Séisme politique : la démission de Lecornu rebalance les marchés
La démission de Sébastien Lecornu soulève des inquiétudes sur la stabilité économique et impacte le CAC 40, avec une prime de risque en hausse.

En vingt-quatre heures, Matignon a changé de cap. Nommé le 5 octobre 2025, Sébastien Lecornu a présenté sa démission dès le 6 octobre, décision prise acte par l’Élysée et confirmée officiellement. Ce choc politique ne relève pas de l’anecdote : il rebat les cartes du risque perçu par les investisseurs et ravive la question de la stabilité de la trajectoire économique et budgétaire française.
Séquence politique et choc de confiance chez les investisseurs
L’annonce de la nomination de Sébastien Lecornu puis sa démission acceptée le lendemain constituent un enchaînement inhabituel, et surtout un signal de volatilité pour les places financières. Le message central perçu par les marchés est celui d’une gouvernance en recomposition, susceptible de retarder les arbitrages budgétaires et les réformes attendues par les entreprises.
Sur le plan institutionnel, la confirmation publiée par les services de l’État apporte un socle d’information fiable, mais elle ne s’accompagne pas, à ce stade, de précisions sur l’agenda économique. Or, pour les investisseurs, la visibilité prime : trajectoire de finances publiques, politique industrielle, cap énergétique, fiscalité de production et stabilité réglementaire conditionnent la valeur des actifs français.
Ce que confirme la communication officielle
• Nomination de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre le 5 octobre 2025.
• Démission le 6 octobre 2025, acceptée par le président de la République.
• Communiqué public confirmant les décisions, sans éléments de calendrier économique additionnel.
Ce décalage entre validation institutionnelle et incertitude programmative explique la prudence immédiate des opérateurs. Les fonds actions, obligataires et multi-classes d’actifs réévaluent leurs scénarios de risque, avec un impact direct sur les prix et sur la liquidité.
CAC 40 sous pression : arbitrages défensifs et prime de risque en hausse
Les premières cotations ont reflété une lecture sans détour du risque politique. D’après la presse économique, le CAC 40 a reculé d’environ 2 % le lundi suivant l’annonce, point de départ d’une phase plus heurtée où les volumes se sont tendus et les écarts se sont élargis dans plusieurs compartiments, notamment banque et assurance (Le Figaro, 6 octobre 2025).
Les séances suivantes ont montré un marché hésitant : peu d’écart d’ouverture, mais une pente de fond baissière entretenue par les flux vendeurs et un manque de catalyseurs macro. La mécanique est classique.
Lorsque la visibilité politique recule, la prime de risque actions monte, et ce sont d’abord les valeurs les plus cycliques et les secteurs régulés qui payent cet ajustement. À cela s’ajoute la sensibilité propre à la place parisienne : pondérations significatives de la finance, de l’énergie et du luxe, trois blocs très réactifs aux chocs de confiance.
• Hausse de l’incertitude sur l’agenda des réformes et le cap budgétaire.
• Repricing de la prime de risque actions, spread de crédit plus large.
• Rotation sectorielle vers les défensives, ajustement des multiples dans les cycliques.
• Réduction temporaire de la liquidité sur certaines valeurs, volatilité implicite en hausse.
Le discours préventif d’analystes relayé par L’Express s’est aussi installé dans le débat : éviter la « chute sans fin » suppose des signaux rapides et crédibles sur la gouvernance économique. À défaut, les investisseurs étrangers réduisent l’exposition tactique aux actifs français, phénomène courant en période de stress politique.
BNP Paribas et Société Générale : exposition au CAC 40
Le compartiment bancaire pèse mécaniquement sur l’indice à court terme. Les banques, indexées à la conjoncture domestique et au prix du risque souverain, voient leur coût de financement évoluer avec la prime appliquée aux émetteurs français.
Elles sont aussi sensibles au rythme de croissance, qui conditionne production de crédit, coût du risque et valorisation. Pour les investisseurs, ce couple croissance potentielle + coût du capital agit comme une double contrainte sur les multiples.
OAT en tension : spreads élargis et vigilance sur la soutenabilité
Au-delà des actions, l’onde de choc se lit immédiatement sur le souverain. Les rendements des obligations d’État françaises se sont tendus, tandis que l’écart de taux avec l’Allemagne s’est élargi, signe d’une défiance accrue et d’une demande de rémunération plus élevée pour détenir de la dette française. Les autorités de marché surveillent ces mouvements mais ne publient pas de données en temps réel, ce qui laisse aux investisseurs la tâche d’agréger les sources disponibles.
Sur le fond, une hausse des rendements OAT est interprétée de deux manières par les gérants : risque politique immédiat et question de la trajectoire budgétaire à moyen terme. Les projections et engagements seront déterminants pour refermer l’écart avec les pairs de la zone euro.
• L’écart OAT-Bund mesure la prime de risque spécifique à la France par rapport à l’Allemagne.
• Un élargissement traduit une perception accrue d’incertitudes politiques, budgétaires ou macro.
• Le retour à la normale repose sur un faisceau de signaux : trajectoire de déficit crédible, stabilité réglementaire, cohérence entre annonces et exécution.
Les salles de marché guettent aussi les conséquences sur le secondaire crédit : lorsque le souverain se dégrade, une partie des émetteurs corporates domestiques subit, par ricochet, un ajustement de spread. Le financement de projets d’investissement et les plans de refinancement à court terme peuvent alors renchérir, ce qui affecte la profitabilité future.
Points techniques à surveiller côté obligataire
• Courbe OAT : pentification potentielle si la prime de terme augmente.
• Appétit des non-résidents : signal sur la profondeur de marché.
• Couverture de change pour les investisseurs hors zone euro : variable clé des flux.
Entreprises françaises : planification financière et ralentissement possible des décisions d’investissement
La volatilité politique dégrade une ressource intangible mais cruciale pour l’entreprise : la visibilité. Les directions financières privilégient alors la discipline de trésorerie, l’allongement des scénarios de stress et, souvent, un décalage des décisions d’investissement lourdes tant que les repères macro et réglementaires ne sont pas consolidés.
Le récit économique récent reste celui d’une croissance modérée en 2024 selon les statistiques nationales, ce qui plaide pour des arbitrages prudents. Le risque, souligné par plusieurs analyses économiques, est le cumul de chocs : cycle mondial incertain, resserrement financier graduel et, désormais, instabilité politique. Cette combinaison pèse sur le coût du capital et, par ricochet, sur la valorisation des projets.
ETI industrielles : capex calibré et sensibilité au coût de la dette
Dans l’industrie, l’investissement productif dépend d’un couple simple : visibilité de la demande et coût de financement. Une remontée des spreads, même temporaire, peut conduire à rephaser le capex, reporter certaines extensions d’outil et renégocier des conditions bancaires. Les chaînes d’approvisionnement, déjà normalisées après les goulets d’étranglement, supportent mal une imprévisibilité prolongée des politiques publiques.
Tech française : feuille de route R&D et arbitrage de croissance
Les entreprises de la tech, souvent en phase d’expansion, observent le coût des fonds propres avec attention. Une perception plus risquée de l’environnement domestique peut renchérir la levée de capital, pousser à des tours plus dilutifs ou déplacer des plans d’embauche. La qualité du cadre réglementaire et la constance des dispositifs de soutien à l’innovation pèsent ici autant, sinon plus, que la conjoncture trimestrielle.
• Les hypothèses de business plan se durcissent, avec des scénarios bas plus pénalisants.
• Les clauses MAC (material adverse change) reviennent au premier plan dans la documentation.
• Les méthodes d’actualisation intègrent une prime de risque pays plus élevée, ce qui peut réduire le prix offert.
Obligations des sociétés cotées en période d’instabilité
• Communication financière sous le règlement Abus de marché : toute information privilégiée doit être divulguée sans délai, à moins de bénéficier d’un report encadré.
• Profit warnings ou retraits d’objectifs : à privilégier si la visibilité est trop faible, en gardant une information claire et symétrique pour tous les investisseurs.
• Gouvernance : rôle renforcé des comités d’audit et des risk committees pour recalibrer les hypothèses de planification.
Ce que les marchés attendent des autorités : cap budgétaire, clarté réglementaire et exécution
Pour restaurer la confiance, trois leviers sont identifiés par la communauté financière. D’abord, une trajectoire budgétaire lisible, avec un calendrier et des jalons de suivi.
Ensuite, une stabilité réglementaire dans les secteurs intensifs en capital, où tout revirement pèse sur les coûts et la rentabilité. Enfin, une communication cohérente et régulière permettant d’ancrer les anticipations et de réduire la volatilité des séances.
Le rôle du régulateur est également scruté. Sans publier de données instantanées, l’Autorité des marchés financiers peut accroître la pédagogie sur les mécanismes de marché, rappeler les bonnes pratiques de communication des émetteurs et accompagner la résilience microstructurelle du marché français. Du côté des investisseurs institutionnels, la stabilité des règles du jeu compte autant que la direction chiffrée des agrégats macro.
- Trajectoire de finances publiques : cadrage pluriannuel, jalons de revue, articulation avec les engagements européens.
- Cadre pro-investissement : fiscalité de production, capex vert, simplification administrative pour accélérer l’exécution.
- Énergie et climat : visibilité sur les tarifs et les mécanismes de soutien pour sécuriser les modèles d’affaires intensifs en énergie.
- Marché du travail et compétences : assurer la continuité des dispositifs qui soutiennent l’employabilité et la mobilité des talents.
• Présentation des grandes lignes budgétaires : signal d’intention et cohérence macro.
• Rendez-vous avec les partenaires sociaux et les filières : prévisibilité réglementaire sectorielle.
• Passerelles européennes : articulation avec la BCE et le cadre UE, essentielle pour la prime de risque.
Une trajectoire à sécuriser pour éviter la propagation macro-financière
La démission de Sébastien Lecornu, officialisée le 6 octobre, a agi comme un révélateur : la stabilité politique est devenue une variable financière. Les premiers mouvements sur le CAC 40 et sur les obligations d’État en ont donné la mesure. Reste à transformer l’épisode en séquence constructive, avec un cap explicite, des jalons lisibles et une exécution crédible.
Le retour d’une boussole claire réduira la prime de risque, réactivera l’investissement et permettra aux entreprises françaises d’aligner capital, innovation et croissance sur un horizon redevenu prévisible.