Nouvelle dynamique pour la deeptech avec le sci-tech growth tier à Shanghai
Découvrez comment le sci-tech growth tier de Shanghai transforme le financement des entreprises deeptech en Chine, ouvrant des perspectives d'innovation.

A Shanghai, un nouvel étage du marché STAR réécrit la règle du jeu pour la deeptech chinoise. Le sci-tech growth tier ouvre un accès au capital à des sociétés très intensives en R&D, souvent déficitaires, mais jugées stratégiques. Pour les investisseurs, c’est un terrain d’opportunités élevé en risque, cadré par des exigences d’information et de gouvernance plus strictes.
Un compartiment taillé pour l’hypercroissance scientifique
La Bourse de Shanghai a lancé, en plein été, un compartiment dédié au sein du STAR Market baptisé sci-tech growth tier. Trente-deux sociétés ont été sélectionnées d’emblée, couvrant la biotechnologie, les semi-conducteurs, l’intelligence artificielle, la robotique, la cybersécurité et l’hydrogène.
L’objectif est clair : accélérer le financement domestique d’entreprises à fort contenu technologique, dont les cycles de développement sont longs, gourmands en capital, et incompatibles avec des critères de rentabilité immédiate. Les régulateurs chinois y voient un instrument de souveraineté financière et technologique, complémentaire du STAR Market créé en 2019 pour rivaliser avec les places américaines (La Tribune).
La philosophie est assumée : mieux vaut une pipeline d’innovations ancrée localement qu’une quête artificielle de profits trimestriels. Le sci-tech growth tier autorise des cotations sans bénéfice, tout en rehaussant les standards de transparence et de gouvernance. Une façon d’aligner l’architecture des marchés sur la réalité industrielle de la deeptech.
Repères chronologiques utiles
Quelques dates structurantes pour comprendre l’architecture du marché technologique chinois.
- 22 juillet 2019 : lancement du STAR Market avec 25 sociétés, dès l’origine positionné comme un rival du Nasdaq (Les Echos).
- Mi-juillet 2025 : naissance du sci-tech growth tier, nouveau sous-segment centré sur les acteurs en phase pré-profit.
- Ouverture du compartiment : 32 sociétés retenues, toutes déficitaires, focalisées sur des technologies jugées stratégiques.
Le STAR Market fonctionne déjà comme une rampe d’accès au capital pour les valeurs technologiques. Toutefois, les profils de risque et de maturité sont hétérogènes. Le sci-tech growth tier isole les sociétés en phase d’industrialisation ou de développement clinique avancé, mais encore non rentables, afin d’adapter les seuils et les tests de divulgation à leur stade de vie.
Résultat : une lisibilité accrue pour les investisseurs professionnels, qui peuvent calibrer l’allocation dans un réservoir de valeurs à potentiel, tout en s’appuyant sur un corpus d’informations renforcé et plus comparable d’une société à l’autre.
Critères d’admission et obligations renforcées
Le sci-tech growth tier conserve la colonne vertébrale du STAR Market en matière de supervision, mais assouplit l’exigence de rentabilité. Le cœur du dispositif est ailleurs : une intensification des obligations de divulgation, des exigences de gouvernance et un suivi resserré de l’utilisation des fonds levés.
Sur le plan opérationnel, la règle du jeu vise les entreprises qui :
- investissent massivement en R&D avec une trajectoire de développement de long terme,
- interviennent sur des domaines considérés comme critiques pour l’infrastructure numérique, la santé ou l’énergie,
- peuvent détailler un pipeline technologique, des jalons de mise à l’échelle industrielle et des partenariats académiques ou industriels crédibles,
- acceptent des dispositifs de contrôle interne et des audits approfondis, comprenant des publications fréquentes sur l’état d’avancement des essais, des certifications, ou des étapes d’industrialisation.
En contrepartie, l’absence de bénéfices est tolérée, voire attendue, à ce stade. Le message est double : financer tôt des innovations de rupture, et sécuriser le suivi d’exécution grâce à des mécanismes de transparence détaillés.
Lecture juridique de l’exigence de transparence
Sur ce compartiment, la rentabilité n’est pas un filtre d’éligibilité. L’effort porte donc sur la traçabilité des capitaux et la gouvernance :
- Reporting financier régulier, axé sur l’affectation des fonds levés à la R&D et à l’industrialisation.
- Comités d’audit et d’indépendance du conseil renforcés pour les transactions sensibles ou intragroupe.
- Calendrier d’information sur les jalons techniques, essais cliniques ou certifications produit, afin de réduire l’asymétrie d’information.
Les cycles d’apprentissage du machine learning, la qualification de procédés en semi-conducteurs ou la validation clinique en oncologie imposent des horizons de 5 à 10 ans. La gouvernance attendue met l’accent sur l’indépendance des décisions scientifiques, la cartographie des risques de propriété intellectuelle et la robustesse des partenariats industriels, souvent déterminants pour la mise à l’échelle.
S’y ajoutent des mécanismes anti-dilution et des clauses de protection des minoritaires à surveiller dans les prospectus, clefs pour les investisseurs internationaux.
Cartographie sectorielle des 32 premières valeurs
La première vague de 32 sociétés illustre les priorités industrielles de Pékin : biopharmacie en tête, semi-conducteurs d’IA, vision artificielle, solutions d’infrastructure numérique et technologies de l’hydrogène. Quinze émetteurs proviennent du pôle biopharmaceutique, le reste se répartissant sur l’IA, la robotique, la cybersécurité et les composants.
Dans les semi-conducteurs, la logique est double : accélérer la substitution locale dans des segments critiques et monter en gamme sur les architectures IA. Côté IA, l’effort se concentre sur la vision et l’analytics embarqué, piliers de la sécurité et de l’automatisation industrielle.
Beigene : stratégie et résultats
Acteur de référence en oncologie, BeiGene s’est imposé par un portefeuille de thérapies ciblées et d’immunothérapies. Son positionnement sur le sci-tech growth tier confirme l’option d’un financement domestique plus profond pour soutenir un pipeline exigeant et coûteux. Le profil reste déficitaire, typique des biotechs en expansion clinique.
Junshi biosciences : de l’auto-immunité à l’industrialisation
Junshi focalise ses développements sur l’auto-immunité et l’oncologie. Avec près de 1,95 milliard de yuans de revenus et 2 578 salariés, l’entreprise approche une échelle industrielle, tout en conservant une trajectoire de pertes. La cotation dans ce compartiment offre une visibilité accrue pour financer les étapes de mise sur le marché.
Frontier biotechnologies : thérapeutiques antivirales ciblées
Spécialisée dans les traitements antiviraux, Frontier Biotechnologies affiche 129 millions de yuans de revenus pour 395 employés. Un modèle à faible volume mais à fort contenu technologique, idéalement adapté au cadre qui privilégie la R&D et la preuve clinique avant la profitabilité.
Cambricon technologies : processeurs pour l’ia
Cambricon conçoit des accélérateurs IA pour centres de données et edge computing. La société incarne la stratégie de capteurs et compute souverains. En phase d’investissement lourde, elle bénéficie d’un guichet de marché aligné sur ses besoins capitalistiques.
Asr microelectronics : puces pour l’internet des objets
ASR se concentre sur les composants connectés pour l’IoT. La demande adressable reste large, mais la pression sur les marges est structurante. L’accès à ce compartiment facilite le financement d’intégration verticale et d’industrialisation, crucial pour la compétitivité prix.
Motorcomm : circuits ethernet et infrastructure
Motorcomm développe des circuits Ethernet, au cœur des infrastructures réseau. Son inclusion reflète la volonté d’investir dans les fondations numériques de la 5G, du cloud et de l’industrie 4.0.
Cloudwalk technology : vision par ordinateur
Cloudwalk opère sur la reconnaissance d’images et l’analyse vidéo avec des usages sécurité et industriels. Les besoins en R&D restent élevés, mais les applications B2G et B2B soutiennent la montée en charge commerciale.
Intellifusion technologies : systèmes de surveillance intelligente
Intellifusion réunit algorithmes de vision et matériel optimisé. Sa présence sur le compartiment confirme la priorité accordée aux technologies d’observation et de traitement sur le périphérique, essentielles pour les déploiements massifs.
La filière hydrogène intègre des fabricants de piles et des intégrateurs. Le pari porte sur des courbes d’apprentissage rapides via des volumes domestiques. En robotique médicale, l’enjeu est la certification et l’acceptation clinique, avec des cycles réglementaires longs. Ces segments justifient une finance patiente que ce compartiment cherche à fournir.
Lecture financière pour les investisseurs en france
Pour les gérants français, ce compartiment introduit un profil rendement risque asymétrique : potentiel de croissance élevé, mais trajectoires de cash-flow négatives et dilution possible. Les éléments à surveiller peuvent être structurés en trois blocs.
- Qualité de la R&D : taille du pipeline, partenariats industriels, licences ou co-développements, barrière de propriété intellectuelle.
- Chemin vers le marché : jalons réglementaires, capacités d’industrialisation, dépendances vis-à-vis de composants critiques.
- Gouvernance et transparence : calendrier de publication, robustesse de l’audit, clauses de protection des minoritaires.
La motorisation financière du compartiment pourrait se traduire par des augmentations de capital successives, voire des émissions hybrides. Un investisseur devra donc anticiper la cadence de financement et l’usage précis des fonds. L’évaluation se fera autant sur la valorisation implicite que sur la qualité d’exécution des jalons techniques.
Points de vigilance pour un investisseur européen
Le compartiment s’adresse à des profils avertis. Les points de contrôle prioritaires :
- Vérifier la granularité des disclosures : coût de R&D par programme, calendrier d’essais, capex d’industrialisation.
- Analyser les dépendances d’approvisionnement en semi-conducteurs et équipements critiques.
- Évaluer la soutenabilité du cash burn et les relais de monétisation à court terme.
- Regarder les clauses de gouvernance : droits de vote, comités indépendants, transactions entre parties liées.
- Prendre en compte les risques d’extraterritorialité réglementaire sur les technologies duales.
Dans un contexte pré-profit, la levée récurrente de capitaux est un passage obligé. Les émetteurs peuvent recourir aux augmentations de capital, aux placements privés ou aux instruments quasi-fonds propres. L’investisseur devra surveiller les prix d’émission, les décotes et les engagements de lock-up, ainsi que le pacing des levées par rapport aux jalons techniques annoncés.
Chiffres clés du nouveau segment
Plusieurs émetteurs publiés offrent un premier aperçu de l’équation économique typique du sci-tech growth tier. La photographie qui suit illustre des structures de coûts lourdes, une montée en capacité et une productivité hétérogène selon les modèles d’affaires.
Dans les biotechs, la productivité apparente par tête est souvent trompeuse, car la valeur se matérialise tardivement, au moment des autorisations de mise sur le marché. À l’inverse, les logiciels et services cloud affichent une meilleure agilité opérationnelle, mais les dépenses commerciales et de support grèvent également les marges.
Trois enseignements se dégagent. D’abord, la majorité des sociétés sont pré-profit, en ligne avec le cahier des charges du compartiment. Ensuite, l’intensité capitalistique est élevée, avec des équipes nombreuses pour la R&D et la qualité. Enfin, le coût d’acquisition client dans le cloud et la vision industrielle est significatif, justifiant des besoins récurrents en capitaux.
Concrètement, l’investisseur devra projeter des scénarios de revenus par jalons réglementaires ou mises à l’échelle. Les trajectoires de productivité par tête commençant modestement peuvent s’infléchir rapidement après approbation réglementaire ou signature de grands contrats publics.
Qingcloud technologies : agilité dans le cloud
Avec 244 millions de yuans sur douze mois et 357 collaborateurs, QingCloud illustre une structure plus compacte. L’entreprise reste déficitaire, mais sa capacité à exécuter des projets cloud permet à terme des effets d’échelle. L’enjeu portera sur la répétabilité commerciale et la maîtrise du churn.
Portée stratégique pour pékin et ses partenaires
Politiquement, ce compartiment élargit l’arsenal de financement de la Chine tout en retenant sur son sol des entreprises-clés. Il sert un double objectif : structurer une chaîne de valeur locale moins dépendante des marchés étrangers et attirer l’épargne domestique vers des secteurs d’avenir. Dès 2019, le STAR Market avait affiché une orientation similaire, avec de fortes hausses initiales sur des sociétés peu connues en dehors de Chine (Les Echos).
Ce mouvement vaut également signal à l’international : la Chine souhaite un marché des capitaux capable de tenir la comparaison avec le Nasdaq et Hong Kong, de la phase prototype jusqu’à la montée en cadence industrielle. Le sci-tech growth tier formalise cette ambition en ajustant la tolérance au risque des critères de cotation, contrebalancée par un standard d’information plus dense.
Le nouveau compartiment ne se limite pas à une réforme technique. Il cartographie les priorités nationales : semi-conducteurs d’IA, biotechnologies, vision et cybersécurité. Il oriente aussi le capital privé vers les axes des plans quinquennaux en assumant un risque d’exécution élevé, mais potentiellement rémunérateur à l’horizon 5 à 10 ans.
Pour les partenaires économiques, le signal est celui d’une autonomie stratégique accrue du financement de l’innovation, avec des ramifications sur les chaînes d’approvisionnement et les coopérations technologiques.
Rappel sur la genèse du STAR Market
Le STAR Market a été lancé en juillet 2019 pour retenir les entreprises technologiques sur le marché local et élargir les options de financement à l’innovation. À l’ouverture, 25 sociétés ont été cotées et certaines ont connu des envolées de cours spectaculaires le premier jour, illustrant l’appétit pour les valeurs technologiques domestiques (Les Echos).
Ce qu’il faudra suivre lors des prochains dépôts de prospectus
Les prochains mois diront si le sci-tech growth tier déclenche une vague d’introductions soutenue. À surveiller : la cadence d’admissions, la qualité des disclosures sur les pipelines, la discipline capitalistique des émetteurs et la réaction des investisseurs institutionnels. Pour les valeurs de puces et d’IA, l’attention se portera sur les capacités d’industrialisation et les dépendances d’approvisionnement.
Pour les sociétés de santé, l’enjeu est l’alignement entre calendrier clinique et besoins de financement, ainsi que la clarté des stratégies d’accès au marché. Une sélectivité accrue, fondée sur la lisibilité des jalons opérationnels, devrait guider l’allocation des investisseurs sophistiqués.
En recentrant la finance de marché sur la deeptech pré-profit, le sci-tech growth tier combine ambition industrielle et discipline d’information, et impose aux investisseurs une lecture fine des jalons, des risques et des trajectoires d’exécution.