Comment la perte de biodiversité influence l'inflation
Découvrez comment la dégradation de la nature et les politiques environnementales causent des tensions inflationnistes en France.

Au fil des derniers mois, les entreprises françaises et européennes se trouvent face à un enjeu inédit : la perte de certains services naturels essentiels et l’incertitude quant à l’évolution des mesures environnementales. Dans ce contexte, comprendre comment la dégradation de la nature et les politiques de transition peuvent engendrer des pressions inflationnistes devient crucial, tant pour les décideurs que pour les analystes économiques et financiers.
Enjeux globaux et rôle de la nature dans l’activité économique
L’économie mondiale dépend fortement de la biodiversité et des écosystèmes : pollinisation, régulation du cycle de l’eau, fertilité des sols ou encore prévention contre les ravageurs. Or, selon plusieurs organismes scientifiques (IPBES, 2019), la planète fait face à un déclin marqué de ces services écosystémiques, provoquant vulnérabilités accrues pour les entreprises et les acteurs financiers. Parallèlement, les pouvoirs publics peinent à définir un cadre efficace qui permette de limiter la dégradation de la biodiversité sans freiner drastiquement la production.
Pour les entreprises françaises, deux pistes d’analyse s’offrent afin d’anticiper les impacts sur le marché :
- Les risques physiques, liés à la dégradation directe des services naturels.
- Les risques de transition, provoqués par la mise en place de réglementations « vertes » plus ou moins ordonnées et raisonnées.
Dans les deux cas, on assiste potentiellement à des tensions inflationnistes, portées notamment par les hausses de prix agricoles et les perturbations des chaînes de valeur. Les préoccupations portent autant sur la résilience des entreprises que sur l’orientation de la politique monétaire face à un risque de renchérissement persistant.
Les spécialistes désignent la « nature » comme l’ensemble des éléments biologiques, géologiques et climatiques formant notre environnement. Les services écosystémiques regroupent la pollinisation, la régulation du climat, la purification de l’air et de l’eau, la fertilité des sols ou encore la protection contre certains aléas. Leur destruction progressive menace à la fois la stabilité économique et la sécurité alimentaire.
Pressions inflationnistes liées aux chocs physiques sur l’agriculture
Le secteur agricole est un pivot économique et social pour de nombreuses régions, dont la France. Il dépend étroitement d’au moins quatre services écologiques majeurs : la pollinisation, la régulation des ravageurs, la gestion des espèces invasives et la régulation du cycle de l’eau. Toute perturbation sur l’un de ces points peut ébranler les rendements agricoles et, par ricochet, le prix des denrées alimentaires.
Plusieurs études publiées (FAO, 2019) avantagent l’hypothèse qu’une réduction ou un effondrement partiel de ces services pourrait faire grimper les coûts de production de manière significative. Les exemples les plus frappants concernent la pollinisation par les insectes, incontournable pour les fruits et légumes, ou encore les ravageurs redoutables (chenilles légionnaires, mouches destructrices) qui peuvent décimer des récoltes entières. De surcroît, l’irruption d’espèces invasives accroît la dépendance aux produits phytosanitaires, qui risquent d’être restreints par la réglementation si la transition écologique s’accélère.
Concrètement, des épisodes de sécheresse ou de pluies diluviennes (lorsque la régulation de l’eau est altérée) peuvent réduire les récoltes de plusieurs grands exportateurs, renchérir le coût international des matières premières alimentaires, puis se répercuter à l’achat pour les entreprises de transformation et, en dernier ressort, les consommateurs.
Afin de comprendre l’ampleur des effets sur les prix, deux approches complémentaires émergent :
- Un modèle de chaînes de valeur mondiales, qui suit l’impact d’un choc de productivité agricole sur tous les secteurs et pays interconnectés.
- Une analyse BVAR (Bayesian Vector Autoregression), permettant de décomposer statistiquement l’évolution des prix de grandes matières premières agricoles et d’isoler la portion due à des déséquilibres climatiques ou écologiques.
Bon à savoir : mise en garde sur les estimations
Certaines évaluations chiffrées, issues par exemple d’études de la FAO ou d’organismes de recherche, peuvent surestimer l’ampleur immédiate des chocs. Elles ne tiennent pas toujours compte de mécanismes d’adaptation (substituts dans la chaîne d’approvisionnement, nouvelles semences plus résistantes). Toutefois, ces études insistent sur le caractère amplificateur des risques : des attaques répétées ou un effondrement chronique des pollinisateurs finissent par générer des réponses inflationnistes plus durables.
En France, selon des modélisations internes reproduisant des chocs extrêmes et simultanés sur la pollinisation, la régulation des ravageurs, les espèces invasives et le cycle de l’eau, on observerait un bond possible de jusqu’à 13 pour cent sur les prix agricoles à la production, entraînant à terme une majoration de +0,5 point sur l’indice général des prix à la consommation (en l’absence de mesures d’adaptation structurelles).
Transmission mondiale et répercussions sectorielles
Les marchés agricoles sont mondialisés. Chaque pays s’engage dans l’exportation et l’importation de matières premières ou de produits transformés. Un choc sur l’un des maillons de la chaîne agricole (par exemple, une baisse de productivité du soja au Brésil ou de la production de blé en Ukraine) se diffuse rapidement, tant les interdépendances sont fortes. Les travaux de recherche soulignent deux canaux principaux :
- Le canal de l’offre : des rendements en berne réduisent la production et poussent les prix à la hausse.
- Le canal de la demande : la consommation, relativement inélastique pour les biens alimentaires, renforce cette hausse initiale.
Le tout est amplifié par le commerce international : si un faible nombre de grands pays dominent l’exportation d’une culture, une catastrophe naturelle localisée peut peser fortement sur l’offre mondiale, et la volatilité se répercute sur les indices boursiers de ces commodities.
Lorsqu’on étudie économétriquement les variations de prix du blé, du maïs ou d’autres biens agricoles, les modèles BVAR permettent d’identifier la part qui revient à la demande globale, aux chocs communs sur les matières premières et aux perturbations idiosyncratiques. Ces dernières sont liées à des aléas climatiques ou environnementaux. Les études suggèrent qu’une part significative des flambées de prix annuelles tient à ces perturbations localisées.
Exemple avec le cacao en Côte d’Ivoire
La Côte d’Ivoire, acteur majeur de la production mondiale de cacao, est sensible aux modifications du régime de précipitations. Un dérèglement de la pluviométrie, combiné à l’action d’insectes nuisibles, peut provoquer des reculs brutaux de récolte. L’impact à l’international s’avère d’autant plus fort que la demande en chocolat est peu flexible. Les analyses de marché indiquent alors de nettes hausses de prix, se propageant aux gammes de produits alimentaires à base de cacao en Europe.
Exemple avec la production de sojas aux États-Unis
Les États-Unis se positionnent comme un important exportateur de soja. Lors d’épisodes de sécheresse combinés à des invasions de chenilles légionnaires dans diverses régions, la production a chuté de façon considérable (plusieurs points de pourcentage). Dans les semaines qui ont suivi l’annonce de ces situations, les cours du soja sur les marchés à terme ont bondi, affectant en aval le coût des aliments pour le bétail, et, au bout du compte, celui de la viande pour les consommateurs français.
Impacts potentiels sur l’inflation en France : points clés
Une fois transposées dans l’économie française, les hausses de prix mondiales sur les produits agricoles jouent un rôle déterminant dans la formation de l’inflation. Dans plusieurs exercices de projection, on constate qu’un choc de productivité important sur quelques grandes cultures (céréales, oléagineux, café) peut, s’il se produit simultanément ou de manière répétée, se traduire par une hausse de l’inflation globale dépassant parfois 0,5 point sur un horizon de quelques trimestres.
Plus concrètement, les postes de consommation qui répercutent ces tensions sont la partie « alimentaire » de l’indice des prix (alimentation transformée et non transformée) ainsi que la restauration. Dans certains modèles, un choc isolé fait grimper les prix de l’alimentation de plus de 2 points. Les effets cumulés, selon la récurrence des crises climatiques ou environnementales, peuvent donc entretenir une dynamique inflationniste non négligeable.
À titre d’illustration, voici un petit récapitulatif quantitatif – les chiffres sont schématiques mais reflètent l’ordre de grandeur identifié dans les différents rapports :
Mises en garde méthodologiques : limites de l’estimation
Toute tentative de quantifier l’impact de la biodiversité sur l’économie doit être maniée avec prudence. Les études existantes omettent parfois le caractère non linéaire des processus écologiques. Par exemple, la perte d’un certain pourcentage de pollinisateurs peut induire un recul modéré des rendements, mais au-delà d’un seuil critique, la chute devient exponentielle. De plus, de nombreuses publications pointent l’absence d’un historique solide permettant de modéliser avec précision la corrélation entre facteurs écologiques (pollinisation, eau, ravageurs, etc.).
Enfin, l’analyse doit prendre en compte les mécanismes d’adaptation: substitution entre intrants, diversification des cultures, innovations technologiques (semences plus robustes), réallocation géographique des productions. Les modèles macroéconomiques classiques, conçus pour des chocs financiers ou de demande, ne capturent pas systématiquement ces effets sectoriels spécifiques.
Working Papers Banque de France
« Working Papers reflect the opinions of the authors and do not necessarily express the views de la Banque de France. » Cette mention souligne l’importance de la prudence dans l’interprétation des résultats. Selon ces publications, disponibles sur publications.banque-france.fr, les scénarios envisagés pour la France pointent une vulnérabilité notable, surtout si l’on combine une baisse de la productivité agricole et une absence de coordination internationale dans les mesures de protection de la biodiversité.
Transition écologique : un risque inflationniste si elle est mal anticipée
Au-delà des perturbations climatiques ou naturelles, une autre dimension du problème apparaît : les risques de transition. Les politiques de protection de la biodiversité – qu’il s’agisse de limiter l’usage des pesticides ou de fixer un pourcentage minimal de terres en jachère – peuvent, si elles sont imposées brutalement, déstabiliser l’activité agricole et déclencher une nouvelle hausse des prix. Même si ces mesures visent à garantir la soutenabilité à long terme, leur annonce subite est susceptible de réduire immédiatement l’offre agricole, faisant flamber les étiquettes.
Ainsi, des objectifs chiffrés au niveau de l’Union européenne, comme la « Farm to Fork » (réduction de 50 pour cent des pesticides, 50 pour cent des pertes en nutriments), s’ils se concrétisent sans préparation, entraîneraient une baisse de la production et une augmentation sensible des prix relatifs en quelques années.
Comment évaluer l’effet d’une transition « désordonnée »
L’un des principes mis en évidence par des simulations sectorielles sur la France et d’autres pays membres est le phénomène suivant : la mise en place unilatérale et non anticipée de contraintes environnementales dans l’agriculture tend à pénaliser la compétitivité de la région concernée. Les acteurs pourraient donc relocaliser leurs achats de produits agricoles hors des frontières et faire apparaître un effet de fuite de la pollution, hypothèse debattue par la littérature sous le nom de « pollution haven ».
Dans ce cas, la transition atteint partiellement son objectif environnemental local mais aboutit à un déplacement de la production polluante. De plus, la réduction soudaine de l’offre intérieure, sans politique d’innovation compensatoire, induit une accélération des prix agricoles : +10 à +12 pour cent sur les cultures végétales en France, selon certaines estimations sur plusieurs années. Sur le plan macroéconomique, le PIB pourrait reculer – autour de 0,2 point – alors même que les agriculteurs voient leurs coûts grimper.
Beaucoup d’entreprises soulignent que renforcer les normes environnementales augmentera le coût de leurs intrants. Mais il existe un possible « effet Porter », par lequel des normes claires et anticipées stimulent l’innovation, la compétitivité et réduisent à terme la pression sur les ressources. Les cas d’entreprises agroalimentaires ayant adopté tôt des pratiques écoresponsables montrent parfois un gain commercial (accès à des marchés premium, soutien des consommateurs). Toutefois, cet effet n’est pas automatique. Il dépend de la coordination entre acteurs publics et privés, ainsi que de mécanismes de compensation pour les producteurs les plus vulnérables.
Complexité de la modélisation et défis pour les banques centrales
Dans un environnement économique déjà sous tension, la question se pose pour les banques centrales de savoir comment intégrer ces nouveaux risques dans leurs cadres d’analyse. Les modèles préexistants, axés sur la demande globale, le cycle du crédit ou la stabilité financière, ne sont pas toujours adaptés aux frictions spécifiques du secteur agricole. De plus, la vitesse de propagation de ces chocs dans le système global dépend de nombreux paramètres (élasticités de substitution, degré d’exposant des chocs, etc.).
De ce fait, plusieurs chantiers méthodologiques sont en cours. Il s’agit de construire des scénarios exploratoires combinant le changement climatique, la dégradation des écosystèmes et les réactions possibles des acteurs économiques. L’objectif final : mieux approcher le risque probable d’une hausse persistante de l’inflation liée à la crise de la biodiversité.
La Banque de France, à travers ses Working Papers, insiste sur la nécessité de données plus granulaires, intégrant l’état des sols, la présence de pollinisateurs, les volumes de pesticides utilisés, etc. De même, la prise en compte de potentiels effets de domino (par exemple, une diminution de la pollinisation qui affecte non seulement l’arboriculture mais aussi l’agro-industrie) doit être affinée.
Zoom sur l’évaluation de scénarios désordonnés : un cas d’école
Plusieurs simulations réalisées dans le cadre de la coordination européenne révèlent ce qui se produit si l’Union européenne impose brutalement une réduction de 25 pour cent sur les engrais et de 50 pour cent sur l’usage d’autres produits chimiques agricoles. On considère qu’aucun crédit d’adaptation n’est déployé et que les agriculteurs ne disposent pas d’intrants de substitution à court terme. Les résultats montrent :
- Une baisse d’environ 10 pour cent de la production végétale
- Une hausse de 10 à 12 pour cent du prix des cultures, allant jusqu’à 20 pour cent pour certains pays spécialisés
- Une baisse globale du PIB de l’UE pouvant approcher 0,2 point
Bien sûr, ces résultats varient selon la structure agricole de chaque pays. Les grandes zones intensives aux intrants chimiques (pays nordiques, grandes plaines céréalières) se retrouvent les plus impactées. En France, l’exposition est considérable pour les filières céréales et maïs.
Exemple : les Pays-Bas
Les Pays-Bas ont un secteur agricole particulièrement intensif en termes d’intrans chimiques. Les quotas de réduction entraîneraient une baisse de 20 pour cent de la production végétale, accompagnée d’une hausse des prix dépassant 20 pour cent également. Les éleveurs, de leur côté, devraient composer avec des coûts plus élevés de l’alimentation animale. Le soutien public, s’il n’est pas ciblé, risquerait de se diluer sans répondre aux difficultés sectorielles réelles.
Entre contrainte environnementale et croissance économique : quels arbitrages
Si les résultats chiffrés ne se recoupent pas toujours d’une étude à l’autre, la tendance est claire : ne pas prendre de mesures pour protéger les services écosystémiques se traduit par une vulnérabilité croissante à des chocs physiques potentiellement énormes (pollinisation défaillante, épisodes climatiques extrêmes, invasion de ravageurs). En revanche, agir de manière brusque et unilatérale dans certaines zones du globe génère d’importants risques de concurrence déloyale, de délocalisations et de flambées de prix.
Le scénario de transition bien planifié s’avère donc l’option la plus favorable, même s’il demande un important travail en amont :
- Concertation entre pays pour éviter des phénomènes de fuite de la production.
- Mise en place d’aides publiques à l’innovation verte et aux semences de nouvelle génération.
- Calendriers progressifs et suffisamment anticipés, offrant aux entreprises de réorienter leurs investissements.
- Évaluation des effets sur l’ensemble des filières, y compris les plus vulnérables (sols, micro-agriculteurs, etc.).
Améliorer la connaissance des interdépendances entre nature et finance
Progressivement, les banques centrales s’intéressent davantage à l’intégration des facteurs climatiques et écologiques dans leurs stress tests financiers. Ces mêmes mécanismes valent pour l’évaluation des risques de liquidité ou de solvabilité liés à la biodiversité. Longtemps jugée périphérique, la biodiversité rejoint le climat dans la liste des priorités structurelles, avec un rôle déterminant pour l’orientation macrofinancière.
Pour le secteur privé, mieux comprendre ces dynamiques offre plusieurs avantages :
- Identifier les chaînes de dépendance et anticiper où se situent les futures vulnérabilités.
- Adapter les stratégies de diversification et d’investissement.
- Échanger avec les parties prenantes (clients, décideurs publics) sur les conditions d’une croissance plus durable.
Du point de vue réglementaire, de nombreux efforts restent à fournir pour normaliser l’analyse des critères « nature-related ». Les acteurs financiers seront-ils incités à verdir leur portefeuille sous peine d’expositions élevées à des secteurs menacés (construction, agro-industrie, etc.)? Les autorités bancaires doivent clarifier leur méthodologie de suivi des actifs risqués liés à la biodiversité.
Vers de nouveaux outils macroéconomiques : perspectives et chantiers
De nombreuses études expliquent qu’une intégration transversale des enjeux écologiques dans les modèles macroéconomiques est impérative. Dans la pratique, cela se heurte cependant à plusieurs obstacles :
- Faible granularité des données : les statistiques agricoles ne capturent pas toujours la complexité des services écosystémiques (par exemple, la pollinisation dépend non seulement de la présence d’abeilles, mais aussi de la santé générale des habitats).
- Manque de scénarios de référence : contrairement au climat, où des scénarios types (RCP) sont disponibles, la perte de biodiversité n’est pas encore traduite en trajectoires normalisées sur lesquelles aligner les exercices de stress.
- Caractère systémique : un choc sur la nature peut avoir des boucles de rétroaction multiples, allant d’une escalade des prix agricoles à des tensions géopolitiques pour l’accès à l’eau, puis un effet domino sur les migrations, l’emploi et la consommation.
Pourtant, certains laboratoires de recherche travaillent activement à la mise au point de modèles d’équilibre général « enrichis », incorporant des variables comme la disponibilité de l’eau, le taux de pollinisation, l’érosion des sols, ou encore l’intensité d’utilisation des pesticides. Les avancées dans ce domaine devraient permettre aux banques centrales et aux ministères de l’Économie d’avoir une meilleure vision prospective et de concevoir des politiques plus proportionnées.
Au-delà de l’agriculture : la question des autres secteurs
Bien que l’agriculture apparaisse en première ligne, elle n’est pas la seule concernée. Le secteur de la construction (utilisation de sable, matériaux, pression sur les zones humides, etc.) ou encore la pêche et l’aquaculture (surexploitation des ressources marines, invasions d’algues ou de parasites) subissent de plein fouet la régression de certains écosystèmes. Une politique de transition désordonnée dans ces secteurs peut elle aussi créer des pressions sur les intrants, et de fait sur les prix.
On retrouve la même dichotomie : une absence d’action dans le secteur de la pêche se traduira à terme par un effondrement des stocks halieutiques, donc des pénuries et des prix en hausse. Une politique sévère unilatérale peut, elle, pousser les entreprises à s’approvisionner ailleurs, entravant la compétitivité locale et pesant encore sur l’offre. Équilibrer ces composantes est délicat, mais la généralisation de cadres internationaux plus stables est un levier pour minimiser les effets négatifs sur la balance commerciale et l’inflation.
Une perspective globale pour l’avenir
L’analyse des enjeux biodiversité et finance ne se limite pas à des intuitions ou à des déclarations d’intention : elle devient un sujet central pour l’ensemble des économistes spécialisés dans l’examen des risques sectoriels. Les pouvoirs publics, les institutions financières et les entreprises doivent travailler de concert afin de :
- Renforcer la résilience écologique : on parle par exemple de programmes publiques de restauration de zones humides, de corridors de pollinisateurs, de limitation de l’étalement urbain.
- Développer l’innovation : financer la R et D sur des variétés de semences résistantes, sur des techniques d’économie d’eau et sur des solutions de biocontrôle.
- Clarifier la feuille de route réglementaire : donner de la visibilité et des horizons temporels robustes pour que les agriculteurs, industriels et investisseurs intègrent la transition sans à-coups majeurs.
- Promouvoir un marché unifié : éviter qu’un pays n’adopte des normes trop différentes, créant des distorsions de concurrence et des déplacements de production.
Par ailleurs, sur le plan des politiques monétaires, la question de l’impact des chocs écologiques sur l’inflation redevient pressante. Les banques centrales peuvent difficilement ignorer ces perturbations, puisqu’elles influent sur la stabilité des prix et la stabilité financière. À court terme, le principal défi est de distinguer inflation « transitoire », liée à des événements climatiques ponctuels, et inflation « structurelle », entretenue par une dégradation écologique de long terme ou par des contraintes réglementaires insuffisamment anticipées.
Dès lors, des éclairages nouveaux se dessinent pour les acteurs de la politique monétaire : ils doivent prendre en compte dans leurs anticipations de l’inflation et de la croissance les tendances concernant la productivité agricole, la transition énergétique et la préservation des écosystèmes. Cela ne signifie pas que la banque centrale doive piloter la transition environnementale, mais plutôt qu’elle intègre mieux les signaux d’alerte que lui envoient ces transformations profondes.
Des pistes d’actions collectives pour les entreprises et les institutions
Les entreprises agricoles, agroalimentaires et de distribution ont un rôle crucial à jouer dans cette transformation. Au niveau national, des coopérations interprofessionnelles peuvent notamment aider à amorcer le tournant vers des pratiques moins consommatrices de pesticides et plus respectueuses de la biodiversité. Dans certains cas, créer des labels peut favoriser la montée en gamme et justifier des marges plus élevées, compensant partiellement la baisse de production.
Au niveau institutionnel, l’enjeu est, là encore, de veiller à ne pas déstabiliser excessivement la production. La démarche doit respecter :
- Une cohérence européenne des objectifs et des moyens, afin de ne pas amplifier la concurrence ou la fuite de la pollution d’un pays à l’autre.
- Un capital d’expertise : expertise scientifique sur les impacts réels des pesticides ou sur la tolérance des sols, données agronomiques détaillées par territoire.
- Une progressivité dans l’application, pour lisser la transition et éviter un choc soudain des prix à la consommation.
En définitive, c’est bien la question de la soutenabilité économique et écologique qui est posée : sans de tels ajustements, le coût d’inaction face à la dégradation des écosystèmes pourrait s’avérer plus grand encore que l’adoption de mesures planifiées.
Regard synthétique : entre inflation et réorganisation structurelle
Pour juger si la biodiversité présente un vrai risque pour la stabilité des prix en France, il faut se rappeler que l’inflation alimentaire reste minoritaire dans l’IPC global, même si elle a un poids significatif. Cependant, la répétition d’événements perturbateurs (sécheresses, espèces invasives, transition réglementaire) risque de renforcer la persistance du phénomène. Par ailleurs, la hausse potentielle de l’inflation n’est que l’une des facettes du problème. Les secteurs les plus exposés pourraient enregistrer des pertes de compétitivité, une baisse du PIB et un besoin de soutien budgétaire important.
Le message principal : meilleure coordination et préparation réduisent la probabilité de flambées de prix incontrôlées. Les entreprises, en anticipant les futures normes, pourront ajuster leur mix agricole, investir dans des solutions substitutives et limiter l’ampleur des perturbations. Les pouvoirs publics, eux, sont appelés à mettre en place un cadre stable et prévisible.
Dans tous les cas, la soutenabilité environnementale n’est pas un luxe, mais bien une condition pour éviter des spirales inflationnistes répétées et des dégradations sectorielles.
Un horizon à approfondir
Les experts du monde financier et économique l’affirment : la déperdition de la biodiversité est susceptible d’avoir des effets multiplicateurs sur les prix et la stabilité macroéconomique, notamment en France. Les banques centrales, les régulateurs et les pouvoirs publics prennent conscience de cette réalité, mais les voies d’une transition maîtrisée sont encore en construction. La France, en tant qu’économie agroalimentaire de premier rang, aura un rôle décisif à jouer pour articuler croissance économique, sécurité alimentaire et protection des écosystèmes.
Préserver la nature aujourd’hui dessine une route moins chaotique pour l’économie de demain.