Comment optimiser la gestion du "cash" pour les entreprises ?
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La trésorerie n’est plus un dossier de back-office. Dans un cycle économique heurté, elle devient le véritable juge de paix de la résilience opérationnelle et de la capacité d’investissement. Les entreprises qui pilotent leur cash au plus près négocient mieux, résistent plus longtemps et arbitrent plus vite. C
elles qui s’en tiennent aux tableurs subissent. Le sujet passe désormais au niveau stratégique.
Trésorerie et notation de crédit: le nouvel aiguillon du financement
En France, l’accès au crédit dépend étroitement de la qualité perçue de la liquidité. La cotation Banque de France, observée par les banques et les assureurs-crédit, intègre la solidité de trésorerie, la discipline de paiement fournisseurs et la structure de dette. En période de tension, un cran de cotation en moins renchérit immédiatement le coût de financement et peut restreindre les enveloppes de lignes confirmées.
Cette réalité pèse d’autant plus que les entreprises françaises demeurent fortement bancarisées, avec une part prépondérante du financement par dette bancaire, loin devant les marchés obligataires pour la majorité des PME et ETI (Fédération bancaire française, août 2023). La trésorerie devient donc un marqueur de crédibilité pour négocier des facilités court terme, des RCF ou des waivers sur les covenants.
La séquence récente a créé un seuil de vigilance durable. Les dirigeants ont réévalué le niveau de cash minimum nécessaire, à la lumière de l’inflation encore supérieure à son régime pré-2019, des taux directeurs demeurant élevés en comparaison historique, et d’une chaîne d’approvisionnement moins lisible.
Le besoin en fonds de roulement s’étire dès que les retards d’encaissement s’installent, tandis que la normalisation post-crise des délais fournisseurs s’est interrompue. Les dernières lectures de la Banque de France confirment une montée des attentes en matière de couverture de trésorerie, malgré des agrégats macro rassurants (Banque de France, novembre 2024).
À cela s’ajoute la queue de comète des PGE contractés en 2020-2021. Nombreuses sont les lignes qui arrivent à échéance d’ici 2026, ce qui impose un pilotage fin des calendriers d’amortissement et des renégociations éventuelles. Pour les directions financières, l’équation est claire: tenir la voilure du cash afin de préserver la latitude de négocier, d’investir et de sécuriser les approvisionnements.
Cotation Banque de France: ce que regardent les prêteurs
Pourquoi c’est déterminant La cotation apprécie la situation financière et, pour les tailles d’entreprises les plus significatives, la performance de liquidité et le respect des délais. Elle sert de repère aux banques, aux assureurs-crédit et parfois aux donneurs d’ordres.
Effets pratiques Un déclassement peut se traduire par un spread plus élevé, des garanties supplémentaires, des plafonds de tirage abaissés ou des conditions plus strictes pour renouveler les lignes court terme. La qualité du pilotage cash devient alors un élément concret de négociation.
État des lieux des pratiques: tableurs, silos et angles morts
Malgré l’enjeu, la gestion du cash reste souvent artisanale. Tableurs éclatés par Business Unit, prévisions statiques, absence d’intégration avec l’ERP et les banques: ces pratiques limitent la fiabilité des prévisions et retardent les décisions correctives. Dans beaucoup d’organisations, il n’existe pas de chaîne de responsabilité claire du cycle cash de bout en bout.
Trois faiblesses reviennent régulièrement.
- Prévisions inertes Pas de rolling forecast hebdomadaire. Les gaps entre facturation et encaissement ne sont analysés qu’a posteriori, trop tard pour agir sur les relances, les litiges ou la priorisation des livraisons.
- Données incomplètes Le rapprochement des flux clients, fournisseurs et bancaires n’est ni quotidien ni automatisé. Le DSO et le DPO sont calculés en fin de mois, parfois avec des hypothèses hétérogènes selon les entités.
- Gouvernance fragmentée Recouvrement, trésorerie, contrôle de gestion et ventes ne partagent pas les mêmes indicateurs. Les objectifs commerciaux ne reflètent pas toujours l’impact sur la trésorerie, notamment en matière de conditions de paiement ou de livraison partielle.
Aucune entreprise n’est à l’abri. Les groupes excédentaires en cash peuvent également se priver de valeur en ne plaçant pas l’excédent aux meilleures conditions, en oubliant l’optimisation des cash pools, ou en laissant filer la facturation intercompany et les frais financiers internes.
Effet taux: coût de la dette et coût d’opportunité
Un environnement de taux supérieurs aux niveaux de 2019 rend les arbitrages plus visibles. Chaque jour de DSO supplémentaire coûte en intérêts et en risque de défaut; chaque jour de DPO gagné doit être compatible avec la LME et la relation fournisseur. Du côté des entreprises en cash positif, ne pas activer les placements sécurisés et compatibles avec la politique de risque revient à renoncer à un rendement certain sur une période où les taux monétaires restent élevés par rapport à la décennie précédente.
Un forecast glissant à 13 semaines, mis à jour chaque semaine, fait apparaître les tensions avec trois leviers: relances ciblées des comptes à risque, réordonnancement des règlements fournisseurs en fonction des pénalités et remises, ajustement de la production et des expéditions. La donnée hebdo alimente aussi les comités cash qui arbitrent les dépenses discrétionnaires. Résultat: moins de surprises et un coût de trésorerie réduit.
Qui est Julhiet Sterwen
Julhiet Sterwen est un cabinet de conseil français spécialisé en transformation des organisations, performance financière, risques et réglementaire. Les équipes accompagnent directions générales et financières sur la structuration des processus, l’outillage et la conduite du changement, avec un focus sur l’amélioration durable du cash conversion cycle.
Gouvernance cash portée par le comex: responsabilités et incitations
Si la trésorerie devient un actif stratégique, elle ne peut plus rester cantonnée à la seule direction financière. La culture du cash se construit au niveau du comex, s’appuie sur des routines de pilotage et s’invite dans les objectifs des directions ventes, achats, opérations et IT.
Une revue mensuelle de BFR présidée par la direction générale, alimentée par un tableau de bord commun, change la dynamique. Elle croise DSO, DPO, niveau de stocks, litiges ouverts, crédits documentaires, garanties à première demande et expositions aux devises. Elle permet aussi d’arbitrer les priorités entre croissance, marge et cash, avec un langage partagé et des incitations alignées.
- Aligner les bonus Intégrer des cibles de DSO, d’encaissements à échéance et de réduction des litiges dans la rémunération variable des fonctions commerciales et du service client.
- Discipliner les conditions Encadrer l’octroi de délais clients et les remises conditionnées aux volumes par une validation finance, en s’appuyant sur l’assureur-crédit lorsque pertinent.
- Industrialiser les relances Segmenter le portefeuille client, prioriser par probabilité et maturité de recouvrement, standardiser les scénarios de relance et documenter l’historique.
- Piloter les stocks Connecter S&OP et trésorerie. Les décisions d’approvisionnement tiennent compte des conditions fournisseurs et du coût de portage, pas seulement du taux de service.
Indicateurs à intégrer dans les objectifs variables
Pour les directions commerciales taux d’encaissement à échéance, DSO contractuel vs réel, nombre de litiges ouverts à plus de 30 jours.
Pour les achats respect des délais légaux fournisseurs, taux d’escompte capté, couverture logistique vs coûts de stockage.
Pour les opérations rotation des stocks, obsolescence, fiabilité de la promesse de livraison qui conditionne la facturation.
Rappel légal sur les délais clients et fournisseurs
Le cadre LME limite en règle générale les délais à 60 jours date de facture ou 45 jours fin de mois. Les intérêts de retard et l’indemnité forfaitaire de recouvrement sont obligatoires. La DGCCRF peut sanctionner les entreprises qui pratiquent des délais abusifs. Sur le terrain, une politique de paiement responsable aide à préserver la chaîne d’approvisionnement et à sécuriser la notation auprès des partenaires.
Data, outillage et temps réel: du pilotage manuel à l’usine à cash
L’outillage fait la différence une fois les règles du jeu clarifiées. Un Treasury Management System relié à l’ERP, aux banques et aux outils de facturation automatise la collecte des flux et fiabilise les prévisions. Les connectivités EBICS et API bancaires permettent une vision infra-journalière des soldes, des prévisions et des incidents de paiement.
Le cœur de la valeur réside dans la standardisation des données de base et des processus: référentiels tiers, codification des litiges, typologies de retards de paiement, motifs de rejet. Sans cette rigueur, le meilleur TMS n’apportera pas les gains attendus.
- Automatiser les rapprochements Matching transactions-to-invoices, affectation des encaissements partiels, reconnaissance des remises et décotes.
- Suivre en temps réel Alertes paramétrées sur les factures à risque, seuils de dépassement des délais, notification des factures rejetées.
- Outiller la décision Simulations de cash selon scénarios de volumes, de prix et de délais. Mesure de l’impact d’une renégociation contractuelle ou d’une campagne de relances.
EBICS s’impose pour la transmission sécurisée des fichiers de paiements et de relevés. Les API PSD2 ouvrent l’accès à la consultation quasi temps réel des comptes et aux initations de paiement sous consentement. Les virements instantanés SEPA offrent un levier pour accélérer des encaissements à forte valeur ou sécuriser des livraisons sensibles, sous réserve de coûts unitaires acceptables.
La donnée devient également un outil de conformité. Piloter les délais de paiement, tracer les litiges et documenter les relances facilite les contrôles internes et les échanges avec l’audit. Surtout, cela nourrit un dialogue crédible avec les partenaires financiers: comités bancaires, assureurs-crédit, fonds de dette et investisseurs.
Comment lire les indicateurs cash à l’échelle groupe
La consolidation masque souvent des tensions locales. Un groupe avec un DSO moyen stable peut cacher des dérapages dans une BU ou un pays. La granularité par segment de clients, gamme de produits et canal de distribution révèle des patterns actionnables: retards récurrents sur des ventes à conditions promotionnelles, allongements sur des marchés en retournement, ou encore difficultés spécifiques à un mode de livraison.
Une remise logistique accordée pour accélérer l’encaissement peut avoir plus d’effet qu’un report de livraison. À l’inverse, un escompte mal calibré détruit de la marge sans garantie de paiement anticipé. Le bon niveau se calcule à partir du coût de la dette marginal, du niveau de risque client et de la récurrence des commandes. Formalisez une grille, évitez les décisions au cas par cas.
Facturation électronique en france: calendrier 2026-2028 et impacts cash
La réforme de la facturation électronique B2B domestique va accélérer la transformation du pilotage cash. À compter du 1er septembre 2026, la réception des e-factures devient obligatoire pour toutes les entreprises en France.
L’obligation d’émission est progressive: grandes entreprises à partir du 1er septembre 2026, ETI à compter du 1er septembre 2027, puis PME et microentreprises au 1er septembre 2028. Les échanges passent par le Portail public de facturation ou des Plateformes de dématérialisation partenaires.
Au-delà de la conformité, l’effet est économique. La digitalisation native des factures améliore la qualité des données, la traçabilité et la vitesse de traitement: moins d’erreurs, litiges identifiés plus tôt, relances déclenchées à la bonne date, rapprochements automatisés. Les directions financières gagnent une vision quasi temps réel des statuts de factures, utile pour fiabiliser les prévisions d’encaissement.
Calendrier opérationnel: ce qu’il faut engager dans les 12 prochains mois
Mettre la trésorerie au cœur du projet e-invoicing change sa nature: on ne parle plus seulement d’un chantier IT, mais d’un accélérateur de cash. Les points-clés à sécuriser rapidement sont connus.
- Cartographier les flux Types de factures, formats actuels, cas particuliers intercompany, remises, avoirs. Identifier les écarts de pratiques par BU et pays.
- Choisir sa plateforme PPF seul ou PDP, avec des critères de connectivité ERP, de référentiels, de gestion des rejets et de reporting cash.
- Redessiner les processus Validation de factures en amont, contrôle de conformité, gestion des litiges, preuves de livraison et de service fait.
- Aligner les contrats Clauses de facturation, conditions de paiement, pénalités. Ajuster avec les partenaires clés et intégrer la dimension e-reporting pour les opérations hors périmètre domestique.
- Former et piloter Sensibiliser ventes, ADV, achats, comptabilité fournisseurs et trésorerie. Installer un comité cash-réforme présidé par la DAF ou le comex.
Pourquoi la réforme e-invoicing est un levier cash
Qualité des données statuts de facture standard, motifs de rejet codifiés, registres des flux partagés entre comptabilité, ADV et trésorerie.
Vitesse réduction des délais de mise en litige, des validations et des réémissions. Impact direct sur le DSO et la prévisibilité des encaissements.
Traçabilité preuves datées qui facilitent le déclenchement des intérêts de retard et sécurisent la relation commerciale.
Les bénéfices collatéraux sont notables. La lutte contre la fraude s’en trouve renforcée, tout comme la cohérence des référentiels tiers. La direction financière récupère la main sur la donnée de facturation, avec une exploitation élargie pour la planification, le contrôle interne et le dialogue avec les parties prenantes.
Risque juridique et relation fournisseurs: trouver l’équilibre
La généralisation de la dématérialisation ne dispense pas de respecter les délais légaux. Au contraire, la transparence accrue renforce la responsabilité en matière de paiement responsable. Un allongement opportuniste du DPO peut fragiliser les fournisseurs critiques et dégrader la notation extra-financière. Les grandes entreprises ont intérêt à formaliser des chartes de paiement et à communiquer sur leurs engagements.
Sur le poste clients, la lisibilité des statuts de facture constitue un atout pour solliciter l’assureur-crédit ou adapter les encours. La donnée devient une preuve qui fluidifie les discussions, réduit les surcoûts de recouvrement et protège la relation commerciale.
Transformer le cycle cash en avantage compétitif durable
Le cash n’est plus uniquement la conséquence d’une bonne performance. C’est une discipline de gestion et un actif à part entière.
Les organisations qui fixent des objectifs clairs, outillent la donnée et instaurent des comités de pilotage ancrent la résilience financière. Elles se donnent aussi le droit d’être offensives: financer une acquisition, sécuriser un fournisseur stratégique, ou investir dans une modernisation industrielle.
Une trajectoire robuste s’appuie sur quelques principes simples.
- Responsabiliser les fonctions Le cash est une responsabilité collective. Les KPI sont partagés, les bonus alignés, les arbitrages rendus au bon niveau.
- Rythmer la décision Prévisions glissantes, comités cash plurifonctions, escalade standardisée des litiges. La cadence crée la confiance.
- Industrialiser la donnée Référentiels propres, intégrations stables, tableaux de bord lisibles. On mesure ce qui compte et l’on agit vite.
- Capitaliser sur la réforme L’e-invoicing n’est pas un chantier réglementaire isolé. C’est le pivot d’une chaîne commande-facturation-encaissement plus efficace.
La période reste incertaine. Mais les règles du jeu sont connues: les entreprises qui maîtrisent leur cash pilotent leur destin. Elles négocient différemment avec les banques, obtiennent de meilleures conditions auprès des partenaires, et se donnent les moyens de saisir les opportunités au bon moment.
De la discipline prévisionnelle à la facturation électronique, la trésorerie devient l’infrastructure intime de la stratégie: un avantage compétitif pour celles qui l’élèvent au rang de priorité d’entreprise.