76 % des entreprises françaises affichent leur intérêt pour l’IA, mais peu franchissent le pas d’un déploiement à grande échelle. Dans les trésoreries, l’heure est aux pilotes, aux garde-fous et à l’évaluation du risque. Entre gains opérationnels et exigences réglementaires, la fonction trace sa voie vers une automatisation maîtrisée et une prise de décision mieux éclairée.

Baromètre 2025 : intérêt massif, déploiements mesurés

Dans l’écosystème financier français, l’IA est devenue un sujet prioritaire de modernisation. Les directions financières et les trésoreries testent des cas d’usage circonscrits, portent une attention accrue à l’explicabilité et conservent un rythme prudent de mise en production. Les motivations sont claires : fiabiliser la prévision de liquidité, accélérer le rapprochement bancaire, renforcer la détection des schémas frauduleux et améliorer la productivité des équipes.

Pour autant, l’écart demeure entre l’attention portée au sujet et la réalité des déploiements. Les contraintes de conformité, le besoin de supervision humaine et l’hétérogénéité des données pèsent sur la décision d’investir. Les trésoreries, par nature averses au risque, arbitrent en faveur de pilotes ciblés et d’une industrialisation progressive, adossée à des critères de succès mesurables.

Indicateur-clé 2025 : intérêt déclaré pour l’IA

76 % des entreprises françaises se disent enthousiastes à l’égard de l’IA, tout en avançant avec prudence vers l’adoption généralisée. Cette photographie nourrit la stratégie des trésoreries qui privilégient des pilotes strictement encadrés avec revue des risques et mesure de valeur créée (ABBYY, 09/2025).

Au plan institutionnel, la France affiche une volonté d’accélération. Un panorama recensé par les autorités économiques fait état de 590 start-ups IA, dont 16 licornes, et de soutiens publics significatifs alloués en 2022 à l’écosystème. Le signal est clair : l’IA n’est plus une option périphérique, mais un levier d’innovation attendu dans les fonctions financières et de trésorerie.

Trois usages qui émergent en trésorerie

Les trésoriers privilégient les applications à fort impact opérationnel, avec un périmètre fonctionnel et technique maîtrisable. Trois chantiers, déjà en test dans de nombreuses entreprises françaises et européennes, concentrent l’essentiel des efforts.

Prévision des flux de trésorerie : vers des modèles apprenants

Les équipes combinent historiques de ventes, encaissements, comportements de paiement et saisonnalité pour améliorer la visibilité court terme et moyen terme. Les modèles d’apprentissage automatique soutiennent la construction de scénarios, l’évaluation d’incertitude et la détection de ruptures de tendance. L’enjeu n’est pas seulement la précision : il s’agit d’orchestrer des décisions de financement, d’investissement et de couverture, tout en s’intégrant aux outils TMS et ERP sans multiplier les ruptures de charge.

Des jeunes pousses françaises conçoivent des solutions de modélisation probabiliste et de data preparation spécifiques aux flux financiers. Les trésoreries qui avancent le plus loin inscrivent la prévision IA dans un processus global : gouvernance de données, documentation des hypothèses, seuils d’alerte et boucle d’amélioration continue.

Détection et prévention des fraudes : analyse en temps réel des signaux faibles

Les algorithmes repèrent des anomalies de comportement dans les paiements fournisseurs, les virements et les changements de coordonnées bancaires. L’apport de l’IA se mesure à la finesse des signaux et au recalibrage dynamique des règles.

Une étude publiée en 2024 relève que la mise en œuvre d’IA en finance s’accompagne d’une amélioration notable de la détection des risques pour les entreprises européennes. L’articulation homme-machine reste déterminante : l’IA propose, les contrôleurs confirment, et les règles métiers continuent de primer.

Reconciliations bancaires automatisées : du rapprochement à la justification

La capacité à rapprocher de grands volumes de transactions avec un taux d’appariement élevé constitue un cas d’usage très demandé. L’IA accélère la catégorisation, gère les cas multiligne et réduit les écritures en suspens. Des retours de place signalent que la généralisation de cette automatisation figure parmi les priorités des directions financières françaises en 2023, principalement pour libérer du temps de contrôle et sécuriser le délai de clôture.

Pour des modèles prédictifs robustes, les trésoreries enrichissent les historiques par :

  • Des calendriers d’exigibilité, échéanciers clients et fournisseurs, conditions de paiement contractuelles.
  • Des données de saisonnalité commerciale et d’effets calendaires spécifiques aux métiers.
  • Des indicateurs de litige, d’avoir, de décote et de remises exceptionnelles.
  • Des variables exogènes: indices sectoriels, prix de l’énergie, et signaux macro utilisés comme variables de contrôle lorsque cela est pertinent.

La valeur provient autant du data engineering que du modèle en lui-même : dictionnaires communs, gestion des doublons, audit des sources et traçabilité des transformations.

Les avancées seront mises en lumière lors du Sommet pour l’Action sur l’Intelligence Artificielle 2025, annoncé à Paris les 10 et 11 février. Les retours d’expérience attendus devraient conforter les approches incrémentales et la recherche d’un ratio bénéfice-risque équilibré.

Données, conformité et gouvernance : le triangle de la confiance

La qualité des données reste l’obstacle numéro un. En France, à peine plus de la moitié des PME dispose d’un patrimoine de données structuré, suffisant pour nourrir des modèles fiables.

Dans un contexte où la trésorerie traite des flux critiques, l’exigence de justesse dépasse la moyenne des fonctions support. Concrètement, l’effort initial se concentre sur le référentiel tiers, les règles d’agrégation, et la normalisation des identifiants bancaires et comptables.

Ensuite vient l’explicabilité. Les trésoreries ne peuvent pas se contenter d’une réponse opaque. Il leur faut des recommandations auditées, justifiées, et traçables, dans l’optique d’un contrôle interne et d’un dialogue serein avec les auditeurs, les commissaires aux comptes et, le cas échéant, l’AMF. L’adoption du cadre européen de l’IA en 2024 hisse le niveau d’exigences sur la transparence et la gestion des risques pour les systèmes considérés comme sensibles ou à fort impact.

Enfin, l’alignement avec les normes comptables IFRS et la documentation de tous les choix d’implémentation créent les conditions d’une automatisation acceptable. Les entreprises qui structurent une gouvernance claire de la donnée et des modèles gagnent en vélocité d’exécution et en stabilité prudente de leurs déploiements.

Ce que change la réglementation européenne sur l’IA

Adoptée en 2024, la réglementation européenne renforce la transparence, la gestion des risques et la documentation des systèmes d’IA à fort impact. Pour les trésoreries, cela se traduit par une attention redoublée à l’explicabilité, à la qualité des données et à la supervision humaine des décisions à enjeu financier. Les politiques internes doivent refléter cette exigence croissante.

  • Apprentissage supervisé : modèle entraîné sur des exemples étiquetés pour prédire une valeur ou une classe, utile pour saisir des régularités dans les flux.
  • Dérive conceptuelle : changement des relations statistiques dans le temps impactant la performance des modèles, à surveiller en environnement macro instable.
  • MLOps : pratiques d’industrialisation, de monitoring et de mise à jour des modèles, essentielles pour stabiliser la production.
  • Explicabilité : capacité à décomposer une recommandation du modèle en facteurs compréhensibles par les métiers et contrôleurs.

L’aspect humain, enfin, est central. La montée en compétence des équipes, encouragée par des initiatives publiques de formation, vise à installer une culture de la donnée conciliant expertise métier et nouveaux réflexes analytiques. Les points de vigilance remontés par des experts de la transformation digitale sur X rappellent que la cybersécurité doit être intégrée dès la phase pilote, notamment pour le cloisonnement des environnements et la protection des secrets métiers.

Adoption progressive : pilotes encadrés, KPIs et intégration SI

Les projets qui convergent vers un déploiement maîtrisé partagent un ADN méthodique : démarrage sur un cas circonscrit, métriques d’impact définies avant la mise en test, comitologie claire, documentation complète et trajectoire d’intégration au SI sans rupture des contrôles existants. L’objectif est double : capturer des gains immédiats et préserver la robustesse des dispositifs financiers.

Les retours de terrain confirment que de nombreuses firmes mènent aujourd’hui des expérimentations sans basculement massif. Cette prudence est cohérente avec les impératifs de conformité, les risques financiers et les enjeux de souveraineté des données. L’industrie s’organise autour de réussites itératives et de la montée en maturité des référentiels et des processus.

BNP Paribas : stratégie et résultats

Le groupe a communiqué avoir testé des usages IA en 2023 pour la gestion de trésorerie. La démarche illustre un mouvement plus large dans la finance française : prioriser des pilotes ciblés, mobiliser les équipes métiers aux côtés de la DSI, puis évaluer finement les bénéfices avant toute généralisation. L’encadrement par des revues de risques et des comités de transformation est devenu la norme.

Sur le front industriel, un article publié fin septembre 2025 souligne que l’IA gagne du terrain dans la production et la supply chain des entreprises françaises, des PME aux ETI. Si le terrain diffère de la trésorerie, le signal sectoriel est utile : l’intégration de l’IA dans des processus critiques progresse, appuyée par un cap public renforcé. En parallèle, un message gouvernemental diffusé en 2024 pointe un potentiel de productivité significatif à horizon 2027 pour les fonctions financières, sous l’effet de l’IA et de l’automatisation.

KPIs à suivre pour un pilote trésorerie-IA

  • Taux d’appariement sur les rapprochements bancaires et délai de résolution des écarts.
  • Erreur de prévision de liquidité par horizon et par périmètre robuste vs volatile.
  • Précision de détection de cas suspects et taux de faux positifs en fraude.
  • Temps de cycle des tâches automatisées et % d’heures réallouées à l’analyse.
  • Traçabilité des décisions automatisées et complétude de la documentation.

Ces indicateurs supportent les comités finance-risques, facilitent l’arbitrage budgétaire et sécurisent la montée en charge.

  • Périmètre : processus ciblé, volumes adressés, complexité des exceptions.
  • Préparation des données : effort de normalisation initial et coût d’entretien.
  • Architecture : intégration au TMS et ERP, gestion des journaux, séparation des environnements.
  • Contrôle interne : procédure de revue humaine, seuils d’alerte, gestion des modèles en cas de dérive.
  • Conformité : documentation des hypothèses et explicabilité suffisante au regard des exigences européennes et des attentes de marché.

Un cadrage solide réduit le temps de conversion du pilote vers une exploitation fiable et auditable.

La réussite tient aussi à l’ergonomie et à l’acceptation. Les workflows doivent demeurer familiers, la remontée d’alertes pertinente, l’explication accessible. Les trésoreries qui embarquent les équipes dès la phase de design constatent une adoption plus fluide, une meilleure appropriation des seuils et une réduction des contournements.

Rôle élargi du trésorier : de l’opérationnel au stratégique

L’IA ouvre la voie à une redistribution des activités. Une part significative des tâches en finance peut être automatisée, permettant aux équipes d’allouer davantage de temps à l’analyse, aux décisions de financement, à la gestion des risques et au dialogue avec la direction générale. L’ambition n’est plus seulement d’industrialiser les opérations, mais de muscler la capacité d’arbitrage de la fonction trésorerie.

Cette montée en gamme est rendue possible par la mise à disposition de données publiques utiles aux modèles et aux analyses, hébergées sur des portails dédiés. Les initiatives publiques de formation, soutenues par la Direction générale des Entreprises, accompagnent l’acquisition de compétences. Le message qui s’affirme sur la place est pragmatique : bâtir une culture data, ancrée dans la matérialité financière et dans les impératifs de durabilité mis en avant par l’Agenda 2030.

Qui sont les « Pionniers de l’intelligence artificielle »

Ce programme, porté par les autorités économiques françaises, vise à soutenir la diffusion de l’IA dans les entreprises, notamment par la formation et l’accompagnement des projets. Pour les trésoreries, il s’agit d’un relais utile pour accélérer l’appropriation, stimuler les cas d’usage et faciliter les coopérations avec l’écosystème technologique.

  • Gouvernance des modèles : cycle de vie, monitoring, politique de mise à jour et d’arrêt.
  • Qualité de données : sponsor des chantiers référentiels et des contrôles d’intégrité.
  • Conformité : interlocuteur des risques, de l’audit et des autorités en cas de sollicitation.
  • Acculturation : formation des équipes aux limites, biais et bonnes pratiques d’usage.
  • Performance : alignement des KPIs IA avec les objectifs financiers et de contrôle interne.

Structurer ce rôle accélère la maturité des déploiements et clarifie les responsabilités à chaque étape.

Données ouvertes et impact environnemental : leviers complémentaires

Les données ouvertes facilitent le calibrage des modèles et l’analyse des tendances. L’alignement environnemental de l’IA, mis en avant par des travaux liés à l’Agenda 2030, rappelle la nécessité d’optimiser l’empreinte énergétique des solutions déployées en trésorerie et de documenter les arbitrages techniques.

Les gains de productivité, désormais tangibles, s’inscrivent dans un calendrier réaliste. Les investissements se déploient par vagues, en cohérence avec l’appétit au risque, les priorités de contrôle interne et la disponibilité des données. Les trajectoires qui réussissent sont celles qui équilibrent l’ambition avec la discipline d’exécution.

Cap institutionnel et signaux de marché : vers une accélération maîtrisée

Des signaux concordants émergent. Des indicateurs publics et privés pointent une progression de l’IA dans les fonctions financières, soutenue par l’écosystème technologique national et des efforts ciblés de formation. En parallèle, les exigences réglementaires, désormais mieux balisées, permettent d’encadrer l’innovation sans sacrifier la sécurité et la lisibilité comptable.

La trésorerie se prépare à une montée en puissance graduelle : cas d’usage circonscrits, gouvernance des modèles, et évaluation continue des bénéfices. L’objectif est partagé par les directions générales et financières : accélérer là où la valeur est avérée, tout en préservant la résilience et la conformité des processus.

La question n’est plus de savoir si l’IA s’invitera en trésorerie, mais à quel rythme et avec quelle méthode elle y inscrira durablement sa valeur.