Depuis septembre, le Conseil des prélèvements obligatoires accélère le tempo fiscal. L’organisme rattaché à la Cour des comptes publie un rapport qui place la réindustrialisation au centre du jeu, avec une exigence clé pour les dirigeants d’usine et d’ETI : une visibilité fiscale sur cinq ans. L’objectif est explicite : sécuriser l’investissement productif dans un pays où la fiscalité change encore trop souvent de cap.

Instabilité fiscale : CVAE reportée et IS chahuté en 2025

L’architecture fiscale française reste volatile, ce qui complique le financement d’actifs industriels lourds. Le CPO pointe des revirements successifs qui nourrissent l’attentisme dans les comités d’investissement et renchérissent le coût du capital pour les projets réalisés en France.

CVAE : chronologie des annonces et effets sectoriels

Symbole de cette instabilité, la CVAE devait disparaître en 2024. L’échéancier a ensuite été repoussé à 2027, puis reporté une nouvelle fois à 2030. Chaque inflexion redistribue les cartes des business plans, particulièrement pour les acteurs à marges structurellement faibles.

  • Effet-prix direct sur les chaînes de production, car la CVAE s’applique sur la valeur ajoutée, indépendamment du résultat.
  • Signal brouillé pour les investisseurs internationaux, qui privilégient les juridictions capables d’annoncer puis de tenir un calendrier fiscal stable.
  • Décalage avec le cycle industriel qui s’étend régulièrement sur 5 à 10 ans.

Le rapport du CPO met en perspective ces éléments et préconise de substituer à l’annonce de suppressions successives une programmation pluriannuelle ferme et réaliste, assortie d’un financement identifié.

IS : trajectoire 2016-2025 et contribution exceptionnelle

La trajectoire de l’impôt sur les sociétés a envoyé un signal contradictoire. Après la baisse progressive du taux nominal de 33,3 % à 25 % entre 2016 et 2025, une contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises est venue relever le taux effectif en 2025. Selon l’analyse relayée par la presse spécialisée, l’effort a porté au-delà de 30 % le taux effectif pour les groupes dépassant 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et à plus de 35 % pour ceux au-dessus de 3 milliards, au titre de la loi de finances 2025 adoptée le 6 février 2025.

Si la mesure répond à un impératif de recettes, elle affaiblit la lisibilité du cap fixé quelques années plus tôt avec la convergence vers 25 %. Ce type d’ajout ponctuel complique la prévision de cash-flows, pilier du calibrage industriel.

Signal-prix et prime de risque pays

Dans la pratique, chaque revirement fiscal accroît la prime de risque intégrée par les investisseurs. Deux effets clés en découlent :

  1. Un surcoût de financement des projets industriels localisés en France.
  2. Un ré-ordonnancement des portefeuilles d’investissement vers des pays jugés plus prévisibles à horizon 5 à 10 ans.

Le CPO défend une cohérence temporelle entre la programmation budgétaire et les cycles industriels, afin de réduire cette prime.

Impôts de production : le CPO privilégie la suppression de la C3S

Les impôts de production pèsent structurellement sur l’appareil industriel. Prélevés sur le chiffre d’affaires ou la valeur ajoutée, ils affectent la compétitivité de filières où la rotation d’actifs est lente et les marges comprimées.

C3S : mécanique et distorsions

Le CPO met en avant une cible jugée plus efficace que la suppression totale de la CVAE : éliminer la C3S. Prélevée sur le chiffre d’affaires, cette contribution génère des effets en cascade à chaque étape de la chaîne, augmentant les coûts intermédiaires sans lien avec la rentabilité. L’instrument est considéré comme particulièrement défavorable aux filières longues et aux écosystèmes sous-traitants.

Selon les estimations rapportées, la suppression de la C3S représenterait un coût budgétaire de 5,4 milliards d’euros, contre environ 4 milliards pour la CVAE. Le CPO juge cependant que la stimulation de la production serait plus marquée en ciblant la C3S, du fait de son point de prélèvement à la source des flux commerciaux.

Ordre des priorités proposé par le CPO

  • Priorité 1 : programmer l’extinction de la C3S, avec phasage et financements identifiés.
  • Priorité 2 : maintenir une trajectoire crédible sur la CVAE, mais sans promesses non financées.
  • Priorité 3 : calibrer l’IS pour éviter les contributions ponctuelles qui rompent le signal de long terme.

Le tout s’inscrit dans un cadre d’ensemble qui rappelle que la fiscalité n’est pas l’unique levier de la réindustrialisation, même si elle en conditionne l’amorçage. La politique du foncier, l’énergie et les transports structurent la compétitivité finale.

Prélevée sur le chiffre d’affaires, la C3S frappe chaque transaction, y compris lorsque la marge dégagée sur l’étape est faible. Dans une chaîne de valeur avec plusieurs rangs de sous-traitants, la taxe s’empile et gonfle artificiellement les coûts intermédiaires, réduisant la compétitivité-prix à l’export comme en concurrence locale. C’est la logique inverse d’un prélèvement à l’aval sur le résultat.

Impôts de production : périmètre et ordre de grandeur

Les impôts de production agrègent plusieurs taxes qui pèsent sur l’appareil productif. Ordre de grandeur rappelé par le ministère de l’Économie : environ 80 milliards d’euros par an, soit un niveau bien supérieur à la moyenne européenne. Leur poids indépendant de la rentabilité explique la priorité donnée à leur allègement dans une stratégie industrielle.

Visibilité sur cinq ans : une programmation fiscale dans la LPFP 2027

Le cœur de la recommandation tient dans une programmation fiscale quinquennale, adossée à la future loi de programmation des finances publiques de 2027. Le CPO appelle à attacher la trajectoire des principaux prélèvements aux horizons d’investissement des entreprises.

LPFP 2027 : trajectoire et gouvernance souhaitées

  • Fixer une trajectoire sur cinq ans pour l’IS, la CVAE, la C3S et les principaux impôts de production.
  • Assurer la cohérence budgétaire en identifiant en amont les contreparties et économies.
  • Protéger la crédibilité du cadre par des clauses de stabilité et un suivi parlementaire précis.

Cette prévisibilité renforcerait la capacité des industriels à répliquer en France des plans d’investissement calibrés à l’international, où les horizons fiscaux sont connus au moment de l’arbitrage.

Fiabilité budgétaire et attractivité pays

Sur le plan macroéconomique, une trajectoire lisible limite la volatilité des anticipations et facilite la mobilisation d’épargne longue. Pour les comités d’investissement, la lisibilité fiscale est corrélée à la prime de risque et, in fine, à la localisation de l’actif.

En Allemagne ou en Pologne, les systèmes fiscaux sont perçus comme relativement stables sur plus d’une décennie, ce qui aligne le calendrier public avec la vie des actifs industriels. La France est en capacité de créer ce même environnement de confiance, à condition de sanctuariser la trajectoire au sein de la LPFP 2027.

Entre la décision et la montée en régime, un projet industriel mobilise plusieurs jalons : études, foncier, autorisations, génie civil, mise en service, fiabilisation. Ce cycle s’étend souvent sur 5 à 10 ans. Une trajectoire fiscale stable sur cinq ans permet de sécuriser le business plan sur la moitié au moins du cycle, ce qui réduit le risque d’exécution et favorise la décision de localisation en France.

Niches fiscales et arbitrages : d’où viendraient les compensations

Pour financer des baisses ciblées, le CPO propose d’ajuster certaines niches. L’idée est d’éviter une baisse nette de recettes qui fragiliserait la trajectoire budgétaire, au prix d’une meilleure efficacité économique de l’euro de dépense fiscale.

Heures supplémentaires : suppression des exonérations

Parmi les options évoquées, la suppression des exonérations sur les heures supplémentaires est citée comme une source potentielle de financement. L’ordre de grandeur avancé est d’environ 4 milliards d’euros, dont près d’un milliard pour l’industrie. Le dispositif, étendu depuis la fin des années 2000, est jugé coûteux et d’efficacité limitée pour stimuler l’activité industrielle.

Le CPO rappelle qu’une réforme crédible se conçoit avec un financement chiffré et des délais tenables. L’histoire récente suggère que les annonces non suivies d’effet renforcent la prudence des entreprises, et donc reportent les investissements.

Surtaxe 2025 sur les grandes entreprises : ne pas reconduire en 2026

L’institution recommande de ne pas prolonger en 2026 la contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises instaurée en 2025. Son produit, évalué à 8 milliards d’euros, a pu répondre à une contrainte budgétaire immédiate, mais il heurte l’objectif de stabilité autour d’un IS à 25 %. La recommandation s’inscrit dans une logique de cohérence du signal envoyé aux investisseurs.

Point DGFiP : une base imposable en hausse

La Direction générale des Finances publiques indique que le résultat fiscal déclaré par environ 7 millions d’entreprises au titre de 2023 atteint 265 milliards d’euros, soit une progression de 5,5 % par rapport à l’année précédente. Le chiffre a été publié en mars 2025, illustrant une capacité de résistance du tissu productif malgré la pression fiscale (DGFiP, mars 2025).

Indicateurs 2023-2025 : ce que disent INSEE et DGFiP

Sur longue période, le poids de l’industrie dans la valeur ajoutée s’est contracté. La France a toutefois amorcé un léger redressement récent, sans inversion franche de tendance.

Part de l’industrie dans la valeur ajoutée : recul long, frémissement récent

La part de l’industrie dans la valeur ajoutée brute est passée d’environ 25 % en 1973 à un peu plus de 15 % en 2023. La désindustrialisation s’est accompagnée d’une diminution marquée des emplois industriels. Les signaux les plus récents font état d’une légère amélioration en 2024, qui reste à consolider par des mesures structurelles associant fiscalité, foncier, énergie et infrastructures.

Dans ce contexte, l’attractivité fiscale a pris une place centrale dans les stratégies d’implantation et de réimplantation. La programmation sur cinq ans, assortie d’objectifs clairs et financés, serait de nature à réduire l’incertitude et à rendre les trajectoires d’investissement plus prévisibles.

Barèmes, CIR vert et nouveautés de la loi de finances 2025

La loi de finances pour 2025, adoptée le 6 février 2025, comporte plusieurs ajustements des barèmes et des dispositions en faveur de l’innovation. Le ministère de l’Économie met en avant une extension du crédit d’impôt recherche orientée vers les investissements verts, alignée avec les objectifs de réindustrialisation durable. Cette piste peut mieux soutenir les chaînes industrielles engagées dans la décarbonation, sous réserve d’une stabilité dans la durée.

Le renforcement du CIR sur les volets verts cible les dépenses R&D et d’innovation qui participent à la réduction de l’empreinte environnementale des procédés ou produits. En pratique, les entreprises industrielles peuvent prioriser des projets de décarbonation tout en sécurisant une partie du financement. Pour être pleinement incitatif, le dispositif doit s’inscrire dans une stabilité pluriannuelle, alignée sur les cycles d’investissement.

Réindustrialisation et compétitivité-coût : fiscalité, mais pas seulement

Le CPO insiste sur la complémentarité des leviers. Une fiscalité mieux calibrée est nécessaire, mais elle ne saurait compenser des goulets d’étranglement non fiscaux qui minent la compétitivité.

Foncier, énergie, transport : les autres leviers identifiés

  • Foncier industriel : disponibilité et délais d’autorisation, déterminants du calendrier des projets.
  • Coût de l’énergie : facteur clé de localisation pour les procédés électro-intensifs et thermiques.
  • Transports et logistique : qualité des infrastructures conditionnant l’accès aux marchés et la fiabilité des chaînes.

Le message est clair : une politique de l’offre cohérente exige d’arbitrer simultanément sur ces paramètres et sur la fiscalité. Les effets sont multiplicatifs lorsque l’ensemble progresse de concert.

Comparaison européenne : stabilité en Allemagne et en Pologne

Plusieurs pays européens cités comme références ont maintenu des cadres fiscaux stables sur plus d’une décennie. En Allemagne, le taux fédéral de l’impôt sur les sociétés se situe à 15 %, dans un environnement jugé prévisible.

La Pologne est également mentionnée pour la stabilité de son cadre. À l’inverse, la France demeure au-dessus de la moyenne européenne en pression globale sur les entreprises, notamment à cause des impôts de production qui restent élevés.

Repères chiffrés sur les mesures prioritaires

Deux chiffres clés structurent l’agenda de réformes évoqué par le CPO : suppression de la C3S pour 5,4 milliards d’euros de coût budgétaire et non-reconduction en 2026 de la contribution exceptionnelle de 2025, estimée à 8 milliards d’euros. Le calibrage final doit intégrer des compensations via la revue des niches et des économies ciblées, afin de garantir la soutenabilité de la trajectoire (Boursorama, 22 septembre 2025).

IS : impôt sur les sociétés, principal prélèvement sur le bénéfice des entreprises.

CVAE : cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, impôt de production assis sur la valeur ajoutée.

C3S : contribution sociale de solidarité des sociétés, prélevée sur le chiffre d’affaires.

LPFP : loi de programmation des finances publiques, fixe la trajectoire pluriannuelle des finances publiques.

Cap d’attractivité : stabiliser pour déclencher l’investissement productif

Le rapport du CPO propose une feuille de route lisible : stabilité sur cinq ans, recentrage sur les impôts de production avec la C3S au premier rang, et financement explicite via la révision de niches et la non-reconduction de la surtaxe 2025. L’enjeu n’est pas d’additionner les annonces, mais de réinstaller la crédibilité fiscale sur la durée.

Si la trajectoire est tenue, la France peut convertir le frémissement industriel en dynamique durable, en alignant fiscalité, énergie, foncier et infrastructures. C’est à ce prix que l’investissement productif se déclenchera à l’échelle nécessaire pour changer la donne.

La visibilité est un actif : le formaliser dans la loi peut en faire un avantage compétitif.