À Anglet, cinq ports de l’arc Atlantique ont acté une coopération inédite autour de l’éolien en mer. Signé le 25 septembre 2025 en marge du salon Agri-Vrac, l’accord associe Bayonne, Bordeaux, La Rochelle, Rochefort-Tonnay-Charente et Bilbao. Il intervient au lendemain de l’infructuosité de l’appel d’offres Oléron 1, mais confirme une stratégie de filière : mutualiser les moyens, fiabiliser les investissements et accélérer la montée en puissance industrielle.

Accord de coopération à Anglet : ports atlantiques en ordre de marche

La démarche se veut résolument collaborative. « Aujourd’hui, nous nous considérons comme des partenaires et non comme des concurrents », a souligné Pascal Marty, président du port de Bayonne, au moment de la signature à Anglet. Le document ne comporte pas d’obligations juridiques contraignantes, mais formalise une ligne commune et une volonté d’alignement opérationnel sur l’éolien en mer.

La signature survient au lendemain de l’annonce d’infructuosité de l’appel d’offres pour un premier parc au large de l’île d’Oléron, le 24 septembre 2025. Loin d’un coup d’arrêt, les signataires y voient un aiguillon pour accélérer la préparation des quais, outillages et chaînes logistiques nécessaires à l’offshore flottant. L’objectif, explicite, est de rendre l’écosystème portuaire atlantique plus lisible pour les donneurs d’ordres et les investisseurs.

La dimension transfrontalière est assumée avec la présence de Bilbao, dont l’implantation industrielle et l’ingénierie maritime complètent l’offre néo-aquitaine. « Il était très important de commencer par cette signature. Nous avons maintenant l’opportunité mais aussi la responsabilité de développer différents programmes et initiatives », a indiqué Ivan Jimenez, président du port de Bilbao.

Périmètre de la coopération

Signataires : Bayonne, Bordeaux, La Rochelle, Rochefort-Tonnay-Charente, Bilbao.
Objet : coordination sur l’éolien en mer, avec extensions possibles vers l’innovation, la décarbonation des activités portuaires et le développement commercial.
Nature : acte volontaire, sans engagement juridique contraignant, pour donner corps à une stratégie commune.

Aquitania Wind Energy : feuille de route industrielle 2026-2034

Le rapprochement s’inscrit dans l’initiative Aquitania Wind Energy, née à l’initiative des ports néo-aquitains avec l’appui de la Région Nouvelle-Aquitaine et de la CCI Nouvelle-Aquitaine. Objectif : moderniser et spécialiser les infrastructures afin de traiter la chaîne de valeur de l’offshore flottant, de la fabrication des composants jusqu’aux opérations d’intégration et de maintenance.

Le programme s’étale sur neuf ans, de 2026 à 2034, pour un volume d’investissements prévisionnels de 207,8 millions d’euros. En janvier 2025, le consortium a déposé une candidature à l’appel à projets Infrastructures portuaires métropolitaines pour l’industrie de l’éolien flottant lancé par l’ADEME, doté de 183 millions d’euros au titre de France 2030. La demande d’aide publique atteint 129 millions d’euros, soit un financement sollicité d’environ 62 % de l’assiette d’investissement.

Bayonne : production acier et export des composants

Le port de Bayonne se positionne sur la fabrication et l’exportation d’éléments en acier destinés aux flotteurs et à leurs composants. Ce rôle amont cible les besoins en structures lourdes et pièces métalliques, cœur de la chaîne de valeur de l’offshore flottant.

Bordeaux : assemblage et mise à l’eau des flotteurs

Bordeaux prendra en charge l’assemblage et la mise à l’eau des flotteurs, qu’ils soient en acier ou en béton. Cette phase est stratégique pour garantir la qualité industrielle, la sécurité des opérations et la fluidité de la logistique maritime au départ des quais.

La Rochelle : intégration des éoliennes et maintenance

La Rochelle se spécialise dans l’intégration des turbines sur flotteurs, le stockage des mâts, pales et turbines, ainsi que la maintenance des parcs. Cette brique aval concentre l’expertise de montage final et de services sur la durée, indispensable à la performance techno-économique des projets.

Rochefort-Tonnay-Charente : ancrages et chaînes

Rochefort-Tonnay-Charente assurera le stockage et l’expédition des équipements d’ancrage tels que les ancres et les chaînes. Une fonction critique pour la tenue en mer des systèmes flottants, au cœur des spécificités techniques des eaux profondes atlantiques.

Bilbao : relais industriel et ingénierie maritime

Bilbao rejoint la dynamique Aquitania Wind Energy en apportant son expertise en ingénierie maritime et un adossement industriel côté ibérique. Des contacts ont déjà été établis avec des entreprises du secteur susceptibles de répondre aux futurs appels d’offres.

Les technologies flottantes déplacent le centre de gravité industriel vers la terre : préfabrication lourde, assemblage, intégration et essais mobilisent d’importantes superficies portuaires, des tirants d’eau et de la manutention hors gabarit. Des chaînes logistiques dédiées et des rôles portuaires clairement répartis réduisent les interfaces, les coûts et les risques calendaires.

Chiffres clés à retenir

  • 207,8 millions d’euros d’investissements prévus sur 2026-2034.
  • 129 millions d’euros d’aide publique sollicitée auprès de l’ADEME au titre de France 2030.
  • 183 millions d’euros d’enveloppe de l’appel à projets de l’ADEME.
  • Spécialisation par port : production acier, assemblage, intégration, maintenance, ancrages.

Gouvernance et engagements : un pacte volontaire

Le texte signé à Anglet formalise une coopération non contraignante, assumée comme un instrument de crédibilisation vis-à-vis des industriels et des financeurs. L’idée directrice : éviter la cannibalisation des offres entre ports voisins, présenter un front commun et mutualiser les retours d’expérience, sans se lier juridiquement à des obligations irrévocables.

Ce choix de gouvernance permet de réduire les frictions concurrentielles et de fluidifier la programmation des investissements à venir, tout en conservant la souplesse nécessaire pour répondre aux conditions des futurs appels d’offres. Pascal Marty l’a précisé : l’enjeu est de « consigner cette volonté dans un document pour lui conférer plus de poids » auprès des acteurs économiques.

Coopération élargie : innovation, décarbonation, commerce

Au-delà de l’offshore, le périmètre de travail inclut l’innovation et la décarbonation des activités portuaires, ainsi que le développement commercial. Cet élargissement vise à aligner la filière sur les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050 et à attirer de nouvelles chaînes de valeur industrielles connexes.

Bilbao : ancrage ibérique et relais industriels

La participation de Bilbao renforce la lecture transfrontalière du projet. Sa base industrielle et ses ingénieries spécialisées servent de complément logistique et technique aux positions néo-aquitaines. La déclaration d’Ivan Jimenez, mettant l’accent sur la « responsabilité de développer des programmes et initiatives », s’inscrit dans cette perspective.

Un accord volontaire sans clauses d’exclusivité et sans partage d’informations sensibles peut favoriser des synergies industrielles tout en préservant la concurrence par les mérites. L’enjeu consiste à structurer des complémentarités techniques et calendaires, sans verrouiller l’accès des opérateurs et sans échanger d’informations stratégiques relatives aux prix ou aux offres.

Oléron 1 déclaré infructueux : cap maintenu sur l’offshore flottant

L’appel d’offres pour le premier parc au large de l’île d’Oléron a été déclaré infructueux le 24 septembre 2025 par le ministère de l’Économie et des Finances. Aucune offre n’a été retenue. Pour les ports, le message est clair : poursuivre la préparation pour être en position le moment venu. Jean-Baptiste Goüin, pour Port Atlantique La Rochelle, a confirmé que « le calendrier de travail reste le même ».

Cette continuité stratégique s’appuie sur les contacts déjà établis avec les industriels de l’éolien. Les signataires entendent montrer leur capacité à travailler ensemble, à lisser les charges d’investissement et à sécuriser les interfaces techniques indispensables à l’éolien flottant, réputé plus exigeant en surfaces, logistique et manutention que l’éolien posé.

Calendrier industriel et préparation des quais

Les travaux d’aménagement et de renforcement des quais se poursuivent, notamment à Bayonne pour la manutention de composants lourds et à Bordeaux pour l’assemblage. La priorité reste d’accélérer la maturité opérationnelle afin de réduire les délais dès l’attribution de futurs projets.

Objectifs publics et trajectoire

Le gouvernement a annoncé en 2025 un cap de 50 GW d’éolien en mer d’ici 2050, incluant de nouvelles zones sur la façade Atlantique. Cette ambition renforce la pertinence des investissements portuaires et de la spécialisation des sites.

Emploi, formation et décarbonation : impacts attendus en Nouvelle-Aquitaine

En avril 2025, le préfet Étienne Guyot et le président du Conseil régional, Alain Rousset, ont présenté un plan d’actions visant à structurer une nouvelle filière industrielle de l’éolien en mer en Nouvelle-Aquitaine. D’après la DREETS Nouvelle-Aquitaine, le plan intègre des mesures d’emploi et de formation, avec des créations d’emplois par milliers d’ici 2030 dans la production et la maintenance. La côte néo-aquitaine, longue de 720 kilomètres, conforte cette ambition.

Les travaux de l’ADEME estiment que l’éolien flottant pourrait représenter une part importante de la production renouvelable française en 2050, avec un potentiel de 15 à 20 GW installés. L’accord signé et la spécialisation par port constituent des prérequis pour convertir ce potentiel en flux économiques régionaux et en emplois pérennes.

La Rochelle : intégration industrielle et hydrogène vert

Sur le volet décarbonation, les ports affichent des engagements. Le port de La Rochelle a déjà investi dans des infrastructures liées à l’hydrogène vert, complément technologique naturel de l’éolien en mer pour la production et la logistique. Ces avancées s’alignent sur les objectifs nationaux de neutralité carbone à l’horizon 2050.

Attractivité internationale et effets d’entraînement

Selon la presse spécialisée, l’accord renforce l’attractivité de l’arc Atlantique pour les investisseurs. Des acteurs actifs en mer du Nord ont signalé leur intérêt pour des partenariats et des implantations locales, en ciblant des chaînes de valeur compatibles avec les infrastructures en cours de modernisation.

La coordination portuaire devrait également générer des effets d’entraînement sur les sous-traitants : chaudronnerie lourde, bétons spéciaux, câblerie, ingénierie d’ancrage, maintenance, services maritimes. En centralisant les besoins et les volumes, les ports offrent la visibilité recherchée par les PME et ETI pour calibrer leurs capacités.

Une procédure peut être déclarée infructueuse quand aucune offre n’est retenue, par exemple parce qu’elle ne satisfait pas aux conditions ou qu’elle ne présente pas les garanties attendues. Conséquence : relance possible, ajustements du cahier des charges ou redéfinition du périmètre. Pour les ports, l’enjeu est de rester « prêts » afin d’absorber une relance rapide.

Sur le plan financier, l’articulation entre capex portuaires et financements publics via France 2030 constitue un levier clé. Le ratio envisagé dans la demande à l’ADEME, à hauteur de 129 millions d’euros sur 207,8 millions d’euros d’investissements, traduit la volonté d’accélérer l’amorçage des équipements indispensables aux premiers volumes industriels (source Préfecture de Nouvelle-Aquitaine).

Enfin, les exigences environnementales et les procédures d’autorisation restent des paramètres structurants. La stratégie consiste à anticiper les dossiers, ordonnancer les séquences de travaux et mettre en place des filières d’approvisionnement responsables, notamment sur les aciers, les bétons et les systèmes d’ancrage.

Cap industriel partagé sur l’arc Atlantique

La coopération officialisée à Anglet ancre une logique de filière, transfrontalière et lisible par les marchés. Elle ne crée pas d’obligation juridique, mais cadre un cap commun pour aligner investissements, compétences et capacités portuaires au service de l’éolien flottant. Les ports entendent ainsi transformer une période d’attente en levier d’exécution, afin de capter les futurs volumes.

Si les défis de financement et de réglementation demeurent, la spécialisation par site et la synchronisation des agendas industriels constituent des atouts compétitifs. Ce socle commun peut accélérer la transition énergétique régionale et contribuer à l’objectif national de 50 GW d’éolien en mer d’ici 2050.

Le signal stratégique est donné : coopérer pour livrer, et livrer pour peser.