300 millions d’euros en jeu : Thales veut ancrer en France une usine d’assemblage et de tests de semi-conducteurs OSAT, avec Radiall et Foxconn pour partenaires. L’initiative, portée sur la scène du Sommet Choose France en mai 2025, vise un saut capacitaire dans le packaging avancé pour des applications critiques, de la défense à l’automobile. Un pari industriel qui pourrait redessiner une partie de la chaîne de valeur européenne.

OSAT en France : cap industriel et souveraineté au cœur du Sommet Choose France

Le signal est clair. En mai 2025, lors du Sommet Choose France, Thales a officialisé des discussions avec Radiall et Foxconn en vue d’implanter en France une unité OSAT, dédiée à l’assemblage et aux tests de semi-conducteurs. L’objectif assumé est de renforcer la souveraineté technologique européenne en sécurisant une brique encore trop peu présente sur le continent : le packaging avancé de haut volume.

Portée par un industriel clé des systèmes critiques, cette initiative répond à une demande soutenue en composants avancés pour la défense, l’aérospatial, l’automobile et les télécommunications. L’usine visée se positionnerait sur une étape stratégique et différenciante de la chaîne de valeur, où la capacité à intégrer plusieurs puces dans un seul module devient décisive pour les performances et les délais de mise sur le marché.

Au-delà du symbole, le projet s’inscrit dans l’architecture des politiques publiques françaises et européennes. Il se déploie en articulation avec France 2030 et la stratégie industrielle de l’UE, dans l’ombre portée du European Chips Act. L’enjeu n’est pas uniquement de produire en France, mais de sécuriser une capacité d’intégration au meilleur standard, rarissime en Europe et critique pour la résilience des chaînes d’approvisionnement.

Les acteurs OSAT (Outsourced Semiconductor Assembly and Test) assurent l’assemblage, l’encapsulation, l’intégration de puces en modules et les tests. Ils se positionnent entre les fondeurs et les donneurs d’ordre, en offrant des services de packaging avancé, de qualification et de fiabilité.

Cette brique industrielle est devenue stratégique avec la complexité croissante des architectures système, l’essor des capteurs et des puces de puissance, et la miniaturisation poussée des modules embarqués.

Chiffres-clés annoncés à Choose France 2025

Le Sommet Choose France 2025 a fait état de 40,8 milliards d’euros d’investissements et de 53 projets annoncés (Direction générale des Entreprises, 19 mai 2025).

Gouvernance industrielle : Thales pilote, Radiall et Foxconn en appui

À ce stade, il s’agit de pourparlers préliminaires entre Thales, Radiall et Foxconn. L’ambition est claire : s’accorder sur une usine centrée sur la technologie SIP et concevoir un schéma de partenariat susceptible d’attirer d’autres industriels, technologiques ou financiers, afin de consolider l’investissement et la montée en charge.

Thales : pilotage et exigences des systèmes critiques

Thales prend la main sur l’initiative et structure le projet au service d’applications sensibles, où fiabilité, longévité et sécurité sont non négociables. L’industriel, au cœur des technologies de défense et d’aéronautique, aligne l’usine sur les standards requis pour les environnements sévères et les cycles de vie longs. La cible porte sur des modules de haute intégration qui réduisent l’encombrement, optimisent la dissipation thermique et soutiennent la robustesse des systèmes embarqués.

Radiall : interconnexion et performance des modules

Spécialiste français des connecteurs et solutions d’interconnectivité, Radiall apporte un savoir-faire décisif pour la performance électrique et la fiabilité des interconnexions au sein de modules SIP. Dans un packaging avancé, la maîtrise des liaisons et des interfaces entre puces, substrats et boîtiers conditionne la tenue aux environnements exigeants et la stabilité des caractéristiques sur la durée.

Foxconn : effet d’échelle et excellence opérationnelle

Foxconn, géant taïwanais de la fabrication électronique, contribuerait par ses capacités industrielles et ses procédés de production à grande échelle. Son rôle attendu : sécuriser des ramp-up rapides, stabiliser le coût unitaire par l’effet volume et injecter des standards d’exécution associés aux chaînes globalisées. Un atout pour atteindre les cadences visées et tenir un calendrier resserré une fois les premières lignes opérationnelles.

Le pilotage par un intégrateur de systèmes critiques (Thales), l’expertise en interconnexions hautes performances (Radiall) et la puissance industrielle d’un assembleur mondial (Foxconn) dessinent une chaîne de responsabilités cohérente pour une usine OSAT orientée SIP. Cette configuration vise à concilier exigences de qualité, flexibilité d’intégration et compétitivité.

Packaging avancé et SIP : ce que l’usine veut adresser

La cible technologique annoncée porte sur le System in Package, c’est-à-dire l’intégration de plusieurs puces dans un même boîtier afin de former un sous-système complet. Dans les secteurs visés, le SIP permet des gains en compacité, des trajectoires de performance ajustées et une meilleure maîtrise des interfaces, variables clés pour la résilience et la sécurité des architectures.

Selon les informations initiales communiquées, la nouvelle unité viserait une production de plus de 100 millions de composants SIP par an d’ici 2031. Une telle capacité placerait la France à un niveau inédit en Europe, sur un segment où les infrastructures restent rares et où la création de valeur se déporte vers l’intégration et les tests avancés. Les détails techniques complets n’ont pas été rendus publics à ce stade, mais la direction est tracée : packaging avancé, procédés de fiabilité et qualification pour applications critiques.

Segments clients ciblés

  • Défense : systèmes embarqués, capteurs, communication sécurisée.
  • Aérospatial : modules robustes pour environnements extrêmes.
  • Automobile : fonctions critiques et sécurité active.
  • Télécommunications : intégration RF et modules haut débit.

Le SIP assemble plusieurs dies distincts dans un même package, parfois hétérogènes (logique, mémoire, RF, puissance). À l’inverse, un SoC intègre les fonctions sur une seule puce. Quand la co-intégration monolithique devient difficile ou coûteuse, le SIP offre une alternative pragmatique, permet des cycles produits plus courts et une modularité propice aux séries variées.

Investissement, calendrier et emplois : cap sur 2027 puis 2031

Le schéma d’investissement annoncé atteint 300 millions d’euros. Le démarrage opérationnel est envisagé en 2027, avec une montée en puissance graduelle.

Les projections mentionnées indiquent 350 emplois d’ici fin 2031, avec un potentiel porté à 900 emplois à l’horizon 2039 selon l’extension des capacités et la consolidation de partenariats. Ces jalons restent soumis à l’issue des discussions engagées depuis mai 2025.

Pour tenir ces échéances, l’alignement des compétences sera déterminant. Le projet s’inscrit dans l’axe France 2030 en matière d’innovation et de formation.

Des dispositifs existent pour structurer les viviers de talents, y compris des appels à manifestation d’intérêt sur les compétences et métiers d’avenir. À titre d’illustration, une dotation de 50 millions d’euros a été allouée dans l’enseignement agricole pour former aux métiers émergents, ce qui atteste d’une logique transversale de montée en compétences, au-delà d’un seul secteur.

Calendrier indicatif du projet OSAT

  1. Mai 2025 : ouverture des discussions entre partenaires industriels.
  2. 2027 : objectif de démarrage des opérations sur site.
  3. 2031 : plus de 100 millions de composants SIP par an et environ 350 emplois.
  4. 2039 : jusqu’à 900 emplois potentiels selon l’ampleur des extensions.

France 2030 cible l’innovation industrielle, avec des volets qui peuvent combiner soutien à l’investissement productif, R&D, et formation. Pour un projet OSAT, la mobilisation de ces leviers contribue à réduire le coût initial, sécuriser la montée en compétence des équipes et soutenir la qualification de procédés critiques. Les paramètres précis d’aide n’ont pas été communiqués à ce stade.

Concurrence territoriale : Blanquefort en vitrine, d’autres régions à l’offensive

La bataille des sites est lancée. Plusieurs territoires se positionnent pour accueillir l’usine, avec chacun leurs arguments d’infrastructures, de foncier et d’écosystèmes industriels. Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Pays de la Loire sont cités parmi les candidats.

Nouvelle-Aquitaine : l’ancienne usine Ford à Blanquefort

En Nouvelle-Aquitaine, le site de l’ex-usine Ford à Blanquefort (Gironde) est mis en avant comme emplacement possible. Son atout : une emprise industrielle déjà structurée et des incitations régionales envisagées pour favoriser l’implantation. La perspective de reconversion d’un site désaffecté en pôle d’innovation positionne la région en prétendante sérieuse.

Pays de la Loire : Cholet, un signal industriel signé Thales

Un article de la presse locale du 26 juin 2025 mentionne par ailleurs un investissement de 300 millions d’euros à Cholet pour un site de guerre électronique de Thales, avec un effectif annoncé de 2 600 salariés. Ce projet est distinct de l’usine OSAT envisagée, mais il illustre l’ancrage industriel de Thales dans la région et sa dynamique d’investissement. Un paramètre qui peut compter dans la compétition territoriale, notamment pour la disponibilité de compétences et les infrastructures.

Occitanie et Paca : alternatives crédibles

Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur restent également en lice, avec des écosystèmes technologiques et des plateaux industriels propices à une montée en charge rapide. Le choix final dépendra du calibrage entre foncier, capacités électriques, logistique, vivier de talents et soutiens publics.

Critères déterminants pour l’implantation

  • Infrastructures : capacité électrique, traitement de l’air et de l’eau, accès logistique.
  • Foncier : surface disponible, délais d’aménagement, proximité urbaine.
  • Compétences : présence d’écoles et de centres de formation, vivier technicien/ingénieur.
  • Écosystème : fournisseurs, partenaires, laboratoires, sous-traitants qualifiés.
  • Aides publiques : subventions, fiscalité, accompagnement à la transition industrielle.

Cadre européen et montée en gamme : alignement avec le European Chips Act

Adopté en 2023, le European Chips Act vise à accroître la part de marché de l’Europe d’ici 2030. Une usine OSAT orientée SIP en France répond à cette feuille de route en apportant une capacité d’intégration et de tests qui profite à l’ensemble des chaînes industrielles européennes. L’ambition est autant économique que stratégique : réduire la dépendance aux hubs asiatiques et sécuriser des composants pour les systèmes critiques.

Le projet vient compléter les efforts de France 2030 sur l’innovation, la production et la formation. L’accent mis sur les compétences s’illustre notamment par des appels dédiés aux métiers d’avenir, dont des dotations sectorielles, comme celles recensées dans l’enseignement agricole, démontrent l’orientation structurelle de l’investissement humain vers des profils techniques émergents. Cette culture de la formation est un préalable à la réussite d’un OSAT, où la finesse des procédés impose qualité, métrologie et maîtrise des risques.

  • Résilience : réduire les délais d’approvisionnement et les incertitudes logistiques.
  • Performance : rapprocher intégration et tests des intégrateurs systèmes.
  • Standardisation : aligner les procédés avec les exigences européennes de fiabilité.
  • Effet traction : catalyser l’arrivée d’autres partenaires, équipementiers et fournisseurs.

Ce positionnement renforce le rôle de la France comme hub de packaging avancé en Europe, complémentaire des autres maillons de la chaîne des semi-conducteurs. La promesse tient autant à la capacité nominale qu’à la qualité des processus et à l’aptitude à absorber des gammes variées, du radar à la connectivité.

Feuille de route 2025-2031 : ce qui reste à arbitrer

Les discussions entamées en mai 2025 doivent se traduire en accords plus précis d’ici fin 2025, avec un double enjeu : verrouiller un schéma partenarial robuste et trancher l’implantation territoriale. Le calendrier annoncé à partir de 2027 suppose une exécution chirurgicale sur le génie industriel, la qualification et le recrutement, jusqu’à la cible de 2031.

Si l’usine OSAT se concrétise dans les termes présentés, la France capterait une capacité d’intégration rare à l’échelle européenne, alignée sur des besoins stratégiques et un marché en tension. Resteront à sécuriser la montée en compétence des équipes, l’accès aux intrants critiques et la cohérence de la trajectoire d’investissements pour tenir les volumes et l’horizon emploi.

Le pari est posé : faire de l’OSAT un levier de compétitivité et de souveraineté, à la mesure des ambitions industrielles françaises et européennes.