À Londres, la Chicago Booth School of Business a réuni le 21 octobre 2025 un parterre d’acteurs financiers venus confronter leurs cas d’usage d’IA. « Force positive » pour la directrice générale d’Innovate Finance, Janine Hirt, la fintech y a montré ses leviers très concrets, de l’inclusion des PME au renforcement de la résilience, en passant par l’assurance et la conformité aux sanctions.

Londres : l'IA s'impose au cœur de FinTech in a Changing World

Organisée au sein des locaux londoniens de la Chicago Booth School of Business, la conférence FinTech in a Changing World a mis l’accent sur un thème central : l’IA comme accélérateur d’accès aux services financiers. Dans un climat d’incertitudes géopolitiques et économiques, le message d’ouverture de Janine Hirt a marqué les débats : les technologies financières, loin d’être un segment périphérique, participent à la prosperité et à l’inclusion économique.

Au-delà de la blockchain et des monnaies numériques de banques centrales, l’IA a dominé les échanges. D’un côté, des plateformes de crédit aux entreprises qui automatisent l’octroi grâce à des modèles internes; de l’autre, des outils analytiques qui transforment des volumes massifs de données en décisions compréhensibles par tous les métiers. Le tout avec un fil rouge assumé : réduire l’opacité et rendre les parcours financiers plus fluides pour des populations et des PME historiquement sous-servies par les canaux traditionnels.

Les échanges ont également fait émerger un axe sécurité solide. Détection des fraudes, cartographie des réseaux criminels, suivi des sanctions internationales, continuité d’activité sous cybermenaces : ces sujets, longtemps cantonnés à l’arrière-boutique, se placent désormais au cœur de la proposition de valeur des acteurs financiers.

Inclusion financière : des modèles d'IA qui débloquent le crédit aux PME

Les difficultés de financement des petites et moyennes entreprises britannique ont été pointées par Christoph Rieche, PDG d’iwoca : en valeur réelle, le volume total des prêts aux PME se situe à un niveau proche d’il y a dix ans. Les fintech comblent en partie ce déficit d’offre, notamment via des circuits de décision rapides et une exploitation fine des données disponibles.

Iwoca : décisions instantanées et scoring sur données ouvertes

Chez iwoca, la réduction du « time-to-cash » passe par un modèle d’IA développé en interne. L’algorithme évalue la solidité des entreprises en agrégeant des bilans, des flux bancaires et des historiques de transactions.

Résultat : plus de la moitié des décisions de prêt sont rendues instantanément. Les modèles s’enrichissent en continu des nouveaux flux d’information, améliorant la détection du risque de défaut et l’affinage des limites de crédit.

Ce type d’approche modifie le rapport de force pour les entrepreneurs. Là où une instruction classique peut s’étirer, le traitement automatisé permet de libérer du capital de manière plus prévisible. La contrepartie exigeante tient à la qualité, à la traçabilité et à la fraîcheur des données ingérées. Les fintechs les plus matures traitent ces éléments comme un actif stratégique, non comme une commodité technique.

Pour les PME, l’enjeu n’est pas seulement la vitesse, mais une éligibilité objectivée par des critères lisibles. Les prêts sont accordés sur la base de comportements mesurés et de signaux tangibles, et non d’une simple appartenance sectorielle ou d’un historique relationnel bancaire. Ce rééquilibrage favorise aussi les jeunes entreprises disposant de preuves d’activité récentes plutôt que d’une longue antériorité.

Dans les approches observées à Londres, les modèles d’IA combinent principalement :

  • États financiers et indicateurs de trésorerie issus des bilans et comptes de résultat.
  • Flux de comptes bancaires et récurrence des encaissements.
  • Historique transactionnel et saisonnalité des ventes.
  • Événements de gestion pertinents (retards, litiges, modifications statutaires) lorsqu’ils sont accessibles.

L’objectif est de capturer la capacité de remboursement en temps quasi réel, plutôt que de s’appuyer uniquement sur des ratios issus d’une photographie annuelle.

Au Royaume-Uni, un quart des fintech visent l’inclusion financière selon Janine Hirt. Ce positionnement s’adresse à des segments souvent fragilisés depuis la crise financière, des ménages aux PME.

L’IA n’est pas seulement un outil d’automatisation mais un moyen d’abaisser les coûts de traitement pour servir des tickets de financement plus modestes. Cette équation économique ouvre l’accès à des publics délaissés par des réseaux physiques coûteux.

Assurance et accessibilité : l'IA rend les polices compréhensibles

La promesse de l’inclusion dépasse le crédit. Beaucoup d’assurés témoignent d’une compréhension lacunaire des couvrements, franchises et exclusions. La standardisation contractuelle dans un jargon technique produit de la défiance. L’IA apporte un contrepoids intéressant : transformer le discours assurantiel en explications intelligibles, appuyées sur des exemples concrets.

Neuron : pédagogie assurantielle par cas d'usage anonymisés

La dirigeante de Neuron, Parveen Kaur, décrit une approche basée sur l’illustration. En analysant des jeux de données anonymisés, la plateforme présente aux utilisateurs des situations proches de leur profil et la manière dont une police a effectivement couvert un sinistre comparable. Cette pédagogie par l’exemple remplace des dizaines de pages de conditions générales peu lisibles.

Le bénéfice est double. Pour le client, une lisibilité accrue du risque réel et des limites de garantie. Pour l’assureur, une réduction des litiges fondés sur des malentendus. En amont, la fidélité de l’utilisateur dépend d’une compréhension claire du niveau de protection acheté. L’IA, en rapprochant le langage des polices de la réalité des cas, peut soutenir cette fidélisation.

Assurances : pourquoi la simplicité de lecture crée de la valeur

Dans l’assurance, une information intelligible renforce l’adhésion et l’équité perçue. Des clauses expliquées par cas d’usage réduisent :

  • Les réclamations liées à une mauvaise interprétation.
  • Le temps de traitement par les équipes support.
  • La volatilité commerciale issue d’une déception post-sinistre.

L’IA permet de systématiser cette démarche pédagogique, à condition de préserver l’anonymat et d’éviter tout biais dans la sélection des cas présentés.

Gouvernance des données : du langage naturel à la décision opérationnelle

La plupart des institutions financières accumulent des données hétérogènes, fragmentées et de qualité variable. Les rendre exploitables constitue un défi économique avant même d’être une question technologique. Les solutions fondées sur l’IA cherchent à offrir une couche sémantique qui relie les silos, assainit les doublons et transforme la donnée en actif d’aide à la décision.

Quantexa : requêtes sémantiques et valorisation de données dispersées

Pour Vishal Marria, fondateur de Quantexa, le cœur de la valeur provient de la possibilité de poser des questions en langage naturel à des systèmes auparavant réservés à des spécialistes. Un collaborateur non technique peut interroger les ventes annuelles réalisées auprès d’un client, et le moteur d’IA interprète sémantiquement la requête. L’outil différencie un individu d’une entreprise, ajuste le périmètre d’analyse et consolide la réponse utile.

Cette approche rapproche les équipes finance, risques, conformité et commerciale d’une base d’information commune. Elle diminue les frictions liées à la réconciliation de chiffres et à l’interprétation des champs. Surtout, elle réduit les délais d’arbitrage en ramenant l’insight pertinent à portée d’utilisateurs métiers, sans leur demander de devenir programmeurs.

L’intégration d’un moteur de requêtes en langage naturel se traduit typiquement par :

  • Une baisse des tickets IT pour la création de rapports ad hoc.
  • Des revues de portefeuille plus fréquentes et documentées.
  • Une meilleure homogénéité de la donnée utilisée en comité crédit et en comité risques.
  • Une capacité d’audit renforcée, les questions et réponses pouvant être tracées.

L’impact n’est réel que si les définitions métiers sont partagées et gouvernées. Sans dictionnaire de données, la sémantique se délite.

Lutte contre la fraude, sanctions et continuité : l'IA en action

Sur le terrain de la sécurité, le constat dressé à Londres est tranché. 38 milliards de livres sterling sont dépensés chaque année au Royaume-Uni pour la sécurité et la gestion des risques, alors que la fraude représente 30 % de la criminalité pour seulement 1 % des ressources allouées. La ligne de fracture entre volumétrie des attaques et moyens disponibles explique le recours accru à l’IA pour faire levier.

Quantexa : de la fraude financière au démantèlement de réseaux

Un exemple présenté illustre la portée de ces outils. Une enquête lancée sur un cas de fraude a révélé la présence d’un réseau de trafic d’êtres humains.

L’analyse de graphes et l’exploitation de signaux faibles dans les transactions ont contribué à la fermeture de comptes, puis à l’appui apporté aux autorités pour l’arrestation des responsables. L’IA ne se limite pas à signaler des anomalies, elle reconstitue des chaînes d’interactions, utiles au pénal.

La même logique s’applique aux sanctions. Depuis la guerre en Ukraine, la surveillance des flux vise à identifier les contournements de l’embargo sur le pétrole russe. Des sociétés-écrans dans des hubs comme Dubaï peuvent masquer les bénéficiaires économiques réels. Les algorithmes cartographient ces architectures et alertent les banques pour éviter un financement indirect d’achats interdits.

Sanctions sur le pétrole russe : ce que surveillent les algorithmes

Les contrôles automatisés portent notamment sur :

  • La cohérence entre routes maritimes, transbordements et prix déclarés.
  • Les relations entre propriétaires, affréteurs et intermédiaires financiers.
  • La détection de structures opaques ou récentes situées dans des zones à risque.

Objectif : éviter l’exposition des banques à des opérations qui violeraient les embargos, y compris via des circuits complexes de sociétés-écrans.

Link : continuité des retraits en contexte de guerre hybride

La résilience des systèmes physiques a également été abordée par John Howells, PDG de Link, le réseau britannique de distributeurs automatiques. En revenant sur l’expérience ukrainienne après l’annexion de la Crimée en 2014, il a mis en avant l’usage de l’IA pour identifier des vulnérabilités et optimiser les infrastructures, notamment la localisation de 2 000 points de retrait. L’objectif opérationnel était clair : assurer l’accès au liquide pendant plusieurs jours en cas de panne ou d’attaque, un filet de sécurité qui a contribué au maintien du système financier sur la durée.

Cette lecture de la continuité d’activité, combinant réseaux physiques et systèmes d’information, renforce une tendance lourde : la résilience n’est plus cantonnée au back-office informatique. Elle irrigue la stratégie d’implantation, le dimensionnement des stocks de billets, la chaîne d’alerte et la répartition des équipes de maintenance.

Repères chiffrés au Royaume-Uni : sécurité et fraude

Selon les éléments partagés à la conférence :

  • 38 milliards de livres sterling sont dépensés annuellement pour la sécurité et la gestion des risques.
  • La fraude représente 30 % de la criminalité, pour 1 % des ressources allouées.

Le différentiel de moyens explique l’adoption rapide de l’IA pour prioriser, automatiser les alertes et couper les flux litigieux plus tôt dans la chaîne.

France 2025 : cap sur l'IA utile pour les fintech et les PME

Le miroir français du mouvement observé à Londres montre un secteur en phase de maturité croissante. Un rapport de Pricebank.fr souligne une trajectoire axée sur la rentabilité et une montée des coopérations avec les institutions établies. En France, l’IA devient un levier de différenciation pour automatiser des fonctions critiques, de l’octroi au KYC, tout en améliorant l’expérience client.

France 2030 : trois dispositifs pour l'IA et la robotique

Le ministère de l’Économie a présenté dans le cadre de France 2030 trois dispositifs destinés à faire de la France une pionnière de l’IA et de la robotique. L’ambition affichée est d’accélérer l’émergence d’innovations industrielles et d’usages à fort impact, y compris dans la finance, où l’inclusion financière et la sécurité occupent une place croissante.

Ces mécanismes s’articulent avec d’autres soutiens publics pour la R&D et la montée en puissance de champions nationaux, avec un focus particulier sur les solutions applicatives et l’industrialisation de produits fondés sur la donnée.

France 2030 et IA : cadre d’action

Les trois dispositifs annoncés dans France 2030 visent à :

  • Soutenir l’émergence de solutions fondées sur l’IA et la robotique.
  • Accélérer la dynamique d’industrialisation.
  • Renforcer la compétitivité française sur des cas d’usage concrets, notamment financiers.

Objectif : positionner la France au meilleur niveau européen sur l’IA appliquée aux secteurs régulés.

DGE : un écosystème IA en densification

La Direction générale des Entreprises recense 590 start-ups dédiées à l’IA en France, dont 16 licornes. En 2022, ces acteurs ont bénéficié de 1,5 milliard d’euros d’aides publiques, contribuant à accélérer le développement de produits IA et leur diffusion dans l’économie (source DGE).

Pour les fintech hexagonales, cette profondeur d’écosystème favorise l’accès à des briques technologiques locales, l’émergence de partenariats avec de grands groupes et la mutualisation de compétences rares. Les passerelles avec les banques et assureurs de premier plan se multiplient, réduisant le temps d’intégration de solutions innovantes.

Lyon Place Financière : cybersécurité et IA au Forum Fintech 2025

Le 17 octobre 2025, Lyon Place Financière a organisé le Forum Fintech 2025, centré sur la cybersécurité et l’innovation. Des tables rondes ont exploré l’usage de l’IA pour les PME, en cohérence avec les orientations vues à Londres. Le message est partagé : l’IA n’est plus un « nice to have »; elle devient une infrastructure logicielle essentielle pour maîtriser le risque, accélérer les décisions et fluidifier l’accès aux services.

Au niveau européen, la programmation des fonds 2021-2027 appuie des initiatives d’innovation, avec des événements portés par les projets eux-mêmes. Cette mécanique permet d’ancrer les retours d’expérience au plus près du terrain, utile pour les PME et ETI qui veulent passer du pilote à l’échelle.

Sans inventer de nouveaux processus, trois leviers ressortent des retours d’expérience :

  • Normaliser les flux de données financières et commerciales pour un scoring continu.
  • Outiller les équipes avec des interfaces en langage naturel pour gagner en autonomie analytique.
  • Déployer des cas d’usage à forte valeur immédiate : lutte antifraude, FAQ assurantielles dynamiques, surveillance des relations fournisseurs.

La courbe d’apprentissage est plus rapide quand les cas d’usage sont clairement bornés et rattachés à des métriques d’impact.

Forum Fintech 2025 à Lyon : points saillants

Éléments-clés de l’édition 2025 :

  • Date : 17 octobre 2025.
  • Axes : cybersécurité, innovation, IA pour les PME.
  • Format : tables rondes et retours d’expérience d’acteurs financiers et technologiques.

Le choix d’un prisme PME reflète l’enjeu d’industrialiser des solutions IA pragmatiques et mesurables.

Ce que les dirigeants doivent retenir pour 2026

Trois enseignements se dégagent. D’abord, l’IA devient une chaîne de valeur complète pour la finance, de l’onboarding au recouvrement.

En combinant scoring, langage naturel et détection des anomalies, les directions financières réduisent simultanément coûts, délais et risques opérationnels. Ensuite, la régulation des flux transfrontières et des sanctions renforce l’impératif de traçabilité, poussé par des algorithmes de plus en plus orientés graphe. Enfin, la résilience sort du seul registre IT et intègre la dimension physique des réseaux et de la disponibilité du cash.

Le calendrier poursuit cette trajectoire. La prochaine édition de l’Artificial Intelligence in Financial Services Conference se tiendra à Londres les 10 et 11 septembre 2026.

Elle approfondira les usages de l’IA pour la résilience et les services financiers. Côté français, l’écosystème IA s’appuie sur 590 start-ups et 16 licornes, ainsi que sur des soutiens publics dédiés aux innovations IA et robotiques (source DGE). Les deux dynamiques se répondent, et devraient favoriser des coopérations renforcées entre équipes produits, risk et compliance de part et d’autre de la Manche.

La finance européenne se joue désormais dans l’exécution des cas d’usage IA à forte valeur opérationnelle, là où vitesse, contrôle et clarté client se rencontrent.