10 milliards d'euros en ligne de mire pour une recomposition historique de l'industrie spatiale européenne : selon des informations rapportées le 20 octobre 2025, Airbus, Thales et Leonardo ont scellé un accord-cadre en vue de rassembler leurs activités satellites dans une coentreprise. Premier jalon d'un processus qui pourrait s'étirer sur deux ans, ce Projet Bromo vise une taille critique face à la montée en puissance des acteurs américains et chinois.

Valorisation, périmètre et logique industrielle

Au cœur de l'équation, une valorisation d'environ 10 milliards d'euros et un périmètre centré sur la fabrication de satellites, sans revendication de monopole sur l'ensemble de la chaîne spatiale. L'approche par coentreprise permet de mutualiser des briques technologiques et d'assembler un portefeuille plus lisible pour les grands marchés institutionnels, y compris européens, tout en conservant une pluralité d'entités juridiques capables d'interagir avec les autorités nationales de contrôle.

Le choix d'une gouvernance à la MBDA est loin d'être anecdotique : il s'agit d'une ingénierie d'équilibre entre actionnaires industriels, mécanismes de protection des technologies et règles de décision qui évitent l'hégémonie d'un seul groupe. En pratique, cela signifie des règles précises sur la circulation de la propriété intellectuelle, des pare-feux pour les segments sensibles et une articulation fine avec les besoins de l'ESA et des clients étatiques.

Un accord-cadre formalise un périmètre, des objectifs majeurs et un calendrier de principe. Il n'emporte pas, à ce stade, transfert d'actifs ni autorisations réglementaires. Les parties balisent la trajectoire et la méthode, mais peuvent encore ajuster.

La coentreprise est une entité contrôlée conjointement par plusieurs sociétés. Elle suppose un pacte d'actionnaires détaillant la gouvernance, les apports d'actifs, les contributions de R&D, la gestion des droits de propriété intellectuelle et les mécanismes de sortie. Le passage de l'accord-cadre à la constitution effective de la coentreprise requiert généralement des notifications antitrust et peut inclure des remèdes imposés par les régulateurs de la concurrence.

Gouvernance, souveraineté et emplois : la ligne de crête

Les arbitrages attendus portent sur trois nœuds structurants, avec des implications très concrètes pour l'appareil productif en France et en Italie :

  • Technologies sensibles : identifier les briques duales pour lesquelles des restrictions de transfert et des mécanismes de cloisonnement doivent s'appliquer.
  • Cartographie des sites : calibrer la répartition des activités de conception, intégration et tests, afin d'éviter une concentration excessive pouvant fragiliser la résilience industrielle.
  • Emploi et compétences : sécuriser les filières d'expertise, répondre aux alertes syndicales et garantir un cadre de dialogue social sur la durée du projet.

Des organisations syndicales, notamment la CGT, ont exprimé des inquiétudes sur les risques pour l'emploi et la constitution d'un quasi-monopole. Ces positions ont été relayées publiquement, au moment même où le dossier franchissait son point d'inflexion. En parallèle, des messages publiés sur X le 20 octobre 2025 ont répercuté l'hypothèse d'une coentreprise évaluée à environ 11,7 milliards de dollars, soit l'équivalent de 10 milliards d'euros.

Au passage, des signaux de calendrier laissent entendre qu'une validation par Leonardo pourrait intervenir très rapidement, dès le 21 octobre 2025, ce qui ancrerait davantage l'accord-cadre dans une logique d'exécution. Ce point reste néanmoins conditionnel à l'aboutissement des étapes internes et réglementaires.

Antitrust européen : l'examen de passage à haut risque

Le contrôle de la Commission européenne constitue l'obstacle majeur à venir. Les précédents dans l'aérospatial ont montré que la question de la concurrence effective, tant sur les marchés institutionnels que commerciaux, peut invalider des projets ambitieux si l'architecture retenue ne garantit pas un cadre concurrentiel robuste. Les autorités veilleront aussi à l'absence d'effets de levier entre marchés voisins susceptibles de verrouiller l'accès des tiers.

Le directeur général de l'ESA a rappelé, le 14 octobre 2025, l'importance de préserver un écosystème industriel européen compétitif. Ce rappel s'inscrit dans une logique d'équilibre : soutenir une consolidation jugée nécessaire, sans effacer la diversité d'offreurs qui alimente l'innovation et les performances contractuelles. En pratique, on peut s'attendre à un cahier de remèdes si la Commission considère que certains segments seraient trop concentrés après rapprochement.

Côté calendrier, les parties devront composer avec des délais d'examen qui s'échelonnent généralement de quelques mois à plus d'un an, selon la complexité du périmètre et la profondeur des tests de marché. Il n'est pas rare que des ajustements de périmètre, des engagements de non-discrimination dans les appels d'offres ou des structures de gouvernance spécifiques soient exigés avant feu vert.

Un marché spatial sous tension : volumes, constellations et pressions compétitives

La dynamique de marché plaide pour des économies d'échelle et une massification des capacités. Selon des estimations relayées le 20 octobre 2025, plus de 43 000 satellites devraient être lancés dans les dix prochaines années, pour un marché de la fabrication et des lancements estimé à 665 milliards de dollars, soit environ 570 milliards d'euros (Reuters, 20 octobre 2025). L'accélération tient à la prolifération de constellations de télécommunications et d'observation, dont Starlink reste l'incarnation la plus visible.

Pour l'Europe, le Projet Bromo se positionne comme une réponse industrielle à cette montée en cadence. Il s'agit moins de répliquer une constellation propriétaire que de densifier la base industrielle pour répondre aux demandes institutionnelles et commerciales, tout en consolidant des filières critiques : plateformes satellites, charges utiles, logiciels de vol, intégration et essais. Concrètement, une coentreprise de taille européenne pourrait accélérer les cycles de développement et améliorer la compétitivité prix face à des concurrents bénéficiant déjà d'effets d'échelle.

Reste l'enjeu de la réactivité industrielle : les cadences nécessaires à l'ère des constellations se mesurent en dizaines, voire centaines de plateformes par an. En pratique, les décisions d'investissement dans des lignes modulaires, des bancs d'essais automatisés et des chaînes d'approvisionnement sécurisées seront déterminantes pour transformer l'accord-cadre en avantage compétitif tangible.

Impacts concrets

Pour l'écosystème français des PME et ETI fournisseurs, le Projet Bromo pourrait ouvrir des voies nouvelles, mais exigeantes. Trois impacts se dessinent :

  • Rationalisation des panels : regroupement potentiel des référentiels fournisseurs et des exigences qualité, avec une montée en standardisation sur les composants spatiaux.
  • Cadences et capex : pression accrue sur les capacités d'industrialisation, qui peut nécessiter des investissements d'outillage et d'automatisation chez les partenaires.
  • Conformité et sécurité : élévation des seuils de conformité ITAR-like et de cybersécurité, compte tenu de la sensibilité des technologies.

Au passage, la consolidation pourrait fluidifier certains processus d'homologation multi-clients, tout en renforçant la sélectivité dans les segments stratégiques. Les services d'ingénierie, d'assemblage et de tests devront démontrer des performances QCD supérieures, en qualité, coûts et délais, pour capter les nouvelles enveloppes.

Lecture financière : allocation de capital, risques et gouvernance

La valorisation visée impose une discipline financière soutenue. Si l'accord-cadre n'emporte pas, à ce stade, d'engagements d'investissement chiffrés, il appelle des choices d'allocation structurants dans les mois à venir. Les directions financières devront piloter :

  • La cartographie des actifs à apporter, avec un soin particulier sur la valorisation des intangibles (brevets, logiciels, savoir-faire).
  • La cohérence des plans R&D, pour éviter les duplications et concentrer les efforts sur des plateformes à volume.
  • Le provisionnement des risques réglementaires liés à l'antitrust et à la sécurité des technologies.

Concrètement, une exécution réussie suppose un pilotage fin de la trésorerie projet, compte tenu de la nature capitalistique des programmes spatiaux et des jalons d'encaissement dépendant des étapes d'intégration et d'essai. Côté gouvernance, l'enjeu sera de baliser des mécanismes d'arbitrage clairs pour éviter les frictions entre actionnaires, tout en garantissant la réactivité commerciale.

  • Notification antitrust : timing, périmètre et éventuels remèdes à anticiper sur les segments jugés sensibles.
  • Gouvernance : comité de direction, droits de veto, règles d'accès aux technologies et protection de l'IP.
  • Périmètre d'apports : cartographie des lignes produits, des sites, des équipes et des contrats.
  • Social : dialogue continu avec les représentants du personnel et garanties sur les compétences critiques.
  • Cadence industrielle : plan d'investissements, automatisation, qualité et test à haut débit.

Réactions publiques et régulation des équilibres concurrentiels

Les prises de position syndicales, relayées publiquement autour du 21 octobre 2025, pointent le risque d'affaiblissement de la concurrence et d'impact sur l'emploi. Ces alertes trouvent un écho dans la vigilance exprimée par l'ESA, soucieuse de maintenir un paysage concurrentiel réaliste au sein de l'Union. En pratique, l'empilement de garde-fous reposera sur trois types d'outils :

  • Engagements comportementaux : éviter des clauses d'exclusivité défavorables aux tiers dans les appels d'offres.
  • Pare-feux organisationnels : séparation fonctionnelle de certaines activités pour prévenir les échanges d'informations sensibles.
  • Mécanismes d'accès : conditions d'interopérabilité et de standardisation favorisant un écosystème ouvert.

La réussite du Projet Bromo se jouera sur la capacité des partenaires à démontrer que le gain en compétitivité-coût et en cadences ne se paie pas d'une réduction excessive de la diversité d'offreurs, en particulier pour les marchés de l'ESA et des États membres.

Capacités industrielles : qualité, supply chain et temps de cycle

Sur le terrain, l'intégration des chaînes de valeur satellites exigera une harmonisation des référentiels qualité et une montée en maturité des fournisseurs de rang 1 et 2. Trois fronts opérationnels se détachent :

  • Process/qualité : convergence des plans de validation, adoption de standards communs de qualification des composants et fiabilisation des essais environnementaux.
  • Supply/achats : sécurisation des sources d'approvisionnement en composants électroniques spatiaux, dont la disponibilité est sous tension, et mise en place de contrats cadre multi-entités.
  • Time-to-market : réduction des temps de cycle via l'industrialisation modulaire, l'automatisation de l'assemblage et la digitalisation des essais.

En pratique, l'effet d'échelle offre la possibilité de réduire les coûts unitaires, mais impose une grande rigueur dans la gestion des obsolescences, l'ingénierie de configuration et la cybersécurité de la chaîne logistique. Le pari est qu'un portefeuille commun permette de stabiliser la demande auprès des fournisseurs, rendant les investissements de capacité plus justifiables.

Et maintenant, côté calendrier d'exécution

Le passage de l'accord-cadre à la mise en œuvre aura lieu par paliers. Côté calendrier, la séquence la plus probable juxtapose : finalisation du périmètre d'apport, audits et due diligence, notifications de concurrence, ajustements éventuels, constitution de la coentreprise et première année d'opérations intégrées. La fenêtre de deux ans évoquée indique un déploiement progressif, avec des décisions d'investissement qui viendront au fil des autorisations.

Au-delà, des messages sur X publiés le 20 octobre 2025 ont donné un coup d'accélérateur médiatique, mais l'exécution restera tributaire de feux verts réglementaires et de consultations sociales. En pratique, ce tempo nécessite de préserver la continuité opérationnelle des programmes en cours, pour ne pas fragiliser les engagements clients existants.

Points de repère chiffrés à retenir

Deux repères résument le changement d'échelle :

  • 10 milliards d'euros : ordre de grandeur de la valorisation de la coentreprise visée.
  • 43 000 satellites et 665 milliards de dollars sur dix ans : le flux et la taille du marché combinant fabrication et lancements.

Ces chiffres cadrent l'ambition industrielle et les enjeux de compétitivité-coût à atteindre pour exister au meilleur niveau mondial.

Mode d'emploi pour les décideurs : que surveiller dans les mois à venir

Pour les directions générales, financières et juridiques engagées dans la filière, plusieurs indicateurs permettront de qualifier la trajectoire du Projet Bromo :

  • Clarté du périmètre : la précision sur les entités, les contrats et les technologies incluses.
  • Gouvernance opératoire : composition du management, processus décisionnels et dispositifs de conformité.
  • Signal social : niveau d'adhésion interne, plans de formation et dispositifs de mobilité.
  • Interactions régulateurs : qualité du dialogue avec la Commission, l'ESA et les autorités nationales.
  • Capex et cadences : trajectoire d'investissements industriels et montée en débit des lignes satellites.

Les publications sur X du 20 octobre 2025 ont relayé la valorisation indicative de la future coentreprise. Pour une lecture robuste, il est utile de recontextualiser ces chiffres avec les étapes formelles d'un rapprochement : tant que les notifications antitrust n'ont pas été déposées et qu'aucun remède n'a été défini, le périmètre peut encore évoluer. La valeur finale dépendra d'arbitrages de périmètre et de gouvernance qui ne sont pas publics à ce stade.

Dernier virage avant la recomposition

Le Projet Bromo formalise une volonté de changer de gabarit pour l'industrie satellites européenne. Il devra convaincre sur deux fronts simultanés : démontrer que la consolidation produit un gain compétitif mesurable et prouver que la concurrence intra-européenne reste vivante et fertile. Les prochains mois donneront la mesure de la robustesse juridique et opérationnelle du schéma choisi.

Infonet.fr continuera de suivre le dossier et ses implications pour les entreprises françaises, des donneurs d'ordre jusqu'aux fournisseurs de rang critique. Cap franchi, mais cap à tenir.

Projet Bromo : une architecture industrielle pour changer d'échelle

Airbus, Thales et Leonardo ont acté les paramètres d'un rapprochement de leurs activités satellites, avec la volonté de créer un acteur intégré de conception et fabrication capable de rivaliser avec les constellations en déploiement, à commencer par Starlink. L'ambition, explicitement assumée, est d'adopter un modèle de coopération industrielle paneuropéen inspiré de celui de MBDA, afin d'additionner capacités, portefeuilles clients institutionnels et empreinte commerciale à l'export.

D'après des éléments convergents, cet accord-cadre marque une entrée en phase structurante après un an de négociations heurtées sur la gouvernance et la valorisation des actifs. Les trois groupes se refusent à tout commentaire, mais la trajectoire visée est claire : aboutir à une coentreprise avoisinant 10 milliards d'euros de valorisation cumulée, avec un périmètre focalisé sur la fabrication de satellites, plutôt que sur les services orbitaux. La temporalité est étagée, avec un horizon de deux ans pour consolider l'architecture juridique, opérationnelle et concurrentielle (Reuters, 20 octobre 2025).

Historique des négociations et points de tension

Les discussions ont démarré en 2024 avant de connaître, durant l'été 2025, un ralentissement sensible lié à deux sujets sensibles : la répartition des technologies souveraines et la géographie des emplois entre sites français et italiens. Les tractations ont repris à l'automne, avec un verrou clé à traiter côté gouvernance, dans le sillage du schéma MBDA souvent cité en référence pour organiser décision, propriété intellectuelle et contrôle des activités duales.

Points clés à retenir

Du lancement des discussions à l'accord-cadre, cinq repères pour suivre la montée en puissance du dossier :

  1. 2024 : ouverture des négociations entre Airbus, Thales et Leonardo.
  2. Été 2025 : blocages sur la gouvernance et la valorisation, discussions ralenties.
  3. 14 octobre 2025 : alerte publique de l'ESA sur la nécessité de préserver la concurrence.
  4. 20 octobre 2025 : accord-cadre rapporté, avec une coentreprise visée autour de 10 milliards d'euros.
  5. 21 octobre 2025 : relai des inquiétudes syndicales et mention d'une possible validation par Leonardo à très court terme.