Les entreprises françaises face aux risques géopolitiques en 2025
Découvrez comment les tensions géopolitiques influencent la gouvernance et la résilience des entreprises françaises en 2025.

61 % en 2025 : c’est la part de dirigeants français qui constatent un impact direct des tensions géopolitiques sur leur activité. À la manœuvre, des comités financiers plus réalistes, des chaînes d’approvisionnement reconfigurées et des arbitrages énergétiques plus fins. Une tribune signée par Laurent Gasiglia, Président de Wearth Group, rappelle que l’entreprise est une personne morale en première ligne, et non un simple acteur économique.
Entreprises françaises : la géopolitique s’invite au cœur du pilotage
Longtemps cantonnée aux États, la géopolitique irrigue désormais le quotidien des entreprises. En France, plusieurs indicateurs convergent.
61 % des dirigeants déclarent avoir subi des chocs géopolitiques majeurs sur les deux dernières années, et 97 % reconnaissent des conséquences concrètes liées à la guerre en Ukraine, aux tensions sino-américaines et à la crise énergétique européenne. Les directions financières ne gèrent plus seulement des risques de marché, elles arbitrent des dépendances stratégiques et des enjeux de souveraineté.
Ce basculement est assumé par les directeurs financiers. D’après l’édition printemps 2025 de la CFO Survey de Deloitte, les risques géopolitiques s’installent durablement dans leur référentiel, avec une compréhension plus fine de l’incertitude et une intégration plus systématique dans la gestion des priorités d’investissement et de liquidité (L’Agefi, 8 septembre 2025).
Deux conséquences s’imposent. D’abord, la gouvernance se densifie, avec des comités ad hoc et des grilles d’alerte capables de suivre l’évolution des risques pays, les fluctuations de coûts critiques et les seuils de continuité d’activité. Ensuite, la fonction achats et la supply chain montent d’un cran, en s’alignant davantage avec la finance et la sécurité des systèmes d’information.
Un risque géopolitique peut combiner un choc pays, une rupture logistique, une contrainte réglementaire extraterritoriale, une sanction, un gel d’actifs ou une volatilité énergétique. Pour un COMEX, le sujet ne se limite pas à l’actualité internationale. Il se traduit en probabilités de défaillance fournisseur, en surcoûts de couverture, en scénarios de capacité et en décisions d’investissement.
Une réalité toutefois demeure préoccupante. Seules 11 % des grandes entreprises françaises disposent d’une structure interne explicitement dédiée au suivi des risques géopolitiques. Le sujet est souvent dilué entre risques pays, conformité et sécurité. Il ne l’est plus pour les CFO, qui expriment une demande croissante d’outils de veille et de modélisation des impacts en trésorerie et en compte de résultat.
Chaînes de valeur, énergie et cybersécurité : trois angles stratégiques en 2025
Les entreprises ne subissent pas seulement un climat plus mouvant, elles opérationalisent leur résilience autour de trois prismes clés : les chaînes d’approvisionnement, la sécurité énergétique et la cybersécurité. Ces axes rejoignent les alertes formulées sur la sécurité économique, avec l’idée que l’interdépendance productive et numérique augmente mécaniquement l’exposition aux chocs multiples.
Sécurisation des approvisionnements : arbitrages et coûts
Le pivot des chaînes de valeur s’accélère. Diversifier un portefeuille de fournisseurs, rapprocher une partie des capacités, ou remettre à plat des clauses logistiques à risque sont désormais des décisions d’allocation capitalistique.
Réorienter hors d’Asie certaines composantes ou réinternaliser des étapes critiques signifie accepter des coûts de transition pour gagner en continuité d’activité et en maîtrises des délais, surtout sur des flux stratégiques comme l’électronique et les composants industriels. La prudence s’impose dans l’exécution pour éviter un surcoût durable et préserver la compétitivité prix.
Énergie : volatilité et planification
La guerre en Ukraine a mis à nu des dépendances historiques et des fragilités d’accès à l’énergie. Les directions industrielles ont multiplié les options de secours, révisé leurs contrats d’approvisionnement et travaillé des scénarios de bascule de charge.
En parallèle, la montée des filières batteries et renouvelables rebat les cartes des investissements. Sécuriser ses volumes et la prévisibilité de prix redevient un critère central de pilotage des marges, au même titre que la disponibilité de main d’œuvre qualifiée et les délais d’industrialisation.
Cybersécurité : menace opérationnelle et financière
Les tensions internationales augmentent le risque de cyberattaques ciblées, y compris via des fournisseurs. Les coûts associés couvrent l’interruption d’activité, la réponse à incident, la remise en conformité et la communication. Les entreprises renforcent la gouvernance entre RSSI, achats et finance. L’enjeu devient double : réduire l’attaque totale représentative et raccourcir le temps de récupération.
Polycrises 2025 : effets concrets sur l’entreprise
Les Echos pointent pour 2025 une conjoncture de « polycrises » combinant catastrophes naturelles, cyberattaques, volatilités économiques et tensions commerciales. Conséquence pour les entreprises françaises :
- Hausse des stocks de sécurité pour amortir les ruptures.
- Réécriture des clauses de force majeure et de révision de prix.
- Segmentation des sites pour limiter la concentration des risques.
- Multiplication des scénarios énergétiques dans les plans industriels.
Cette reconfiguration n’est pas purement défensive. Elle ouvre des trajectoires de croissance plus robustes, en particulier pour les acteurs capables d’orchestrer des écosystèmes multi-pays et d’investir dans des capacités à plus forte valeur ajoutée.
La sécurité économique couvre la résilience des chaînes d’approvisionnement, la sécurité énergétique et la cybersécurité. Elle insiste sur les interdépendances entre économies et sur la nécessité d’intégrer ces risques dans la décision publique et privée. Les lecteurs peuvent y voir un mode d’emploi pour prioriser les vulnérabilités et éviter les angles morts dans la planification industrielle.
Quand les décisions privées redessinent l’équilibre mondial
La relation entre entreprises et géopolitique n’est pas unilatérale. Les choix d’investissement, de sourcing et de localisation nourrissent des équilibres de puissance.
Fonder une usine en France, structurer une filière batteries ou déplacer des maillons hors d’Asie induisent des effets d’emploi, de compétences et de coopération transfrontalière. Ces arbitrages façonnent la souveraineté des États en réalité économique, bien au-delà des discours.
Les entreprises peuvent également jouer un rôle stabilisateur. En période d’instabilité, elles maintiennent des flux, des savoir-faire et des revenus fiscaux qui soutiennent les territoires. À l’international, des partenariats industriels durent souvent plus longtemps que les alliances politiques. L’intérêt commun, matérialisé par un contrat et des résultats, tient parfois là où les compromis diplomatiques s’effritent.
Implanter une unité de production ne répond pas qu’à une logique de coûts. C’est un signal de confiance, un engagement vis-à-vis d’infrastructures, de standards et de compétences locales. Ce geste influence la balance commerciale, aiguise la compétition technologique et pèse sur les transferts de savoir-faire. En d’autres termes, cela produit un effet géopolitique mesurable.
Reste l’écart entre l’ampleur des enjeux et la maturité organisationnelle. Peu d’entreprises structurent la veille géopolitique à la hauteur des sujets. Ce déficit de gouvernance se paie cher en crise, quand l’information se raréfie et que le temps de réaction détermine la survie des opérations.
Gouvernance et outils : structurer la veille et la décision
Pour passer d’une posture réactive à une gestion proactive, plusieurs entreprises françaises accélèrent la formalisation. Certaines intègrent la grille de lecture géopolitique au comité de direction.
D’autres déploient des outils de veille augmentée adossés à des indicateurs de continuité, de solvabilité fournisseurs et de cyber-exposition. La dynamique d’investissement se renforce également : le Baromètre Géopolitique & Business de l’ESSEC, L’Express et OpinionWay indique que 75 % des entreprises interrogées prévoient d’accroître leurs budgets liés à la gestion des risques internationaux dans les prochaines années.
Comité des risques internationaux : périmètre et rôles
Un comité efficace réunit finance, achats, juridique, conformité, SI et opérations. Son mandat couvre la cartographie des dépendances critiques, le suivi des signaux faibles, la cohérence des polices d’assurance, la politique de stocks et les plans de secours. L’objectif est double : réduire l’incertitude décisionnelle et accélérer la mise en œuvre des mesures de résilience.
Indicateurs et scénarios : du signal faible à l’arbitrage
La qualité de la décision dépend du bon signal. Quelques indicateurs utiles émergent : délais moyens d’expédition par corridor, volatilité contractuelle des prix d’énergie, exposition fournisseurs à des zones sous sanctions, capacité de redémarrage après incident cyber. Les entreprises pilotent de plus en plus par scénarios, avec des seuils d’activation clairs pour déclencher des bascules logistiques ou des couvertures additionnelles.
1. Cartographier 20 flux critiques maximum et leurs dépendances. 2. Tester deux scénarios d’interruption majeurs par an. 3. Valider les niveaux de stocks et les SLA fournisseurs. 4. Contrôler la couverture réglementaire extraterritoriale. 5. Auditer l’exposition cyber de la chaîne étendue. 6. Aligner les déclencheurs financiers et opérationnels pour un redéploiement rapide.
L’appareil public accompagne cette montée en maturité. Le gouvernement, via la Direction générale du Trésor, promeut des travaux sur la sécurité économique, tandis que le Haut Conseil de Stabilité Financière suit les effets systémiques des crises sur le crédit et la liquidité.
La Fondation Jean Jaurès, dès janvier 2025, appelle à une véritable politique étrangère des entreprises, c’est-à-dire des dirigeants mieux formés et outillés pour piloter ces risques dans la durée. La ligne directrice est claire : outiller la stratégie, sans dramatiser, et investir là où la résilience génère un retour durable.
Le G20 des Entrepreneurs : un laboratoire d’influence économique
La dimension internationale n’est pas qu’un sujet de gestion des risques. Elle est aussi une force de proposition. Le G20 des Entrepreneurs réunit chaque année près de 400 dirigeants dans le pays hôte du G20. Ils produisent des recommandations adressées aux chefs d’État sur des thèmes qui comptent pour l’entreprise réelle : croissance, emploi, innovation, durabilité.
Cette plateforme illustre la capacité du secteur privé à faire émerger des solutions pragmatiques. L’objectif n’est pas de se substituer aux États, mais d’apporter des propositions réalisables et inclusives, ancrées dans la réalité des filières, des territoires et des compétences. Dans un monde sujet aux replis, ces passerelles économiques jouent souvent le rôle de ponts durables.
Du dialogue économique aux feuilles de route opérationnelles
Les entreprises qui participent à ces exercices structurent mieux leurs priorités : clarifier des besoins d’infrastructures, sécuriser un socle de compétences, définir des priorités de standardisation. Ces échanges permettent aussi de confronter des modèles économiques et de s’inspirer de pratiques éprouvées dans d’autres régions, accélérant ainsi l’exécution.
Complémentarité avec l’action publique
Parce que les tensions géopolitiques débordent les agendas politiques, l’entreprise reste un acteur de continuité. Les partenariats économiques, par nature contractuels et orientés résultats, survivent souvent aux cycles électoraux. Dans cette complémentarité, la puissance publique fixe le cap, l’entreprise met en œuvre et aligne ses investissements. Le résultat attendu est une croissance plus robuste et une sécurisation des actifs critiques.
Repères chiffrés à retenir
Quelques données structurantes pour la feuille de route des dirigeants :
- 61 % des dirigeants français déclarent avoir été touchés par un choc géopolitique majeur sur deux ans.
- 97 % constatent des effets de la guerre en Ukraine, des tensions sino-américaines ou de la crise énergétique.
- 11 % des grandes entreprises disposent d’une cellule géopolitique dédiée.
- 75 % des entreprises sondées prévoient d’augmenter leur budget de gestion des risques internationaux.
La cohérence de ces repères appelle une réponse intégrée. Ils éclairent aussi les arbitrages de localisation, de structuration des fournisseurs et de sécurisation des contrats énergétiques, avec un effet immédiat sur la valorisation et le coût du capital.
Impacts 2025 : polycrises et reconfiguration industrielle
Les événements de 2025 consolident une réalité déjà tangible en 2024. Les chocs s’additionnent et interagissent, depuis les catastrophes naturelles jusqu’aux cyberattaques. Les entreprises françaises ont renforcé leurs plans de continuité, parfois au prix d’un surcoût temporaire. Des enseignements ressortent :
- La diversification géographique des fournisseurs est retenue comme une police d’assurance opérationnelle.
- La réduction des dépendances énergétiques conditionne la trajectoire de marge sur les sites industriels.
- La refonte des contrats sécurise la répercussion des chocs de coûts et la flexibilité d’exécution.
- La coordination CFO-COO-CISO accélère la reprise après incident et réduit la perte d’EBIT récurrente.
Au-delà de l’urgence, des opportunités émergent. Les transitions écologique et numérique créent de nouveaux champs d’investissement, depuis l’électrification jusqu’à la digitalisation sécurisée des procédés. Un rapport publié en juin 2025 sur la mutualisation des risques climatiques appelle à repenser les mécanismes d’assurance collective, au regard de crises de plus en plus connectées et coûteuses à isoler.
Un triptyque s’impose : 1. R&D sur composants et process moins exposés aux ruptures. 2. Contrats d’énergie donnant de la visibilité sur 3 à 5 ans. 3. Disciplines de capital allocation fondées sur des scénarios de stress. L’enjeu est de créer un filet de sécurité tout en préservant le rendement des investissements.
Rôles publics et cadre d’action : sécurité économique et supervision
Le champ public structure le cadre de long terme. La Direction générale du Trésor met en relief la sécurité économique comme grille de lecture intégrée, tandis que le HCSF observe la stabilité du système financier face aux crises extrafinancières.
Sur le plan du débat d’idées, la Fondation Jean Jaurès soutient la formation des dirigeants à une véritable politique étrangère de l’entreprise, condition pour outiller les décisions en amont des crises. De son côté, la CFO Survey de Deloitte reflète la maturité grandissante des directions financières, mieux armées pour piloter l’incertitude (L’Agefi, 8 septembre 2025).
À plus court terme, les entreprises sont invitées à clarifier leurs interdépendances, à tester leurs plans de secours et à sécuriser leurs contrats critiques. Cette discipline opérationnelle devient un avantage concurrentiel quand les tensions durent. Elle évite les spirales défensives et permet de saisir les fenêtres d’investissement qui se présentent, notamment dans la transition énergétique et la cybersécurisation des chaînes industrielles.
Qui est Wearth Group : point d’ancrage de la tribune
La tribune qui alimente cette analyse est signée par Laurent Gasiglia, Président de Wearth Group. L’entreprise est citée ici via la fonction de son dirigeant. Aucune donnée supplémentaire n’est communiquée dans le texte source sur l’activité, la taille ou la présence sectorielle de Wearth Group. L’apport principal tient au regard porté par son président sur la géopolitique de l’entreprise et la responsabilité des dirigeants.
Cap 2026 : un réalisme assumé, des marges de manœuvre à créer
L’hypothèse d’une intensification des risques à l’horizon 2026 ne surprendra plus les directions. Conflits potentiels en mer de Chine méridionale, ruptures énergétiques persistantes, menaces cyber plus sophistiquées : le réalisme s’est installé. Reste l’essentiel, créer des marges de manœuvre. Les entreprises qui articulent gouvernance, investissements ciblés et coopérations internationales transforment le risque en avantage de robustesse.
Les leviers existent et sont connus. Dire ce que l’on veut sécuriser, mesurer ce que l’on peut perdre, investir là où la résilience crée de la valeur. C’est la condition d’une croissance qui dure et d’une contribution positive à l’équilibre économique européen.
La géopolitique n’est plus un décor, c’est un paramètre de gestion. Les entreprises qui l’acceptent lucidement gagnent du temps, des options et de la crédibilité.