Nicox, entre ambitions ophtalmologiques et défis financiers en 2024
Zoom sur le bilan 2024 de Nicox : cap sur l’ophtalmologie, performances financières, trésorerie, R&D et plans futurs. Un regard précis sur sa stratégie.

Il est parfois nécessaire de prendre du recul sur les données chiffrées pour en saisir tout le sens. L’examen des comptes de la société Nicox, spécialiste de l’ophtalmologie, permet d’éclairer son positionnement actuel et les défis qu’elle affronte. Forte d’une nouvelle dynamique en R&D et d’un recentrage stratégique, elle tente de conjuguer ambitions cliniques et impératifs financiers avec une approche ciblée.
Panorama global de la performance financière
À la clôture de l’exercice 2024, Nicox SA affiche un chiffre d’affaires de 7,9 millions d’euros contre 6,9 millions d’euros en 2023. Cette évolution s’explique principalement par :
- Un reliquat de redevances liées à VYZULTA jusqu’à fin juin 2024, avant la cession de ce flux à Soleus Capital.
- L’accord de licence relatif au NCX 470 pour le Japon, signé avec la société Kowa, assorti d’un premier versement de 3 millions d’euros.
- Une intégration de produits constatés d’avance (soit 1,5 million d’euros) liée à des accords antérieurs.
Au niveau des charges, la société parvient à réduire ses frais d’exploitation, qui passent de 24,2 millions d’euros en 2023 à 18,7 millions d’euros en 2024. Malgré cette amélioration, le résultat d’exploitation demeure négatif, à hauteur de -9,9 millions d’euros sur l’exercice 2024, traduisant l’importance continue des dépenses de recherche et de développement, du marketing et des frais généraux.
On observe également une hausse significative des produits exceptionnels (13,7 millions d’euros en 2024 contre 0,1 million l’année précédente). Cette croissance est directement liée à la cession du flux futur des redevances VYZULTA au fonds Soleus Capital.
Le résultat net reste déficitaire à -22,4 millions d’euros (contre -20,9 millions d’euros en 2023). Ce résultat subit un impact notable d’une charge non monétaire de 27,1 millions d’euros due à la dépréciation d’une créance intragroupe. Nicox SA adopte en effet une approche de prudence quant aux perspectives de commercialisation de ZERVIATE, notamment sur le marché chinois, incitant à réévaluer la valeur de cette créance.
Il s’agit d’une réduction de la valeur comptable d’un actif dans les comptes lorsqu'il apparaît que les perspectives de rentabilité future sont moins favorables qu'attendues. Conformément aux normes comptables, l’entreprise doit enregistrer un ajustement afin de refléter la valeur réaliste de cet actif.
Sur le plan de la trésorerie, Nicox dispose d’un niveau de liquidités évalué à 10,5 millions d’euros, comparé à 11,3 millions d’euros fin 2023. Selon les projections de l’entreprise, son horizon de financement se prolonge au moins jusqu’au quatrième trimestre 2025, les efforts étant majoritairement concentrés sur le développement clinique du NCX 470.
Nicox, un parcours en ophtalmologie
Fondée avec pour ambition d’apporter des solutions innovantes dans le traitement des maladies oculaires, Nicox s’est spécialisée dans le développement de médicaments ciblant la pression intraoculaire. Son produit phare, VYZULTA, a prouvé la pertinence de sa technologie d’oxyde nitrique. Désormais, Nicox poursuit ses travaux sur NCX 470, un nouveau collyre dédié au glaucome à angle ouvert. À cela s’ajoutent des actifs tels que ZERVIATE, ciblant la conjonctivite allergique, que la société a licencié dans divers pays.
Bon à savoir sur le marché de l’ophtalmologie
Le secteur ophtalmologique est en croissance constante, porté par le vieillissement de la population et l’augmentation de la prévalence de certaines pathologies oculaires. Les traitements contre le glaucome et l’hypertension oculaire suscitent particulièrement l’intérêt des grands acteurs pharmaceutiques.
En octobre 2024, Nicox a décidé de vendre les droits futurs de redevances sur VYZULTA au fonds Soleus Capital, renforçant ainsi sa capacité de financement. Ce choix stratégique a permis à la société de se concentrer davantage sur la finalisation des études cliniques en cours. Le pipeline de Nicox demeure orienté vers deux axes majeurs :
- Le NCX 470, qui évolue avec des essais de phase 3 (Denali et Whistler).
- La molécule NCX 1728, développée en partenariat avec Glaukos, ciblant de nouveaux mécanismes d’oxyde nitrique pour les maladies ophtalmologiques.
Décryptage du compte de résultat : forces et faiblesses
Le compte de résultat 2024 met en exergue plusieurs éléments qui méritent une attention particulière :
- Un chiffre d’affaires en progression (7,9 M€ contre 6,9 M€) soutenu notamment par un paiement initial lié à l’accord de licence avec Kowa.
- Une réduction significative des charges d’exploitation, qui passent de 24,2 M€ à 18,7 M€. Cette baisse peut refléter des mesures de rationalisation.
- Des produits exceptionnels en très forte hausse grâce à la cession des flux de redevances VYZULTA.
- Un résultat net négatif de -22,4 M€, pénalisé par une dépréciation de créance intragroupe de 27,1 M€.
NCX 470 est présenté comme un collyre à double mécanisme d’action (oxyde nitrique + analogue de prostaglandine). Il a pour objectif de réduire la pression intraoculaire, principal facteur de risque dans le glaucome.
Au-delà de ces constats, la structure des coûts en R&D reste un enjeu clé. Dans les biotechs, la phase de développement clinique implique souvent des charges de recherche importantes, que seules la commercialisation réussie et des accords de licence substantiels peuvent compenser à terme.
Ratios financiers : un éclairage chiffré
Les ratios financiers fournissent un outil de compréhension rapide de la santé économique de l’entreprise. Voici les principaux calculs à partir des états financiers de 2024 de Nicox :
- Marge brute : la société ne présente pas un coût de production direct classique comme dans l’industrie. Les « Charges d’exploitation » incluent R&D, frais administratifs, etc. Pour une biotech, on se réfère souvent à l’analyse d’un ratio « Charges d’exploitation / CA » pour juger la maîtrise des coûts. On observe ici environ 18,7 M€ / 7,9 M€ ≈ 237 %. Bien qu’élevé, ce chiffre reste fréquent pour une entreprise à fort investissement R&D.
- Marge d’exploitation = (Résultat d’exploitation / Chiffre d’affaires) = (-9,9 M€ / 7,9 M€) ≈ -125 %. Le niveau négatif indique que les revenus ne couvrent pas encore l’intégralité des charges opérationnelles.
- Rentabilité nette = (Résultat net / Chiffre d’affaires) = (-22,4 M€ / 7,9 M€) ≈ -284 %. L’impact de la dépréciation de 27,1 M€ explique en grande partie cette perte lourde.
- Ratio d’endettement (Dettes / Total du passif) = 18,1 M€ / 24,4 M€ ≈ 74 %. L’endettement reste relativement élevé, mais en phase avec une société de biotechnologie qui finance sa R&D par la dette et le capital.
- Ratio de liquidité (Actif circulant / Passif à court terme). L’actif circulant atteint 23 M€ (clients, créances diverses, trésorerie, etc.). Le passif à court terme n’est pas précisément séparé dans les comptes, mais les dettes totales de 18,1 M€ (incluant dettes à court et long terme). On obtient un ratio proche ou inférieur à 1 si l’on considère la majorité de la dette comme court terme. Il s’agit d’un point de vigilance que l’entreprise surveillera en misant sur les paiements d’étapes et l’optimisation des frais.
Définition du ratio de liquidité
Le ratio de liquidité évalue la capacité d’une entreprise à couvrir ses obligations à court terme avec son actif circulant (créances clients, stocks, trésorerie). Un ratio inférieur à 1 suggère qu’il peut y avoir des tensions de trésorerie si les dettes devaient être payées rapidement.
Lecture détaillée des états financiers
Pour mieux cerner la structure comptable, il est souvent instructif de présenter sous forme de tableau les grandes lignes des comptes de résultat et du bilan. Cela apporte un résumé visuel utile :
Postes clés |
31 déc. 2024 (en M€) |
31 déc. 2023 (en M€) |
Commentaire |
Chiffre d’affaires |
7,9 | 6,9 | Progression portée par l’accord de licence (Kowa) et les redevances VYZULTA jusqu’au 30 juin 2024 |
Charges d’exploitation |
18,7 | 24,2 | Baisse notable due à une politique de réduction de coûts |
Produits exceptionnels | 13,7 | 0,1 | Cession du flux futur de redevances de VYZULTA à Soleus Capital |
Résultat net | -22,4 | -20,9 | Impacté par une dépréciation d’actif intragroupe de 27,1 M€ |
Trésorerie | 10,5 | 11,3 | Légère diminution, horizon de trésorerie maintenu jusqu’au T4 2025 |
Dette financière | 15,1 | 20,9 | Inclut 14,2 M€ de dette auprès de Kreos Capital et 0,9 M€ de PGE |
Les biotechnologies ont généralement des cycles de R&D longs et coûteux. Les revenus commerciaux n’arrivent que tardivement, lors de la commercialisation, et dépendent souvent de partenariats. Un déficit continu peut être la norme avant qu’un produit-phare n’accède au marché et assure le retour sur investissement.
Analyse opérationnelle et perspectives de marché
L’examen du compte de résultat illustre la volonté de Nicox d’accélérer ses projets de recherche tout en optimisant ses charges. Sa capacité à générer du chiffre d’affaires repose sur :
- La commercialisation de produits sous licence, tel que ZERVIATE ou VYZULTA, dont la société a cédé les redevances futures.
- Des collaborations R&D (p. ex. accord avec Glaukos pour NCX 1728).
- L’avancée des études cliniques sur NCX 470, qui pourrait devenir un traitement clé du glaucome sur les marchés internationaux.
Le marché de l’ophtalmologie est marqué par une demande croissante liée au vieillissement de la population et à l’essor de maladies chroniques oculaires. La concurrence reste cependant féroce, avec de grands laboratoires pharmaceutiques investissant dans des technologies similaires.
Point-clé : le calendrier clinique
Les résultats de l’étude de phase 3 Denali devraient être publiés au troisième trimestre 2025. Ils seront déterminants pour l’avenir de NCX 470. Une deuxième étude de phase 3, Whistler, est également en cours, avec des résultats prévus pour mai 2025.
Recommandations de l’expert financier
Au regard des éléments financiers et de la situation sectorielle, plusieurs leviers d’amélioration peuvent être proposés :
- Renforcer la stratégie de partenariats : La biotech pourrait nouer de nouveaux accords de licence ou de co-développement pour accélérer la rentabilité de NCX 470, notamment aux États-Unis où des discussions sont en cours.
- Optimiser la gestion de la dette : Une partie de la dette de Nicox est portée par Kreos Capital. Il pourrait être judicieux de négocier des aménagements ou de rechercher des sources de financement moins onéreuses.
- Maintenir la prudence sur les dépenses R&D : Pour préserver la trésorerie jusqu’en 2025, il est crucial de continuer à cibler les efforts sur les programmes les plus porteurs de valeur.
- Anticiper la phase de commercialisation : Si les études cliniques confirment l’efficacité de NCX 470, il sera vital d’anticiper la mise en marché. Cela passe par la constitution d’équipes dédiées ou par un partenariat fort avec un laboratoire disposant d’une force de frappe marketing.
Points clés pour un public non initié
Il importe de vulgariser certains concepts parfois obscurs lorsqu’on aborde les comptes d’une entreprise biotech :
- Chiffre d’affaires : Ensemble des revenus générés par la vente de produits ou de services, ici essentiellement issus de redevances et d’accords de licence.
- Charges d’exploitation : Elles regroupent l’ensemble des dépenses liées à l’activité de recherche, de marketing, de fonctionnement général.
- Résultat d’exploitation : Différence entre le chiffre d’affaires et les charges d’exploitation. Un résultat négatif souligne que la société dépense plus pour son fonctionnement qu’elle ne génère de revenus.
- Perte nette : Somme du résultat d’exploitation et des éléments financiers/exceptionnels. Elle exprime la situation finale après l’ensemble des opérations comptables.
- Endettement : Fonds empruntés auprès d’établissements financiers ou d’investisseurs. Indispensable pour financer la R&D dans le secteur biotech.
Zoom sur l’horizon de trésorerie et la dette
Avec 10,5 millions d’euros en trésorerie et équivalents de trésorerie au 31 décembre 2024, l’entreprise prévoit de pouvoir financer ses opérations au moins jusqu’au quatrième trimestre 2025. L’endettement total (15,1 millions d’euros) se décompose ainsi :
- 14,2 millions d’euros de dette auprès de Kreos Capital (une filiale de BlackRock).
- 0,9 million d’euros de prêts garantis par l’État (PGE Covid-19).
Si cette dette demeure soutenable à court terme, elle augmente la pression pour atteindre des résultats cliniques positifs qui justifieraient d’autres financements ou un refinancement amélioré. Nicox envisage en outre d’autres accords stratégiques potentiellement générateurs de rentrées de fonds pour renforcer sa situation financière.
Focus sur la dépréciation de la créance intragroupe
L’élément majeur ayant aggravé la perte nette est la dépréciation de 27,1 millions d’euros relative à une créance que Nicox détient vis-à-vis de sa filiale américaine. Les perspectives de marché pour ZERVIATE, notamment en Chine, se sont révélées inférieures aux projections initiales, forçant une réévaluation à la baisse du potentiel de l’actif. Cette précaution comptable témoigne d’une vision conservatrice et sert à minimiser les risques de surévaluation.
Le marché chinois de l'ophtalmologie
Avec un nombre de patients potentiellement très important, la Chine est un marché clé dans le secteur de la santé. Cependant, la réglementation y est complexe, et la concurrence locale s’intensifie. Une sous-performance ou un retard d’enregistrement peut considérablement faire baisser les prévisions de vente.
Pour le grand public, sachez que la dépréciation ne génère pas de sortie de trésorerie. Il s’agit d’une opération purement comptable visant à réaligner la valeur d’un actif sur des perspectives plus prudentes. L’impact se fait toutefois sentir dans le résultat net, augmentant considérablement la perte de l’exercice.
Stratégies d’avenir et projets en cours
La biotechnologie Nicox ne publiera plus de revenus trimestriels, du fait de la cession des redevances VYZULTA. Les principaux catalyseurs à court et moyen termes résident dans :
- L’étude Whistler de phase 3b, dont les résultats sont anticipés en mai 2025.
- L’étude Denali, autre essai de phase 3 sur NCX 470, avec des premiers retours attendus au troisième trimestre 2025.
- La création potentielle d’un partenariat américain pour le NCX 470, afin de préparer la mise sur le marché aux États-Unis.
Si ces essais se révèlent concluants, Nicox sera idéalement placée pour signer des alliances industrielles plus solides, et potentiellement améliorer sa valorisation. Dans le cas contraire, elle devra envisager des partenariats alternatifs ou de nouvelles stratégies de financement pour pérenniser son pipeline.
Comparaison avec l'exercice précédent et tendances sectorielles
Comparée à l’année 2023, la société présente un tableau plus nuancé : d’un côté, une réduction des charges et un chiffre d’affaires en hausse, mais de l’autre, un résultat net toujours négatif et alourdi par la dépréciation intragroupe.
Sur le plan sectoriel, les biotechs ophtalmologiques affichent souvent des déficits importants lors des phases de tests cliniques, avant de basculer sur un modèle rentable, s’appuyant sur :
- La commercialisation directe de leurs produits.
- La conclusion d’accords de licence avec des entreprises pharmaceutiques plus matures.
- Des transferts de technologies ou d’autres formes de collaboration.
L’enjeu pour Nicox est de concrétiser ses avancées sur NCX 470, en capitalisant sur son savoir-faire (oxyde nitrique et analogues de prostaglandine) et sa connaissance du marché. Les discussions pour un partenariat commercial ciblé sur le territoire américain laissent entrevoir de futures synergies sur les segments de distribution, de formation et de marketing.
Éclairage sur la gouvernance et la structure du capital
Avec un capital social désormais fixé à 692 000 euros et des primes d’émission de plus de 533 M€, Nicox illustre un mode de financement typique des biotechs, mariant levées de fonds en capital et emprunts auprès d’investisseurs spécialisés. Les investisseurs institutionnels se montrent généralement patients, à condition de percevoir une perspective de succès clinique à moyen terme. La réussite ou l’échec d’une étude de phase 3 peut donc radicalement influer sur la structure du capital.
Par ailleurs, un report à nouveau négatif de -508,3 M€ reflète l’accumulation des pertes antérieures, inévitable pour une entité en fort développement clinique. La société doit désormais se concentrer sur l’exécution rapide de son plan de R&D pour convaincre des futurs investisseurs ou partenaires.
Réflexions finales : l’opportunité derrière les défis
Malgré des pertes continues, Nicox conserve de solides atouts pour l’avenir : un pipeline centré sur des molécules innovantes, un marché du glaucome mondialement en croissance et des partenariats potentiellement lucratifs. L’enjeu majeur demeure d’aboutir à un succès clinique et d’obtenir les autorisations nécessaires pour une mise sur le marché américaine et internationale.
Le message à retenir pour les lecteurs non spécialistes : les comptes ne se lisent pas uniquement au prisme du résultat net. Dans le secteur biotech, l’innovation, la maîtrise des coûts et la force des partenariats sont autant de vecteurs déterminants pour l’avenir. À l’issue de 2024, Nicox semble miser sur une stratégie cohérente, malgré des risques inhérents à toute activité de recherche.
Pour une biotech, signer un accord avec un grand laboratoire peut être doublement avantageux : apport financier (paiement initial, paiements d’étape, redevances) et soutien logistique. En contrepartie, la biotech partage une partie de ses droits, voire de ses brevets, et peut perdre de l’autonomie stratégique.
Ainsi se dessine l'avenir d'une entreprise à l’aube de livrer des résultats cliniques cruciaux, décidée à transformer ses innovations en succès commercial, et prête à relever le défi de la compétitivité sur un marché ophtalmologique prometteur.