Faute de consensus politique, la bataille du budget 2026 s’annonce comme un test stratégique pour l’économie française. En présentant un plan d’économies de grande ampleur, François Bayrou a activé une ligne de crête où réduction du déficit, croissance et stabilité sociale se heurtent. Derrière les slogans sur la rigueur utile, une question s’impose : l’austérité peut-elle vraiment soutenir l’activité ou prépare-t-on un nouveau cycle de sous-investissement et de fragilité macroéconomique ?

Un cap budgétaire offensif sans majorité solide

Les grandes lignes annoncées mi-juillet pour le budget 2026 misent sur 43,8 milliards d’euros d’économies. La séquence a été assumée comme un tournant pour crédibiliser la trajectoire des finances publiques et rassurer les marchés, avec une communication structurée le 15 juillet et une volonté affichée de ramener le déficit sous contrôle dès 2026, sans coalition stable à l’Assemblée nationale (Le Monde et LCP, juillet 2025).

Politiquement, la fragilité est immédiate. Rassemblement national, La France insoumise et Parti socialiste ont évoqué une possible motion de censure. L’équation se tend donc sur deux fronts : technique, avec le calibrage des mesures et leurs effets macroéconomiques, et institutionnelle, faute de majorité absolue pour sécuriser la trajectoire.

Les annonces s’inscrivent dans une logique d’assainissement rapide sur la base d’agrégats jugés préoccupants. Le déficit public viserait une décrue mesurable dès 2026, avec des choix budgétaires affirmés côté dépenses. Cette approche s’oppose à une partie du monde académique pour qui le désendettement français nécessite d’abord une relance de l’investissement productif afin d’accroître la base taxable et la compétitivité.

Motion de censure en pratique

En droit parlementaire français, une motion de censure peut être déposée par au moins un dixième des députés. Elle est adoptée si elle réunit la majorité absolue des membres de l’Assemblée nationale. En cas d’adoption, le gouvernement est renversé. L’hypothèse devient crédible lorsque le climat politique se crispe autour de mesures budgétaires lourdes.

Sur le plan budgétaire, les arbitrages porteront, selon les éléments mis sur la table, sur davantage de sobriété dans la dépense et une révision ciblée de dispositifs considérés comme coûteux ou peu efficaces. Le calibrage final, qui fera l’objet de discussions jusqu’à l’automne, dépendra d’un jeu parlementaire incertain et de l’attitude des partenaires sociaux.

Le pari gouvernemental sur la croissance contesté

Le 15 juillet, lors d’une intervention télévisée, Éric Lombard a défendu l’orientation générale en soutenant que la lutte contre le déficit serait favorable à la croissance. La formule, choc et assumée, a immédiatement suscité une intense controverse dans la communauté des économistes.

Dans un billet de réaction, l’économiste Jonathan Marie, proche des Économistes atterrés, réfute l’idée que l’austérité puisse accélérer l’activité. Il rappelle que, dans un contexte de demande privée fragile et de resserrement monétaire, réduire la dépense publique agit mécaniquement à la baisse sur le PIB. Cet argument reprend un point clef de la littérature : le signe et l’ampleur de l’effet multiplicateur dépendent du contexte macroéconomique général, notamment de la politique monétaire.

Concrètement, deux logiques s’opposent. D’un côté, la thèse d’une discipline budgétaire restauratrice de confiance qui, en abaissant la prime de risque, soutiendrait l’investissement et la consommation via des taux plus bas et des anticipations positives. De l’autre, l’analyse selon laquelle la contraction budgétaire se transmet directement aux revenus des ménages, aux commandes aux entreprises et à l’emploi, réduisant la demande et la production.

La recherche empirique converge sur un point-clé : quand la politique monétaire ne compense pas la rigueur budgétaire, les multiplicateurs sont plus élevés. En pratique, si les taux restent hauts ou si la banque centrale priorise la lutte contre l’inflation, l’impact récessif des coupes est plus marqué. À l’inverse, en période d’expansion avec des taux qui peuvent baisser, le multiplicateur peut être plus faible, voire proche de zéro selon la composition des mesures.

La difficulté tient donc au timing. La séquence 2025-2026 s’inscrit après une phase de hausses rapides des taux directeurs.

La BCE a d’abord combattu l’inflation post-pandémie et post-choc énergétique. Le retour à une inflation plus maîtrisée ne signifie pas, à court terme, une normalisation intégrale des conditions financières. Le pari de politiques budgétaires restrictives sous contraintes monétaires repose ainsi sur une hypothèse exigeante : la confiance des investisseurs suffirait à compenser la perte d’activité domestique.

Multiplicateurs budgétaires : chaînes de transmission concrètes

Les débats théoriques sur le multiplicateur deviennent parlants lorsque l’on suit le circuit de la dépense dans l’économie réelle. Une coupe de crédits dans un ministère réduit immédiatement les commandes publiques aux entreprises et le recours à des prestataires.

Ces acteurs, moins sollicités, ajustent leurs effectifs ou renoncent à des investissements. La baisse de leurs revenus se traduit en moindres achats auprès d’autres fournisseurs.

Du côté des ménages, la masse salariale publique constitue un socle de revenus. Si les mesures touchent les recrutements, les primes, les remplacements ou certains éléments indemnitaires, la capacité de dépense des agents fléchit, surtout dans les territoires où la présence de l’État et des collectivités est structurante. Cela ralentit la consommation locale, en particulier dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre comme le commerce, la restauration ou les services à la personne.

Les investissements publics ont également un rôle d’entraînement. Reporter une rénovation scolaire, une mise aux normes hospitalières ou une infrastructure de mobilité retarde l’activité de filières entières. Effet collatéral : les entreprises concernées voient leur carnet de commandes s’éroder, puis leur productivité potentielle reculer si elles renoncent à moderniser leurs équipements en réaction à la baisse de visibilité.

À l’inverse, certaines coupes peuvent être moins récessives. La littérature montre que les transferts vers les ménages à plus hauts revenus ont un multiplicateur plus faible, car une part plus importante est épargnée. Cibler des niches fiscales peu efficaces ou relever la fiscalité sur les revenus les plus élevés peut donc, toutes choses égales par ailleurs, ralentir moins l’activité qu’une contraction de l’investissement public ou des prestations sociales ciblées sur les ménages modestes.

Définition opérationnelle du multiplicateur budgétaire

Le multiplicateur mesure l’effet d’un euro de dépense publique ou d’impôt sur le PIB. Un multiplicateur de 1,3 signifie que 1 euro dépensé génère 1,30 euro de PIB. Son niveau dépend de nombreux facteurs : conjoncture, réaction de la banque centrale, structure du marché du travail, propension marginale à consommer, ouverture commerciale et composition des mesures.

Grèce 2010-2016, avertissement pour l’europe

Le précédent grec sert de balise. À partir de 2010, les programmes conditionnés par la Troïka ont combiné hausses d’impôts et coupes fortes dans la dépense.

L’ajustement a réduit le déficit mais a déclenché un effet récessif massif : le PIB réel s’est contracté de plus d’un quart entre 2008 et 2016. Plus tard, l’analyse officielle a concédé que les multiplicateurs avaient été sous-estimés, notamment dans l’évaluation des trajectoires de croissance potentielle (FMI, 2013).

La nature de l’erreur n’était pas qu’un débat technique. En supposant des multiplicateurs faibles, les décideurs ont projeté une reprise plus rapide qu’elle ne l’a été, ce qui a conduit à des prévisions trop optimistes de recettes fiscales et de réduction de dette. Par ricochet, l’ajustement a été prolongé et aggravé pour compenser les déceptions, alimentant une spirale d’austérité cumulative.

Grèce : trajectoire macroéconomique et erreurs de prévision

Le document du FMI sur les erreurs de prévision de croissance a mis en lumière un mécanisme simple : quand le multiplicateur est plus élevé que celui retenu dans le modèle, la contraction du PIB est sous-estimée. Les recettes fiscales baissent davantage que prévu, les ratios dette sur PIB se dégradent mécaniquement, et la crédibilité se détériore malgré l’austérité. Cette dynamique ne préjuge pas mécaniquement du cas français, mais elle illustre la sensibilité des trajectoires à des hypothèses fines.

Transposée à la France, la leçon invite à calibrer précisément la composition des économies. Réduire la part des coupes sur l’investissement d’avenir et cibler plutôt des dépenses à faible rendement macro peut amortir l’impact sur l’activité. Inversement, la réduction trop rapide des dépenses à fort effet d’entraînement risque de coûter cher en croissance, et donc en recettes, ce qui affaiblirait l’objectif même de consolidation.

Lignes alternatives pour réduire le déficit sans étouffer l’activité

Plusieurs économistes avancent des trajectoires de consolidation moins récessives. Le fil conducteur consiste à mobiliser le levier fiscal sur des bases à faible propension marginale à consommer, tout en protégeant l’investissement public et les dépenses sociales ciblées à fort multiplicateur.

Quatre axes reviennent fréquemment dans les propositions :

  • Réévaluer des niches fiscales dont l’efficacité économique ou sociale est contestée, notamment lorsque la dépense fiscale bénéficie principalement aux ménages aisés et aux secteurs peu intensifs en emploi.
  • Temporiser les coupes d’investissement pour maintenir le rythme des chantiers liés à la transition énergétique, à la santé et à l’éducation, vecteurs de productivité future.
  • Mettre à contribution les hauts revenus et les patrimoines via des ajustements calibrés, temporaires ou pérennes, avec clauses de revoyure, afin de limiter l’effet direct sur la demande intérieure.
  • Conditionner certaines aides aux entreprises à des objectifs de performance mesurables, pour préserver le soutien où l’effet d’entraînement est établi et réduire les dépenses là où l’effet est faible.

En miroir, les orientations évoquées autour de François Bayrou s’appuient sur une revue des avantages et dépenses symboliques, confiée à René Dosière, sans remise en cause explicite de la politique de l’offre. Les défenseurs de cette ligne estiment que la capacité productive et l’attractivité fiscale doivent rester au cœur du dispositif, quitte à concentrer les efforts sur les budgets ministériels et les opérateurs publics.

La propension marginale à consommer décroît avec le revenu : chaque euro supplémentaire perçu par un ménage aisé est davantage épargné. À court terme, relever la fiscalité sur ces revenus affecte peu la consommation.

À l’inverse, réduire des prestations ciblées sur des ménages modestes ou comprimer des salaires publics a un effet direct sur la demande. D’où l’intérêt d’un mix de consolidation qui préserve le pouvoir d’achat des catégories à forte propension à consommer.

La difficulté politique est réelle : arbitrer entre efficacité économique et acceptabilité. Les ménages les plus aisés sont mobiles et sensibles au différentiel de fiscalité internationale. Toute modification doit donc être précise, proportionnée et évaluée périodiquement. De même, les allègements de charges et dispositifs pro-investissement doivent rester lisibles pour éviter un choc d’incertitude délétère.

Métriques Valeur Évolution
Économies annoncées pour 2026 43,8 Md€ Objectif affiché
Déficit public estimé 2025 5,6 % du PIB Hors rattrapages
Dette brute des administrations publiques ≈ 3 200 Md€ Niveau élevé
Cap budgétaire retenu Restriction par la dépense À préciser en PLF

Au-delà des grands agrégats, le diable réside dans la composition des coupes. Les postes à risque macroéconomique élevé sont ceux qui irriguent directement l’économie domestique et les investissements porteurs d’externalités positives. Une trajectoire qui ménage ces postes tout en élargissant l’assiette fiscale et en resserrant les dépenses peu productives peut protéger l’activité à court terme sans compromettre l’assainissement à moyen terme.

Taux, spreads et rôle de la bce en toile de fond

Un argument mis en avant pour justifier la rigueur est la réduction du coût de la dette par effet de confiance. Les taux souverains, toutefois, dépendent d’abord de la politique monétaire de la BCE et des anticipations d’inflation. Depuis 2022, la normalisation s’est traduite par des relèvements de taux directeurs rapides, avec un impact significatif sur les charges d’intérêt publiques en zone euro.

Les spreads intrazonaux reflètent ensuite les primes de risque spécifiques à chaque État. Un cap budgétaire crédible peut les contenir, mais il n’annule pas le régime monétaire dominant.

En d’autres termes, même une consolidation ambitieuse ne génère pas mécaniquement des taux longs plus faibles si la BCE maintient une politique restrictive. C’est ce que soulignent plusieurs analyses hétérodoxes appelant la Banque centrale à assumer un rôle de filet de sécurité sur les marchés souverains, notamment en période d’investissement public crucial.

Il existe des outils. Les programmes d’achats ciblés, les réinvestissements et les dispositifs anti-fragmentation ont montré pendant la crise sanitaire et énergétique leur capacité à stabiliser les spreads. La question, éminemment politique, est celle du calibrage dans un environnement où l’inflation a reflué mais où la transition écologique requiert des capitaux publics substantiels, difficiles à mobiliser avec un coût de financement élevé.

Procédure de déficit excessif et cadrage européen

Avec le retour des règles budgétaires en Europe, les États membres doivent présenter des plans pluriannuels articulant assainissement et investissements. Le pilotage combine objectifs de déficit et trajectoire de dette soutenable, avec une flexibilité accrue pour les projets de transition sous conditions. Ce cadre influence directement l’architecture du PLF 2026 et les marges de manœuvre françaises.

Le verdict des marchés dépendra donc d’un faisceau de signaux : trajectoire crédible, composition des mesures, visibilité sur la croissance potentielle et lecture de la BCE. La cohérence du triptyque politique budgétaire, politique monétaire, politique d’investissement public sera déterminante pour éviter le double piège d’une activité bridée et d’un coût de financement durablement élevé.

Budget 2026, rentrée sociale et test de crédibilité

Le calendrier resserre l’étau. Une nouvelle prise de parole de François Bayrou est attendue le 25 août pour préparer la rentrée politique et préciser le cadrage budgétaire. En parallèle, des appels à la mobilisation sociale convergent, jusqu’à évoquer une grève générale le 10 septembre. Le risque d’enlisement parlementaire se double d’une fragmentation du dialogue social.

La voie étroite consistera à bâtir autour des économies une narration d’investissement. Sans volet pro-croissance crédible, le risque d’attrition de l’activité au second semestre 2025 puis en 2026 augmente.

De nombreuses filières, comme la rénovation énergétique, la santé ou la formation, réclament une lisibilité pluriannuelle. Or, la trajectoire annoncée donne peu de garanties publiques fermes à ce stade, outre une incitation à réviser certains avantages politiques et dépenses perçues comme symboliques.

Sur le plan juridique, l’hypothèse d’un recours aux outils constitutionnels pour boucler le budget n’est pas théorique. Le coût politique d’un passage en force serait élevé dans un contexte où l’opinion reste fracturée sur le partage des efforts. À l’inverse, un compromis parlementaire nécessiterait des concessions qui pourraient dénaturer l’architecture initiale, avec un risque d’illisibilité macroéconomique.

Le travail emblématique d’Olivier Blanchard et Daniel Leigh a reconnu que les prévisions de croissance pour les pays en consolidation budgétaire avaient été trop optimistes car fondées sur des multiplicateurs trop faibles. Le message clé, utile pour la France aujourd’hui, est de ne pas sous-estimer l’effet d’entraînement des dépenses dans un contexte de faiblesse de la demande et de politiques monétaires peu accommodantes (FMI, janvier 2013).

À court terme, un calibrage plus équilibré des mesures peut réduire l’onde de choc. Des filets contracycliques temporaires, la sanctuarisation des investissements à fort rendement social et la sélectivité dans la réduction des dépenses courantes à faible efficacité peuvent ouvrir un espace de compromis. La clé est d’articuler rigueur et capacité productive plutôt que d’opposer ces objectifs.

Un arbitrage macroéconomique qui dépasse un exercice comptable

Le cœur du débat français n’est pas de savoir s’il faut rétablir les équilibres, mais comment. La consolidation par la dépense peut réussir si elle épargne l’investissement public, protège les ménages à forte propension à consommer et s’accompagne d’un cadre européen et monétaire qui n’oppose pas systématiquement stabilité des prix et stratégie d’investissement. À défaut, le risque est d’échanger un gain de crédibilité budgétaire à court terme contre une perte de croissance potentielle plus durable.

Deux repères doivent guider la décision. D’abord, la composition des mesures compte davantage que leur volume nominal affiché. Ensuite, la cohérence avec l’environnement de taux et les priorités d’investissement collectives déterminera l’issue économique. Autrement dit, l’enjeu dépasse la seule trajectoire chiffrée pour toucher à la qualité du modèle de croissance visé.

Sans réglage fin, l’austérité peut éroder la base productive qu’elle prétend préserver ; avec un mix sélectif et une boussole d’investissement claire, elle peut redevenir un outil de crédibilité sans sacrifier l’activité.