La cuvée 2025 du French Tech Next40/120 redistribue les cartes. Le ministère de l'Économie a dévoilé, le 5 juin, une sélection qui fait entrer une quarantaine de nouvelles pousses, tout en actant des sorties emblématiques. Au-delà du palmarès, ce mouvement dit beaucoup de la maturité de l’écosystème, du virage vers la rentabilité et des tensions persistantes sur le financement.

Un classement à 120 places qui se réorganise chaque année

Créé en 2019, le dispositif French Tech Next40/120 identifie les sociétés de croissance les plus prometteuses du territoire. Sa mécanique est simple et exigeante: 120 places au total, avec des entrées et sorties annuelles selon des critères objectifs de traction économique.

Pour 2025, la liste accueille une quarantaine de nouveaux profils. Le signal est double. D’une part, le vivier reste abondant malgré le repli des levées. D’autre part, la sélection met davantage en lumière les modèles de deeptech et d’industrie, réputés plus capitalistiques mais structurants pour la souveraineté.

Ce roulement implique des départs. Ynsect, Sorare et Lifen quittent la promotion. Les raisons diffèrent: ajustements stratégiques, contraintes financières ou décalage par rapport à des critères focalisés sur le chiffre d’affaires et les capitaux levés. La photographie n’est pas un jugement de valeur, elle capte un moment de marché.

Ce que le label apporte réellement aux entreprises

Le French Tech Next40/120 offre:

  • Un interlocuteur dédié au sein de l’administration pour fluidifier les demandes et accélérer les démarches.
  • Un réseau de 60 correspondants dans les administrations clés qui facilite les arbitrages opérationnels.
  • Une visibilité nationale et internationale utile pour attirer talents, clients et partenaires.

Le bénéfice est tangible sur le recrutement et la notoriété. Il reste toutefois non déterminant pour les cycles de vente sectoriels complexes, comme la santé ou les marchés industriels.

Sélection 2025: cap sur revenus ou levées, les règles du jeu

La Mission French Tech a fixé deux portes d’entrée pour l’édition 2025. Les start-up doivent soit atteindre un chiffre d’affaires d’au moins 10 millions d’euros, couplé à une croissance minimale annuelle de 15 % sur trois exercices, soit accumuler au moins 100 millions d’euros de levées depuis janvier 2022.

Ce cadre offre une grille claire, mais il priorise des indicateurs de court terme. Des modèles fondés sur la rentabilité organique ou des cycles de ventes longs peuvent s’en trouver défavorisés. À l’inverse, des entreprises à forte intensité capitalistique, notamment en deeptech, sont mécaniquement favorisées par l’option levées.

Deux voies, deux profils de risque. En privilégiant un seuil d’activité, la sélection valorise la traction commerciale et l’efficacité du go-to-market. En misant sur le cumul de capitaux, elle parie sur l’ampleur du projet et la capacité à financer des cycles R&D ou industriels longs.

Le résultat est hybride: un palmarès qui mélange scale-ups commerciales et champions technologiques en gestation, parfois difficiles à comparer.

Au-delà des critères d’entrée, la cohorte 2025 cristallise l’évolution de l’écosystème. Selon la communication officielle, cette promotion cumule plus de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024 et 42 000 emplois directs dans le monde, avec une proportion notable d’entreprises rentables et de projets deeptech (Mission French Tech, 5 juin 2025).

Lifen, la sortie qui relance le débat sur la rentabilité

La santé numérique illustre le paradoxe des critères. Lifen, acteur de la donnée médicale, sort de la liste alors que ses fondamentaux s’améliorent. L’entreprise a franchi les 20 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024, se dit rentable sur son activité historique, et revendique une croissance annuelle d’environ 20 %.

Le fait déclencheur est factuel: aucune levée depuis 2021. Sans tour de financement récent et avec des cycles de ventes guidés par les hôpitaux, la trajectoire reste robuste mais moins visible au prisme du FT120. C’est tout le débat: faut-il privilégier la croissance rentable ou la puissance de feu financière, alors que la liquidité se raréfie.

Lifen: performances commerciales et spécificités du secteur

Dans la e-santé, l’adoption passe par le respect de cadres réglementaires exigeants et par des appels d’offres longs. La notoriété du label aide pour le recrutement et l’image, mais pèse peu face aux critères d’achat hospitaliers. La preuve de valeur, la fiabilité technique et la conformité sont décisives.

La dynamique 2024 de Lifen valide une option de croissance disciplinée. Elle met aussi en lumière une limite du classement: comparer une société axée sur des usages de santé régulés avec une scale-up B2C ou une plateforme de jeux n’a rien d’évident.

E-santé: les contraintes qui modèlent le business

Les fournisseurs de solutions de santé traitent des données sensibles et affrontent:

  • Des exigences de conformité fortes, notamment autour de la protection des données et de l’hébergement en toute sécurité.
  • Des cycles de décision longs côté établissements, souvent pluriannuels, avec des budgets encadrés.
  • Des intégrations techniques complexes aux systèmes hospitaliers existants qui conditionnent l’adoption.

Ce contexte structurel peut ralentir des indicateurs de croissance pure, tout en consolidant la résilience du modèle à moyen terme.

Les indices d’hypercroissance ont longtemps dominé le jugement des investisseurs et des classements. En période de liquidité abondante, la levée devient le signal. Lorsque le marché se contracte, le retour aux fondamentaux s’impose: marges, cash-flow, récurrence.

Le FT120, conçu pour capter l’élan, peut manquer les champions sobres qui grossissent sans levées récentes. C’est le cœur des critiques exprimées par plusieurs investisseurs.

Sorare et ynsect, deux trajectoires sous pression

Certaines sorties traduisent des inflexions plus nettes. Elles rappellent qu’un label ne fige pas une performance, qu’il sanctionne au contraire une dynamique.

Sorare: modèle ébranlé par le cycle des nft

La licorne des jeux et cartes numériques a levé 680 millions de dollars en 2021. Elle a ensuite subi l’éclatement du marché NFT. Les revenus auraient reculé de 59 % en 2023 puis 27 % en 2024, pour des pertes cumulées de 220 millions d’euros. Ce pattern confirme la fragilité d’un modèle tributaire d’un actif spéculatif.

L’enseignement est financier et stratégique. Financer la croissance par levées ne protège pas d’un choc de demande. À l’inverse, un modèle B2B récurrent encaisse mieux la volatilité, mais son accélération reste moins spectaculaire dans un palmarès.

Ynsect: industrialisation coûteuse et marche capitalistique

Positionnée sur l’élevage d’insectes pour l’alimentation, Ynsect illustre la difficulté des projets industriels intensifs en capital. La société a levé plus de 400 millions d’euros depuis sa création en 2011. Les derniers mois ont été marqués par des restructurations et des réductions d’effectifs en 2024.

L’arbitrage est classique: des promesses d’impact environnemental concrètes, mais un time-to-market long, des coûts d’énergie élevés et des standards réglementaires stricts. Dans ce contexte, l’appétit des investisseurs se concentre sur des jalons d’exécution lisibles et des contrats pluriannuels sécurisés.

Aux yeux des fonds, l’appartenance au Next40/120 est un signal de qualité de gouvernance et de traction. Il ouvre des portes, mais ne remplace pas l’examen des fondamentaux: unité économique, visibilité sur la marge, qualité du pipeline, gestion de trésorerie.

Pour l’Etat, le label facilite l’orientation et la priorisation administrative, sans intervention directe sur les décisions d’investissement privées.

Nouveaux entrants: la deeptech et la mobilité gagnent du terrain

La promotion 2025 envoie un message: la technologie de rupture et l’industrialisation prennent de l’épaisseur. La Mission French Tech met en avant une part d’environ un quart de deeptech et 35 % d’acteurs intégrant de l’IA. Elle souligne aussi que 44 % des sélectionnés sont rentables net, signe d’un virage vers des modèles plus disciplinés.

Ce rééquilibrage se traduit par des profils comme l’informatique quantique et la mobilité bas carbone. Les cas d’usage ne sont plus seulement numériques. Ils s’attaquent à des verrous physiques, industriels et énergétiques, plus exigeants en capital, mais porteurs d’avantages compétitifs durables.

Alice & bob: la promesse du quantique industriel

Alice & Bob entre directement dans le Next40. La société s’attaque à un enjeu de souveraineté: concevoir des ordinateurs quantiques tolérants aux erreurs. L’ambition passe par une R&D lourde, des partenariats académiques et une feuille de route d’industrialisation.

Le signal est important. Le Next40 ne se limite plus à des modèles à croissance virale. Il intègre des acteurs qui porteront, à horizon pluriannuel, des sauts de performance pour l’industrie, la défense ou l’énergie.

Bump: accélérer l’infrastructure de recharge

Bump fait son entrée dans le FT120 avec un positionnement sur la recharge des véhicules électriques. La demande progresse, mais le marché impose une exécution locale irréprochable: densité de réseau, fiabilité, disponibilité et relations avec les collectivités et les foncières.

La valeur se construit sur l’exploitation opérationnelle et la capacité à lever des financements d’infrastructure. Dans cet univers, l’accès simplifié aux administrations et la visibilité du label deviennent des atouts concrets pour gagner des appels d’offres et sécuriser des sites.

Signaux de maturité mis en avant par la promotion 2025

  1. Rentabilité accrue: près d’une entreprise sur deux affiche un résultat net positif.
  2. Poids de la deeptech: un quart des sélectionnés se concentre sur des technologies dures.
  3. IA omniprésente: 35 % des acteurs font de l’IA un pilier de leur offre et de leur avantage produit.

Cette trajectoire reflète une French Tech moins dépendante des effets de mode, plus centrée sur l’impact industriel et la souveraineté technologique.

Quels indicateurs pour la suite du french tech 120

La séquence 2025 s’inscrit dans un cycle de financement plus contraint. D’après le baromètre EY, les levées des start-up françaises totalisent 2,78 milliards d’euros au premier semestre 2025, soit 35 % de moins qu’à la même période en 2024 (EY, S1 2025). En juillet 2025, les montants levés atteignent 421,7 millions d’euros.

Cette raréfaction de capital change la hiérarchie des signaux. L’exécution, la marge et la génération de cash deviennent prioritaires. Les tours de table s’allongent, les valorisations se normalisent. Les entreprises s’orientent vers des plans de sobriété, avec un pilotage en cohérence flux de trésorerie, plutôt que de maximiser la vitesse de burn.

Métriques Valeur Évolution
Entreprises dans la promotion 2025 120 Cohorte stable en effectif
Nouveaux entrants 2025 environ 40 Renouvellement significatif
Chiffre d’affaires cumulé 2024 > 10 Md€ Données 2024 Mission French Tech
Emplois directs monde 42 000 Données 2024 Mission French Tech
Part d’entreprises rentables net 44 % Indicateur 2025
Part de deeptech 25 % environ Indicateur 2025
Part d’acteurs intégrant l’IA 35 % Indicateur 2025
Levées S1 2025 2,78 Md€ -35 % vs S1 2024
Montants levés en juillet 2025 421,7 M€ Données mensuelles
Seuil d’entrée: chiffre d’affaires 10 M€ + 15 %/an sur 3 ans Règle 2025
Seuil d’entrée: levées 100 M€ depuis 01/2022 Règle 2025

À l’échelle macro, l’économie numérique française a progressé de 5 % en 2024 selon l’institut statistique, un chiffre compatible avec une montée en puissance des revenus récurrents dans des secteurs B2B. Cet atterrissage plus sobre est fécond pour les comptes, mais rend la comparaison intersectorielle encore plus délicate.

Plusieurs pistes sont évoquées par des investisseurs et dirigeants:

  • Qualité de marges: progression de la marge brute et maintien du cash burn sous contrôle.
  • Exposition export: part du chiffre d’affaires hors de France, pour évaluer l’effet d’échelle international.
  • Résilience: concentration client, volatilité du pipeline, churn net, indicateurs de rétention.
  • Impact et souveraineté: profondeur technologique, contribution aux priorités industrielles et environnementales.

Ces éléments n’exigent pas d’alourdir la sélection, mais d’ajouter une lecture qualitative utile aux acteurs publics et privés.

French Tech 2030: un complément à la logique du FT120

Le programme French Tech 2030 soutient 100 lauréats autour d’innovations stratégiques alignées avec des objectifs de souveraineté et de transition. Il complète la logique du FT120 en mettant l’accent sur l’impact technologique et l’alignement avec les priorités nationales, davantage que sur les seules métriques de revenus ou de levées.

Pris ensemble, FT120 et French Tech 2030 offrent une double lecture: dynamique de marché et pertinence stratégique de long terme.

Cap à 2026: un thermomètre à ajuster, sans perdre l’aiguille

Le French Tech 120 éclaire l’écosystème, mais doit rester en phase avec la nouvelle équation financière. En 2025, des sorties comme Lifen montrent que la rentabilité et la croissance maîtrisée peinent encore à être valorisées au même niveau que les tours de table. À l’inverse, l’entrée directe d’Alice & Bob au Next40 confirme l’appétit pour les paris technologiques durs.

La prochaine édition gagnerait à marier plus finement indicateurs quantitatifs et analyse qualitative, afin de capter la diversité des trajectoires. L’objectif n’est pas de diluer l’exigence, mais de mesurer plus justement la valeur créée par des modèles sobres, résilients et techniquement différenciants. Un palmarès utile ne fige pas la réussite, il la lit à la bonne focale et au bon moment.