Un tour d’amorçage de 7,5 millions d'euros pour Isentroniq
Isentroniq lève 7,5 millions d'euros pour innover le câblage cryogénique avec un produit attendu en 2027.

À Paris, Isentroniq revendique un tour d’amorçage de 7,5 millions d’euros annoncé le 14 octobre 2025 pour résoudre un point de blocage bien identifié des calculateurs quantiques : le câblage cryogénique des qubits supraconducteurs. En visant un produit industriel dès 2027, la jeune pousse se positionne sur la partie la plus contraignante de la pile matérielle, avec une promesse de performance thermique hors normes.
7,5 millions d’euros pour lever le verrou du câblage
La start-up parisienne Isentroniq a dévoilé une levée de fonds d’amorçage de 7,5 millions d’euros, pilotée par le fonds Heartcore. L’opération, rendue publique le 14 octobre 2025, financera le développement d’une solution de câblage destinée aux processeurs à qubits supraconducteurs et l’industrialisation de ses premiers modules. Les détails techniques restent confidentiels, mais l’ambition affichée est claire : rendre possible le passage à l’échelle, aujourd’hui freiné par la prolifération des lignes de contrôle et leur coût thermique.
Isentroniq confirme son choix d’une technologie tout électrique et revendique un avantage thermique de trois ordres de grandeur par rapport aux approches concurrentes. La jeune société annonce un démonstrateur à l’horizon mi-2026 et une première offre commerciale, plug and play, au plus tard début 2027. L’objectif initial : une performance d’un facteur dix supérieure aux solutions disponibles, sans reconfigurer les cryostats en place.
Heartcore : chef de file du tour
Le tour d’amorçage a été mené par Heartcore, investisseur principal. D’autres acteurs ont participé, sans communication détaillée pour l’instant. L’information de l’opération et de sa structuration a été rapportée par des médias spécialisés, dont Quantum Computing Report et Presse Citron, qui confirment le montant levé et la nature du projet (Quantum Computing Report).
Capex et calendrier : ce qu’Isentroniq annonce
La société prévoit un démonstrateur mi-2026 et un produit plug and play au plus tard début 2027. Les spécifications exactes restent confidentielles, mais l’intégration est pensée pour les cryostats existants, limitant les coûts d’adoption côté clients.
Le goulet d’étranglement cryogénique des qubits supraconducteurs
Dans les architectures supraconductrices comme celles explorées par Google, IBM, AWS ou la française Alice & Bob, un qubit peut nécessiter jusqu’à quatre câbles pour son contrôle. Résultat : l’empilement des lignes dans le cryostat bouche les passages, charge thermiquement la machine et empêche l’échelle nécessaire aux cas d’usage industriels.
Le refroidissement se fait à quelques millièmes de kelvin, soit près de -273 °C, dans des réfrigérateurs à dilution. Chaque câble ajoute des pertes et de la dissipation, ce qui impose des cryostats plus volumineux et plus puissants. Le coût unitaire de ces systèmes oscille de l’ordre de 500 000 à 2 millions d’euros, selon les configurations et les fournisseurs industriels.
Un tel empilement, extrapolé vers des processeurs de plusieurs millions de qubits, aboutirait à une installation démesurée et énergivore. L’image évoquée par Paul Magnard est parlante : on se rapprocherait d’une emprise au sol comparable à un terrain de football, sans parler de la puissance électrique nécessaire. C’est précisément ce mur d’ingénierie qu’Isentroniq tente de contourner par la voie électrique.
À mesure que l’on multiplie les qubits, on multiplie les lignes de contrôle, de lecture et de flux. Chaque ligne transporte du signal mais aussi des pertes dissipatives à travers les étages du cryostat. Les atténuateurs, filtres et amplificateurs nécessaires au conditionnement s’ajoutent à l’empreinte thermique. Cet empilement limite la taille de l’appareil, bien avant d’atteindre le million de qubits.
Ordres de grandeur à retenir
- Température de fonctionnement des qubits supraconducteurs : quelques mK.
- Lignes par qubit : jusqu’à quatre aujourd’hui.
- Coût d’un réfrigérateur à dilution : ≈ 0,5 à 2 M€ selon la configuration.
- Risque d’explosion des coûts énergétiques avec l’échelle, si la dissipation par ligne n’est pas réduite.
Une approche tout électrique, compatible avec les cryostats existants
Contrairement aux projets misant sur la photonique, Isentroniq développe une solution entièrement électrique. Cette orientation vise à simplifier l’intégration dans les cryostats et à réduire drastiquement le bilan thermique du contrôle des qubits. La société évoque un avantage d’au moins mille fois sur cet indicateur par rapport aux autres options aujourd’hui étudiées.
Sans divulguer le principe technique central, l’équipe prévoit un démonstrateur mi-2026 pour valider l’approche, puis un premier produit plug and play au plus tard début 2027. À court terme, un gain d’un facteur dix par rapport à l’existant permettrait, selon elle, de s’aligner sur les feuilles de route des fabricants de puces et d’accélérer l’adoption par les laboratoires et les premiers intégrateurs.
Viqthor : l’option optique en concurrence
Des acteurs comme Viqthor expérimentent des liaisons optiques pour le câblage cryogénique, avec des prototypes annoncés en 2024. Isentroniq prend le contre-pied avec une architecture électrique, estimant que le ratio performance thermique sur complexité d’intégration tournera à l’avantage du tout-électrique à court terme, notamment pour une compatibilité immédiate avec les cryostats en parc.
Un facteur 1000 sur le bilan thermique ne signifie pas une puissance de calcul multipliée par 1000. Cela indique que, pour une fonctionnalité de contrôle équivalente, la dissipation aux étages froids du cryostat serait réduite d’un facteur trois ordres de grandeur. Concrètement : moins de chaleur à extraire, donc des cryostats moins sollicités, un coût énergétique réduit et une densité d’intégration accrue.
Calendrier communiqué par Isentroniq
- Mi-2026 : readiness du démonstrateur, objectif de validation du cœur technologique.
- Début 2027 au plus tard : première mise sur le marché, module plug and play conçu pour s’insérer dans les cryostats existants.
- Intégration prévue avec les lignes de contrôle actuelles, sans refonte lourde des bancs expérimentaux.
Modèle fabless et ancrage industriel en France
Fondée début 2025, Isentroniq a retenu un modèle fabless. Objectif : accélérer les itérations de conception et éviter des investissements massifs en équipement de production.
Pour Théodore Amar, cofondateur, ce choix répond à un impératif de vitesse d’exécution et de qualité industrielle dès les premières séries. Le modèle rapproche la start-up de la filière des semi-conducteurs, où la conception est découplée de la fabrication.
La société mentionne des discussions en cours avec des industriels pour des partenariats, notamment autour de la chaîne de valeur des câbles cryogéniques. Cette trajectoire pourrait se traduire par des alliances avec les fournisseurs d’équipements de cryogénie et des intégrateurs de systèmes, afin d’assurer la qualification et la montée en volume.
Qryolink : vers une filière souveraine de câbles cryogéniques
Isentroniq pourrait collaborer avec les membres du projet Qryolink, une initiative française qui vise à bâtir une filière domestique de câbles coaxiaux cryogéniques et à desserrer un monopole d’approvisionnement d’origine japonaise. Paul Magnard, cofondateur d’Isentroniq et ancien responsable de ce projet chez Alice & Bob, apporte une expérience directe de ces enjeux. Qryolink est mentionné comme partie prenante des efforts nationaux pour renforcer la souveraineté technologique en quantique.
Au-delà des câbles, l’écosystème compte des fournisseurs de cryostats comme Bluefors et Oxford Instruments. L’annonce d’Isentroniq met l’accent sur la compatibilité de sa solution avec les installations existantes, élément clé pour réduire les frictions à l’adoption et limiter les dépenses d’équipement côté client.
Les câbles coaxiaux cryogéniques cumulent des contraintes : faible perte, faible dissipation, stabilité mécanique et compatibilité avec les cycles thermiques. Un approvisionnement concentré crée une vulnérabilité pour la R&D et l’industrialisation européennes. Une filière souveraine vise à sécuriser prix, délais et qualité, tout en favorisant l’innovation incrémentale proche des besoins des laboratoires.
Marché, acteurs et enjeux économiques pour l’écosystème français
Le marché mondial de l’informatique quantique est estimé à environ 1,5 milliard de dollars en 2025, avec une progression soutenue portée par les efforts des Big Tech et des deep tech européennes. Les qubits supraconducteurs dominent la course, mais leur évolutivité reste freinée par le câblage et la dissipation qui l’accompagne. En ciblant ce point névralgique, Isentroniq adresse une niche critique mais potentiellement décisive pour l’amorçage d’applications industrielles.
La proposition de valeur économique est double : réduire le coût thermique par qubit et augmenter la densité de lignes dans le cryostat. La conséquence attendue est une baisse des budgets d’équipement et d’exploitation pour les plateformes de test et, à terme, pour les systèmes à plus grande échelle. Les projections évoquent des besoins énergétiques de l’ordre de dizaines de mégawatts pour des machines très larges si le câblage n’est pas repensé, une perspective que la société veut contribuer à éviter.
Sur le plan national, la dynamique d’innovation deep tech est alimentée par France 2030 et le programme French Tech 2030, lancé en 2023. Les sélections de la French Tech et les dispositifs d’accompagnement visent à consolider les filières industrielles de souveraineté, dont le quantique, en renforçant le passage du laboratoire au marché. Isentroniq s’inscrit dans ce mouvement en ciblant la chaîne d’interconnexion et de contrôle, complémentaire des avancées sur le qubit lui-même.
Dans l’écosystème, Alice & Bob a structuré sa trajectoire autour des qubits cat et levé 27 millions d’euros en 2022, avec des annonces de partenariats avec des laboratoires du CNRS en septembre 2025. Les géants internationaux poursuivent leurs roadmaps supraconductrices, tandis que des acteurs comme Viqthor expérimentent l’optique pour soulager les étages froids. Ce foisonnement confirme que la bataille se joue autant sur les interconnexions et la métrologie cryogénique que sur la physique des qubits.
Repères politiques : France 2030 et French Tech 2030
France 2030 mobilise des moyens importants pour les technologies stratégiques, incluant le quantique, avec une enveloppe annoncée de 54 milliards d’euros. Le programme French Tech 2030, lancé en 2023, identifie et accompagne des projets à fort impact, avec des vagues de sélection en 2023 et 2025. Ces cadres publics favorisent l’émergence d’initiatives industrielles sur des maillons critiques, comme le câblage cryogénique.
- Qubit supraconducteur : circuit supraconducteur dont deux états quantiques sont exploités comme 0 et 1 logiques, manipulés par micro-ondes.
- Cryostat : enceinte thermiquement isolée permettant d’atteindre des températures de l’ordre du kelvin et en dessous.
- Réfrigérateur à dilution : machine cryogénique basée sur un mélange d’hélium 3 et hélium 4, capable d’atteindre des millikelvins.
Qui est Isentroniq : équipe fondatrice et positionnement
Isentroniq a été fondée début 2025 par Paul Magnard et Théodore Amar. Physicien de formation, Paul Magnard est docteur de l’ETH Zurich, avec une expérience opérationnelle chez Alice & Bob où il a travaillé sur les qubits supraconducteurs et piloté le projet Qryolink. Ce parcours ancre la jeune pousse dans les réalités de l’intégration cryogénique et des verrous d’industrialisation.
Théodore Amar apporte une expertise entrepreneuriale et de structuration de start-up technologiques. Leur ambition commune : faire d’Isentroniq un maillon clé de la chaîne de valeur quantique, en résolvant un problème identifié comme critique par les industriels comme par les laboratoires publics. Le choix d’un produit compatible avec les cryostats existants traduit cette volonté de déploiement rapide dans l’écosystème.
Alice & Bob : continuité de savoir-faire sur les qubits cat
Les travaux d’Alice & Bob sur les qubits cat, orientés vers la correction d’erreurs, se poursuivent avec des annonces de partenariats CNRS en septembre 2025. La présence d’un ancien responsable de Qryolink chez Isentroniq suggère une continuité de compétences sur les infrastructures cryogéniques, sujet transversal à l’ensemble des plateformes supraconductrices.
Bluefors et Oxford Instruments : la compatibilité comme atout
Les cryostats de Bluefors et d’Oxford Instruments équipent une part importante des laboratoires et des start-up. Proposer un module qui se branche dans ces environnements sans refonte des bancs est un avantage commercial immédiat. La promesse d’un rapport performance thermique sur simplicité d’intégration favorable constitue le cœur du pari d’Isentroniq.
Ce que la levée change pour la filière : signaux business et priorités
La levée de 7,5 M€ indique que les investisseurs identifient le câblage comme un goulot d’étranglement monétisable. Pour les clients potentiels, les bénéfices attendus se résument en trois axes : diminution de la dissipation à froid, meilleure densité d’interconnexions et réduction des capex par extension des capacités de cryostats existants plutôt que par achat d’unités supplémentaires.
Pour la start-up, l’enjeu est d’aboutir rapidement à une preuve de concept robuste, puis à une qualification par des partenaires de référence. Des discussions sont annoncées avec des industriels, sans détails publics, et la perspective d’un travail avec la communauté Qryolink ouvre la voie à des synergies de filière. La trajectoire est cohérente avec les programmes publics en faveur de la souveraineté et de l’industrialisation deep tech.
- Signal au marché : le financement cible l’infrastructure du calcul quantique, pas uniquement les puces.
- Adoption : compatibilité avec les cryostats en parc pour accélérer les déploiements.
- Industriel : modèle fabless pour externaliser les étapes capitalistiques et concentrer l’effort sur la conception.
La clé sera la traduction du facteur 1000x sur le bilan thermique en gains mesurables sur des bancs réels, puis en ROI pour des utilisateurs finaux. L’autre paramètre critique réside dans la fiabilité en environnement cryogénique, où la répétabilité et la tenue dans le temps priment autant que la performance nominale.
Prochain jalon : démonstrateur mi-2026 et arbitrages industriels
Le calendrier affiché est court pour un saut de performance de cette ampleur. La présentation du démonstrateur mi-2026 constituera le test décisif : c’est là que se joueront les premières validations indépendantes et les arbitrages d’intégration avec des partenaires. À l’horizon 2027, si la promesse de 10x initial et la trajectoire de 1000x thermique se confirment, Isentroniq s’installera au centre des discussions sur l’échelle des systèmes supraconducteurs.
Pour la France, l’intérêt dépasse le seul cas d’une start-up. Un succès commercial sur le câblage cryogénique contribuerait à la consolidation d’une filière souveraine, à la croisée de l’électronique bas bruit, de la cryogénie et des micro-ondes. La balle est désormais dans le camp de l’industrialisation et des premières intégrations clients.
Les prochains mois diront si la promesse électrique d’Isentroniq transforme un verrou d’ingénierie en avantage compétitif.