Des convois automatisés sans chauffeur visible à quai, supervisés à distance par des opérateurs certifiés : Fernride s’est imposée en quelques années comme l’un des noms qui comptent sur l’autonomie logistique en Europe. Fondée à Munich, la startup revendique une stratégie dual-use assumée, civile et défense, avec un cap clair sur les sites critiques où la sécurité et la disponibilité priment.

Une plateforme d’autonomie pensée pour les sites clos à haute criticité

Fernride développe une stack d’autonomie qui combine algorithmes de perception et de navigation avec une supervision humaine à distance. Ce modèle human-in-the-loop se prête particulièrement aux sites fermés comme les terminaux portuaires, hubs logistiques et usines, où le périmètre est contrôlé et le risque opérationnel mieux maîtrisé.

Sur un plan technique, l’architecture est agnostique du véhicule et s’appuie sur des modules logiciels interopérables. Les capteurs embarqués alimentent un système de décision local qui délègue, si nécessaire, la conduite instantanée à un opérateur situé dans un centre de contrôle. Cette bascule fluide entre autonomie et téléopération évite les arrêts prolongés tout en maintenant un niveau d’exigence sécurité proche de l’industrie aéronautique.

Fernride a également communiqué en 2024 des avancées substantielles en téléguidage sur longues distances, avec des scénarios d’exploitation sans conducteur physique sur site. L’objectif n’est pas de supprimer le facteur humain, mais de repositionner la compétence là où elle crée le plus de valeur, à savoir l’arbitrage de situations atypiques et la supervision multi-flotte.

Ce que couvre réellement la « supervision à distance »

Un opérateur de téléguidage ne « conduit » pas en permanence. Il gère des exceptions lorsque le système autonome atteint un seuil d’incertitude, intervient lors des manœuvres complexes ou autorise des actions sensibles. Dans la pratique :

  • Une seule console peut superviser plusieurs véhicules avec une file d’événements contextualisés.
  • Les prises de contrôle sont tracées et horodatées pour la responsabilité et la conformité.
  • La formation est orientée « process site » autant que « conduite ». Les SOP locales priment.

Dans les enceintes industrielles, le gestionnaire du site définit les règles de circulation, contrôle l’accès et maîtrise l’environnement. Le cadre d’assurance peut donc être dimensionné avec précision, les trajectoires sont répétitives, et l’IA bénéficie de jeux de données plus stables. Résultat : un ROI plus rapide que sur route ouverte, où l’incertitude contextuelle reste élevée et la conformité plus lourde.

Des racines académiques à la structuration d’une filière industrielle

La genèse de Fernride est intimement liée à plus d’une décennie de recherche à la Technische Universität München. Les fondateurs, Hendrik Kramer, Maximilian Fisser et Jean-Michel Gloess, ont formalisé ces travaux en société en 2019, avec l’ambition de confronter la technologie autonome à des cycles logistiques réels plutôt qu’à de simples démonstrateurs.

Depuis Munich, la société a recruté au-delà de 150 collaborateurs, avec des profils couvrant perception, fusion de capteurs, assurance sécurité, opérations et légalité. Cette taille critique permet de mener des pilotes multi-sites et de supporter des exigences de service élevées chez des industriels européens de premier plan.

Les premiers financements significatifs en 2023 ont accéléré l’industrialisation, l’homologation et la montée en puissance d’un réseau de partenaires intégrateurs. Le choix stratégique a été constant : viser des opérations avec impact métier immédiat là où l’automatisation élimine des risques physiques et des goulots d’étranglement.

Le positionnement dual-use implique des contraintes additionnelles : contrôle des exportations, exigences cybersécurité renforcées, traçabilité des composants et des données. En Europe, le règlement 2021/821 encadre les biens à double usage. Les entreprises doivent anticiper les procédures de classification, l’évaluation des clients finaux et le suivi des réexportations, notamment pour les modules IA et les plateformes de téléopération.

Des preuves terrain chez des donneurs d’ordre européens

La crédibilité de l’autonomie se joue sur la répétabilité, la disponibilité et la sécurité. Fernride a multiplié les validations opérationnelles dans des environnements exigeants, avec une logique partenariale structurée. Au-delà des pilotes, l’enjeu est de convertir ces essais en volumes récurrents avec des niveaux de service contractualisés.

Hambourg : terminal portuaire et traction de conteneurs

Au port de Hambourg, l’entreprise cite des déploiements aux côtés de HHLA, centrés sur des tracteurs de terminal opérant sur des itinéraires réguliers. Les bénéfices visés portent sur la réduction des temps de cycle, la suppression des manœuvres à faible valeur ajoutée et la sécurisation des opérations dans les zones les plus exposées.

Pour ces cas d’usage, la standardisation des tâches facilite l’apprentissage du système et la définition d’indicateurs de performance : taux de mission achevée sans intervention, temps d’attente aux points de transfert, gestion des incidents mineurs. L’intégration avec les TOS portuaires garantit la synchronisation avec les flux de conteneurs.

Volkswagen : flux intra-usines et disponibilité des trains de livraison

Fernride met également en avant des essais réalisés dans des sites de production automobile. Dans ce cadre, la priorité a été donnée à la réduction des arrêts intempestifs et à la planification fine des créneaux de ravitaillement. L’entreprise fait état d’une baisse des temps d’arrêt logistiques à deux chiffres lors de tests en 2023, illustrant l’intérêt d’un couplage autonomie plus supervision humaine dans les gabarits factory.

Ces résultats restent dépendants de l’état de préparation des sites : cartographie précise, discipline des voies de circulation, protocoles d’urgence partagés. Autrement dit, l’autonomie performe lorsqu’elle s’insère dans un système industriel discipliné.

Db schenker : hubs logistiques et répétabilité opérationnelle

Chez les logisticiens intégrés, l’autonomie est jugée à l’aune du taux de service. Les tests cités par Fernride auprès de DB Schenker répondent à cette logique : viser la constance, gérer les aléas, remonter des données activables pour l’amélioration continue. Dans ces contextes, la valeur ajoutée provient autant du pilotage des données que de la conduite automatisée elle-même.

La robustesse réglementaire est un autre jalon clé. Fernride a communiqué en 2022 l’obtention, avec TÜV SÜD, d’une certification de sécurité permettant d’opérer des tracteurs de terminal autonomes sans opérateur à bord dans des conditions prédéfinies. Au-delà du symbole, cela ouvre la voie à des contrats à responsabilité partagée où assurances et auditeurs disposent de référentiels clairs.

Normes et assurance sécurité : ce que regardent les auditeurs

Trois blocs sont récurrents lors des audits :

  1. Processus : analyse de risques, HAZOP, traçabilité des mises à jour logicielles, plan de reprise.
  2. Preuves : essais documentés, taux d’intervention humaine, scénarios de défaillance, logs signés.
  3. Organisation : formation des opérateurs, responsabilité contractuelle, clauses d’assurance adaptées.
Métriques Valeur Évolution
Financement de la Série A (tranches cumulées) 75 M€ +18 M€ en sept. 2025
Effectifs 150+ collaborateurs En hausse continue
Cible de croissance marché logistique défense +15 % par an d’ici 2030 Tendance haussière

Selon les annonces publiques, l’enveloppe totale de la Série A atteint 75 millions d’euros après une extension de 18 millions en septembre 2025 (StartupHub.ai, 4 septembre 2025).

Cap sur la défense : logistique austère et exigences de souveraineté

La guerre en Ukraine a réordonné les priorités en Europe. Les chaînes logistiques militaires doivent opérer en environnements austères avec des profils de menaces dynamiques. Fernride s’est positionnée sur ces besoins, en transposant sa plateforme aux convois et aux navettes en zone contrôlée mais exposée.

La presse économique allemande a rapporté des essais avec la Bundeswehr portant sur des camions autonomes dédiés au transport de marchandises en conditions hostiles, l’objectif étant de réduire l’exposition du personnel et de réallouer les équipes à des missions stratégiques. Pour un acteur dual-use, c’est un test grandeur nature de la résilience logicielle et cybersécurité.

Cette orientation s’inscrit dans une tendance plus large en Europe, où les programmes d’innovation défense intègrent désormais des briques d’autonomie terrestre. Des initiatives nationales et communautaires soutiennent la maturation industrielle de technologies capables de basculer de l’usage civil vers l’usage militaire, en gardant des garde-fous de conformité.

Les marchés défense requièrent : clauses de disponibilité garanties, audits de code, gestion de configuration stricte, exigences de chiffrement et d’hébergement souverain. Les pénalités de performance sont souvent plus lourdes, et la gestion des licences d’exportation devient un projet en soi, avec obligations de rapportage régulier au donneur d’ordre.

Gouvernance et capitaux : une trajectoire assumée vers le dual-use

La stratégie n’est crédible que si elle s’incarne. L’arrivée de Thomas Müller au conseil d’administration a été présentée comme un signal fort en faveur des marchés régaliens. L’intéressé, passé par des responsabilités de premier plan dans les technologies de défense, apporte un réseau et une maîtrise des impératifs de certification et de sécurité attendus par ces clients.

Côté financement, Fernride a complété en septembre 2025 une extension de Série A de 18 millions d’euros, portant l’enveloppe cumulée à 75 millions d’euros. La société mentionne la présence d’investisseurs sectoriels et de family offices, ainsi que la participation de Thomas Müller en business angel. Une logique classique de consolidation avant série B : renforcer la trésorerie d’exécution, muscler la conformité, densifier les partenariats industriels.

Un point important est la qualité de l’equity story : l’entreprise relie ses références industrielles aux besoins défense de manière argumentée, en insistant sur l’évidence opérationnelle plutôt que sur les promesses technologiques. Ce positionnement trouve un écho favorable chez des investisseurs attentifs à la rentabilité unitaire et au passage à l’échelle par segments métiers.

Enfin, la présence d’équipes dédiées à la réglementation, à la gestion documentaire et à l’ingénierie de sécurité est un élément différenciant. C’est un coût fixe significatif, mais une barrière à l’entrée utile dans un secteur où la confiance auditée compte autant que les performances brutes.

Implications pour la france : réglementations, cas d’usage et opportunités d’alliances

Pour les donneurs d’ordre français, la proposition de valeur d’un acteur comme Fernride se lit à travers trois prismes : conformité, continuité d’activité, et intégration avec l’écosystème local. Le cadre juridique hexagonal permet déjà des expérimentations et des opérations en zones privées, à condition de respecter les règles de sécurité, la formation des opérateurs et les protocoles d’urgence.

Les ports français, les sites industriels Sévéso, la grande distribution et l’automobile ont des zones fermées propices à l’autonomie. La clé est d’articuler le déploiement avec les obligations du Code du travail sur la santé et la sécurité, les directives machines mises à jour et les normes applicables aux systèmes autonomes. Les assureurs français regardent de près les référentiels d’évaluation et les pare-feux juridiques qui entourent le système technique.

L’Europe soutient également l’innovation deeptech en logistique et en défense. Des programmes structurants aident les collaborations transfrontalières. Sans être française, une société comme Fernride peut s’inscrire dans des chaînes de valeur européennes où des industriels hexagonaux, des laboratoires et des pôles de compétitivité co-développent des solutions adaptées aux contraintes françaises et européennes.

Pour les directions juridiques en France : cinq points à verrouiller

  1. Périmètre privé et responsabilités du gestionnaire de site documentés.
  2. Assurance : clauses spécifiques autonomie et téléopération, franchise et plafonds ajustés.
  3. Contrats : SLA de disponibilité, plan d’escalade, reporting des incidents.
  4. Conformité : traçabilité logicielle, politique de mises à jour, gestion des vulnérabilités.
  5. RGPD et souveraineté : localisation des données, pseudonymisation, accès restreint.

Concurrence et complémentarités : ce que regardent les acheteurs

Sur le terrain, les décideurs comparent les approches technologiques et industrielles. La concurrence ne se joue pas seulement sur l’algorithme, mais sur la capacité à industrialiser la qualité en site réel et à gérer l’interaction homme-machine de manière robuste. La notion de parc hétérogène et d’adaptation aux véhicules existants est, ici, déterminante.

Exotec : robotique d’entrepôt et logique de système

La française Exotec a bâti une offre de robotique d’entrepôt très intégrée, focalisée sur la préparation de commandes. La proposition diffère d’une plateforme de conduite autonome de tracteurs, mais elle illustre la même exigence d’orchestration et d’excellence opérationnelle. Pour un acheteur, la question commune est la capacité à tenir le service dans des pics d’activité.

Dans une stratégie d’ensemble, des briques comme la robotique de picking d’un côté, et la traction autonome de l’autre, peuvent se répondre pour comprimer les temps de cycle et fiabiliser les flux amont-aval. Cette complémentarité offre un terrain d’alliance ou au minimum d’interopérabilité technique.

Outrider : autonomie en yard nord-américain

Aux États-Unis, Outrider se positionne sur l’autonomie de yard dans des scénarios comparables. La maturité des sites, l’écosystème fournisseur et la topologie réglementaire diffèrent, mais les problématiques de sécurité process et de ROI convergent. Pour un acteur européen, l’avantage compétitif passe par la maîtrise des normes locales et une exécution plus fine sur les cas d’usage européens.

Ces acteurs dessinent un marché qui devient réellement industriel, où la différenciation repose sur la preuve de service et la profondeur de l’appareil de conformité. Les acheteurs, eux, favorisent les solutions capable de cohabiter avec des flottes mixtes et de composer avec des systèmes d’information existants.

Lecture financière : coûts évités et effets sur la productivité

La décision d’investir se prend sur des coûts évités, davantage que sur des coûts supprimés. En logistique industrielle, les absences, les accidents et les arrêts non planifiés pèsent lourd. Une autonomie avec supervision peut atténuer ces aléas, lisser la courbe des besoins de main-d’œuvre et augmenter la disponibilité machine.

Pour un site de taille moyenne, le gain potentiel se joue sur quelques points : baisse des incidents mineurs, optimisation des trajets, réduction des temps morts entre deux missions, meilleure utilisation du stock roulant. Le retour sur investissement dépend de la densité des flux et de la discipline opérationnelle. Là où la répétabilité est élevée, les bénéfices apparaissent plus tôt.

À l’échelle du groupe, les métriques de référence incluent le taux d’intervention humaine, la durée moyenne de résolution, et le nombre de missions autonomes consécutives sans interruption. La disponibilité logicielle, les temps de bascule en téléopération et la qualité de la connectivité réseau restent des variables critiques.

Qui paye quoi dans un déploiement type

La structure de coût type réunit : capteurs, compute embarqué, raccordement réseau, plateforme logicielle, centre de supervision, intégration SI et formation. La tendance marché va vers des contrats à l’usage avec SLA, complétés par des engagements d’amélioration continue et des audits réguliers. Pour l’acheteur, l’enjeu est de sécuriser la réversibilité et l’accès aux données.

Feu vert réglementaire en europe : l’ia act et la mise à l’échelle responsable

L’adoption de l’AI Act européen en 2024 place les systèmes autonomes opérant sur des sites industriels dans un cadre de risques qui impose documentation, transparence et gouvernance. Les modules destinés à des fonctions de sécurité pourront être qualifiés de haut risque, avec des obligations de gestion de données, d’auditabilité et de maîtrise des biais.

Pour la France, l’articulation avec le Code du travail, la réglementation machines et les protocoles d’essai locaux est déterminante. Les sites privés ont de la latitude, mais l’exploitant demeure le premier responsable de la sécurité. Les déploiements à grande échelle appellent des DPIA si des données personnelles sont traitées, et des clauses spécifiques de cybersécurité dans les contrats de service.

La filière se structure également autour des exigences d’assurance. Les assureurs demandent des indicateurs objectivés sur la performance et la sécurité, ainsi que des plans de réponse aux incidents incluant la chaîne de sous-traitance logicielle. La capacité à démontrer une gestion de configuration rigoureuse est un avantage concurrentiel.

Règles d’or pour une mise en production maîtrisée

  • Commencer sur un périmètre clos, cartographié, avec règles de circulation stabilisées.
  • Mettre en place un centre de supervision avec procédures d’escalade validées.
  • Signer des SLA incluant disponibilité, latence réseau et temps de reprise.
  • Choisir des cas d’usage répétitifs avec peu d’exceptions, pour accélérer l’apprentissage.
  • Prévoir l’audit externe régulier des performances et de la sécurité.

Que peuvent tester les industriels français dès 2025

Les ports, l’automobile, l’aéronautique et la grande distribution disposent déjà d’écosystèmes propices aux pilotes. Les directions industrielles peuvent initier des projets de traction autonome pour les navettes intra-sites, bourrelets logistiques ou bassins de stockage. L’important est de cadrer dès le départ les métriques de service et la répartition des responsabilités.

Dans la défense, des événements dédiés à l’innovation logistique permettent d’identifier des cas d’usage transférables à court terme. Les groupements conçoivent des parcours d’évaluation qui facilitent l’intégration progressive des technologies dual-use, avec une attention particulière à la soutenabilité en environnement austère.

Pour les directions achats, la comparaison des offres doit porter autant sur les garanties d’exécution que sur l’ingénierie produit. Les contrats devraient intégrer des clauses de sécurité réseau, la gestion des clés et l’isolation des segments critiques, en plus des performances opérationnelles.

Un dossier à suivre pour l’écosystème français

Avec une Série A portée à 75 millions d’euros et des références en sites critiques, Fernride franchit un palier industriel. Le positionnement dual-use, s’il est exigeant, constitue un accélérateur de maturité et peut catalyser des alliances en France, du portuaire à l’automobile, en passant par la défense appuyée sur des partenaires nationaux.

Pour les entreprises françaises, l’enjeu est moins de se doter d’un gadget technologique que d’installer une capacité d’exploitation maîtrisée de l’autonomie. C’est sur ce terrain, celui de la preuve de service et de la conformité, que se joueront les prochains contrats.

Entre industrialisation de l’autonomie et virage dual-use, Fernride cristallise un mouvement européen où la valeur provient d’abord de la maîtrise opérationnelle, de la conformité et de la capacité à délivrer, jour après jour, dans des environnements où l’arrêt n’est pas une option.