La défiance des dirigeants de la French Tech face à la politique
Découvrez comment l'instabilité politique affecte la confiance des dirigeants de la French Tech et les attentes économiques pour 2026.

Depuis juin 2024, l’instabilité politique a quitté les couloirs du Palais Bourbon pour gagner les tableaux de bord des dirigeants. Les indicateurs de confiance décrochent, la French Tech s’interroge, les plans d’investissement se figent. La chute du gouvernement de François Bayrou début septembre 2025, suivie de la nomination express de Sébastien Lecornu, concentre ces tensions et cristallise la défiance patronale.
Après la dissolution, un climat d’incertitude durable pour la french tech
La séquence ouverte par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 n’a pas refermé ses effets. Dans l’écosystème technologique, la volatilité politique se lit désormais comme un facteur de risque au même titre que l’accès au capital ou le coût de l’énergie. Une enquête réalisée par Legalstart auprès de 2 911 dirigeants juste après le vote de confiance perdu par François Bayrou place la confiance envers l’exécutif à un point bas.
Selon cette étude, 67 % des entrepreneurs se disent inquiets de la situation politique, dont 28 % très inquiets. Ce recul s’inscrit dans une évolution plus large: le lien privilégié forgé durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron avec la communauté tech s’est effrité.
Fin 2024, huit dirigeants sur dix déclaraient ne plus faire confiance au chef de l’État. Le seuil symbolique franchi aujourd’hui est d’une autre nature: 50,9 % jugent prioritaire la démission du président.
Ce faisceau d’indicateurs s’accompagne d’un glissement perceptible dans les échanges entre investisseurs, dirigeants et pouvoirs publics: le langage de l’initiative cède du terrain à celui de la préservation. Le ralentissement des décisions, la prudence des fonds et la priorité donnée à la trésorerie dessinent un paysage entrepreneurial plus défensif.
Repères de la séquence politique 2024-2025
Trois dates structurantes encadrent la montée de la défiance des dirigeants:
- Dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, nouvelles élections législatives.
- Vote de confiance perdu par le gouvernement de François Bayrou le 8 septembre 2025.
- Nomination de Sébastien Lecornu à Matignon dans les 24 heures suivant le vote.
Bayrou renversé, lecornu nommé: lecture économique d’une séquence politique
Le 8 septembre 2025, l’Assemblée nationale rejette largement la confiance au gouvernement de François Bayrou. Quelques semaines plus tôt, Bayrou avait détaillé une trajectoire pluriannuelle axée sur la maîtrise des dépenses et le redressement des comptes publics, avec un objectif de 43,8 milliards d’euros d’économies et un déficit ramené à 4,6 % du PIB en 2026 (info.gouv.fr, 15 juillet 2025).
Politiquement, la désignation rapide de Sébastien Lecornu se voulait un signal de continuité opérationnelle. Elle répond aussi à une attente exprimée dans l’enquête Legalstart, où 31,2 % des dirigeants souhaitaient une nomination rapide.
Mais l’adhésion n’est pas au rendez-vous: seuls 10,4 % des chefs d’entreprise soutiennent ce choix, contre 22,5 % pour Jordan Bardella. Des figures telles qu’Olivier Faure (8,4 %), François Villeroy de Galhau (8 %) ou Bernard Cazeneuve (6,1 %) ne fédèrent pas davantage. Et un bloc conséquent, 27,2 %, ne se reconnaît dans aucun des noms testés.
Le message envoyé au marché est limpide: le point de friction ne se résume pas à la personne du Premier ministre, il tient à l’instabilité de la coalition parlementaire et à l’absence de trajectoire politique perçue comme stable sur l’horizon budgétaire 2025-2027. Dans ce contexte, les entreprises révisent leurs hypothèses: ralentissement des recrutements, priorisation des projets rentables à court terme, étalement des dépenses marketing et report de certaines levées de fonds.
Perdre un vote de confiance ne relève pas seulement de la symbolique institutionnelle. Côté entreprises, trois effets se combinent:
- Calendrier législatif perturbé pour les lois de finances, augmentant l’incertitude réglementaire.
- Renchérissement potentiel du coût du capital si le risque politique élargit les primes de risque.
- Décisions d’investissement internes retardées, notamment pour les projets à ROI long.
Qui est legalstart
Legalstart est une plateforme française de services juridiques et administratifs destinée aux TPE, PME et indépendants. Elle accompagne les dirigeants dans la création d’entreprise, la gestion des formalités, la rédaction de contrats et certaines démarches de conformité. Les baromètres qu’elle publie s’appuient sur un large panel d’utilisateurs et de dirigeants, offrant une lecture précise des attentes opérationnelles des petites et moyennes structures.
Diagnostics publics et risques macro: dette, déficit et perception des dirigeants
Sur le terrain macroéconomique, les signaux envoyés par l’exécutif au printemps 2025 se voulaient transparents. À l’occasion d’un comité d’alerte sur les finances publiques, l’exécutif a partagé un diagnostic qualifié d’alarmant sur l’ampleur des déficits et de la dette, avec un appel à la vérité budgétaire et à la hausse de la production. La dette publique française atteignait 110,6 % du PIB fin 2024 (INSEE, fin 2024).
Dans ce contexte, le jugement des dirigeants se tend. 76 % anticipent une crise économique grave et 83 % une nouvelle crise politique. Les points d’attention sont clairs: la fiscalité, la demande, la confiance des investisseurs et la trajectoire de la dette. Les entreprises, notamment technologiques, observent la circulation du risque politique vers le coût du capital et l’appétit des fonds.
À court terme, deux mécanismes importent particulièrement pour les dirigeants: la lisibilité de la loi de finances 2026 et la crédibilité de la trajectoire de désendettement. L’un sans l’autre n’enclenche pas la détente attendue sur les coûts de financement ou sur les primes de risque sectorielles.
La conséquence d’un ratio de dette à 110,6 % du PIB
Un ratio de dette publique à trois chiffres renforce la sensibilité du pays aux chocs:
- Moindre marge budgétaire pour amortir une récession.
- Vulnérabilité aux hausses de taux, via la charge d’intérêt.
- Effet d’éviction potentiel pour l’investissement privé si le coût du capital se tend.
Priorités des dirigeants: fiscalité, pouvoir d’achat et simplification dans l’agenda 2026
La demande des entreprises est nette. Près de 60 % des dirigeants interrogés plaident pour une baisse significative des charges fiscales et sociales.
46,2 % appellent à soutenir le pouvoir d’achat afin de stabiliser la demande et la consommation. En parallèle, la simplification administrative revient comme une exigence immédiate pour accélérer les dossiers d’investissement et fluidifier la vie des entreprises.
Les entreprises ont pris acte des annonces budgétaires de la mi-juillet 2025, qui conjuguaient relance de la production et maîtrise de la dépense, et fixaient une trajectoire chiffrée d’économies pour les prochaines années (info.gouv.fr, 15 juillet 2025). La démission du gouvernement Bayrou a remis en question le calendrier mais pas l’objectif: la crédibilité de la trajectoire est désormais entre les mains de Matignon.
Pour regagner du crédit auprès des dirigeants, l’exécutif devra rapidement poser des jalons lisibles: clarifier la trajectoire des allégements de charges, donner de la visibilité fiscale sur 24 à 36 mois, calibrer des dispositifs ciblés sur l’investissement productif et l’innovation, sécuriser le financement de la transition énergétique sans déstabiliser les trésoreries.
Dans l’attente d’un vote budgétaire, plusieurs leviers d’exécution existent:
- Accélérer les délais administratifs par circulaires et objectifs de traitement.
- Flécher des enveloppes via opérateurs publics pour fluidifier des cofinancements déjà votés.
- Élargir temporairement les fenêtres de certains dispositifs d’amortissement et d’aides à l’investissement, si prévu dans les textes en vigueur.
- Renforcer l’accompagnement des TPE-PME à l’export et à l’innovation via des guichets existants.
L’innovation sous tension: financement, demande et exécution opérationnelle
L’inquiétude exprimée par les dirigeants s’ancre dans des considérations très concrètes. Le bloc de craintes remonte en priorité une hausse des impôts (54,6 %), une baisse de la demande (50,2 %), la défiance des investisseurs (35,9 %) et la hausse de la dette publique (33,2 %). Pour la French Tech, ces signaux se traduisent potentiellement par des tours de table plus lents, des valorisations plus prudentes et des fenêtres d’introduction en Bourse moins favorables.
Les investisseurs scrutent la lisibilité des politiques publiques. Faute de visibilité, ils raccourcissent leurs horizons et privilégient des modèles unit economics robustes à court terme. Les startups qui anticipent ces attentes réorientent leur exécution: pivot vers la rentabilité, ralentissement de la croissance externe et focalisation sur les marchés qui génèrent de la trésorerie.
Le rôle des acteurs publics et parapublics est déterminant pour amortir le choc de confiance: stabilisation des appels à projets, cohérence des dispositifs de soutien, rapidité de paiement et garanties ciblées. À l’échelle des territoires, les mairies et intercommunalités, portées par les réseaux d’élus, peuvent accélérer les implantations et les chantiers en simplifiant l’instruction des dossiers et en coordonnant plus finement les autorisations.
Amf et collectivités: marges locales pour sécuriser les projets
La chaîne de décision locale pèse souvent autant que la norme nationale dans le succès d’un projet industriel ou d’un site logistique. Des marges de manœuvre existent: guichet unique pour les porteurs de projets, accompagnement des recours, coordination entre urbanisme et environnement, conventions de délais. Dans une période de tension politique, ces gains d’exécution au niveau local constituent un amortisseur précieux pour préserver l’investissement.
Au-delà des rapports et baromètres, le sentiment des dirigeants se forme par capillarité:
- Retours de pairs et d’investisseurs sur les conditions de financement.
- Visibilité sur le pipeline commercial et retards de décision chez les clients.
- Lecture des signaux politiques et médiatiques, y compris les publications sur les réseaux sociaux.
Ces éléments composent un indice de confiance implicite qui influence immédiatement les arbitrages d’embauche, de CAPEX et de M&A.
Budget 2026 et trajectoire d’action publique: ce que les entreprises attendent
Le débat budgétaire de l’automne 2025 sera scruté à la loupe par les directions financières. L’objectif affiché par l’exécutif est double: relancer la production et redresser les comptes publics, en s’engageant sur une trajectoire d’économies à horizon 2026-2027.
L’issue du premier vote de confiance a mis en suspens l’architecture portée par François Bayrou, mais les cibles demeurent. Dans l’intervalle, la nomination de Sébastien Lecornu est évaluée non sur l’intention mais sur la capacité de la majorité à faire adopter des textes structurants.
Pour rétablir la confiance, trois points seront déterminants:
- Prévisibilité de la norme fiscale et sociale sur 24 mois, avec un calendrier précis.
- Efficience des dépenses publiques, matérialisée par des évaluations indépendantes et des redéploiements lisibles.
- Simplification administrative, mesurée par des délais cibles et des engagements de service opposables.
Les dirigeants attendent de Matignon une priorisation claire, loin des catalogues de mesures. Le consensus qui se dégage est celui d’un choc d’exécution: peu de dispositifs, bien ciblés, rapides à déployer et évalués dans la durée.
Chiffres de confiance à retenir
Quatre données structurent l’état d’esprit des dirigeants:
- 67 % d’inquiets, 28 % de très inquiets.
- 50,9 % jugent prioritaire la démission du président.
- 76 % anticipent une crise économique, 83 % une crise politique.
- 78,4 % estiment la France plus vulnérable que ses voisins.
Stabilité politique, condition de l’investissement
La nomination de Sébastien Lecornu promet la continuité de l’État mais ne suffit pas à éteindre le doute entrepreneurial. Les dirigeants demandent des signaux tangibles: trajectoire budgétaire crédible, baisse des charges ciblée et administration plus rapide. La stabilité n’est pas un objectif en soi, c’est le prérequis pour relancer l’investissement et l’innovation en France.
Les prochains arbitrages budgétaires et la capacité à obtenir un vote de confiance durable diront si la relation avec la French Tech peut être réamorcée. Sans inflexion nette, l’économie réelle continuera de se placer en mode défensif, au risque de sous-investir l’avenir.
Les entreprises ont montré qu’elles savent s’adapter; elles attendent désormais que la politique suive au même rythme.