Quelles sont les étapes pour l’euro numérique d’ici 2025 ?
Découvrez le calendrier et les enjeux de l'euro numérique, ainsi que son impact sur les systèmes de paiement d'ici à 2025.

L’agenda des monnaies numériques de banque centrale ne se résume plus à une question technique. Il traduit des arbitrages souverains sur la confidentialité, la concurrence et la souveraineté monétaire. Hors d’Europe comme dans l’Union, la carte des priorités se redessine rapidement, entre expérimentations de gros, prudence sur le détail et encadrement des stablecoins.
Banques centrales et mnbc: des trajectoires contrastées sous contrainte politique
Coordonnées de longue date via la Banque des Règlements Internationaux, les autorités monétaires poursuivent un objectif commun de stabilité des prix. Pourtant, leurs chantiers MNBC bifurquent. Le véritable moteur de ces divergences n’est pas seulement l’économie domestique. Il est institutionnel et politique.
Les débats portent sur des choix très concrets: architecture technique, place de la banque de détail, statut juridique du porte-monnaie numérique, gouvernance de la vie privée et articulation avec les systèmes de paiement existants. Ces décisions engagent la structure du marché des paiements pour une décennie.
Pour les entreprises, l’enjeu est double. D’une part, anticiper l’interopérabilité des flux, notamment avec les futures infrastructures de gros. D’autre part, sécuriser leur conformité, alors que la régulation des cryptoactifs se densifie et que la voie d’un euro numérique se précise en Europe.
MNBC, stablecoins, tokens de dépôt: trois instruments à ne pas confondre
MNBC désigne une créance sur la banque centrale, numérique et programmable, potentiellement accessible au public. Stablecoin est un jeton privé indexé sur une monnaie, avec un risque d’émetteur. Token de dépôt tokenise une créance bancaire existante, dans le périmètre prudentiel. Les risques, les garanties et la supervision diffèrent fortement.
États-unis et royaume-uni: prudence sur le détail, test du marché pour les stablecoins
Le clivage est net côté anglo-saxon. Aux États-Unis, les autorités fédérales n’ont pas mandaté l’émission d’une MNBC de détail
. La Réserve fédérale poursuit des travaux exploratoires, surtout sur les paiements de gros, tandis que le débat parlementaire sur une éventuelle interdiction de tests sans aval du Congrès reste ouvert. La ligne politique dominante demeure la préférence pour l’innovation privée assortie d’un encadrement accru des stablecoins.
Les projets législatifs concurrentiels visent deux objectifs: clarifier le partage des compétences entre la CFTC et la SEC sur les jetons numériques et fixer des garde-fous pour les émetteurs de stablecoins, dont la capitalisation est devenue significative. En l’état, la perspective d’un dollar numérique de détail n’est pas prioritaire. La trajectoire la plus tangible se joue sur l’infrastructure de gros et l’amélioration des rails de paiement en dollar existants.
Une MNBC de gros, circonscrite aux établissements financiers, répond à des cas d’usage immédiats: livraison contre paiement de titres tokenisés, règlements instantanés interbancaires, optimisation de liquidité intrajournalière. Elle soulève moins de questions de confidentialité du grand public, de désintermédiation des dépôts et de gouvernance du KYC.
Banque d’angleterre: la piste des tokens de dépôt plutôt qu’une mnbc de détail
À Londres, la Banque d’Angleterre souligne la nécessité de démontrer des bénéfices spécifiques avant d’introduire une MNBC de détail. Le gouverneur a rappelé que l’utilité marginale doit être prouvée: lutte antifraude, exécutions conditionnelles via contrats intelligents, efficacité sur les paiements de détail. Priorité est donnée à l’innovation sur les dépôts bancaires avec des tokens de dépôt, qui restent dans le cadre prudentiel et préservent la transformation bancaire.
Pour les acteurs financiers britanniques, l’intérêt est d’avancer sans bousculer l’équilibre des dépôts. Les tests se multiplient sur des jetons de dépôts et des DLT rails de gros, compatibles avec la réglementation domestique sur les paiements.
Chine: l’e‑yuan, laboratoire à grande échelle pour une mnbc de détail
La Chine a pris de l’avance sur la partie retail avec l’e‑CNY. Le pilote a commencé par vagues géographiques puis s’est élargi aux applications de la vie quotidienne, du transport à l’e‑commerce. L’architecture technique privilégie la performance transactionnelle et n’utilise la DLT que de manière partielle, afin d’absorber des volumes élevés.
L’intégration aux portefeuilles des grandes plateformes chinoises a été fortement encouragée. L’adoption est néanmoins inégale, freinée par la préférence d’usage pour les solutions privées déjà massivement implantées et par une frange d’utilisateurs qui privilégie les actifs numériques non souverains, notamment les stablecoins en dollars. Les analyses sectorielles pointent une intensification des volumes en stablecoins en 2024, confirmant le rôle structurant du dollar numérique privé dans la région (source: Le Monde, 27 juin 2025).
Les paiements de proximité hors connexion s’appuient sur des éléments sécurisés embarqués dans le téléphone ou sur carte, avec synchronisation ultérieure. L’objectif: assurer la continuité des paiements en cas d’indisponibilité réseau et reproduire l’expérience du cash tout en limitant le double dépense via des limites et des journaux de synchronisation.
Asie-pacifique et amérique du nord: le gros gagne du terrain, le cash garde sa place
Au-delà de la Chine, le Japon, le Canada et l’Australie illustrent une forme de convergence prudente: réserver l’effort au gros et préserver le rôle des espèces ou des systèmes de paiement existants pour le détail. Chacun adapte sa feuille de route à ses usages domestiques et à la performance des rails déjà en place.
Japon: conserver le cash comme filet de sécurité
La Banque du Japon a répété qu’aucune décision n’est prise pour une MNBC de détail à court terme. Les espèces conservent une place importante dans les paiements de la population, ce qui atténue l’urgence d’un basculement numérique généralisé. L’institution mène des analyses approfondies pour éclairer le débat public, et prépare les briques techniques au cas où la demande sociale se formerait.
Cette approche graduelle limite les risques pour la stabilité du système bancaire domestique, dans un pays où la démographie et les habitudes de paiement justifient de ne pas brusquer la transition.
Canada: pause stratégique après consultation citoyenne
La Banque du Canada a signalé en 2025 qu’elle ne poursuivrait pas, à ce stade, un projet de MNBC de détail. Les consultations publiques ont fait remonter des préoccupations fortes sur la vie privée et la nécessité d’un cas d’usage convaincant. La porte reste ouverte si un besoin clair émerge à l’avenir, notamment pour l’inclusion financière dans les zones moins desservies.
En parallèle, Ottawa continue de moderniser les systèmes de paiement, avec un accent sur la rapidité des transferts, la concurrence et la sécurité, sans changer la nature de la monnaie publique détenue par les particuliers.
Australie: pivot vers une mnbc de gros et les actifs tokenisés
La Reserve Bank of Australia a réorienté ses efforts dès 2024 vers des expérimentations de gros. Les bilans bancaires et la robustesse des infrastructures existantes en retail n’appellent pas de rupture immédiate. Les pilotes conduits avec des acteurs de marché testent la livraison contre paiement de titres tokenisés, le règlement atomique et la programmabilité des flux interbancaires.
Résultat: la valeur ajoutée paraît plus tangible pour la compensation des titres et la gestion de trésorerie institutionnelle que pour la caisse du commerce de proximité.
Suisse: helvetia trace la voie d’un règlement en monnaie centrale pour les titres tokenisés
La Banque nationale suisse assume une position claire: pas de MNBC de détail à l’horizon. Elle concentre son capital d’expérimentation sur les règlements de gros. Le projet Helvetia explore deux voies technologiques pour régler des actifs tokenisés en monnaie centrale: une approche s’appuyant sur une DLT intégrée aux infrastructures de marché et une autre reposant sur de la monnaie électronique adossée à la banque centrale.
Les pilotes conduits avec des partenaires d’infrastructure ont validé des transactions en conditions réelles, sur des volumes significatifs. L’objectif n’est pas la vitesse d’exécution à tout prix, mais la finalité juridique du règlement en monnaie centrale et l’interopérabilité avec les systèmes existants.
Dans un monde tokenisé, la promesse clé demeure la même qu’en finance traditionnelle: une livraison irrévocable et un transfert de propriété incontestable. La finalité juridique garantit l’absence de remise en cause du paiement, condition essentielle pour réduire les appels de marge et accroître la liquidité des marchés.
Zone euro: calendrier affermi pour l’euro numérique et montée en puissance du gros
La Banque centrale européenne a posé un cadre phasé pour l’euro numérique. Après le rapport fondateur d’octobre 2020, la phase d’enquête a conduit à une phase préparatoire dès novembre 2023. Celle-ci doit se poursuivre jusqu’à l’automne 2025, avec des travaux sur l’architecture, la conformité et l’expérience utilisateur. La décision d’émission est subordonnée à la finalisation du paquet législatif européen proposé en juin 2023.
Sur le plan législatif, la Commission a déposé des textes sur le cours légal de l’euro et l’autorisation d’émission d’un euro numérique. Le calendrier d’adoption escompté renvoie au second semestre 2026. En parallèle, les services Target de l’Eurosystème sont au cœur de la feuille de route pour une version de gros, avec deux chantiers: Pontes pour relier les DLT aux plateformes de règlement, et Appia pour créer des écosystèmes d’innovation autour des paiements de gros.
Côté détail, l’option privilégiée est celle d’un porte-monnaie électronique en euro numérique, sans DLT, pouvant fonctionner hors ligne, et dont le régime juridique se rapprocherait de la monnaie électronique. Le maintien du cash reste un principe cardinal. Les autorités françaises rappellent l’alignement sur la souveraineté monétaire et l’inclusion, en s’appuyant sur une concertation large au niveau national (source: Ministère de l’Économie, page euro numérique, 30 avril 2025).
Pourquoi la DLT n’est pas retenue pour le détail
En retail, l’impératif est la capacité et la latence à coût minimal. Une architecture de porte-monnaie électronique, sans consensus distribué, simplifie l’interopérabilité avec les terminaux marchands, limite le risque de double dépense via des contrôles ex post et allège l’empreinte énergétique.
Le cours légal impose l’acceptation obligatoire dans certaines conditions et confère une force libératoire des dettes. Pour l’euro numérique, un tel statut clarifierait l’acceptation par les commerçants, l’accès universel et la couverture des frais. Il exigerait une gouvernance sur la confidentialité et l’inclusion, notamment l’accès hors ligne sans smartphone.
Scénario européen face aux stablecoins dollarisés: de la régulation à l’alternative publique
Le marché des stablecoins indexés sur le dollar pèse lourd dans les paiements numériques, attirant la liquidité et l’attention des commerçants. Cette domination peut éroder la transmission monétaire en zone euro si les flux se déplacent vers des étalons en dollar. La réponse européenne se structure sur deux jambes: une réglementation qui sécurise le marché et une alternative publique crédible.
MiCA encadre l’émission de jetons et leurs réserves. Une extension souvent évoquée par l’Eurosystème, parfois présentée comme une future MiCA 2, viserait à intégrer plus finement l’euro numérique dans l’édifice, en coordonnant les rôles des prestataires et les droits des utilisateurs. En toile de fond, la BCE insiste sur le maintien du cash comme pilier de la liberté de choix, tout en avançant sur l’architecture numérique de détail et les rails de gros.
Mica 2: enjeux pour les émetteurs de stablecoins en euros
Les émetteurs devront concilier une gouvernance des réserves rigoureuse, des contrôles de liquidité et une transparence accrue. La compétition avec un euro numérique officiel les pousse à améliorer l’expérience utilisateur, l’interopérabilité et la conformité KYC. Les banques, de leur côté, s’interrogent sur l’allocation de capital et le traitement prudentiel des expositions à ces jetons.
Banques et fintechs: organiser la cohabitation
La cohabitation passe par des rôles clairs. Les banques et PSP pourraient opérer les portefeuilles en euro numérique, orchestrer les limites offline, intégrer les contrôles LCB-FT et fournir le support client. Les fintechs, elles, innovent sur les cas d’usage: paiements conditionnels, commerce international tokenisé, automatisation de trésorerie.
Trois risques systémiques à surveiller côté stablecoins
1. Risque de ruée en cas de doute sur la qualité des réserves. 2. Risque de change si des paiements domestiques basculent en dollars tokenisés. 3. Risque d’interopérabilité si les réseaux privés fragmentent le marché et renchérissent l’acceptation marchande.
Suède: laboratoire européen sur la baisse du cash et les paiements offline
La Suède, où l’usage des espèces a fortement reculé, a engagé l’e‑krona dès 2016 et testé des prototypes dès 2020. La Banque centrale suédoise a conservé un ancrage juridique en renforçant l’accès aux services en espèces et en évaluant des solutions hors ligne pour protéger la résilience du paiement de proximité.
Les enseignements suédois reposent sur trois axes: la protection des données, pour maintenir la confiance; la gestion des impacts sur les banques de détail; et la sobriété énergétique. L’autorité a aussi lié ses travaux à ceux de l’Eurosystème pour favoriser la compatibilité des futures solutions européennes, tout en gardant des choix technologiques adaptés au marché local.
Les prototypes suédois montrent qu’un offline robuste suppose des plafonds, des dispositifs matériels sécurisés et des mécanismes de synchronisation tolérants aux pannes. La communication publique doit aussi expliquer la différence entre anonymat et confidentialité afin d’éviter les malentendus et la défiance.
Impacts concrets pour les entreprises en france: conformité, trésorerie et expérience client
Les dirigeants financiers doivent se préparer à une décennie de coexistence entre cash, systèmes instantanés, stablecoins régulés et, potentiellement, euro numérique. Trois chantiers se dégagent dès maintenant.
- Conformité et gouvernance des données: cartographier les flux, identifier les cas où un portefeuille en euro numérique serait pertinent, anticiper les exigences KYC et les attentes en matière de confidentialité.
- Gestion de trésorerie: évaluer les bénéfices des rails de gros tokenisés pour la liquidité intrajournalière, la compensation de titres et la réduction des délais de règlement.
- Expérience client: intégrer des moyens de paiement diversifiés sans alourdir le coût d’acceptation, tout en conservant le failover du cash et des paiements offline.
Entreprises françaises: se préparer sans surinvestir
Stratégiquement, il s’agit d’adopter une approche par cas d’usage: paiements industriels conditionnels, automatisation de factures, coupons et fidélité tokenisés. Les pilotes doivent rester ciblés et réversibles, en s’appuyant sur des partenaires bancaires pour la conservation et l’orchestration des portefeuilles.
Du côté juridique, les directions doivent suivre l’évolution des textes européens en cours et la transposition nationale, en particulier sur le statut du cours légal de l’euro numérique et sur l’encadrement sectoriel des prestataires de services.
- Identifier l’obligation d’acceptation ou non selon les cas d’usage envisagés.
- Vérifier les rôles réglementés de chaque partenaire: banque, PSP, prestataire technique.
- Documenter les flux de données et les mesures de confidentialité souhaitées par les utilisateurs.
- Définir des plafonds et limites offline cohérents avec les risques opérationnels.
- Planifier l’interopérabilité avec les systèmes de caisse, TPE et ERP existants.
Gouvernance et acceptabilité sociale: articuler cash, euro numérique et marché crypto
Le triptyque européen s’éclaire: cash consolidé par un règlement sur le cours légal, euro numérique de détail pour une continuité de l’usage public, et version de gros tokenisée pour la modernisation des règlements de marché. Reste à socialiser une gouvernance claire sur la confidentialité, la lutte anti-fraude et les responsabilités entre acteurs.
Les banques commerciales soulignent le risque de désintermédiation si les plafonds des portefeuilles de détail ne sont pas calibrés. Les associations de consommateurs interrogent la protection des données et l’inclusion des publics non équipés. Les colégislateurs, enfin, arbitrent entre souffle d’innovation et protection des dépôts, en tenant compte de la dynamique des stablecoins et de la concurrence internationale.
Points de décision critiques d’ici 2026
1. Cours légal: périmètre d’acceptation et prise en charge des coûts. 2. Confidentialité: degré de protection offline et journalisation. 3. Plafonds: limites par portefeuille pour contenir la désintermédiation. 4. Interopérabilité: schémas techniques communs et compatibilité TPE.
Repères pratiques pour la direction financière: arbitrer entre coûts, risques et opportunités
Les directions financières en France peuvent cadrer l’évaluation en trois étapes. D’abord, mesurer la valeur opérationnelle: gains de J+2 à T0 sur certains règlements, réduction du risque de contrepartie, capacité à exécuter des paiements conditionnels. Ensuite, apprécier le coût d’intégration avec les écosystèmes existants. Enfin, évaluer l’acceptabilité client et l’impact sur la conversion.
Cette approche empirique évite la sur‑ingénierie. Elle permet de décider quand recourir à des stablecoins régulés pour des cas transfrontières et quand attendre l’euro numérique de gros pour bénéficier d’une finalité juridique renforcée et d’une meilleure intégration aux systèmes bancaires.
Cap à tenir face aux incertitudes: décision d’émission et feuille de route de gros
L’Europe est entrée dans une phase de calibrage fin. Les travaux techniques se poursuivent, surveillant la montée des stablecoins dollarisés et la compétition des infrastructures étrangères. L’issue ne tient pas à une unique annonce d’émission, mais à la cohérence d’ensemble: législation, gouvernance de la confidentialité, rails de gros, expérience utilisateur de détail.
Pour les entreprises, la stratégie gagnante consiste à rester compatibles avec plusieurs rails, tout en maîtrisant les risques de conformité et de liquidité. Le socle à construire dès aujourd’hui: interopérabilité, sécurité des données et scénarios de bascule offline.
Au-delà des débats, la réalité s’impose: moderniser les règlements de gros, préserver le cash et offrir une alternative publique crédible aux stablecoins, telle est la ligne de crête qui redessinera la chaîne de valeur des paiements en Europe.