Comment Kéréa modernise la gestion des déchets à Viviez ?
Découvrez le projet Kéréa à Viviez, alliant innovation et durabilité pour la valorisation des déchets en Aveyron.

Sur les rives industrielles de Viviez, l’Aveyron finalise un pari stratégique: internaliser et moderniser la valorisation de ses déchets. Baptisé Kéréa, le pôle pilote porté par Solena Valorisation conjugue tri robotisé, méthanisation et production de combustibles solides de récupération pour sécuriser, sur fonds privés et publics, une gestion locale de 60 000 tonnes d’ordures ménagères par an et plus. Avec une livraison annoncée au 1er avril 2026, l’outil veut s’inscrire dans la durée.
Gouvernance et financement: un montage public-privé calibré pour l’industrie
Kéréa repose sur une délégation de service public actée en 2019 par le Sydom de l’Aveyron. Ce schéma confie la conception, le financement, la construction et l’exploitation à Solena Valorisation, société dédiée associant Séché Environnement et l’entreprise aveyronnaise Sévigné TP. Le ticket d’entrée est conséquent: 79,5 millions d’euros d’investissement, pour un site conçu afin d’absorber au maximum 90 000 tonnes de déchets ménagers et 8 000 tonnes de biodéchets chaque année.
Ce montage déporte une part significative du risque de performance vers l’opérateur, tout en garantissant au territoire un standard industriel élevé, avec des unités modulaires et des flux diversifiés. Objectif côté collectivité: réduire les coûts logistiques et les aléas d’export de déchets, en consolidant une capacité locale compatible avec la montée des exigences réglementaires.
DSP 2019: ce que la collectivité achète réellement
Le Sydom n’achète pas un bâtiment, mais une capacité de service comprenant la réception, le tri, la valorisation organique et énergétique, plus la gestion des refus. L’opérateur porte l’ingénierie, la maintenance et la disponibilité des installations, avec des indicateurs de performance clés sur la valorisation et la continuité de service. Les pénalités contractuelles encadrent les dérives, notamment sur la qualité des flux sortants et les niveaux d’émissions.
Séché environnement: profil de l’industriel
Basé en Mayenne, Séché Environnement est un acteur de référence des services à l’environnement, avec près de 7 300 salariés et un chiffre d’affaires d’environ 1,1 milliard d’euros. La maison apporte au projet la maîtrise de procédés de tri avancé, de méthanisation et de production de CSR, ainsi que l’expérience des cadres réglementaires ICPE.
Sévigné tp: ancrage local et continuité opérationnelle
Sévigné TP regroupe environ 280 collaborateurs pour 55 millions d’euros de chiffre d’affaires. Son savoir-faire de travaux publics et d’exploitation locale sécurise la phase de chantier comme la gestion quotidienne des flux sur site. La conjonction d’un grand groupe et d’un acteur territorial est un atout pour les délais et l’adaptabilité aux réalités aveyronnaises.
Au-delà des partenaires, la gouvernance associe le Sydom pour la supervision stratégique, avec un contrôle des engagements contractuels et des indicateurs environnementaux. Cette co-responsabilité est déterminante pour absorber les montées en charge et arbitrer, si nécessaire, entre valorisation organique et énergétique selon les volumes entrants.
Calendrier industriel: de la pré-inauguration aux essais avec déchets
Les terrassements menés de septembre 2022 à octobre 2023 ont précédé deux années d’assemblage des bâtiments et des process. Au pic du chantier, plus de 80 entreprises ont été mobilisées, dont 70 % issues de l’Aveyron, confirmant l’effet d’entraînement pour la sous-traitance locale.
Une pré-inauguration le 28 août 2025 a matérialisé la fin de la phase de construction et l’imminence des essais à froid. La bascule vers les essais avec déchets est annoncée pour novembre 2025, soit une période de rodage en conditions réelles sur l’hiver puis une montée progressive vers la livraison du 1er avril 2026. Cette trajectoire échelonne la qualification des équipements critiques et l’étalonnage des automatismes.
À terme, l’exploitation du site générera 32 emplois directs. Dans un département dont le taux de chômage tournait autour de 6,2 % en 2024 selon l’Insee, l’impact est ciblé: techniciens de maintenance, opérateurs de ligne, responsables QHSE, conducteurs d’unités de méthanisation et spécialistes de tri robotisé.
Les essais à froid vérifient la sécurité, l’étanchéité, les automatismes, la compatibilité électromécanique et l’interfaçage des capteurs. Aucun déchet n’entre alors sur site.
Les essais à chaud, avec flux réels, valident la qualité du tri, les rendements de méthanisation, la déshydratation du digestat et l’efficacité des traitements d’odeurs. C’est la phase où se règlent les paramètres de process de façon fine.
Cette approche graduelle est classique dans l’industrie des déchets. Elle limite les aléas de démarrage, sécurise la conformité aux prescriptions environnementales et cadre les engagements contractuels de disponibilités d’unités, essentiels pour la facturation et la performance commerciale du service public.
Chaîne technologique: tri robotisé, méthanisation et csr pour viser 70 % de valorisation
Le site de Viviez est dimensionné pour recevoir sur un même hub les poubelles grises et la collecte dédiée de biodéchets. Inspirée du modèle tarnais Trifyl et conçue via le bureau d’études Elcimaï, la chaîne comprend des halls de réception confinés, un tri mécanique poussé assisté par quatre robots et des circuits distincts pour la matière organique et les refus valorisables.
Trifyl: un précédent régional structurant
Le pôle Trifyl, référence dans le Tarn, a démontré la robustesse d’un schéma multi-filières où l’organique et les refus non recyclables sont orientés vers des valorisations complémentaires. Kéréa reprend l’architecture de principe, tout en actualisant les technologies de tri optique et de robotique pour améliorer la qualité des flux sortants.
Côté organique, la fraction fermentescible des ordures ménagères est envoyée dans six tunnels de méthanisation en voie sèche discontinue. Le biogaz issu du process est épuré en biométhane et injecté dans le réseau Terega, opérateur gazier qui déploie les points de raccordement et les contrôles de qualité.
La production attendue atteint environ 2,8 millions de mètres cubes par an, soit près de 13 GWh, de quoi alimenter l’équivalent d’une ville de 10 000 habitants suivant les usages. En parallèle, la collecte séparée de 8 000 tonnes de biodéchets est compostée sur site, pour une production d’environ 3 000 tonnes de compost, réinjectées dans les sols selon les normes en vigueur.
Pour les fractions non organiques et le digestat séché, la ligne de valorisation fabrique jusqu’à 31 000 tonnes de CSR chaque année. Ce combustible substitut peut alimenter des fours industriels compatibles, contribuant à la baisse de l’usage d’énergies fossiles. Le tri libère aussi 3 500 tonnes de matières valorisables classiques, dont bois et métaux, réorientées vers les filières dédiées.
Au global, Kéréa vise 70 % de valorisation des flux entrants. Les 30 % de refus résiduels sont dirigés vers l’ISDND de l’Igue du Mas, distante d’environ 800 mètres. Le site peut aussi prendre en charge des refus de tri de la collecte sélective, le tout-venant des déchetteries et des déchets d’activités économiques, mutualisant les coûts de traitement sur le bassin aveyronnais.
Décryptage des unités: FFOM, compost, digestat et CSR
FFOM signifie fraction fermentescible des ordures ménagères. Après hydrolyse et digestion, elle génère du biogaz et un digestat.
Séché puis stabilisé, ce digestat peut alimenter la ligne CSR. Les biodéchets collectés séparément privilégient la voie compostage, pour un retour au sol sous norme. Le calibrage des flux entre méthanisation et compostage s’ajuste selon saisonnalité et teneur en impuretés.
Avant toute injection, l’unité doit démontrer la pureté du biométhane selon les standards d’injection. Les contrôles portent sur la teneur en CO2, H2S, l’humidité, les siloxanes et l’odorisation. L’opérateur de réseau audite les sécurités d’interface, la gestion des arrêts d’urgence et les démarches de certification de garanties d’origine pour la traçabilité du gaz vert.
Impacts économiques et risques opérationnels: un bilan coût-bénéfice assumé
L’arrêt des transferts vers d’autres départements consolide la soutenabilité économique du service public des déchets. Moins de camions qui traversent les départements signifie moins de coûts de transport et un bilan carbone allégé, en ligne avec la stratégie régionale. Les cycles d’investissement-emploi irriguent également la sous-traitance locale, déjà mobilisée pendant la construction.
À plus long terme, l’exploitation d’un tel outil génère des retombées fiscales pour les collectivités d’accueil. L’Association des maires de France souligne que ces installations structurantes peuvent représenter, sur la durée d’un contrat, des montants de fiscalité locale cumulée de plusieurs millions d’euros, selon la nature des équipements et la fiscalité applicable. Cette manne contribue à la résilience budgétaire des territoires ruraux, souvent à l’épreuve des variations de bases fiscales.
L’équilibre économique exige cependant une qualité de flux entrants compatible avec les schémas de tri et de méthanisation. À défaut, les rendements baissent, les coûts de maintenance augmentent et l’ISDND peut se retrouver davantage sollicitée. Le calibrage fin des collectes, la communication auprès des usagers et les conventions avec les producteurs de DAE seront donc déterminants.
Sur le plan industriel, les points de vigilance concernent les odeurs, les bruits, la gestion des lixiviats et la maîtrise des émissions diffuses. La conception en bâtiments clos, dotés de systèmes de dépression et de traitement d’air, vise à prévenir ces nuisances. Les obligations de suivi ICPE imposent des contrôles réguliers et des publications d’indicateurs.
Le terrain, ancien site Umicore France, a fait l’objet d’opérations de dépollution préalables. Néanmoins, l’histoire industrielle de Viviez justifie un suivi renforcé.
Les garde-fous reposent sur la caractérisation initiale des sols, la gestion des eaux pluviales, des bassins de rétention étanches et des circuits séparatifs. En cas d’anomalie, le plan de gestion prévoit des mesures correctives graduées.
La pré-inauguration du 28 août 2025 a été marquée par des manifestations d’élus et de riverains inquiets, rappelant l’exigence d’exemplarité environnementale. Les promoteurs du projet affirment le caractère assaini du site et la capacité de Kéréa à s’inscrire dans un modèle de boucle locale de valorisation. Les prochaines campagnes de mesure permettront d’objectiver le respect des normes et l’efficacité des barrières techniques.
Alignement avec l’économie circulaire: cap sur 65 % de recyclage à l’horizon 2030
L’outil aveyronnais colle aux priorités nationales: réduction à la source, tri des biodéchets, valorisation matière et énergétique. La loi AGEC fixe une trajectoire ambitieuse avec un objectif de 65 % de recyclage en 2030. La combinaison tri-robotique, méthanisation et CSR donne à Kéréa une palette d’options pour maximiser l’effet de levier sur les tonnages collectés.
Les dernières données officielles ont mis en évidence une baisse des déchets produits et une hausse du recyclage en 2025, confirmant la pertinence des investissements industriels dans les filières de valorisation (notre-environnement, mai 2025). Dans ce contexte, la capacité de Kéréa à injecter du biométhane et à substituer des combustibles fossiles via le CSR participe à la neutralité carbone du segment déchets.
Le parti-pris multi-filières procure aussi un amortisseur face aux cycles de marché des matières. Lorsque les cours des métaux ou du bois se tendent, la ligne de CSR conserve un exutoire industriel stable, tout en honorant les critères de qualité et de pouvoir calorifique exigés par les utilisateurs. À l’inverse, en période de prix élevés des matières, le tri robotisé ajuste ses seuils de captage pour maximiser la valeur.
Les robots de tri, couplés à la vision et au tri optique, permettent de reconnaître rapidement des matériaux dans des flux complexes. On gagne en précision et en régularité par rapport à un tri purement mécanique. Ce surcroît de qualité rend les matières plus facilement recyclables et sécurise les filières aval, avec des effets visibles dès la première année d’exploitation.
La région Occitanie dispose d’atouts pour soutenir cet écosystème: maillage d’ISDND, unités de valorisation énergétique régionales, et industrie utilisatrice de CSR. Sur le terrain, l’argument logistique reste déterminant: ne plus transporter une partie des déchets vers le Tarn stabilise les coûts et coupe une source d’incertitude contractuelle pour le Sydom.
Indicateurs publics à suivre en 2026
Trois métriques feront office de baromètres: taux de valorisation global du site, quantités de biométhane injectées et qualité des composts au regard des seuils agronomiques. Ces données conditionneront la trajectoire de performance et l’atteinte des objectifs nationaux d’économie circulaire (indicateurs clés, avril 2025).
Cap opérationnel jusqu’en 2026 et après
Les prochains mois seront décisifs. L’automatisation doit prouver sa robustesse sur des tonnages réels et l’injection au réseau Terega validera les protocoles de qualité gaz.
Les mécanismes de contrôle des nuisances et le suivi environnemental sur un site à passé industriel sensible seront observés de près. La dynamique sociale et économique locale, avec 32 emplois directs et un réseau de sous-traitants, représente un ancrage tangible.
Si la montée en charge se confirme, Kéréa fera figure de pilier industriel pour l’Aveyron. L’architecture multi-filières, inspirée de Trifyl et adaptée aux exigences 2025-2026, place le territoire sur un cap de sobriété matière et d’autonomie logistique. Reste l’essentiel: exécuter sans faille, publier les résultats et entretenir la confiance des riverains par la transparence des données.
Kéréa incarne un compromis industriel: traiter localement, valoriser mieux et réduire les transports, en alignant technologie, gouvernance et responsabilité environnementale pour une trajectoire crédible jusqu’en 2026.