des accords de fin de carrière. Il aborde ce portefeuille dans un moment délicat: la réforme des retraites, adoptée via 49.3 en 2023, continue de susciter des crispations, avec des grèves annoncées à l’automne 2025.

Son expérience de la conflictualité sociale est vue comme un atout pour rétablir un canal de discussion avec les partenaires sociaux. L’enjeu immédiat: assurer un climat compatible avec l’examen budgétaire, alors que le chômage est estimé à 7,4 % en septembre 2025.

Serge Papin : PME, Commerce, Artisanat, Tourisme et pouvoir d’achat

Ex-PDG de Système U puis président non exécutif d’Auchan France depuis 2024, Serge Papin fait son entrée au gouvernement avec un portefeuille transversal. PME, distribution, tourisme et pouvoir d’achat constituent la colonne vertébrale de ce champ d’intervention. Son empreinte est connue: défense d’un meilleur partage de valeur dans les filières et soutien à l’encadrement des marges de la distribution lorsque la chaîne amont est sous tension.

Le moment est délicat pour le commerce. La consommation a reculé de 1,2 % en 2024, affectant un tissu d’environ 2,5 millions d’entreprises. Le tourisme, environ 7 % du PIB, peut jouer un rôle d’appoint si la confiance se rétablit. Papin se positionne en « ministre du quotidien » pour tenter de concilier pouvoir d’achat des ménages et rémunération des producteurs.

Monique Barbut : Transition écologique et budget vert

Diplomate environnementale reconnue, Monique Barbut succède à Agnès Pannier-Runacher. Ancienne secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification et ex-présidente de WWF France, elle porte une écologie « ancrée » dans les territoires. Priorité affichée: accélérer une transition juste et locale, dans un mix où le nucléaire reste une composante majeure du système électrique et où les arbitrages d’investissement conditionnent la décarbonation.

Sa feuille de route inclut la biodiversité et une hausse du budget vert en 2026. Les débats portent sur la trajectoire d’émissions et la cohérence entre objectifs, financements et capacités industrielles.

Cinq leviers stratégiques à Bercy, Comptes publics, Travail, PME et Écologie

Ce que les entreprises doivent suivre dans les prochains arbitrages:

  • Trajectoire de déficit et calibrage des économies au PLF 2026.
  • Accords salariaux et emploi dans un contexte de grèves annoncées.
  • Pouvoir d’achat et encadrement des marges pour préserver les filières.
  • Budget vert et financements de transition dans les territoires.
  • Chaine énergie–industrie–numérique pour la compétitivité.

Métriques budgétaires et curseur européen

Les curseurs chiffrés encadrent les décisions à venir. Le déficit 2025 est projeté à 5 % du PIB, pour une dette estimée à 112 % du PIB fin 2024, alors que la croissance 2024 est évaluée à 1,1 %.

Des économies de 20 milliards d’euros sont évoquées pour respecter la trajectoire de retour à 3 % d’ici 2027. L’INSEE estime le déficit structurel à 4,5 % en octobre 2025. Une croissance autour de 1,3 % pourrait être atteinte en 2026 si un accord budgétaire est trouvé au Parlement (ministère de l’Économie, septembre 2025; INSEE, octobre 2025).

Au plan européen, les engagements restent contraignants. Le calibrage des mesures devra intégrer à la fois les règles de discipline budgétaire et le besoin d’investissement dans l’appareil productif. L’équation est étroite: réduire le déficit sans fragiliser la dynamique de l’offre, notamment industrielle et énergétique.

Le déficit structurel isole la part du déficit indépendante du cycle économique, tandis que la composante conjoncturelle reflète les effets de la croissance et de l’emploi. Une part structurelle élevée implique des ajustements durables, souvent via des réformes de dépenses ou de recettes. Cela conditionne la crédibilité d’une trajectoire de retour sous 3 %.

Chiffres à retenir pour 2025–2026

  • Déficit 2025: 5 % du PIB.
  • Dette fin 2024: 112 % du PIB.
  • Économies visées en 2025: 10 Md d’euros sur l’État pilotées par les Comptes publics.
  • Effort complémentaire: 20 Md d’euros à sécuriser pour tenir la trajectoire.
  • Croissance 2026: 1,3 % si compromis budgétaire validé.

Lecture économique: plus l’effort porte sur la structure des dépenses, plus la désinflation budgétaire peut devenir soutenable sans minorer l’investissement productif.

Marché du travail et tensions sociales : implications pour les entreprises

Le portefeuille confié à Jean-Pierre Farandou arrive au contact d’une situation sociale tendue. La perspective de grèves à l’automne 2025 place la négociation au premier plan. Les entreprises anticipent des risques de désorganisation ponctuelle, notamment dans les transports, et surveillent les signaux sur la formation, l’emploi des seniors et la gestion des fins de carrière.

À la SNCF, Farandou a déjà piloté des augmentations salariales moyennes d’environ 4 % en 2024 et signé un pacte social, autant de marqueurs susceptibles d’alimenter une méthode au ministère. Avec un chômage stable autour de 7,4 % en septembre 2025, la priorité consiste à préserver la dynamique d’emploi tout en contençant les tensions sur les coûts salariaux. L’équilibre se joue sur la productivité, les parcours professionnels et la sécurisation des branches en tension.

Points de vigilance côté RH et opérations

  • Négociation sociale: calendrier des discussions salariales de branche et couverture des postes critiques.
  • Continuité d’activité: plans de transport et logistique en cas de mouvements sociaux.
  • Compétences: priorités de formation et reconversion sur métiers en tension.
  • Organisation du travail: aménagements transitoires pour limiter l’impact des grèves.

Objectif: éviter les effets de second tour sur les prix et préserver la compétitivité coût.

Pouvoir d’achat et distribution : signaux d’alerte pour les PME

L’entrée de Serge Papin au gouvernement ancre la thématique du pouvoir d’achat au cœur des arbitrages. La baisse de la consommation en 2024 a fragilisé de nombreuses PME. Dans ce contexte, des mécanismes d’encadrement des marges au sein de la grande distribution, déjà défendus par Papin, pourraient être remis sur la table, avec une attention particulière à la rémunération des producteurs agricoles.

Le portefeuille inclut aussi le tourisme. Ce secteur, environ 7 % du PIB, reste un amortisseur potentiel si l’activité internationale se maintient et si les dépenses domestiques se redressent. Les sujets prioritaires pour les entreprises touristiques vont du coût de l’énergie aux investissements de modernisation, en passant par la montée en gamme qui permet de consolider les marges sans dépendre uniquement du volume.

La loi EGalim 2 a renforcé la protection de la rémunération des agriculteurs via l’encadrement des négociations commerciales et une meilleure transparence des coûts. L’enjeu actuel réside dans l’exécution de ces règles et la capacité à éviter que la compression des marges ne se reporte sur les producteurs, tout en conservant des prix soutenables pour les ménages.

Pour les PME du commerce et de l’artisanat, l’enjeu est d’ajuster le mix prix–volume en période de pouvoir d’achat sous tension. Les instruments possibles, bien que non dévoilés à ce stade, pourraient combiner travail sur les coûts, soutiens ciblés aux filières vulnérables et leviers de compétitivité hors prix.

Cadre budgétaire, arbitrages et calendrier d’ici décembre

L’écosystème économique guette désormais les premières inflexions opérationnelles du second gouvernement Lecornu. Les décisions sur les économies 2025, la trajectoire de retour à 3 % et la priorisation des dépenses d’investissement seront déterminantes pour la confiance des entreprises et des ménages.

Les consultations menées du 7 au 12 octobre ont dessiné un compromis possible. Il doit désormais se traduire au Parlement dans des délais contraints.

Si l’équipe tient sa promesse d’un budget fin d’année, l’exercice 2026 s’ouvrira avec une visibilité renforcée, condition de stabilité pour l’investissement et l’emploi. Le cap est fixé, reste à l’exécuter sans perdre l’équilibre entre crédibilité budgétaire et soutien à l’activité.