Éclairage financier sur les résultats 2024 d’Esso S.A.F.

Clore l’année avec un profit de 107 millions d’euros après avoir cédé la raffinerie de Fos-sur-Mer, tout en maintenant des activités industrielles stratégiques, n’est pas anodin. Ce bilan financier d’Esso S.A.F. pour 2024 nous dévoile les coulisses d’un secteur confronté à de fortes variations de marges et de prix. Découvrez, chiffres à l’appui, comment le groupe a négocié ce virage.

Performance d’ensemble et grands enseignements

Malgré un contexte global marqué par des incertitudes géopolitiques et des fluctuations de la demande pétrolière, Esso S.A.F. présente des résultats qui traduisent la fin d’une période de marges de raffinage particulièrement élevées. Le résultat opérationnel du groupe s’établit à 74 millions d’euros, porté par un bénéfice ponctuel de 78 millions d’euros lié à la vente des activités de raffinage et de logistique dans le sud de la France. Les effets stocks sont positifs à hauteur de 11 millions d’euros, tandis que les effets de change opérationnels accusent un impact négatif de 17 millions d’euros.

En excluant les facteurs non récurrents (effets stocks, cession d’actifs et autres ajustements), l’EBITDA ajusté ressort à 58 millions d’euros. Cette performance ajustée, moins spectaculaire que celle de 2023, témoigne de la baisse marquée des marges de raffinage observée au second semestre 2024. L’exercice se clôture ainsi sur un résultat net de 107 millions d’euros (contre 677 millions un an plus tôt), et sur un résultat global de 98 millions d’euros après prise en compte de variations négatives sur les titres de participation et des écarts actuariels sur les avantages au personnel.

Au niveau bilanciel, les capitaux propres du groupe s’établissent à 2 251 millions d’euros fin 2024 (contre 2 344 millions fin 2023). Dans le même temps, la position financière nette passe de 1 015 millions d’euros à 1 493 millions d’euros, en grande partie grâce à la trésorerie générée par la vente d’actifs et l’évolution du flux de dividendes.

EBITDA : mesure la performance opérationnelle d’une entreprise avant la prise en compte des intérêts, des impôts et des dotations aux amortissements.
EBITDA ajusté : exclut les éléments considérés comme non récurrents (effets stocks, cessions d’actifs, etc.).
Résultat d’exploitation (EBIT) : intègre les dotations aux amortissements et les charges d’exploitation courantes.

Notons également que 50 millions d’euros ont été versés sur un fonds de pension dans le but de renforcer la prévoyance retraites des salariés, réduisant ainsi l’engagement de retraite non préfinancé du groupe à 336 millions d’euros à fin 2024.

En parallèle, la société Esso S.A.F. (entité opérationnelle majeure au sein du groupe) enregistre une baisse de son chiffre d’affaires, tombant à 17 554 millions d’euros en 2024, soit 7 % de moins que l’année précédente. Le résultat d’exploitation isolé d’Esso S.A.F. bascule dans le rouge (-82 millions d’euros) alors qu’il était bénéficiaire en 2023 (+584 millions). Sur le plan financier, les dividendes reçus d’entités non consolidées pèsent favorablement, permettant d’aboutir à un résultat financier de +79 millions d’euros. Toutefois, le résultat exceptionnel est négatif (36 millions d’euros) sous l’effet, entre autres, du coût de préfinancement des retraites (45 millions) et de dotations pour remise en état de sites industriels (7 millions). Au final, la société Esso S.A.F. affiche un résultat net de -1 million d’euros.

Malgré cette performance globale plus modeste qu’en 2023, le groupe maintient un dividende total de 53,00 euros par action, dont 3 euros « ordinaires » et 50 euros « exceptionnels » par titre. Avec 12 854 578 actions, cela représente un versement important pour les actionnaires, prévu pour juillet 2025.

Analyse des principaux ratios financiers

Pour vulgariser encore davantage la réalité économique, regardons quelques ratios simples mais éclairants sur la santé financière du groupe.

Marge brute indicative (marge brute / chiffre d’affaires)

Le concept de « marge brute » dépend souvent de l’approche retenue pour valoriser les coûts de production et de stockage. Cependant, à titre illustratif, si l’on reprend la notion de marge brute indicative de raffinage publiée par la DGEC (Direction générale de l'énergie et du climat), elle se chiffre à 44 €/tonne en moyenne pour 2024, contre 71 €/tonne en 2023. Cela marque clairement l’érosion de la profitabilité brute liée au raffinage, ce qui explique en grande partie la chute du résultat d’exploitation.

Marge d’exploitation (résultat d’exploitation / chiffre d’affaires)

Pour le groupe Esso S.A.F. consolidé, on constate un résultat opérationnel de 74 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 17 944 millions. La marge d’exploitation s’établit ainsi aux alentours de 0,4 % (74 / 17 944). C’est un net recul par rapport à 2023, où le résultat d’exploitation (668 millions pour 19 240 millions de CA) laissait apparaître une marge d’exploitation de 3,5 % environ. Chez Esso S.A.F. en standalone (i.e. hors périmètre de consolidation), l’écart est encore plus marqué : le résultat d’exploitation 2024 est négatif, ce qui ramène la marge d’exploitation en territoire négatif.

Rentabilité nette (résultat net / chiffre d’affaires)

Sur le périmètre consolidé, la rentabilité nette du groupe en 2024 est d’environ 0,6 % (107 / 17 944). En 2023, elle s’élevait à plus de 3,5 % (677 / 19 240). Cette diminution signifie que, pour chaque euro facturé, le profit final s’est réduit de manière importante, illustrant la normalisation de la conjoncture après deux années jugées exceptionnellement favorables.

Ratio d’endettement et position financière nette

Le bilan affiche une position financière nette positive de 1 493 millions d’euros, contre 1 015 millions l’année précédente. Cette progression consolide la capacité d’autofinancement et la solidité de la trésorerie du groupe. Simultanément, la dette financière (incluant retraites non préfinancées) demeure soutenable, surtout avec l’amélioration continue de la situation de trésorerie brute et la réduction des passifs de retraite futurs.

Bon à savoir : définitions sur la “position financière nette”

La position financière nette correspond au total des liquidités et des placements de trésorerie, diminué de l’endettement financier brut. Un solde positif signale que l’entreprise peut couvrir sa dette et disposer encore de fonds pour investir.

Tableau récapitulatif des données clés

Pour faciliter la lecture, voici quelques informations consolidées sur l’année 2024, comparées à 2023, sous forme de tableau synthétique.

Indicateur

Exercice 2024 Exercice 2023 Évolution Remarque
Chiffre d'affaires consolidé 17 944 M€ 19 240 M€ -1 296 M€ Baisse de 7%
Résultat opérationnel 74 M€ 668 M€ -594 M€ Effet cession Fos & stock
Résultat net part du groupe 107 M€ 677 M€ -570 M€ Normalisation marges
EBITDA ajusté 58 M€ 964 M€ -906 M€ Baisse de marge
Position financière nette 1 493 M€ 1 015 M€ +478 M€ Hausse forte

Forces, faiblesses et leviers d’amélioration

Forces :

  • Une situation de trésorerie solide : la position financière nette positive de près de 1,5 milliard d’euros atteste d’un matelas de sécurité qui réduit le risque de liquidité.
  • Des actifs industriels de pointe : malgré la cession de Fos-sur-Mer, la raffinerie de Gravenchon demeure une installation réputée pour sa flexibilité de production.
  • Une politique d’allocation de capital cohérente : le groupe n’hésite pas à céder des actifs jugés moins stratégiques, tout en assurant une distribution élevée à ses actionnaires.

Faiblesses :

  • Forte dépendance à la conjoncture pétrolière : la baisse soudaine des marges illustre la vulnérabilité du groupe aux fluctuations cycliques.
  • Résultat d’exploitation en territoire négatif chez Esso S.A.F. : hors effets stocks, la baisse de 846 millions d’euros du résultat d’exploitation démontre une contraction violente des marges.
  • Engagements de retraite encore élevés : malgré un versement de 50 millions d’euros, plus de 300 millions d’euros de passif restent à couvrir.

Leviers d’amélioration :

  • Optimisation des coûts : mise en place de plans de maintenance et d’optimisation logistique pour stabiliser la marge brute.
  • Diversification des productions : accent sur les activités de spécialités (lubrifiants, paraffines) et les carburants à moindre empreinte carbone pour répondre à la transition énergétique.
  • Poursuite du désendettement ou d’investissement : le cash-flow disponible pourrait être en partie alloué à des investissements dans les énergies nouvelles, ou être consacré au renforcement du bilan.

Retour sur le dividende et traitement fiscal

Esso S.A.F. maintient donc un dividende total de 53 € par action (3 € normal + 50 € exceptionnel). Si le groupe disposait l’an passé d’un dividende net de 15 € (exercice 2023), cette hausse considérable pour 2024 reflète la volonté du management d’offrir un retour substantiel aux actionnaires, en dépit d’un contexte opérationnel difficile.

Depuis le 1er janvier 2018, les dividendes versés sont soumis à un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 12,8 % + 17,2 % de prélèvements sociaux, soit 30 % au total. L’option au barème progressif reste possible, avec abattement de 40 % pour les dividendes encaissés par les résidents fiscaux français.

Le détachement du dividende (c’est-à-dire la date à laquelle l’action est négociée « ex‑dividende ») est prévu au 8 juillet 2025, et le paiement au 10 juillet 2025. Autant dire que l’année 2024 aura été marquée par une gestion très proactive de la trésorerie : l’encaisse disponible sert autant à rémunérer l’actionnaire qu’à préfinancer certains engagements de retraite.

Zoom sur l’histoire et le modèle d’affaires du groupe Esso S.A.F.

Esso S.A.F. est présente en France depuis 1902. Sur plus d’un siècle, elle a constamment adapté sa stratégie industrielle et commerciale pour devenir un acteur clé du raffinage et de la distribution pétrolière. Jusqu’à la vente de la raffinerie de Fos-sur-Mer (effective le 1er novembre 2024), le groupe exploitait environ un tiers de la capacité active de raffinage de pétrole dans l’Hexagone.

Le groupe s’est structuré autour de deux segments principaux :

  • Produits énergétiques : gaz, essences, gazole, kérosène, etc. Les ventes ont totalisé 21,0 millions de m³ en 2024 pour la France et l’export.
  • Produits de spécialités : huiles de base, lubrifiants finis, paraffines, bitumes, avec environ 1,2 million de m³ vendus.

Pour déployer son offre, la société s’appuie sur :

  • la raffinerie de Gravenchon (Normandie) d’une capacité de 12 millions de tonnes de brut ;
  • sa logistique intégrée (pipelines, stockages) ;
  • une force de vente directe ;
  • un réseau de revendeurs et de distributeurs indépendants pour les carburants et les lubrifiants.

Ce modèle, réputé pour son efficacité, doit toutefois se repenser à l’heure de la transition énergétique : baisse progressive de la consommation de gazole, accroissement des produits à plus faible empreinte carbone et diversification vers des solutions répondant à des normes environnementales plus exigeantes.

Le marché pétrolier : un cadre en pleine évolution

En 2024, le marché international a été traversé par deux grandes tendances :

  • Stratégie de l’OPEP+ : réduction de la production (2,5 millions de barils/jour), ce qui a maintenu les prix à un niveau relativement élevé jusqu’au printemps.
  • Ralentissement économique : la demande mondiale est passée à 104,8 millions de barils/jour, un léger ralentissement par rapport aux hausses post-pandémiques. Les tensions au Moyen-Orient (Iran-Israël) ont aussi créé des à-coups sur le marché, provoquant une volatilité notable.

En France, la consommation de produits pétroliers a atteint 64,7 millions de tonnes, soit une baisse de 0,2 % par rapport à 2023. Les variations sectorielles sont toutefois contrastées : la demande en supercarburants bondit de 7 %, le gazole chute de 3,3 %, le kérosène augmente de 6,5 %. Cette segmentation, souvent portée par les tendances de mobilité et de logistique, affecte directement la production et la distribution d’Esso S.A.F.

Contexte sur la consommation de carburants en France

L’hybridation des véhicules (essence + électricité) devient le principal moteur de la recomposition du marché automobile. Malgré un recul global des immatriculations, les hybrides progressent. Le gazole, quant à lui, poursuit sa lente décroissance, confirmant un tournant historique pour la filière.

Recommandations et analyse prospective

Dans un secteur en profonde mutation, Esso S.A.F. semble privilégier un mix d’actions :

  • D’une part, une stratégie d’optimisation des actifs existants : la cession de Fos-sur-Mer s’inscrit dans une logique de rationalisation de l’outil de production.
  • D’autre part, une politique de restructuration du portefeuille pour pouvoir maintenir des dividendes élevés tout en renforçant ses réserves de trésorerie.

Du point de vue de la rentabilité, l’entreprise devra :

  1. Surveiller de près les effets de change et la volatilité des cours du brut : un impact de 17 millions d’euros négatif peut peser lourd sur les résultats en période de faibles marges.
  2. Continuer à diversifier l’offre : focaliser la production sur des spécialités et des produits à plus forte valeur ajoutée peut contribuer à compenser la faiblesse des marges de carburant.
  3. Rééquilibrer la charge de retraites : la prévoyance renforcée de 50 millions d’euros ne suffira peut-être pas à stabiliser définitivement le passif de 336 millions en engagements non couverts.

En outre, dans un environnement où l’électrification du parc automobile prend de l’ampleur, une stratégie de repositionnement sur d’autres segments (biocarburants, hydrogène, produits chimiques bas carbone) pourrait figurer à l’agenda du groupe. Même si Esso S.A.F. reste très attaché à ses métiers pétroliers, aucune multinationale du secteur ne peut ignorer la montée des énergies alternatives.

Une voie d’évolution prometteuse

L’année 2024 s’est révélée charnière pour Esso S.A.F. : l’entreprise a vu ses marges s’éroder brutalement, mais a su capitaliser sur la vente d’une partie de ses activités et consolider sa position financière. Entre la stabilité du bilan, la volonté de verser un dividende substantiel et la recherche de nouveaux relais de croissance, le groupe démontre une certaine agilité dans un contexte changeant.

Ces chiffres et tendances laissent présager qu’Esso S.A.F. aura encore à naviguer à vue sur un marché pétrolier incertain, tout en réfléchissant à de nouvelles opportunités énergétiques pour prolonger son héritage industriel plus que centenaire.