Le cash n’est plus un simple indicateur de pilotage : il conditionne la marge, le financement et la continuité d’exploitation. Dans les entreprises françaises, une fonction sort du lot pour le protéger avec méthode et résultats mesurables : le credit management. Derrière ce terme, une capacité opérationnelle à sécuriser la vente de bout en bout, à transformer la facturation en encaissement et à contenir le risque client sans brider la croissance.

Le coût du cash grimpe, le risque client se complexifie

Inflation persistante, tension sur les taux d’intérêt, renchérissement des coûts d’achat : l’argent immobilisé devient un fardeau. Le coût d’opportunité d’un jour de DSO en plus n’a jamais été aussi élevé, surtout pour les PME et ETI qui financent leurs besoins en fonds de roulement à crédit.

À cela s’ajoute une hausse du risque de défaillances dans plusieurs secteurs B2B, combinée à des comportements de paiement hétérogènes. Les directions financières privilégient désormais les ventes réellement encaissées, arbitrant plus finement l’allocation des encours et la gestion des litiges.

Dans cette nouvelle donne, le credit management n’est pas un centre de coûts. C’est un levier de marge et de liquidité, capable de réduire les retards en agissant là où se joue l’essentiel : en amont des commandes, au moment de la contractualisation et dans la précision des flux de facturation et de relance.

Rappel légal sur les délais de paiement en France

Le Code de commerce encadre strictement les délais interentreprises : 60 jours à compter de la date d’émission de la facture ou 45 jours fin de mois si prévu contractuellement. Tout retard déclenche l’indemnité forfaitaire de 40 euros pour frais de recouvrement, en plus des pénalités de retard.

Les manquements graves peuvent être sanctionnés d’amendes administratives jusqu’à 2 millions d’euros pour une personne morale. Ces règles sont opposables et contrôlées par la DGCCRF.

Credit management : de l’appétit pour le risque à l’encaissement final

Le périmètre ne se limite pas aux relances. Un credit manager efficace pilote tout le cycle order-to-cash : ouverture de compte, scoring opérationnel, limites d’encours, structuration des conditions de paiement, contrôle de la facturation, relances, gestion des litiges et cash application.

Cette fonction se situe au croisement de la finance, du juridique et du commercial. Son rôle est d’arbitrer le risque sans détruire le chiffre d’affaires : requalifier un prospect fragile, négocier des garanties, activer une couverture d’assurance-crédit, structurer un échéancier sécurisé ou ajuster les incoterms et jalons de facturation quand c’est pertinent.

La remontée d’informations de terrain renforce les analyses : les signaux faibles récoltés par les commerciaux et les équipes delivery complètent les états financiers et les scores externes. Un rendez-vous qui s’annule à répétition, un turn-over dans la direction financière cliente, un changement d’actionnariat : ces indices, suivis et tracés, orientent les décisions d’octroi.

Le DSO, Days Sales Outstanding, mesure le délai moyen d’encaissement. Il se calcule classiquement par la formule : créances clients / chiffre d’affaires TTC x 360. Bonnes pratiques : isoler l’impact des litiges, neutraliser la saisonnalité, suivre un best possible DSO hors impayés anormaux, et lier l’indicateur à un plan d’action précis par segment de clients.

L’expérience du credit manager compte. Dans un cycle marqué par l’incertitude, on attend des prévisions d’encaissements fiables à court et moyen termes, assorties de plans de mitigation. Ces projections sont décisives pour négocier l’affacturage au bon niveau de financement, arbitrer un tirage sur PGE encore en cours ou calibrer la trésorerie court terme auprès des banques.

Assurance-crédit : protection contre l’insolvabilité client, avec limites affectées et clauses de prévention. Affacturage : financement des créances et externalisation partielle des relances.

Garanties : cautions, garanties à première demande, garanties de bonne fin. Un credit manager aguerri combine ces leviers en fonction de la qualité du portefeuille et des marges, sans substituer les outils à l’analyse crédit.

Qualité des données et processus : l’usine order-to-cash doit être irréprochable

Une part substantielle des retards est auto-générée. Entre 45 et 50 % des échéances payées en retard trouvent leur cause dans des dysfonctionnements internes : factures non conformes, bons de commande absents, adresses erronées, jalons contractuels mal renseignés ou preuves de service non tracées.

Le credit management agit en amont. Structurer l’ouverture de compte, consigner les références de facturation du client, valider les portails fournisseurs, clarifier les modalités d’acceptation des livrables : autant de gestes qui évitent le litige après coup. Mieux vaut prévenir que recouvrer.

Les outils ne résolvent pas des processus défaillants. La structuration prime la technologie : référentiel client propre, étapes d’approbation écrites, matrice de responsabilités entre commerce, ADV et finance, seuils de blocage explicites, règles de relance normalisées. Un logiciel de credit management bien paramétré amplifie l’efficacité, mais il ne compensera jamais des données incorrectes.

Clause contractuelle utile pour protéger le cash

Intégrer systématiquement : délais de paiement conformes au Code de commerce, pénalités de retard, indemnité forfaitaire, conditions de facturation (jalons, documents requis, portail), modalités de validation de service fait, clause de réserve de propriété pour les biens corporels, et mécanismes de blocage en cas d’impayés. L’anticipation contractuelle réduit mécaniquement les litiges.

La data devient un actif : suivi des comportements de paiement par industrie, repérage des comptes sensibles, benchmarks internes entre BU, et usage parcimonieux de l’analytique prédictive pour mettre en priorité les relances à plus forte probabilité d’encaissement. La décision finale reste humaine : l’œil du credit manager qualifie l’exception.

Pédagogie et gouvernance : acculturer l’entreprise à la réalité du cash

La culture cash ne se décrète pas. Elle se construit par la pédagogie et par des règles de jeu claires. Le crédit client n’est pas l’ennemi du développement commercial : il en est la condition de pérennité. Former les équipes vente aux impacts financiers des remises, des délais et des avoirs change la donne.

Les directions générales qui réussissent fixent des objectifs partagés et une gouvernance simple : comité cash mensuel, indicateurs communs, rôles écrits pour les relances de premier niveau, intervention graduée du commerce jusqu’au précontentieux. La transparence crée l’adhésion.

Le blocage temporaire d’un compte, l’alerte en amont sur une dérive d’échéances, l’ajustement d’une limite de crédit : ces gestes gagnent en légitimité quand ils sont portés collégialement par la finance et le commerce, et soutenus par la direction générale.

Bon point d’équilibre : confier au commercial la relance relationnelle en première intention sur les comptes clés et l’escalade avant contentieux, tout en laissant au credit management la planification des actions et la négociation des garanties. Des incentives liés à l’encaissement sur certaines primes peuvent accélérer l’alignement.

Pilotage chiffré et industrialisation : le tableau de bord qui fait foi

Pour sortir des intentions, il faut mesurer. Un jeu d’indicateurs réduit mais robuste permet d’orchestrer les priorités et d’ancrer les résultats : DSO, retards par tranche d’âge, taux de factures non conformes, litiges ouverts et temps de résolution, couverture d’assurance-crédit, exposition non couverte, part des comptes en blocage, et pourcentage de règlements lettrés automatiquement.

Le compte à rebours démarre dès la signature : objectif de facturation à J+X, relance proactive à J-15, relance courtoise à J+3, formelle à J+15, mise en demeure à J+30. Les outils de CRM et de credit management fluidifient l’exécution de ce scénario, mais la valeur vient de la cohérence des règles et de la discipline d’application.

Quand l’approche est industrialisée, les gains sont significatifs et tangibles, comme l’attestent les cas concrets ci-dessous.

Groupe paredes : stratégie et résultats

Le spécialiste français des produits d’hygiène et de protection professionnelles a engagé une refonte de son order-to-cash. Le chantier a combiné structuration des processus, montée en compétences des équipes, déploiement d’un lettrage automatique puis d’une plateforme de relance, et acculturation des forces commerciales au cash.

Résultat : un effet ciseau marqué. Les retards clients sont passés d’environ 16 millions d’euros à 5 millions d’euros, avec une chute des montants de plus de 30 jours d’environ 10 millions d’euros à 1,5 million d’euros. Le DSO a été divisé par presque trois, de 22 jours à 7,6 jours, avec 2,4 jours pour la tranche de plus de 30 jours.

Au-delà des chiffres, l’entreprise observe un assainissement de la relation clients et une meilleure prévisibilité des encaissements. L’outil a joué son rôle, mais c’est la pédagogie systématique et le support de la direction qui ont fait la différence.

Métriques Valeur Évolution
DSO global 22 j → 7,6 j -65 % environ
Retards clients 16 M€ → 5 M€ -11 M€
Montants > 30 jours 10 M€ → 1,5 M€ -85 %
Temps consacré à la saisie 100 % → 1 h/jour automatisation

Sqli : pilotage de proximité avec la force de vente

Chez SQLI, le credit management a déporté une partie de son action sur le terrain. La connaissance fine des interlocuteurs côté client, le contrôle des documents contractuels, la vérification des jalons de facturation et une présence accrue auprès des commerciaux ont fluidifié l’encaissement.

L’équipe s’appuie sur une matrice d’intervention écrite : qui décide, qui relance et à quel moment. La réactivité a été renforcée et les comptes sensibles sont traités plus tôt, avant que les retards ne s’empilent.

Epsa : le credit manager comme business partner

Chez EPSA, la fonction s’est déplacée en amont des ventes. Le crédit prend part aux négociations financières, cadre les délais de paiement et sécurise la formalisation contractuelle. Ce modèle de business partner réduit les frictions post-facturation et accélère la trésorerie.

Le positionnement change la relation interne : le credit manager n’est plus perçu comme un frein, mais comme un facilitateur de marge et de cash, capable d’obtenir des conditions soutenables pour les deux parties.

Outillage ciblé et ia frugale : ce qui marche vraiment

La digitalisation du poste clients permet de gagner du temps et de fiabiliser l’exécution. Deux briques sont devenues standards : le lettrage automatique des règlements et un outil de relance paramétrable qui priorise les actions et trace les interactions.

Les promesses d’IA ne doivent pas occulter l’essentiel : l’algorithme n’explique pas un retard. Il hiérarchise et suggère. La valeur provient de l’analyse crédit, des arbitrages et des négociations. La technologie a un rôle d’accélérateur, pas de décisionnaire.

Les équipes les plus efficaces adoptent une approche frugale : elles préparent soigneusement le paramétrage, auditent leur fichier clients, standardisent les scénarios, et contrôlent l’exécution. Le gain de productivité libère du temps pour les relances complexes et les dossiers à enjeux.

Indicateurs de pilotage à suivre chaque semaine

  • Encours total et exposition non couverte, par segment et par pays.
  • DSO best possible et DSO observé, avec écart expliqué.
  • Taux de factures non conformes et top 10 des causes racines.
  • Retards par tranches d’âge, comptes sensibles, actions prévues.
  • Litiges ouverts et durée moyenne de résolution.

Risques émergents et arbitrages : intégrer le climat et la supply chain

Le périmètre de l’analyse crédit s’élargit. Les risques de fraude se multiplient avec les faux comptes et les détournements de RIB. La sécurisation des référentiels et la validation des coordonnées bancaires sur canaux indépendants deviennent non négociables.

Autre angle nouveau : l’exposition au risque climatique et les aléas d’exploitation qui en découlent. Les secteurs sensibles aux épisodes extrêmes peuvent présenter des risques ponctuels de trésorerie. Les credit managers les plus avancés cartographient désormais ces facteurs, même si les notations externes intègrent encore imparfaitement ces dimensions.

Enfin, les risques fournisseurs à l’amont du cycle ventes peuvent impacter la facturation. Avances fournisseurs, clauses de compensation et pilotage des stocks critiques sont examinés conjointement par les achats et la finance. L’objectif : éviter que des retards d’approvisionnement ne se transforment en DSO allongé.

  1. Retards récurrents de validation des livrables ou des réceptions.
  2. Évolution brusque des interlocuteurs finance et achats.
  3. Demande d’allongement des délais sans justification économique solide.
  4. Signaux négatifs provenant d’autres fournisseurs ou du réseau.
  5. Usage intensif de portails avec rejets fréquents des factures.

Ces marqueurs déclenchent une revue d’encours et, si nécessaire, une adaptation des conditions commerciales.

Capacités clés du credit manager moderne

Le profil combine technique, influence et conduite du changement. Compétences financières et juridiques pour l’analyse crédit et la sécurisation contractuelle. Aisance de communication pour embarquer les ventes et dialoguer avec les directions financières des clients.

Ajoutez une dimension chef de projet pour piloter les déploiements d’outils et l’amélioration continue des processus, et une curiosité digitale pour exploiter les données sans perdre de vue l’essentiel : l’encaissement net et la marge.

La filière se professionnalise. Les parcours gagnants passent par la formation et par la pratique. Les structures qui internalisent la fonction et lui donnent un mandat clair obtiennent les résultats les plus durables.

Trois décisions à effet immédiat

  • Écrire la politique crédit : limites d’encours, escalades, blocages, responsabilités.
  • Standardiser les documents contractuels et les jalons de facturation.
  • Lancer la relance proactive à J-15 avec scénarios segmentés et suivi hebdomadaire.

Mettre l’entreprise en mode encaissement

Le retour au réel impose une discipline de cash. Les cas concrets le prouvent : un credit management professionnel et structuré réduit rapidement le DSO, assainit les relations commerciales et améliore la visibilité de trésorerie. Les directions financières gagnent en puissance de négociation face aux financeurs.

Reste à maintenir l’effort et à élargir le spectre d’analyse : fraude, climat, supply chain, comportements sectoriels. Le cash est une course d’endurance : elle se gagne par la cohérence des règles, la qualité des données et la pédagogie interne, plus que par la technicité des outils.

La protection du cash repose sur un trio simple et exigeant : des processus clairs, des équipes dédiées et une culture partagée qui transforme chaque facture en encaissement sécurisé.