La jeune entreprise Entent transforme la chaleur fatale en électricité
Découvrez comment Entent utilise sa technologie Pulse pour convertir la chaleur fatale en électricité, une avancée prometteuse pour l'industrie.

Chaque degré perdu dans les processus industriels pèse sur la facture énergétique et sur le bilan carbone. Une jeune pousse française propose d’en faire une ressource. Avec sa technologie Pulse, Entent promet de convertir des gisements de chaleur fatale à basse température en électricité de proximité, un segment encore peu exploité mais riche d’opportunités économiques pour l’industrie et les territoires.
Un gisement sous-exploité, des gains économiques concrets pour les sites industriels
La chaleur fatale, issue d’opérations comme la cuisson, la pasteurisation, le séchage ou le refroidissement, représente un réservoir d’énergie largement ignoré. En France, le gisement annuel est évalué à 109,5 TWh, avec une fraction importante disponible entre 60 et 150 °C, des niveaux de température jusqu’ici difficiles à valoriser de façon rentable.
À l’échelle européenne, environ la moitié des rejets thermiques se situeraient sous 100 °C, une plage réputée complexe, tant pour la réutilisation directe que pour l’export via réseau. C’est précisément dans ce couloir de températures que se niche le potentiel économique d’une conversion électricité, à condition d’enfiabiliser la performance et de contenir les coûts d’intégration.
Le besoin est massif. En France, la chaleur couvre près de 43 % de la consommation d’énergie de la nation, majoritairement encore alimentée par des combustibles fossiles. La montée des solutions renouvelables et de récupération progresse, avec une part de 29,6 % en 2023 pour la chaleur renouvelable et de récupération, dynamique appuyée par les dispositifs publics dédiés au financement des projets industriels.
Au-delà de l’argument carbone, le business case industriel se renforce. La récupération de chaleur réduit la dépendance aux prix volatils du gaz et de l’électricité, sécurise des coûts opératoires et offre un levier de décarbonation mesurable. Les directions financières et les responsables HSE y voient un double intérêt : réduction des émissions et maîtrise des charges.
Chiffres clés à retenir
Quelques ordres de grandeur structurants pour évaluer l’intérêt de la récupération de chaleur :
- 109,5 TWh de gisement annuel de chaleur fatale en France, dont une part significative entre 60 et 150 °C (estimation ADEME).
- Part de la chaleur renouvelable et de récupération portée à 29,6 % en 2023 dans la consommation de chaleur.
- Plus de 1 350 nouvelles installations aidées et 3,6 TWh/an de production additionnelle sur le territoire dans le dernier bilan du Fonds Chaleur (bilan 2024 du Fonds Chaleur).
La chaleur fatale correspond aux calories dissipées sans valorisation par un procédé, un équipement ou une infrastructure. Elle peut provenir des fumées, des rejets d’eaux chaudes, des surfaces de machines ou des circuits de refroidissement.
Selon la qualité de la chaleur disponible, les usages de valorisation diffèrent. Haute température pour alimenter un autre process. Moyenne température pour des besoins d’eau chaude ou d’air chaud. Basse température potentiellement convertible en électricité si l’on maîtrise la thermodynamique et les conversions avec pertes limitées.
Entent et la genèse de pulse : de l’intuition de terrain à une offre industrielle
Le projet Entent naît d’un constat simple formulé dès 2013 par Mathias Fonlupt pendant sa formation en hygiène, santé et environnement : l’industrie dissipe une énergie considérable sans la monétiser. Cette intuition le conduit à approfondir la thermodynamique appliquée et à développer une approche technique originale.
La société est fondée en 2018 pour transformer cette idée en produit. Rejoint par Clément Schambel, l’équipe structure une feuille de route claire : s’attaquer au cœur du gisement, la basse température, en combinant conversion électrique, compacité et simplicité opérationnelle pour l’utilisateur final.
La jeune entreprise revendique une technologie propriétaire, Pulse, qui doit permettre de passer de démonstrateurs à des installations clients dans des délais resserrés. Après plusieurs années de développement, un premier pilote industriel est en fabrication afin de valider l’enchaînement complet sur site.
Qui est entent et comment l’entreprise se finance
La trajectoire de financement repose sur une combinaison d’equity et de non-dilutif. Entent indique avoir mobilisé plus de 3 millions d’euros depuis la création, avec un nouvel objectif de 2,6 millions d’euros en seed en cours, dont 1,5 million déjà sécurisé auprès d’investisseurs historiques.
Une campagne participative via Sowefund ouvre l’accès au public. Les fonds visent l’industrialisation, la mise en série et des recrutements ciblés, en particulier un directeur technique et des profils commerciaux export. En filigrane, l’enjeu est de déverrouiller la capacité à livrer plusieurs machines en parallèle sur des environnements clients variés.
Calendrier industriel et objectifs opérationnels
Entent vise la mise en service des premières machines fin 2025, puis une montée en cadence avec une gamme standard plus compacte et une puissance multipliée par dix à horizon court. La trajectoire financière se veut progressive : environ 40 systèmes installés à l’horizon 2029 et un chiffre d’affaires de 15 millions d’euros, avec une croissance attendue à deux chiffres.
La séquence d’exécution se structurera autour d’unités modulaires, conçues pour s’imbriquer avec des contraintes industrielles strictes, tout en exigeant une maintenance simple et peu invasive. L’ambition est claire : faire de Pulse une brique standard dans la boîte à outils de la décarbonation.
Pourquoi s’intéresser aux basses températures
La plupart des technologies matures adressent la chaleur moyenne ou haute température. La basse température reste la plus abondante mais la moins captée, car la conversion y est, par nature, plus difficile. Un système robuste, modulaire et sobre en auxiliaires change l’équation économique, en rapprochant la valorisation des postes qui en ont besoin.
Architecture de pulse : une conversion électricité pensée pour la basse température
Au cœur de l’innovation, Pulse s’appuie sur un cycle thermodynamique original et une circulation pulsée de fluide organique. L’approche diffère des cycles organiques de Rankine classiques en cherchant à optimiser la dynamique des échanges à basse température tout en limitant le recours aux auxiliaires énergivores.
Le dispositif capte la chaleur résiduelle sur des sources variées : eaux de cuisson, circuits de refroidissement, vapeur basse pression ou eau tempérée. La chaleur vaporise un fluide organique, la pression résultante actionne un piston, et l’énergie mécanique est transformée en électricité. L’originalité tient à la pulsation du fluide, pilotée par des ondes acoustiques issues du mouvement du piston afin de fluidifier les transferts.
Cette architecture vise un double effet : augmenter le rendement effectif quand la source est tiède et réduire la complexité en évitant des pompes externes et des auxiliaires surdimensionnés. L’ensemble se veut compact, facilement intégrable et concentré sur une mise en service rapide.
Paramètres techniques qui comptent pour un site client
- Plage de températures utile ciblée entre 60 et 150 °C, pour coller au gisement le plus abondant.
- Modularité par machines compactes, additionnables selon la taille du site et l’évolution des besoins.
- Puissance électrique visée par unité comprise entre 100 et 650 kW pour une chaleur fatale captée jusqu’à environ 1 MW thermique.
- Intégration simplifiée sur des points de collecte déjà existants, afin de réduire les travaux.
La conversion d’une source tiède en électricité est limitée par les lois de Carnot. À basse température, les cycles organiques classiques perdent en rendement utile, surtout si des auxiliaires consomment une part significative du gain théorique.
Pulse se positionne autrement : 1) circulation pulsée pour optimiser l’échange sur des écarts de température faibles, 2) piston plutôt que turbine pour de bonnes performances à bas régimes, 3) sobriété des auxiliaires pour préserver l’énergie nette produite. L’objectif est de rester performant dans la zone où les solutions historiques deviennent peu rentables.
Stratégie de marché : agroalimentaire d’abord, data centers et géothermie ensuite
Entent déploie une stratégie progressive. Première cible : l’industrie agroalimentaire, où les profils thermiques sont stables, les volumes d’eau chaude abondants et la continuité de production élevée. Ce choix permet de sécuriser des retours d’expérience tangibles et des références bancables.
Une fois l’offre consolidée, l’entreprise prévoit d’adresser les data centers ainsi que des actifs géothermiques. Les premiers accumulent des rejets de chaleur à température relativement basse mais constante et proche des charges électriques. La seconde offre un approvisionnement continu, utile pour amortir des investissements avec une visibilité pluriannuelle.
Agroalimentaire : profils thermiques récurrents et débouchés locaux
Des ateliers de cuisson à la pasteurisation, les chaînes agroalimentaires génèrent une chaleur de qualité homogène et périodicité forte. Les rejets d’eaux tièdes et d’air chaud s’alignent bien avec les caractéristiques de Pulse, qui peut s’insérer sans bouleverser le process ni exiger de lourds arrêts de ligne.
Dans ces environnements, l’autoconsommation électrique trouve immédiatement sa place. La puissance restituée couvre des usages auxiliaires, des régulations ou des charges de process, en cohérence avec les contraintes des Certificats d’Économies d’Énergie qui incitent à la consommation sur site.
Data centers : proximité des charges et valorisation additionnelle
Les centres de données cherchent à valoriser une chaleur peu valorisée, souvent rejetée via air ou eau tièdes. En rapprochant la conversion électrique des groupes de charge et de la distribution, Pulse propose de réinjecter l’énergie là où elle est requise, par exemple pour des auxiliaires de refroidissement ou des modules IT en périphérie.
La valorisation électrique complète l’arsenal des data centers qui explorent déjà la réutilisation de chaleur via réseaux urbains. Dans des contextes où l’export est complexe, convertir une fraction sur site sécurise des gains opérationnels immédiats.
Géothermie et approvisionnements continus
Les ressources géothermiques à basse température offrent un profil stable toute l’année, utile pour structurer des modèles économiques sur des cycles longs. Cette continuité d’alimentation se prête bien à des financements tiers et à des contrats de service à durée déterminée, tout en complétant l’intermittence de l’éolien et du solaire.
Contraintes d’intégration à anticiper côté site
Avant déploiement, plusieurs points conditionnent la réussite :
- Stabilité de la source sur les plages de fonctionnement. Lissage des pics et des creux si nécessaire.
- Qualité des fluides et prévention de l’encrassement. Besoin éventuel de filtration et d’anti-tartre.
- Interfaces process sans dégrader la productivité ni la sécurité HSE. Garanties de non-perturbation.
- Place disponible et cheminement des réseaux. Contraintes ATEX selon zones.
- Schéma électrique d’injection et de protection. Priorité à l’autoconsommation.
Modèle économique, aides publiques et cadre réglementaire
Entent adopte un modèle full OPEX. Concrètement, l’industriel n’engage pas d’investissement initial et règle des mensualités indexées à la performance. Le CAPEX d’une unité, annoncé autour de 250 000 euros, est porté avec un tiers privé qui mutualise le risque et facilite la décision.
Cette approche répond à une réalité de terrain : les directions achat et finance arbitrent entre projets de cœur de métier et projets d’efficacité énergétique. En offrant une solution clés en main sans immobiliser des capitaux, Pulse franchit une barrière importante à l’adoption, tout en alignant fournisseur et client sur des indicateurs de performance communs.
Les aides publiques jouent un rôle d’accélérateur. Le Fonds Chaleur, piloté par l’ADEME, soutient les installations de production de chaleur renouvelable et de récupération. Les CEE renforcent le modèle via des fiches spécifiques, à la condition que l’électricité produite soit consommée sur site, ce qui maximise l’intérêt économique pour l’industriel.
Combinaisons d’aides et clés de montage
Plusieurs dispositifs peuvent s’additionner en veillant à éviter les superpositions interdites. Un montage type réunit une part de financement tiers, une bonification via CEE et un soutien du Fonds Chaleur pour l’équipement d’échange et l’intégration. Les appels à projets peuvent compléter l’enveloppe pour des cas démonstrateurs ou des innovations fortement différenciantes.
Le cadre légal français fixe un cap clair. La loi de transition énergétique pour la croissance verte vise 38 % d’énergies renouvelables dans la consommation de chaleur d’ici 2030, un signal stratégique pour les industriels. À l’échelle régionale, la cartographie des gisements par EPCI outille les décideurs pour identifier les meilleures opportunités locales.
Le fournisseur investit, installe et opère l’équipement. Le client s’engage sur une redevance mensuelle ou un prix au MWh économisé ou produit, avec des clauses de performance et de disponibilité. Les responsabilités de maintenance sont clarifiées, et les pénalités encadrent les écarts aux niveaux garantis.
Ce schéma améliore la banquabilité du projet. Il réduit l’exposition du client sur l’investissement, tout en valorisant les flux d’économies d’énergie. Souvent, le contrat prévoit un partage des gains au-delà d’un seuil de performance, incitant chaque partie à optimiser durablement la solution.
Analyse financière : signal-prix, capex et décote carbone
L’économie d’un projet dépend du différentiel entre le coût marginal de l’électricité procurée par Pulse et le prix de l’électricité évitée. Lorsque le prix réseau est élevé, l’arbitrage devient favorable. La stabilité de la source et le taux d’utilisation annualisé sont déterminants pour lisser les coûts fixes et sécuriser un LCOE compétitif.
La trajectoire européenne de tarification carbone et les exigences de reporting extra-financier poussent déjà les donneurs d’ordre à internaliser les coûts climatiques. En évitant jusqu’à 350 tonnes de CO₂ par an par machine, selon le mix européen, l’équipement pèse directement sur la trajectoire de décarbonation et renforce les indicateurs RSE.
- Risk management : qualité de la source, robustesse du design, garanties de performance.
- Contractualisation : SLA clairs, pénalités équilibrées, clauses de sortie raisonnables.
- Assurabilité : couverture bris de machine et pertes d’exploitation adaptées.
- Simplification : un seul interlocuteur pour l’intégration, l’exploitation et la maintenance.
Sur le terrain, les DAF arbitrent entre ROI, flexibilité et risques opérationnels. Une solution plug-and-earn avec des métriques de disponibilité solides et une faible empreinte travaux obtient plus facilement le feu vert des comités d’investissement, surtout quand elle s’adosse à des instruments publics bien calibrés.
Gouvernance du projet côté industriel
La réussite d’un projet de valorisation de chaleur repose sur une gouvernance inter-métiers :
- Direction industrielle pour cadrer les interfaces process et les critères HSE.
- DAF et achats pour structurer le financement et les clauses contractuelles.
- Maintenance et exploitation pour intégrer les routines de surveillance et de service.
- RSE et juridique pour aligner le projet avec la trajectoire climat et les obligations de reporting.
Cartographie territoriale et ciblage des premiers déploiements
Pour faire émerger des projets, l’identification des gisements fiables prime. En France, des cartographies régionales détaillent les potentiels par bassin industriel. Par exemple, en Pays de la Loire, la mesure par EPCI met en évidence des opportunités au plus près des infrastructures, facilitant l’interfaçage avec les utilisateurs finaux.
Entent construit son portefeuille en ciblant des sites dont les profils thermiques sont bien connus et mesurables. Les critères d’éligibilité reposent sur la récurrence des rejets, l’accessibilité aux points chauds, et la possibilité d’installer une machine sans travaux lourds. Cette méthode réduit le risque d’écart entre le gisement théorique et la production réelle.
Structurer le pipeline : de la qualification à la mise en service
- Qualification : mesure des débits, températures et variabilités saisonnières.
- Pré-étude : simulation énergétique, emprise et interfaces.
- Ingénierie détaillée : dimensionnement, sécurité, conformité.
- Installation et essais : mise sous tension, protocoles de réception.
- Exploitation : suivi de performance et optimisation.
La clé est d’éviter la sous-performance chronique. Le dimensionnement doit intégrer des plages de charge partielle et des saisons. Une machine surdimensionnée tournera en deçà de son optimum. À l’inverse, un dimensionnement trop prudent laisse de la valeur non captée.
Quand une source est proche d’un réseau de chaleur urbain, l’alimentation d’usages publics via chaleur peut être privilégiée. Si la source est éloignée, fractionnée ou de faible température, la conversion en électricité sur site peut s’avérer plus pertinente.
En pratique, les deux briques sont complémentaires. Certaines infrastructures valorisent une partie de la chaleur via réseau et convertissent une autre fraction en électricité, selon les contraintes de distance, de température et de besoins locaux.
Cap vers 2029 et au-delà : industrialisation et ouverture européenne
Entent annonce une feuille de route claire. Premier jalon, la mise en service fin 2025 de systèmes Pulse sur sites clients. Puis une montée en puissance avec une gamme standard plus compacte et plus puissante, pour adresser des gisements plus importants et diversifier les cas d’usage.
L’entreprise projette une quarantaine de machines installées en 2029 et environ 15 millions d’euros de revenus, en visant une croissance annuelle soutenue. L’internationalisation ciblera d’abord l’Allemagne et l’Italie, marchés industriels lourds où les mix énergétiques restent plus carbonés, et où la valorisation sur site améliore sensiblement le bilan économique comme le bilan carbone.
Le contexte réglementaire européen renforce cette trajectoire. Les objectifs climatiques, la tarification du carbone et les obligations de reporting extra-financier poussent les donneurs d’ordre à intégrer des solutions prêtes à l’emploi pour réduire l’intensité énergétique de leurs sites. Dans ce paysage, une technologie capable de tirer parti du gisement 60 à 150 °C sans déclencher des travaux lourds dispose d’un véritable avantage compétitif.
Reste l’exécution, toujours décisive. La fiabilité du premier parc, la qualité des contrats de service et la capacité à industrialiser la fabrication feront la différence. Si les résultats promis se vérifient, Pulse pourrait rapidement s’imposer comme une brique standard de la décarbonation industrielle, en complément des réseaux de chaleur et des solutions de sobriété.
En rendant monétisable une chaleur souvent perdue, Entent révèle une marge d’efficacité encore inexploitée dans l’industrie et esquisse une voie opérationnelle pour conjuguer performance économique et réduction des émissions.