Les dirigeants français face à l'incertitude politique en 2025
83 % des dirigeants perçoivent la situation politique comme une menace. Comprenez les enjeux pour les entreprises françaises.

83 % des dirigeants voient désormais la situation politique comme une menace pour leur activité. C’est le signal fort qui remonte des comités exécutifs français à l’automne 2025. Derrière ce chiffre, une défiance qui s’installe et rebat les cartes d’investissement, de trésorerie et de recrutement, alors que le cap gouvernemental a évolué à plusieurs reprises en quelques semaines.
Menace politique perçue : résultats clés du sondage Grant Thornton
Interrogés fin septembre et début octobre, 202 dirigeants d’entreprises ont pointé une rupture de confiance nette dans l’économie nationale. La mesure phare tient en trois chiffres structurants : 83 % estiment que l’instabilité politique constitue une menace directe pour leur activité, le niveau de confiance dans l’économie française descend à 36 % après un recul de 24 points, tandis que la confiance dans l’économie mondiale se maintient à 39 % (Grant Thornton, enquête menée du 17 septembre au 2 octobre 2025).
Cette inversion des repères, où le regard des dirigeants devient plus favorable au global qu’au domestique, n’est pas inédite en période d’incertitude institutionnelle. Elle s’accompagne toutefois d’un contraste notable : 82 % des répondants affichent une confiance élevée dans la résilience de leur propre entreprise. Autrement dit, le déficit de visibilité s’observe au niveau macro, tandis que les fondamentaux microéconomiques restent jugés robustes.
Méthodologie et lecture statistique
Le panel couvre des entreprises de tailles diverses, consultées sur un intervalle de deux semaines. Grant Thornton précise que l’enquête a été bouclée avant l’annonce d’une démission gouvernementale, ce qui pourrait conduire à une sous-estimation de l’onde de choc dans les réponses collectées. Ce décalage temporel doit être intégré dans l’interprétation des résultats, en particulier pour les anticipations d’investissement et d’embauche.
Sondage Grant Thornton : chiffres à connaître
Quatre enseignements structurants ressortent de la vague de septembre-octobre 2025 :
- 83 % des dirigeants perçoivent la situation politique comme une menace directe pour leur activité.
- 36 % de confiance dans l’économie française après un recul de 24 points.
- 39 % de confiance dans l’économie mondiale, niveau supérieur à l’évaluation domestique.
- 82 % de confiance dans la capacité de résilience de leur propre entreprise.
Lorsqu’une majorité de dirigeants place l’économie mondiale au-dessus de l’économie nationale, le message est double : perception d’un risque politique domestique spécifique et repositionnement des plans de croissance vers l’export, la diversification géographique et les marchés à cycle plus lisible. L’histoire récente montre que ce type d’écart se résorbe une fois un cap politique stabilisé.
Chronologie gouvernementale 2025 : un enchaînement déstabilisant
La séquence institutionnelle de septembre à octobre 2025 a concentré les incertitudes. Selon les communications officielles, François Bayrou a prononcé une déclaration de politique générale le 8 septembre 2025 à l’Assemblée nationale.
Le 12 octobre 2025, la composition du gouvernement conduit par Sébastien Lecornu a été publiée. Puis le 14 octobre 2025, ce dernier a porté sa propre déclaration de politique générale, annonçant notamment la suspension de la réforme des retraites et des orientations budgétaires pour 2026, avec l’objectif affiché de calmer les tensions. La démission rapide du gouvernement intervenue ensuite a relancé les interrogations quant à la trajectoire des politiques publiques.
Pour les entreprises, cette succession d’événements concentre trois effets économiques immédiats : retard des décisions publiques, volatilité accrue sur les marchés financiers et incertitude réglementaire sur des textes structurants pour 2026.
Huit jours décisifs pour les anticipations d’affaires
Entre le 8 et le 14 octobre, deux déclarations de politique générale et une publication de composition gouvernementale ont redéfini les priorités, puis rouvert les scénarios. Dans les comités d’investissement, cette instabilité a pu se traduire par des reports d’arbitrages, le temps de clarifier les lignes budgétaires et les implications sociales, en particulier autour des retraites et des dépenses publiques 2026.
La déclaration de politique générale fixe le cap d’un gouvernement devant les représentants de la Nation. Pour les entreprises, c’est un document signal : il annonce les réformes et priorités susceptibles d’impacter la fiscalité, le droit social, les soutiens à l’investissement, l’énergie ou encore la commande publique.
Macroéconomie 2025 : prévisions de croissance et arbitrages budgétaires
Les projections de croissance pour la France en 2025 s’orientent vers une dynamique modeste. Le FMI est cité avec une prévision à 0,7 % pour la France, contre 1,2 % pour la zone euro, en soulignant l’incertitude budgétaire comme facteur clé de prudence. D’autres analyses en France évoquent une fourchette entre 0,6 % et 1 %, laissant ouverte l’hypothèse d’un léger mieux si les signaux politiques se stabilisent (FMI, prévision 2025: 0,7 % pour la France).
Pour la conduite des affaires, la conséquence est mécanique : coût du capital plus volatil, prime de risque attachée aux projets longs et horizon de visibilité raccourci. En pratique, les entreprises rééchelonnent leurs dépenses discrétionnaires et renforcent l’exigence de rentabilité sur les nouveaux investissements.
Coût du capital et sensibilité des valorisations
Un climat d’incertitude politique peut modifier la perception du risque souverain, influencer les taux exigés par les prêteurs et faire varier les multiples de valorisation. Les décisions de levées de fonds, de refinancement bancaire et de M&A seront, dans ce contexte, plus sélectives. Les dossiers présentant des flux de trésorerie prévisibles et un pricing indexé sur l’inflation seront privilégiés.
Budget 2026 : points de vigilance côté entreprises
Les annonces relatives aux orientations 2026 ont été posées puis rebattues par la démission gouvernementale. Pour piloter l’incertitude, les directions financières peuvent :
- Stress-tester les hypothèses de charges et d’aides sur plusieurs scénarios réglementaires.
- Prioriser les investissements à retour court et forte contribution au cash-flow.
- Anticiper des délais d’exécution plus longs pour la commande publique et certains agréments.
Conséquences opérationnelles pour les entreprises françaises
Au-delà des indices agrégés, les directions générales signalent des frictions concrètes dans l’exécution. Trois zones sont particulièrement exposées : la commande publique, la fiscalité et les marchés financiers.
Le faisceau d’indices partagé par des institutions et observatoires économiques fait état de délais allongés dans certaines décisions publiques, d’une volatilité relevée sur les indices boursiers et de signaux de ralentissement des investissements locaux. Des statistiques consolidées pour 2025 sont encore en cours d’actualisation, ce qui invite à la prudence d’interprétation.
Pour les entreprises multi-exposées aux financements publics ou à l’investissement des collectivités, la période appelle à sécuriser les flux, ajuster les plans de trésorerie et préserver les marges de manœuvre contractuelles dans les appels d’offres en cours.
Pilotage trésorerie, achats et contrats
Dans un cycle incertain, la gestion active du besoin en fonds de roulement redevient prioritaire. Côté achats, les directions négocient des clauses d’indexation équilibrées et des paliers de volume flexibles. Côté ventes, les équipes sécurisent la répétabilité du chiffre d’affaires via des contrats pluriannuels, tout en prévoyant des clauses de réexamen en cas d’évolution réglementaire majeure.
Marchés et investisseurs : une lecture attentiste
Sur les marchés, les ajustements de valorisation reflètent l’absence de cap stabilisé. Les investisseurs institutionnels renforcent les filtres ESG et de gouvernance, tandis que les avenants de matérialité prennent de l’ampleur dans les due diligences. Les IPO et les opérations de marché devraient se caler sur des fenêtres ciblées, avec un pricing plus conservateur.
Pour les opérateurs dépendants de la commande publique, trois réflexes protègent l’exécution : documents de consultation auditables et complets, clauses de révision de prix précises, jalons livrables explicitement rattachés aux paiements. En cas de glissement de calendrier administratif, ces garde-fous limitent le risque de trésorerie.
Fiscalité et droit social : zones d’incertitude pour 2026
La suspension de la réforme des retraites annoncée le 14 octobre 2025 par Sébastien Lecornu a rouvert des inconnues juridiques et financières. Selon la façon dont le texte sera repris ou redessiné, les impacts possibles s’échelonnent de l’aménagement des cotisations à des ajustements d’âge ou de durée, avec des répercussions différentes par branche ou par taille d’entreprise. À ce stade, les contours finaux ne sont pas précisés publiquement.
Le futur budget 2026 était présenté comme un outil de stabilisation économique. La transition gouvernementale peut en complexifier la mise en œuvre et le calendrier législatif. Pour les directions fiscales et RH, l’enjeu est de simuler plusieurs trajectoires de charges et de paramétrages sociaux, afin de préserver la capacité d’arbitrage des salaires et de l’investissement.
PME et ETI : calibrage prudent des provisions
Les entreprises de taille intermédiaire et les PME devront concilier des provisions prudentes avec le maintien d’un pipeline d’investissement minimum. Les équipes RH peuvent envisager des clauses d’adaptation dans certains accords collectifs, permettant d’intégrer rapidement de nouveaux paramètres sociaux ou fiscaux, dès leur promulgation.
- Planification trimestrielle du cash avec scénarios de délai de paiement public et privé.
- Stress-tests sur le coût de la dette et renégociation des lignes confirmées.
- Audit des clauses d’indexation et de hardship dans les contrats clés.
- Veille réglementaire active sur retraites et mesures budgétaires 2026.
- Préservation des dépenses critiques d’innovation et de cybersécurité.
Capacité d’adaptation des dirigeants : leviers concrets à court terme
Le paradoxe du moment tient à la force du socle microéconomique. 82 % des dirigeants se disent confiants dans la solidité de leur entreprise, ce qui suggère des plans d’ajustement prêts à l’emploi. Trois leviers ressortent : la diversification géographique ou sectorielle, l’innovation comme amortisseur de marge, et la discipline financière pour maintenir les trajectoires de cash-flow.
Cette posture défensive-offensive s’exprime aussi dans les budgets R&D : les projets alignés sur des gains de productivité, l’automatisation et la data sont priorisés. Les entreprises qui ancrent leur stratégie dans des avantages comparatifs technologiques résistent mieux aux à-coups de la demande et aux glissements calendaires de la commande publique.
Financement de l’innovation et amortisseurs de marge
La priorité va aux chantiers à retour rapide et aux offres à valeur ajoutée mesurable. Les directions du développement combinent évolutions incrémentales sur les produits existants et proofs of concept ciblés pour ouvrir de nouveaux marchés, tout en limitant l’engagement de capital. Cet équilibre permet de lisser les marges et d’absorber la variabilité de la demande.
Lecture combinée des indicateurs de confiance
Pour éviter les faux signaux, recouper trois niveaux d’information :
- Macro : projections de croissance et indicateurs avancés.
- Sectoriel : carnet de commandes, prix matières, délais logistiques.
- Micro : churn clients, DSO, coût d’acquisition, backlog qualifié.
Cette grille à trois étages permet d’aligner la stratégie d’allocation du capital sur des faits tangibles plutôt que sur la seule perception politique.
Quel cap pour la gouvernance économique à court terme
Le diagnostic est clair : l’instabilité politique est devenue un risque d’entreprise à part entière. Les dirigeants l’ont intégré dans leur cartographie, tout en confirmant la résilience de leurs fondamentaux.
La suite dépendra de la capacité des autorités à offrir un cadre stabilisé pour 2026, tant sur le budget que sur les chantiers sociaux. D’ici là, la sélection rigoureuse des investissements et la protection du cash resteront les deux fils conducteurs.
La lecture prudente des projections, couplée à une veille réglementaire active, aidera à transformer l’incertitude en optionnalité plutôt qu’en frein. Les entreprises prêtes à activer des plans B bien balisés sortiront renforcées des à-coups institutionnels.
Rester lucide sans renoncer à investir dans ses avantages compétitifs, telle est la ligne de crête que les dirigeants tracent pour 2025-2026.