Le monde du SaaS continue de passionner les acteurs économiques et financiers, et la fameuse "Rule of 40" en fait partie intégrante.

Cette approche, discutée notamment sur CloudZero, est perçue comme un repère pour évaluer la qualité d’une entreprise axée sur la récurrence de ses revenus.

Dans les lignes qui suivent, nous vous proposons un tour d’horizon approfondi destiné aux investisseurs, fondateurs et observateurs du marché français.

Origine et définition de la Rule of 40

La "Rule of 40", littéralement traduite par "règle des 40", s’est imposée depuis quelques années comme un indicateur central pour juger la performance globale d’une entreprise en mode SaaS. L’idée fondamentale est de prendre en compte la croissance des revenus récurrents, d’un côté, et la rentabilité opérationnelle, de l’autre, afin d’obtenir un simple pourcentage combiné. Si le total dépasse 40 %, l’organisation peut être considérée comme solide et équilibrée.

Concrètement, la formule se présente ainsi :

Rule of 40 (%) = (taux de croissance de l’Annual Recurring Revenue) + (marge d’EBITDA)

Certains acteurs du marché préfèrent remplacer la marge d’EBITDA par celle du cash-flow libre (Free Cash Flow), jugeant ce dernier indicateur plus prudent et plus proche de la réalité de trésorerie. Toutefois, l’EBITDA demeure l’option la plus couramment retenue en France comme à l’international. L’objectif est simple : s’assurer que l’effort de croissance n’étouffe pas la capacité à générer des profits viables sur le moyen et long terme.

La marge d’EBITDA se calcule en divisant l’EBITDA par le chiffre d’affaires total, puis en multipliant le résultat par 100 pour obtenir un pourcentage. Elle ne prend pas en compte les intérêts, les impôts, les amortissements ni les dépréciations, ce qui la rend utile pour comparer la performance opérationnelle de différentes entreprises, quelles que soient leurs politiques d’endettement.

Pourquoi cette règle intéresse tant les investisseurs ?

Déchiffrer le potentiel d’une jeune pousse ou d’une entreprise établie n’a rien d’évident, en particulier dans un écosystème SaaS où l’hypercroissance peut masquer des pertes récurrentes. Du point de vue d’un fonds d’investissement ou d’un acquéreur potentiel, la "Rule of 40" offre un repère rapide et synthétique pour évaluer :

  • La capacité du modèle économique à croître.
  • Le niveau d’efficacité dans la gestion des coûts et la génération de cash.
  • `L’éventuel besoin de refinancement à court et moyen terme.

D’après plusieurs analyses menées par McKinsey, Bain & Company ou encore The SaaS CFO, les entreprises qui dépassent régulièrement les 40 % sur cette métrique ont plus de chances de séduire les investisseurs, de lever des fonds rapidement et d’obtenir des valorisations supérieures.

En France, l’effet se ressent particulièrement auprès des acteurs du capital-risque français et européens, qui recherchent une rentabilité potentielle sur 5 à 7 ans.

En outre, certains corporate venture s’en servent avant de signer des partenariats stratégiques. En témoigne l’intérêt récent de grands groupes cotés sur Euronext pour des profils SaaS en phase d’expansion, destinés à renforcer leur portefeuille numérique.

Regards sur la France : adoption et spécificités

Alors qu’aux États-Unis, la "Rule of 40" est quasiment un dogme, la France l’adopte plus progressivement. Les incubateurs et accélérateurs tricolores, comme Station F ou H7, sensibilisent de plus en plus de fondateurs SaaS à cette logique de benchmark.

Quel que soit le secteur (Marketing SaaS, Fintech, EdTech ou divers logiciels professionnels), le marché français reconnaît désormais la pertinence de cet indicateur.

En pratique, l’Hexagone se distingue par l’implantation de nombreuses structures produisant des solutions logicielles B2B. Les marges brutes y sont souvent très avantageuses, notamment pour les éditeurs de logiciels spécialisés (RH, comptabilité, supply chain). Ainsi, atteindre 40 % peut sembler à première vue plus simple.

Cependant, la concurrence accrue et les besoins en main-d’œuvre qualifiée pèsent sur la rentabilité. L’implémentation de la Rule of 40 doit donc se faire en tenant compte d’éléments comme :

  • Les charges sociales en France.
  • Le poids de la fiscalité des entreprises.
  • La nécessité de composer avec des effectifs techniques coûteux. 
  • Les rythmes de paiement typiquement plus longs dans le B2B.

En d’autres termes, même si l’indicateur reste valide, la réalité tricolore impose de l’interpréter avec nuance.

Bon à savoir : obligations légales en France pour les SaaS

Pour toute entreprise SaaS opérant sur le territoire français, il est indispensable de respecter la législation en matière de protection des données (RGPD). Cette contrainte peut avoir un impact, parfois significatif, sur la rentabilité, notamment en générant des coûts de mise en conformité et de sécurisation des infrastructures.

Le calcul pas à pas pour mieux comprendre

Évaluer la Rule of 40 suppose de bien déterminer, sur une période donnée (généralement l’exercice annuel), votre taux de croissance de l’ARR et votre marge d’EBITDA. Voici quelques exemples fictifs pour illustrer de quelle manière vous pouvez atteindre ou ne pas atteindre la cible des 40 % :

Ratios et agrégats N N-1
Chiffre d'affaires moyen (€) 106 712 416 101 376 795
Résultat net moyen (€) -16 250 547 -15 438 020
EBITDA margin moyen (%) -7.82% -7.43%
Net profit margin moyen (%) -8.10% -7.70%
Leverage médian (x) 3.54 3.36
Liquidity ratio médian -2.47 -2.34

Dans un cas fictif, une startup qui réalise 40 % de croissance annuelle avec une marge d’EBITDA de 5 % atteint déjà 45 %, ce qui la place légèrement au-dessus du standard.

Une structure plus mature peut afficher 20 % de croissance et 25 % de marge d’EBITDA, cumulant ainsi 45 % également. Les chemins pour atteindre (ou dépasser) la barre fatidique sont multiples.

L’Annual Recurring Revenue (ARR) correspond à la somme des revenus récurrents annualisés. Par exemple, si vous avez 100 clients qui vous paient chacun un abonnement mensuel de 1 000 euros, votre ARR sera de 1 000 x 100 x 12 = 1,2 million d’euros.

Avantages et critiques générales

L’avantage premier de la Rule of 40 est sa grande lisibilité. Arriver à un pourcentage unique est un moyen rapide de se faire une idée de la santé financière globale. C’est pourquoi nombre de fonds d’investissement la considèrent comme un facteur de décision, notamment lors des tours de table de Série B ou plus.

Néanmoins, l’approche est parfois jugée trop réductrice. Deux entreprises différentes peuvent aboutir au même pourcentage final en combinant un grand écart de rentabilité et de croissance. Par exemple, 80 % de croissance et -40 % de marge donnent bien 40 %, tout comme 15 % de croissance et 25 % d’EBITDA margin.

Évidemment, la pérennité et les risques potentiels diffèrent radicalement selon ces deux scénarios.

Autre grief, la règle ne prend pas directement en compte la marge brute ni la solidité du bilan. Dès lors, un éditeur de logiciel B2B très spécialisé, facturant des abonnements élevés, peut exceller sur la Rule of 40, sans nécessairement maîtriser la diversification de son offre pour se protéger en cas de retournement économique.

À l’inverse, un SaaS plus diversifié mais qui réinvestit massivement pour dominer de nouveaux marchés peut momentanément louper le seuil des 40 % tout en bâtissant un futur prometteur.

Stratégies concrètes pour renforcer son score

Toutes les entreprises, même celles présentant des signaux faibles sur la Rule of 40, peuvent travailler à l’amélioration de cet indicateur. Voici quelques axes de progression :

1. Optimisation des coûts opérationnels
Automatiser ou externaliser certaines tâches répétitives, comparer les fournisseurs cloud pour réduire la facture de stockage, limiter les déplacements internationaux en favorisant la visioconférence... Tous ces leviers aident à diminuer les dépenses et à maintenir, voire à accroître, la marge d’EBITDA.

2. Croissance raisonnée et Net Retention Rate
Au-delà de chercher de nouveaux clients, il est crucial de fidéliser les clients existants et d’augmenter leur panier moyen. On parle alors de Net Retention Rate (NRR), indicateur reflétant la capacité à extraire plus de valeur de la base de clients actuelle. Une entreprise qui stimule le NRR voit augmenter son ARR sans gonfler exagérément ses coûts d’acquisition.

3. Segmenter, prioriser, rationaliser
Parfois, l’hypercroissance n’est pas l’option la plus sage. Il arrive qu’il soit plus rentable de se focaliser sur des segments de clientèle rentables ou sur des fonctionnalités différenciantes, plutôt que de viser un marché trop large et saturé.

4. Ajuster le pricing et l’upsell
Les stratégies de tarification peuvent totalement changer la donne. Revoir la gamme d’offres, proposer un package premium ou un service enrichi sont autant de moyens d’augmenter votre ticket moyen et donc d’accélérer la croissance de vos revenus récurrents.

• Entretenir une équipe financière robuste pour suivre la performance en temps réel. • Privilégier une vision de long terme dans les investissements IT. • Négocier régulièrement avec les fournisseurs pour bénéficier de remises sur volume ou d’autres optimisations.

Points de vigilance : stades d’avancement de l’entreprise

Un autre aspect important à ne pas oublier : toutes les sociétés n’évoluent pas au même rythme. L’analyse du score de la Rule of 40 doit ainsi être modulée en fonction de la maturité de la startup. Selon que vous soyez en amorçage, en Série A, B, C ou plus, l’interprétation de ce pourcentage évolue.

Au stade précoce, il est fréquent de dégager une faible rentabilité, voire un EBITDA négatif, dès lors que la croissance s’envole. Si votre ARR grimpe de 100 % d’une année sur l’autre, un EBITDA nettement en territoire négatif peut se justifier par un budget marketing et commercial très élevé. Par exemple, vous pouvez avoir un ARR en plein essor mais un score global temporairement inférieur à 40 %.

À un stade plus avancé (Série B ou C), la pression est plus forte pour afficher un modèle pérenne et parfait aux yeux des investisseurs. La conjugaison d’une croissance toujours solide et d’une rentabilité correcte devient alors un argument clé. Les entreprises qui échouent à convaincre sur cet équilibre peuvent se voir imposer des valorisations plus basses ou des conditions d’entrée moins favorables (dilution plus importante, préférence de liquidation, etc.).

Après plusieurs années d’existence et une éventuelle introduction en bourse, l’atteinte ou le maintien d’une "Rule of 40" stable se transforme en gage de crédibilité sur les marchés financiers. Les sociétés publiques du secteur SaaS qui publient régulièrement des ratios supérieurs à 40 % véhiculent un message rassurant : elles sont capables de concilier développement et maîtrise des coûts.

Données, retours d’expérience et analyses

Quant aux chiffres concrets, différentes publications soulignent la valeur de cet indicateur. Selon McKinsey, peu d’entreprises atteignent un score de 40 % sur plusieurs exercices consécutifs. Bain & Company a repéré qu’environ 40 % des éditeurs logiciels dépassaient la barre des 40 %, mais seule une fraction a réussi à le faire de manière répétitive, prouvant une certaine cohérence stratégique.

En étudiant un panel d’entreprises SaaS publiques ou en forte expansion en Europe et aux États-Unis, The SaaS CFO et RevOpsSquared ont observé un score médian proche de 42 %, signe ~theoriquement~ que la "Rule of 40" est atteignable.

Toutefois, de nombreux observateurs notent aussi que ces scores peuvent être artificiellement gonflés par un financement externe massif ou par des stratégies marketing extrêmement offensives, parfois au détriment de la profitabilité réelle à long terme.

Point clé sur la valorisation

Dans le cadre d’une recherche de financement ou d’un projet d’introduction en bourse, l’atteinte de la Rule of 40 peut sensiblement optimiser votre valorisation. Les acheteurs et investisseurs considèrent alors que vous avez simultanément la capacité de gagner des parts de marché et de maîtriser vos dépenses.

"Qui est votre entreprise SaaS ?" : la question de l’identité et du positionnement

Si la rule of 40 sert avant tout à évaluer la santé financière, l’ADN de l’entreprise revêt une importance majeure. Prenons l’exemple d’une start-up parisienne qui édite un logiciel de gestion de la relation client (CRM) spécialisé pour le secteur médical. Son marché est extrêmement porteur au vu de la transition numérique dans la santé. Vu la demande, il pourrait être facile de générer une croissance exponentielle mais, en parallèle, la conformité aux normes (HNFS, RGPD renforcé dans le milieu médical) peut ralentir la cadence et alourdir les coûts.

Ainsi, cette start-up peut présenter un ARR en forte hausse, avec une marge d’EBITDA négative. Sa Rule of 40 sera peut-être en dessous du palier dans un premier temps, l’exposant à une vision moins favorable événementuellement. Cependant, si l’entreprise prouve la pérennité de son modèle sur le moyen terme, elle a des chances de convaincre investisseurs et partenaires, quitte à redresser sa rentabilité plus tard.

Nouvelles approches et controverses autour de la Rule of 40

Certains experts en data affirment que l’indicateur devrait être modulé selon la maturité du marché et le niveau de concurrence. Par exemple, la rentabilité pourrait être tempérée pendant la phase de distribution massive (pour rapidement conquérir une masse critique d’utilisateurs), puis améliorée une fois l’implantation consolidée. D’autres militent pour compléter la règle par des mesures complémentaires comme la cohorte d’utilisation, la marge brute unitaire ou le coût d’acquisition client (CAC).

Il arrive aussi que la Rule of 40 soit accusée de biais en faveur des grands acteurs. Les plateformes globales, dès lors qu’elles ont une base d’utilisateurs déjà acquise, bénéficient d’économies d’échelle substantielles et peuvent mieux faire grimper leur rentabilité. Les petites structures, souvent plus flexibles et innovantes, ont parfois du mal à rivaliser sur un tel indicateur chiffré, surtout si elles sont en pleine construction de leur notoriété.

Perspectives à retenir

L’usage de la Rule of 40 dépasse le simple cadre du rapport annuel : il sert à consolider la stratégie, à cadrer les choix d’investissements et à se fixer des objectifs. Pour une entreprise SaaS qui découvre cet indicateur, prendre le réflexe de l’utiliser chaque trimestre peut aider à corriger rapidement les excès de dépenses ou, au contraire, à cibler une accélération commerciale lorsqu’une opportunité se présente.

De plus, plusieurs cabinets de conseil français recommandent d’analyser la Rule of 40 dans une logique de rolling forecast (prévision continue). Cette méthode, importée du monde anglo-saxon de la finance, consiste à réactualiser en continu les prévisions sur 12 à 18 mois glissants, plutôt que de se borner à l’année civile. On obtient ainsi une vision plus réactive de la performance, essentielle pour ajuster des plans de recrutement ou des priorités en R&D.

Finalement, cet indicateur semble promis à une longévité certaine. En dépit des controverses, il est devenu un élément pivot de l’analyse financée des SaaS partout dans le monde, et la France ne fait pas exception. Le plus important est de garder à l’esprit que la Rule of 40 ne doit pas être vue comme un dogme infaillible, mais plutôt comme un tableau de bord qui vous alerte en cas de dérive.

Un horizon ouvert sur l’avenir du SaaS

Saisir la dynamique des entreprises SaaS revient à jongler avec de multiples indicateurs : le taux de rétention, le churn, la profitabilité, l’expansion sur de nouveaux marchés. Dans ce tableau, la Rule of 40 brille par sa simplicité et son impact : facile à comprendre, elle constitue un langage commun entre fondateurs, actionnaires et analystes. À chacun de bien la contextualiser, au regard de la stratégie et des singularités de son marché.

Pour toute entreprise hexagonale espérant séduire des investisseurs français ou internationaux, la quête d’un score cumulé supérieur à 40 % reste une cible ambitieuse, quoique réaliste en tenant compte des spécificités locales (charges, environnement réglementaire, etc.). La clé demeure la flexibilité : adapter ses plans de croissance, challenger ses coûts et entretenir un dialogue constant avec ses partenaires financiers.

Au final, la Rule of 40 s’affirme comme un jalon incontournable dans l’univers des entreprises SaaS, un repère aussi simple qu’exigeant pour révéler la maturité, la capacité d’adaptation et la robustesse d’un modèle économique.