Le pays s’habitue à payer moins en espèces, mais les billets continuent de circuler massivement. C’est le paradoxe français du cash en 2024-2025 : des flux physiques en repli, une demande portée par la thésaurisation et l’export, et une filière fiduciaire qui se réorganise à grande vitesse pour rester efficiente. La photographie d’ensemble éclaire des choix structurants pour les banques, les commerçants et les transporteurs de fonds (Bulletin de la Banque de France n° 259/5, juillet-août 2025).

Tendance de fond confirmée : recul des flux, maintien d’un stock élevé

Depuis une décennie, les flux de billets décroissent en France, reflet d’un usage transactionnel en érosion. L’onde de choc de l’inflation et de la remontée des taux a momentanément interrompu ce mouvement, mais la trajectoire baissière s’est réimposée dès 2023.

Ce reflux n’implique pas une disparition des billets. Les stocks en circulation restent élevés, nourris par la thésaurisation des ménages et des entreprises ainsi que par les sorties de billets vers l’extérieur de la zone euro. C’est l’origine du « paradoxe des billets » : moins de paiements au quotidien en espèces, mais davantage de billets détenus ou exportés.

La demande de billets se décompose en trois familles de besoins. La part strictement transactionnelle reste minoritaire, tout particulièrement en France. La thésaurisation progresse par vagues, avec des pics lors des épisodes d’incertitude. Enfin, les flux d’exportation hors zone euro pèsent très lourd, alimentés par la demande internationale pour l’euro fiduciaire.

Ce qui soutient encore la demande de billets

Les moteurs dominants de la demande de billets en France sont aujourd’hui :

  • Thésaurisation : recherche de liquidité immédiate, réserve de précaution, logiques de diversification domestique.
  • Exportations nettes hors zone euro : rôle de l’euro comme instrument de réserve et de transaction au-delà des frontières.
  • Usages transactionnels résiduels : préférences de certains publics, micro-transactions, économie informelle.

En toile de fond, la numérisation des paiements, le déploiement des terminaux et portefeuilles mobiles, ainsi que l’optimisation des circuits de trésorerie des entreprises tirent les volumes d’entrées et de sorties vers le bas. Le cash devient plus rare dans les flux, pas dans les coffres.

La baisse du cash en caisse n’implique pas un recul de sa fonction de réserve. Les espèces, les dépôts bancaires, les cartes et les wallets ne se remplacent pas mécaniquement : ils se complètent selon les besoins de rapidité, d’anonymat, de coût et de robustesse opérationnelle. Les paliers d’adoption technologique déplacent les usages, mais la demande de liquidité physique reste une assurance en période d’incertitude.

Comptes 2024 : flux en baisse et sorties nettes en redressement

L’année 2024 prolonge la pente descendante des volumes traités par la filière fiduciaire. Les entrées de billets ont reculé de 3,6 % par rapport à 2023, pour atteindre 5,9 milliards de coupures. Les sorties diminuent de 2,2 %, à 6,3 milliards. Ce rythme s’aligne sur la tendance moyenne observée avant la pandémie.

Fait notable, les sorties nettes progressent de 21,7 % à 444 millions de billets. Cette remontée intervient après un contretemps en 2023, marqué par des retours volumineux des banques. Elle signale une normalisation des équilibres d’achats et retours en filière, dans un contexte de baisse des encaissements en espèces en point de vente.

Les effets opérationnels sont concrets pour les banques et les opérateurs de transport de fonds. Des volumes moindres signifient des tournées et des traitements plus ciblés, et une allocation fine des capacités de tri. Le pilotage en « juste à temps » des retraits et dépôts commerciaux se renforce, avec des accords logistiques calibrés au plus près des besoins locaux.

Métriques Valeur Évolution
Entrées de billets (2024) 5,9 Md de coupures -3,6 % vs 2023
Sorties de billets (2024) 6,3 Md de coupures -2,2 % vs 2023
Sorties nettes (2024) 444 M de coupures +21,7 % vs 2023
Taux de recyclage externe (2024) 52 % n.d.
Valeur moyenne d’un billet entrant (2024) 26 € +0,2 € par an depuis 2014
Part du billet de 50 € dans les entrées (2024) 27 % +9 pts vs 2014
Opérations de retrait aux DAB (2024) ≈ 1 Md -34 % vs 2016
Retraits aux guichets bancaires (2024) 34 M ÷ 3 en 8 ans
Montant moyen d’un retrait DAB (2024) 126 € +44 € vs 2014
Fréquence mensuelle par personne (>16 ans) 1,6 retrait recul vs >2 en 2014

Les entrées mesurent les retours de billets vers la filière fiduciaire (Banque de France, banques, transporteurs). Les sorties retracent les mises à disposition de billets. Leur solde donne les sorties nettes, un bon thermomètre de la demande finale. Une baisse conjointe des entrées et des sorties traduit moins de cash en caisse, même si le stock total, lui, peut continuer de croître.

Recyclage et maillage : la filière se réorganise sans dégrader l’accès aux espèces

La montée en puissance du recyclage externe constitue l’un des chantiers industriels majeurs de la filière. En 2024, 52 % des billets ont été triés et remis en circulation par des opérateurs privés sous contrôle de la Banque de France, ce qui réduit les trajets logistiques, accélère la remise en circulation des coupures authentifiées et améliore l’efficience des coûts.

Pour accompagner cette évolution, l’institution d’émission a rationalisé ses capacités. En 2022, le réseau de caisses a été réduit de 37 à 23, avec la création de 16 stocks auxiliaires de billets (SAB) opérés en partenariat avec des transporteurs spécialisés.

En 2025, une seconde phase porte à une caisse par région métropolitaine, deux en Corse, et 42 SAB au total. L’objectif : être au plus près du terrain sans compromettre la continuité d’accès au cash.

Ce recentrage ne se traduit pas par un recul de service. Il intègre un pilotage fin des volumes, des horaires, et des capacités de tri, adossé à des contrats de niveau de service négociés avec les professionnels du transport de fonds et les établissements bancaires. Le calibrage régional limite la duplication des infrastructures tout en garantissant la résilience.

Brink’s : partenariats logistiques et continuité opérationnelle

En tant qu’acteur historique du cash management, Brink’s intervient dans les SAB sous mandat, avec des obligations de qualité et de sécurité alignées sur les normes de la filière. Tri, authentification, conditionnement et redistribution constituent le cœur de son rôle. L’intégration des flux régionaux dans les SAB vise à limiter les trajets à vide et à réduire les délais entre collecte et remise en circulation.

Sur le plan économique, ce modèle rend les coûts plus variables pour les banques et commerçants, au plus près des volumes réellement manipulés. L’alignement avec les pics de demande calendaires devient plus efficace, notamment lors des périodes de forte fréquentation commerciale.

Loomis : densité de réseau et performance de tri

Loomis s’inscrit dans une logique similaire, avec des capacités de tri haute cadence et des dispositifs de traçabilité éprouvés. L’enjeu central est la fiabilité du tri et la détection des contrefaçons, gage de confiance pour les remises en circulation. Les SAB apportent une proximité utile, surtout pour les réseaux de distribution dispersés et les zones touristiques.

Pour les clients bancaires et commerciaux, la mutualisation dans les SAB ouvre la voie à des offres intégrées couvrant collecte, tri, reconditionnement et recyclage, avec des engagements de délais et de qualité.

SAB : effets concrets pour la banque de détail

Pour les réseaux bancaires, l’essor des SAB se traduit par :

  1. Moins de trajets longs vers les caisses centrales et plus de flexibilité locale.
  2. Des délais réduits pour remettre des billets de qualité en circulation.
  3. Une rationalisation des coûts de cash management, via des schémas contractuels plus précis.

Retraits aux dab : moins fréquents, mais de montants plus élevés

Le retrait d’espèces se concentre. En 2024, environ 1 milliard d’opérations ont été effectuées aux DAB, soit 34 % de moins qu’en 2016. Les retraits au guichet bancaire tombent à 34 millions, divisés par trois en huit ans. L’usage s’automatise.

La pratique change : chaque Français de plus de 16 ans ne retire plus qu’1,6 fois par mois, contre plus de 2 fois en 2014. Pour autant, le panier moyen grimpe à 126 €, contre 82 € dix ans plus tôt. La concentration est claire : moins d’actes, plus de montants.

Sur le plan macro, les montants totaux retirés sont restés proches de 140 milliards d’euros jusqu’en 2019, puis s’érodent légèrement. En termes réels, corrigés de l’inflation, la baisse est plus marquée. Cela reflète la substitution progressive par la carte, le sans contact et les paiements mobiles, sans effacer les usages de proximité pour les espèces.

Pour les banques, l’équation DAB se durcit : fréquentation en baisse, coûts fixes élevés, contraintes de sécurité. D’où une gestion fine des parcs, avec des arbitrages sur l’emplacement, la maintenance et l’alimentation. Côté commerçants, le repli des retraits n’empêche pas les remises d’espèces, qui doivent être prises en charge avec un dispositif logistique adapté aux volumes résiduels.

Comparer les montants de retraits en euros courants masque souvent l’effet prix. Pour suivre l’évolution de l’usage, il faut raisonner en euros constants en déflatant par un indice d’inflation. On observe alors un recul plus prononcé des montants retirés, cohérent avec la montée des paiements électroniques dans la consommation courante.

Billets de valeur plus élevée et écarts avec nos voisins européens

La valeur moyenne d’un billet entrant dans la filière atteint 26 € en 2024, contre 24 € en 2014. Cette progression lente, d’environ 20 centimes par an, traduit un déplacement vers des coupures plus élevées. Symbole de cette bascule, le billet de 50 € représente désormais 27 % des entrées, contre 18 % dix ans plus tôt.

Le contraste avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne est instructif. Les valeurs moyennes de billets entrants y oscillent entre 30 et 35 €, signe de préférences de paiement différentes et d’une plus grande place accordée aux coupures intermédiaires et hautes. La France, davantage équipée en solutions de paiement électroniques et fortement bancarisée, demeure sur un palier inférieur.

Pour la filière, l’augmentation de la valeur moyenne change la physionomie des flux. Moins de pièces et de petites coupures à manipuler, davantage de billets intermédiaires, ce qui influe sur les cycles de tri, la constitution des paquets et les calibrages d’alimentation des DAB. Les schémas de réapprovisionnement intègrent ces paramètres pour optimiser coûts et sécurité.

Pourquoi le billet de 50 € s’impose

Trois facteurs contribuent à la progression du 50 € :

  • Arbitrage de portefeuille : un billet intermédiaire pratique pour thésauriser de petites sommes.
  • Adéquation aux paniers : correspondance avec des dépenses unitaires récurrentes.
  • Efficience logistique : bon compromis pour la distribution DAB et la reconstitution des stocks.

Pour les entreprises, cette recomposition par dénomination a des implications opérationnelles concrètes. Les politiques de caisse doivent s’adapter au mix des coupures, aux risques de faux et aux exigences de rendu. Les contrats avec les CIT intègrent des clauses sur la qualité des billets fournis, qui devient un enjeu client quand la cadence de retrait diminue mais le montant unitaire augmente.

Stocks, émissions nettes et ralentissement des exportations : un tournant mesuré

Au 30 avril 2025, les émissions nettes de billets dans la zone euro repartent légèrement à la hausse : 30 milliards de coupures, soit +2,5 %, pour une valeur totale de 1 600 milliards d’euros, +1,7 %. La France se distingue avec 8,4 milliards de coupures, +6 %, et 227 milliards d’euros, +7,3 %. Ces chiffres confirment que les stocks augmentent malgré la contraction transactionnelle (Bulletin de la Banque de France n° 259/5, juillet-août 2025).

Deux forces se compensent partiellement. La thésaurisation continue d’alimenter le stock. Mais la remontée des taux depuis 2022 a renchéri le coût d’opportunité de conserver des espèces, freinant certains comportements d’encaisse inertielle. Parallèlement, les exportations nettes de billets hors zone euro ont nettement ralenti.

Le choc est quantifié : de 160 milliards d’euros par mois en juillet 2022, les exportations nettes vers l’extérieur de la zone descendent à 64 milliards en mars 2025, avec une baisse moyenne proche de 3 milliards par mois. Depuis août 2024, un léger redressement apparaît, de l’ordre de +2 % en glissement annuel, sans retrouver le rythme antérieur.

Sur 2025, la projection demeure prudente : les entrées dans la filière devraient continuer à baisser, malgré une reprise timide des émissions nettes. L’équilibre dépendra du rythme des exportations, de l’appétit pour la thésaurisation et de l’arbitrage des ménages entre rémunération des dépôts et détention d’espèces.

Pour la gestion de trésorerie, ces inflexions suggèrent d’ajuster les cadences de collecte, de sécuriser les accords de traitement des billets de forte valeur unitaire, et de réévaluer la cartographie des DAB au regard de la fréquentation réelle et saisonnière. La discipline de gestion des liquidités gagne en importance, notamment pour les réseaux de commerce exposés à une clientèle attachée aux paiements en espèces.

En France, l’euro fiduciaire a cours légal. Certaines limites s’appliquent toutefois : le paiement en espèces à un professionnel par une personne domiciliée fiscalement en France est plafonné à 1 000 € dans la majorité des cas.

Pour les personnes non domiciliées, le seuil est plus élevé, jusqu’à 15 000 €. Les professionnels doivent par ailleurs appliquer des règles de vigilance anti-blanchiment lors des opérations en cash.

Lecture économique et sectorielle : ce que cela change pour les entreprises

La baisse structurelle des flux d’espèces transforme le pilotage des coûts pour l’ensemble de la chaîne. Moins de volumes, mais plus de valeur par opération, impose d’ajuster horaires, fréquences et conditions de sécurité des enlèvements. Les banques cherchent un point d’équilibre entre service rendu, contraintes réglementaires et rentabilité des parcs DAB.

Pour le commerce de détail, la gestion s’oriente vers des schémas hybrides combinant acceptation des espèces, solutions d’acceptation carte plus compétitives et options de dépôt sécurisé. Dans les zones rurales et touristiques, le maintien d’un accès effectif au cash reste un sujet de politique publique et de réputation locale. L’organisation en SAB, et le recyclage en banques ou chez les transporteurs, conditionnent la qualité de service.

Côté entreprise, le cash garde une utilité opérationnelle. Il demeure utile pour des dépenses de petite caisse, des remboursements, ou des publics spécifiques. Les directions financières arbitrent entre souplesse et traçabilité, avec une attention accrue aux risques opérationnels, à l’assurance des valeurs et à la conformité AML-CFT. Les procédures internes sont revues en conséquence.

Le risque de réputation n’est pas anodin. Restreindre excessivement le cash peut heurter une partie de la clientèle, quand à l’inverse un traitement laxiste expose à des critiques sur la lutte contre l’économie informelle. D’où la recherche d’une trajectoire médiane : transparence des règles, outils de surveillance des encaissements, information des clients sur les modes de paiement acceptés.

Trois leviers de performance pour le cash management en 2025

  1. Contractualisation sélective avec les transporteurs de fonds, indexée sur volumes, plages horaires et qualité des billets.
  2. Optimisation du parc DAB par analyse fine des données de fréquentation et calibrage des dénominations servies.
  3. Politique de caisse adaptée au mix de coupures, avec formation au tri et procédures de contrôle renforcées.

Enfin, l’évolution observée souligne un point parfois négligé : la résilience du cash en tant qu’infrastructure. Même moins utilisé en caisse, le cash demeure nécessaire en cas d’aléas techniques, de panne réseau ou de crise. La France, comme ses voisins, assemble des solutions numériques et fiduciaires pour réduire les risques de rupture.

Cap 2025 : arbitrages financiers et qualité de service

Au sortir de 2024, les messages envoyés par la filière sont clairs : réduction des flux traités, opérations plus concentrées, poids croissant des billets intermédiaires. Cette combinaison exige des acteurs bancaires et commerciaux des ajustements ciblés plutôt qu’une rupture. Les dynamiques d’export et de thésaurisation continueront de peser sur les émissions nettes, en interaction avec le niveau des taux et l’appétit pour la liquidité.

Pour les décideurs, la feuille de route est pragmatique. Il s’agit d’entretenir un maillage robuste de distribution et de collecte, d’investir dans le recyclage pour accélérer la remise en circulation de billets sûrs et de qualité, et de maîtriser les coûts fixes de l’infrastructure, tout en maintenant une expérience client acceptable pour les usagers des espèces. Le repli des usages ne signe pas la fin du cash, mais appelle une gestion plus fine, orientée données et risques, au service de l’économie réelle.