Bruxelles : Draghi met en lumière le décalage européen en IA
En 2025, Draghi souligne un décalage accrus en compétitivité et innovation pour l'UE. Découvrez les recommandations clés pour les entreprises.

À Bruxelles, le 16 septembre 2025, Mario Draghi a remis la pression sur l’exécutif européen. Un an après la remise de son rapport, l’ancien président de la BCE alerte sur un décrochage compétitif aggravé, tandis qu’Ursula von der Leyen revendique des chantiers engagés. Derrière ce duel de diagnostics, un sujet crucial pour les entreprises françaises : la vitesse d’exécution réglementaire, l’investissement dans l’IA et la trajectoire de décarbonation.
Draghi alerte sur un décrochage compétitif européen
Commandée à l’automne 2023 et remise en septembre 2024 à la présidente de la Commission, l’analyse conduite par Mario Draghi dresse un tableau plus sévère qu’escompté. La géopolitique s’est durcie, avec des restrictions commerciales américaines toujours présentes et une dépendance européenne aux métaux stratégiques chinois qui s’accentue. Pour le technicien italien, la conséquence est claire : l’écart se creuse avec les États-Unis et la Chine, notamment sur la technologie et l’énergie.
Le rapport contient 383 recommandations détaillant des leviers d’action pour les 27. Neuf mois après sa réception, l’exécutif européen en a engagé l’examen point par point. Mais l’obstacle se situe ailleurs : la Commission ne fait que proposer.
Les compromis au Conseil de l’UE et au Parlement européen prennent du temps. Draghi fustige une « lenteur » institutionnelle qui, selon lui, nourrit la frustration des entreprises et des citoyens. Des propos très directs, rapportés par la presse, qui contrastent avec le ton mesuré adopté par la présidente de la Commission.
Cette divergence ne porte pas sur le diagnostic de fond, mais sur le tempo. D’un côté, des rivaux capables d’arbitrer vite et d’investir massivement. De l’autre, un espace réglementaire sophistiqué et protecteur qui peine à se muer en accélérateur industriel. La tension entre sécurité juridique et agilité économique se lit à chaque chapitre du dossier : énergie, données, chaînes d’approvisionnement, capital.
Dans l’UE, la Commission prépare les textes, le Conseil et le Parlement les amendent et adoptent. Les compromis en trilogue prennent souvent des mois.
Entre-temps, les États membres adaptent leur position au fil des cycles politiques nationaux. Résultat : un décalage fréquent entre annonce politique et entrée en vigueur des mesures, que les entreprises doivent anticiper sans visibilité parfaite sur le texte final.
Cinq marqueurs du décrochage à surveiller
Les tensions décrites dans le rapport Draghi s’observent sur plusieurs indicateurs :
- 383 recommandations en attente de traduction législative ou opérationnelle.
- Dépendance matières premières : vulnérabilité aux métaux critiques dominés par la Chine.
- Investissements IA plus faibles en Europe que chez ses rivaux.
- Retard d’infrastructures pour l’électromobilité, avec un rythme jugé insuffisant.
- Lenteur normative ressentie par les entreprises, entre conformité et délais de mise en œuvre.
Von der leyen revendique des chantiers industriels et énergétiques
Ursula von der Leyen a défendu la méthode et souligné des réalisations tangibles. La présidente met en avant un Pacte pour une industrie propre, un encadrement plus flexible des aides d’État, ainsi que des projets de giga-usines pour l’IA et un plan d’action énergie. Plusieurs initiatives restent au stade de propositions ou de pilotes, mais le cap est posé : faciliter l’investissement productif et sécuriser l’approvisionnement.
La Commission rappelle aussi des résultats visibles : l’Europe compte quatre supercalculateurs classés parmi les dix plus puissants au monde en 2025, une vitrine de la capacité de calcul. Reste que le comparatif mondial demeure défavorable en matière de grands modèles d’IA et de capital déployé. Autrement dit, les briques existent, mais l’assemblage industriel d’ensemble reste incomplet.
Pour les directions financières, cette séquence appelle deux réflexes : intégrer dans les budgets une montée en charge probable des investissements numériques et énergétiques, et anticiper le phasage juridique des futures obligations. Le décalage entre calendrier politique et application effective continue de structurer les arbitrages d’investissement, surtout pour les projets lourds.
Pour les ETI et grands groupes, trois clés de lecture : capex à planifier sur les infrastructures de données et d’énergie, opex de conformité à calibrer selon les textes à venir, et coût du capital à surveiller dans un environnement de taux qui influence l’investissement privé. La capacité à capter les régimes d’aides d’État rénovés devient un déterminant de compétitivité prix.
Course à l’ia : force de frappe limitée côté européen
Sur l’intelligence artificielle, l’écart d’exécution est documenté. En 2024, selon l’analyse actualisée de Mario Draghi, les États-Unis ont produit environ 40 modèles de fondation, la Chine 15, et l’UE 3. Malgré des actifs stratégiques comme les supercalculateurs, l’écosystème européen peine à convertir la recherche en produits d’envergure mondiale.
L’environnement réglementaire vise la qualité et la confiance, avec l’AI Act adopté en mars 2024. Ce cadre pionnier encadre les usages à risque et s’articule avec le RGPD.
Draghi estime toutefois que la bureaucratie freine l’innovation, citant une hausse des coûts de données de l’ordre de 20 % pour les entreprises européennes, quand des travaux de la Commission évaluent cette augmentation entre 15 % et 25 % selon les cas. Le débat est loin d’être clos : comment garder l’ambition éthique tout en réduisant la friction opérationnelle ?
La question du financement est tout aussi structurante. Les investissements IA en 2024 sont estimés à environ 20 milliards d’euros pour l’UE, contre 100 milliards aux États-Unis et 80 milliards en Chine (BCE, 2025). Des projets de giga-usines d’IA sont annoncés en France, Allemagne et Italie pour plus de 5 milliards d’euros, mais l’effet de masse critique n’est pas immédiat.
Cadre utile : deux repères IA pour dirigeants
- AI Act : premier cadre complet pour l’IA, avec obligations graduées selon les risques et un accent sur la transparence des systèmes.
- RGPD : les coûts de conformité restent significatifs, Draghi plaidant pour une simplification afin d’alléger la charge sans renoncer aux standards.
Trois effets attendus : obligation de documentation technique pour les systèmes à risque, exigences accrues en gouvernance des données et surveillance du cycle de vie des modèles. Les directions juridiques doivent préparer des registres d’IA, clarifier la chaîne de responsabilité fournisseur-utilisateur et aligner la conformité IA avec le RGPD et la cybersécurité.
Mistral ai : stratégie et partenariats
Symbole d’un potentiel européen, Mistral AI atteint une valorisation de 2 milliards d’euros en 2025. Ses partenariats s’inscrivent dans l’effort national porté par France 2030, doté de 4 milliards d’euros pour l’IA. Ce cas illustre une dynamique française orientée vers l’open source et la fourniture de briques technologiques aux entreprises, avec un enjeu clé : l’accès à une capacité de calcul abordable et stable pour tenir l’échelle.
L’envers du décor demeure l’effet de levier des capitaux privés. Les tours de table européens restent souvent inférieurs aux standards nord-américains. Dans ce contexte, la pérennité des projets de compute et l’arrimage aux supercalculateurs européens peuvent offrir un amortisseur de coûts, mais exigent des politiques claires d’allocation de ressources et d’accès pour les acteurs privés.
Décarbonation et mobilité : accélération impérative des infrastructures
Sur le climat, la ligne de crête est étroite. Mario Draghi considère que l’installation de points de recharge doit accélérer de trois à quatre fois dans les cinq prochaines années pour obtenir une couverture adéquate. L’année 2024 a vu un ralentissement des ventes de véhicules électriques dans l’UE, de l’ordre de 10 %, en deçà des prévisions initiales.
Le premier semestre 2025 présente toutefois un visage plus tonique : selon les données sectorielles, les immatriculations de voitures électriques à batterie ont augmenté de 24 % dans l’UE pour dépasser 800 000 unités, avec une progression de 28 % en France sur la même période (ACEA, 2025). La demande montre donc une résilience, mais elle dépendra des prix, de la disponibilité des modèles et d’un réseau de recharge plus dense et plus performant.
Côté chaînes de valeur, les ambitions restent élevées. Le marché mondial des batteries est projeté à environ 200 milliards de dollars d’ici 2030, l’Europe visant 20 % de part de marché.
Des gigafactories comme Northvolt en Suède ou ACC en France structurent la montée en capacité, avec un soutien de l’ordre de 3 milliards d’euros de fonds européens en 2025. Sur l’éolien, la capacité installée a progressé de 12 % en 2024, et les projets offshore en mer du Nord doivent injecter 15 GW supplémentaires d’ici 2027.
Ursula von der Leyen met en avant des marchés mondiaux en croissance rapide : batteries, éoliennes, voitures électriques. L’opportunité commerciale est réelle pour les industriels européens s’ils combinent réduction des coûts, sécurisation des approvisionnements et fiabilité des délais.
Draghi, lui, interroge la faisabilité du Zéro émission 2035 pour les véhicules neufs en l’absence du cercle vertueux prix-infrastructures-volume. Ces deux lectures ne s’opposent pas : elles décrivent les deux faces d’une transformation où le temps long de l’industrie croise la nervosité des marchés.
Repères chiffrés transition énergétique
- +24 % d’immatriculations BEV dans l’UE au premier semestre 2025, +28 % en France.
- 15 GW offshore supplémentaires attendus en mer du Nord d’ici 2027.
- 20 % : part de marché visée par l’Europe dans les batteries à l’horizon 2030.
- 3 à 4x : cadence d’installation des bornes à multiplier pour une couverture adéquate.
Le verrouillage des métaux critiques demeure un point dur. Le déploiement des VE et des renouvelables accroît la demande en lithium, nickel, cobalt ou terres rares. Sans diversification rapide des sources et contrats d’approvisionnement, l’Europe s’expose à des chocs de prix et des retards industriels pouvant peser sur les marges et les délais de mise sur le marché.
Conséquences directes pour les entreprises en france
Pour les directions générales, trois chantiers s’imposent. Premièrement, l’investissement : la montée en gamme numérique et la transition bas carbone requièrent des enveloppes pluriannuelles, compatibles avec les fenêtres d’aides ouvertes par l’UE et l’État.
Deuxièmement, la conformité : AI Act, RGPD et normes sectorielles doivent être harmonisés opérationnellement. Troisièmement, la compétitivité-coût : arbitrer entre internalisation et partenariats pour réduire la charge de calcul, de données et d’énergie.
Le débat fiscal ajoute une couche d’incertitude. La taxe Zucman, proposée en 2025 pour instaurer une imposition minimale de 15 % sur les multinationales, divise les start-up qui redoutent un alourdissement de la charge.
Un rapport de l’OCDE en 2025 estime le potentiel de recettes à 220 milliards de dollars au niveau mondial, dont 20 milliards pour l’UE. Pour l’écosystème innovation, l’enjeu est la prédictibilité : calibrer les business plans dans un cadre fiscal lisible.
Sur la mobilité, les constructeurs français avancent avec prudence. Le marché devient plus sélectif, et l’accès aux bonus publics conditionne certains volumes.
En France, le bonus écologique a été relevé à 7 000 euros en 2025, un signal prix favorable à l’adoption. L’industrie, elle, fonctionne à la vitesse des chaînes de montage : l’adaptation se joue dans les usines et les achats, pas seulement dans les slides.
Renault et stellantis : trajectoire et investissements
Des acteurs comme Renault et Stellantis annoncent des investissements cumulés de 10 milliards d’euros dans les véhicules électriques à l’horizon 2027. L’objectif est double : sécuriser les plateformes industrielles européennes et améliorer la compétitivité coûts face à la concurrence. La réussite passera par l’intégration des batteries en Europe, l’optimisation logistique et l’accès à des réseaux de recharge à la hauteur.
Pour leurs écosystèmes de fournisseurs, la rigueur de trésorerie reste déterminante. Les transitions simultanées, numérique et environnementale, compriment les marges à court terme. D’où l’intérêt d’explorer des financements hybrides mobilisant aides d’État, dette verte et partenariats industriels, tout en restant attentif aux conditions d’éligibilité et à la temporalité des décaissements.
Mistral ai : de la r&d au produit
La montée en puissance de Mistral AI illustre une stratégie de passage de la recherche au marché. L’entreprise s’appuie sur des partenariats et sur le levier France 2030 pour accélérer. Le défi est moins l’innovation incrémentale que la scalabilité : soutenir des cycles d’entraînement coûteux, bâtir une offre conforme à l’AI Act et répondre aux besoins sectoriels des clients français et européens, de la banque-assurance à l’industrie.
Feuille de route pratique pour les comités exécutifs
- Budget : flécher des capex sur le calcul, la donnée et l’électrification des sites.
- Compliance : établir un registre des systèmes d’IA et une cartographie des données RGPD.
- Achats : sécuriser les contrats d’énergie et de métaux critiques en multipliant les sources.
- Financement : activer les guichets d’aides d’État flexibilisés et la dette durable.
- Industriel : anticiper les délais d’installation des bornes pour les flottes et la logistique.
Gouvernance économique européenne : ajuster la vitesse sans sacrifier la sécurité juridique
Le débat Draghi–von der Leyen met en scène deux impératifs légitimes. Le premier : aller plus vite dans l’investissement productif et la simplification des normes, pour ne pas laisser l’avantage à des compétiteurs mieux capitalisés.
Le second : préserver la sécurité juridique et la cohérence du marché intérieur, qui sont des actifs européens précieux. Le point d’équilibre réside dans une exécution réglementaire plus prévisible et dans une ingénierie d’aides d’État davantage orientée vers la mise à l’échelle.
Pour la France, l’agenda est lisible : transformer les atouts existants en parts de marché mesurables. Les chiffres de l’IA, ceux des batteries et des immatriculations électriques montrent que la bascule est possible mais conditionnelle.
À court terme, la clé sera la capacité à raccourcir le temps entre la décision publique et l’effet réel sur le terrain, qu’il s’agisse d’une borne, d’une usine, ou d’un modèle d’IA opérationnel. À moyen terme, l’équation passera par la profondeur du capital et l’ancrage industriel des filières.
Rester ambitieux, exécuter vite, et mesurer sans complaisance : la compétitivité européenne jouera son score sur ces trois temps.