550 start-up issues de la recherche publique : la France prend la tête européenne des brevets, selon l’Office européen des brevets. Derrière, le Royaume-Uni et l’Allemagne restent au coude à coude, mais moins prolifiques. Signal faible ou tendance lourde pour l’économie française : la valorisation de la R&D publique devient un moteur business à part entière.

Brevets publics : la France devance le Royaume-Uni et l’Allemagne

Sur la période 2001-2020, la France domine le palmarès européen des brevets émanant d’organismes de recherche publique. L’étude de l’OEB recense 550 start-up françaises à l’origine de demandes impliquant des inventeurs issus d’organismes publics, contre 414 au Royaume-Uni et 398 en Allemagne. Au total, le vivier dépasse 2 800 start-up sur le continent (OEB, 2001-2020).

Ce leadership tient à une dynamique structurée : des laboratoires publics actifs, une culture de transfert des résultats vers le marché, et des mécanismes d’accompagnement à la création d’entreprises. L’étude souligne la capacité des start-up à convertir des découvertes scientifiques en produits ou services, avec un impact mesurable sur la croissance et la compétitivité. Le brevet joue ici le rôle de passeport industriel, sécurisant l’investissement et clarifiant la liberté d’exploitation.

L’écart avec les autres grandes économies européennes n’est pas marginal. Il signale une force d’entraînement : plus le portefeuille de brevets émanant de la recherche publique est dense, plus la chaîne des valorisations se fluidifie, de la preuve de concept jusqu’à l’industrialisation. Cette intensité brevets irrigue la commande privée, favorise les partenariats industriels et attire les capitaux sensibles aux actifs immatériels protégés.

OEB 2001-2020 : périmètre de l'analyse

Ce que couvre l’étude mentionnée :

  • Des demandes de brevets impliquant des inventeurs affiliés à des organismes publics européens, sur vingt ans.
  • Des start-up identifiées comme à l’origine de ces dépôts, rattachées à des instituts de recherche, universités ou CHU.
  • Un focus sur l’impact économique : contribution à la croissance, à l’investissement et à la compétitivité.

Santé, semi-conducteurs et numérique : les pôles de spécialisation

La carte sectorielle française met en évidence deux pôles dominants : technologies de la santé et technologies de l’information. La composante santé regroupe biotechnologies et produits pharmaceutiques, avec des avancées citées en thérapies géniques et en diagnostics avancés. Du côté numérique, l’axe est porté par les semi-conducteurs et les technologies digitales, incluant l’IA et la cybersécurité.

Cette spécialisation n’a rien d’anecdotique. Elle correspond à des marchés mondiaux en expansion, à forte intensité capitalistique et technologique, où la qualité du brevet et sa portée territoriale déterminent la valorisation. Les actifs protégés créent un effet de rareté et renforcent la position de négociation des start-up avec les industriels et investisseurs.

  • Biotechnologies et pharmaceutique : fort levier clinique, barrières réglementaires élevées, cycles longs mais valorisations soutenues.
  • Semi-conducteurs : enjeux de souveraineté, capital intensif, importance stratégique des procédés et dessins de circuits.
  • Technologies numériques : IA, cybersécurité, logiciels embarqués, interopérabilité et protection algorithmique via brevets ou secrets d’affaires.

En filigrane, l’étude révèle la solidité de l’amont scientifique français, mais aussi la capacité à orienter les inventions vers des cas d’usage monétisables. Le prisme santé-numérique témoigne d’un arbitrage assumé : investir là où la propriété intellectuelle offre les meilleurs retours et où la demande internationale se montre la plus soutenue.

Les brevets en biotechnologies s’adossent à des données cliniques, des plateformes technologiques et des familles de brevets couvrant moyens et applications. En pratique, cela crée :

  • Des barrières d’entrée élevées pour la concurrence.
  • Des options de licence ou co-développement avec des pharmas.
  • Des jalons de valeur synchronisés avec les essais et autorisations.

Résultat : la propriété intellectuelle devient une composante centrale des due diligences, tant pour les levées de fonds que pour les accords industriels.

CNRS, CEA et Inserm : moteurs de transfert technologique

Le leadership français s’incarne dans la performance de ses institutions de recherche. Les organismes nationaux servent de colonne vertébrale à la chaîne de valeur scientifique, du laboratoire à la start-up.

CNRS et CEA : primauté confirmée

Le CNRS et le CEA apparaissent en tête du classement européen. Les deux institutions se distinguent par le volume et la variété des inventions, de la physique et la chimie des matériaux aux technologies de l’information. Les brevets issus de leurs laboratoires se traduisent en licences, en créations d’entreprises et en partenariats avec l’industrie.

Cette primauté est un point d’ancrage pour l’écosystème : elle attire talents, coopérations académiques et co-investissements, tout en renforçant la visibilité internationale des innovations françaises. Dans la chaîne d’exploitation, le rôle des unités de valorisation et des filiales dédiées au transfert se révèle déterminant pour structurer les portefeuilles et gérer la qualité des dépôts.

Inserm : santé et diagnostics avancés

L’Inserm figure parmi les institutions les plus innovantes sur le continent. La dynamique couvre l’éventail des innovations médicales, de la biologie moléculaire aux dispositifs et logiciels de santé. Le positionnement de l’Inserm alimente les créations de start-up en thérapie, diagnostic et e-santé, domaines où la propriété intellectuelle est intensément scrutée par les industriels.

De fait, la masse critique d’actifs et l’adossement clinique facilitent les trajectoires vers la preuve d’efficacité et les collaborations avec des groupes pharmaceutiques. Sur ces marchés, la robustesse des revendications, la gestion des extensions à l’étranger et la capacité à sécuriser la liberté d’exploitation font la différence.

Universités et CHU : une chaîne d’innovations continue

Aux côtés des grands organismes nationaux, les universités et les hôpitaux universitaires soutiennent la dynamique en co-développant des inventions et en alimentant le flux de brevets. La proximité des usages cliniques et des équipes de recherche favorise des innovations orientées valeur, prêtes à franchir rapidement les étapes de la validation et de l’industrialisation.

Comparaisons sectorielles : des choix stratégiques assumés

Les spécialisations nationales distinguées dans l’étude :

  • France : santé et technologies de l’information, avec un accent sur l’IA, la cybersécurité et les semi-conducteurs.
  • Allemagne : focalisation plus marquée sur l’ingénierie industrielle.
  • Royaume-Uni : forte présence dans les fintech, mais moindre densité de brevets publics en santé.

Ces orientations reflètent des arbitrages d’investissement et des structures industrielles différentes, avec un impact direct sur les portefeuilles de brevets.

Brevets 2024 à l’INPI : ouverture des données et usages business

En 2024, près de 15 500 entreprises ont déposé une demande de brevet auprès de l’INPI. La mise à disposition gratuite des informations via le moteur de recherche Data INPI facilite l’accès aux données de propriété industrielle, incluant marques, brevets, dessins et modèles.

Pour les dirigeants, cette transparence est stratégique : elle permet de cartographier les concurrents, de surveiller l’émergence de technologies rivales et d’anticiper d’éventuels contentieux. En phase d’amorçage comme de croissance, l’examen des antériorités et des familles de brevets accélère la prise de décision et la priorisation des ressources.

La publication des données légales d’entreprises et des titres de PI renforce également la capacité à nouer des partenariats ou à justifier une valorisation auprès d’investisseurs. Elle participe au climat de confiance, tout en réduisant les asymétries d’information entre chercheurs, fondateurs et financeurs.

Data INPI : modes d’exploitation pour dirigeants

  • Veille concurrentielle : suivre les dépôts récents, repérer les zones de densité brevets, identifier les co-dépôts récurrents.
  • Cartographie technologique : relier les codes de classification aux segments de marché, détecter les domaines de liberté.
  • Prévention des litiges : effectuer des recherches d’antériorités avant développement, calibrer des stratégies de contournement.

Gouvernance PI : points de contrôle à instaurer

  • Synchroniser les dépôts avec les jalons de produit, sans divulgation prématurée.
  • Arbitrer brevets vs secrets d’affaires selon la reproductibilité et la détectabilité.
  • Anticiper l’extension géographique en fonction des marchés cibles et des partenaires.

Accès Data INPI : ce qui est effectivement disponible

Les informations ouvertes via les outils INPI :

  • Recherches sur les titres de propriété industrielle : brevets, marques, dessins et modèles.
  • Données légales sur les entreprises titulaires ou déposantes.
  • Historique des procédures, permettant de suivre la vie d’un titre et ses modifications.

Ces jeux de données sont accessibles gratuitement et peuvent être exploités à des fins de veille, d’audit d’actifs immatériels et de préparation de deals.

France 2030 et concours d’innovation : accélérateur de souveraineté

Le déploiement de France 2030 alimente le pipeline de projets profonds. Lors de la cérémonie 2024-2025 des Concours d’innovation de l’État, tenue le 14 octobre 2025 à La Seine Musicale, 147 lauréats ont été récompensés. Les concours structurent les parcours d’innovation en trois volets complémentaires : i-PhD, i-Lab et i-Nov (DGE, 14 octobre 2025).

Ces dispositifs ciblent la souveraineté technologique et la transition écologique. Ils renforcent le continuum entre recherche publique, création d’entreprise et industrialisation. La Direction générale des Entreprises souligne un appui particulier aux secteurs comme le numérique en santé, parfaitement aligné avec les axes forts de la production française de brevets.

I-PhD, i-Lab et i-Nov : articulation et cibles

  • i-PhD : soutien à l’entrepreneuriat des jeunes docteurs, pour transformer des résultats scientifiques en projets exploitables.
  • i-Lab : impulsion à la création d’entreprises technologiques à fort contenu de propriété intellectuelle.
  • i-Nov : accélération de l’innovation portée par des PME et start-up plus matures, avec un focus sur la mise sur le marché.

La progression au sein de ce triptyque consolide la capacité des projets à franchir les étapes critiques : preuve de concept, premier démonstrateur, puis scale-up industriel. À la clé, une meilleure synchronisation entre brevets, recherche de financements et accès aux marchés.

Effet d’entraînement sur l’écosystème

Le signal prix et le signal qualité envoyés aux acteurs privés sont clairs : des projets filtrés, une orientation vers des priorités technologiques souveraines et des jalons de performance lisibles. En retour, les industriels s’impliquent plus tôt, les investisseurs trouvent des points d’entrée mieux documentés, et les fondateurs peuvent capitaliser sur des actifs de PI mieux structurés.

Pour un projet deeptech issu d’un laboratoire public, la trajectoire type inclut :

  1. Preuve de concept et premier dépôt, synchronisés avec la non-divulgation.
  2. Constitution d’un portefeuille prioritaire et réflexion sur les extensions.
  3. Recherche de financements dilutifs et non dilutifs, en parallèle des programmes d’État.
  4. Négociation d’accords industriels dès que la liberté d’exploitation est clarifiée.

À chaque étape, la gouvernance PI conditionne la qualité de la due diligence et la valorisation.

Emplois, investissements, compétitivité : effets économiques mesurés

L’étude de l’OEB insiste sur la matérialité économique du transfert technologique : les start-up issues de la recherche convertissent la science en produits, génèrent des emplois qualifiés et attirent des investissements. Pour la France, la densité des brevets publics nourrit une dynamique d’industrialisation qui s’observe dans les deals, les co-développements et les implantations.

Sur vingt ans, des médias économiques soulignent la constance de cette performance française en tête du classement européen des brevets publics, un signal favorable à la compétitivité nationale et à l’émergence d’entreprises innovantes (Les Echos). La robustesse de l’actif brevets devient un critère différenciant pour les partenaires étrangers, au moment de négocier des licences ou d’implanter des capacités productives.

Comparaison européenne : ingénierie allemande et fintech britannique

La spécialisation industrielle façonne la nature des brevets et la structure des deals. L’Allemagne concentre une grande partie de ses forces sur l’ingénierie et l’industrialisation de procédés, tandis que le Royaume-Uni excelle dans les fintech. La France, elle, se renforce sur la santé et les technologies de l’information, avec des effets d’entraînement dans les semi-conducteurs, la cybersécurité et l’IA.

Cette répartition sectorielle n’est pas neutre pour les flux de capitaux. Les investisseurs sensibles à la protection de l’innovation et aux barrières réglementaires s’orientent plus volontiers vers des portefeuilles en biotechnologies et santé, tandis que les fonds orientés software évaluent différemment la protection, entre brevets, droit d’auteur et secrets d’affaires. La France profite de cette asymétrie, la profondeur de ses brevets en santé et numérique renforçant l’attractivité de ses start-up.

Pour les directions financières : trois lectures utiles des portefeuilles PI

  1. Qualité des revendications : ampleur, indépendance, dépendances clés, potentiel de contournement.
  2. Étendue géographique : adéquation entre pays protégés et marchés de revenu ciblés.
  3. Vie du titre : oppositions, limitations, citations par des tiers, co-dépôts et licences actives.

L’objectif : corréler ces éléments avec le plan de marché, la roadmap produit et la trajectoire de cash-flow.

Accès et usage des données : un levier concurrentiel pour les PME

L’accès gratuit aux données de l’INPI offre aux dirigeants de PME une base solide pour structurer leurs stratégies. Outre l’identification des tendances de dépôts, l’exploitation des informations légales permet d’apprécier les mouvements capitalistiques et les titulaires d’actifs. La transparence améliore les rapports de force lors des négociations contractuelles et facilite la préparation des clauses de propriété intellectuelle.

Pour les écosystèmes territoriaux, la diffusion des données favorise la constitution de cartographies d’innovations par filière ou par région. Les clusters et pôles de compétitivité peuvent ainsi cibler plus finement leurs actions d’animation et d’accompagnement, au bénéfice des projets à forte intensité PI.

Bonnes pratiques d’alignement business-PI

  • Évaluer la complémentarité entre brevets, marques et dessins et modèles sur un même produit.
  • Planifier l’exploitation commerciale en cohérence avec les délais de délivrance et les délais d’opposition.
  • Prévoir des clauses de sortie et d’évolution en cas de co-titularité ou de sous-licence.

L’OEB traite les demandes à portée européenne via la procédure de brevet européen, avec des effets potentiels dans plusieurs pays après validation nationale. L’INPI gère les dépôts et titres de propriété industrielle pour la France.

Pour une entreprise française, le choix dépend de la stratégie géographique, des coûts de procédure et des zones de marché. Le portefeuille peut combiner des titres nationaux et des extensions européennes.

Ce leadership appelle des arbitrages financiers

Le rang de la France sur les brevets issus de la recherche publique confirme un écosystème vigoureux, adossé à des institutions de premier plan et à des secteurs porteurs. Pour durer, cette avance suppose de consolider les partenariats public-privé et de fluidifier le financement des start-up de recherche, comme le recommande l’OEB. La synchronisation entre maturité technologique, propriété intellectuelle et investissement reste l’équation à résoudre.

France 2030 et ses concours structurent un couloir de financement et de visibilité qui facilite la bascule vers l’industrialisation. Associées à l’ouverture de Data INPI et à la densité des brevets en santé et numérique, ces politiques publiques renforcent l’attractivité de la place française. La priorité désormais : accélérer la conversion des actifs de PI en revenus récurrents et en capacités productives.

Pour les dirigeants, l’enjeu est clair : transformer l’avantage brevets en avantage marché, sans perdre le tempo de l’exécution.