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La dynamique des biotechs Moderna et BioNTech face au marché

Publié le 02/10/2025 à 09h03 par Maxence Dupuis
Temps de lecture: 8 minutes

Analyse de la baisse de la demande vaccinale en 2025 et ses conséquences sur Moderna et BioNTech.

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La dynamique des biotechs Moderna et BioNTech face au marché

304 milliards de dollars en 2021 : c’est le sommet cumulé atteint par Moderna et BioNTech au cœur de la ruée vaccinale. Depuis, la demande s’érode, les règles de remboursement évoluent et la prime de risque s’envole. Entre inflexions politiques américaines et sécurisation des revenus en Europe, le duel des biotechs ARNm s’écrit désormais sur un terrain plus étroit et plus technique.

Record boursier de 2021 : richesse éphémère et capitalisation hors norme

Le 9 août 2021, le tandem Moderna et BioNTech culminait à une capitalisation boursière combinée d’environ 304 milliards de dollars. Moderna atteignait à elle seule près de 195 milliards de dollars, surpassant ponctuellement des big pharmas historiques malgré un chiffre d’affaires sans commune mesure. L’essor tenait à la diffusion mondiale des vaccins Covid-19 et aux commandes publiques massives, catalysées par l’urgence sanitaire.

À cette période, le nombre d’actionnaires milliardaires liés aux deux laboratoires a enflé. Forbes recensait huit milliardaires dont la fortune cumulée avoisinait 116 milliards de dollars, portée notamment par la hausse fulgurante des cours. Les frères Struengmann, premiers investisseurs de BioNTech, figuraient alors parmi les plus grandes fortunes européennes du secteur avec près de 31 milliards de dollars chacun selon ces estimations, quand des dirigeants opérationnels comme Stephen Hoge chez Moderna franchissaient le seuil symbolique du milliard.

Qui est BioNTech : ancrage allemand et ADN oncologique

BioNTech, biotech allemande fondée par des médecins-chercheurs, s’est d’abord illustrée en oncologie avec des candidats médicaments reposant sur la personnalisation et l’ARNm. L’urgence Covid-19 a redistribué les priorités et l’a propulsée en tête de l’innovation vaccinale via un partenariat d’exécution industrielle et commerciale avec Pfizer, structuré autour d’un partage de profits et de risques.

Moderna : ADN ARNm et accélération sous programmes publics

Moderna a capitalisé sur plus d’une décennie de travaux autour de l’ARNm et a porté seule son vaccin Covid-19 jusqu’au marché. L’élan a été amplifié par les mécanismes d’achats publics et l’accélération réglementaire instaurés durant la crise, transformant une plateforme technologique en succès clinique et commercial d’ampleur inédite.

L’ARN messager (ARNm) sert de plan de fabrication temporaire pour les cellules. En vaccinologie, il est formulé pour entrer dans l’organisme et instruire la production d’une protéine virale inoffensive, déclenchant une réponse immunitaire.

Les atouts clés : la rapidité d’adaptation aux variations virales et un processus industriel modulable. Les défis actuels : la durabilité de la réponse, la tolérance chez les populations fragiles et l’optimisation des schémas de doses.

Correction sévère depuis 2022 : demande en berne et marchés nerveux

La phase de normalisation post-pandémie a inversé la dynamique. La baisse des campagnes de rappel a entraîné une décrue du chiffre d’affaires, puis des valorisations. Les actions des deux sociétés ont, depuis leurs zéniths de 2021, traversé une correction d’ampleur au gré des signaux sanitaires et des arbitrages de portefeuilles, signe d’un marché redevenu cyclique et sélectif.

Le point d’achoppement tient à la dilution de la demande de rappels par rapport aux primovaccinations. Plusieurs indicateurs l’ont montré au fil des saisons, y compris au plan mondial où le taux de rappels est resté nettement en deçà des séries initiales (OMS, décembre 2023). Cette pente descendante s’observe tant en volume qu’en régularité des campagnes.

Le marché a réagi en dents de scie aux données cliniques actualisées. En septembre 2025, des résultats préliminaires positifs d’un vaccin Covid-19 mis à jour chez Moderna ont été relayés, signalant une réponse immunitaire robuste face à la souche ciblée, sans enclencher pour autant une trajectoire boursière linéaire (Boursorama, 23 septembre 2025). L’interprétation des investisseurs reste à court terme dominée par la profondeur de marché, la granularité des recommandations officielles et la visibilité contractuelle.

Pourquoi la demande de rappel s’est-elle tassée ?

Plusieurs facteurs se conjuguent :

  1. Fatigue vaccinale et arbitrage individuel entre bénéfices et contraintes.
  2. Saisonnalisation du Covid-19, rapprochant les rappels d’une logique grippe.
  3. Hétérogénéité des recommandations selon pays et tranches d’âge.
  4. Réassurance clinique face à des formes moins sévères chez les populations à faible risque.

Gouvernance sanitaire américaine : recommandations changeantes et effets de marché

Aux États-Unis, les autorisations et recommandations successives structurent le financement et la prise en charge. La séquence réglementaire requiert l’aval de la FDA, puis des recommandations d’experts de l’ACIP, suivies de l’alignement des CDC pour la couverture d’assurance. Plusieurs analystes cités dans la communauté financière soulignent que chaque débat public sur les vaccins Covid-19 exacerbe la volatilité sectorielle, en particulier lorsque les recommandations ciblent les populations à risque plutôt qu’un très large public.

En 2025, l’accès et l’éligibilité ont concentré l’attention des investisseurs. D’un côté, les vaccins mis à jour ont franchi les étapes scientifiques attendues; de l’autre, les recommandations américaines parfois plus restrictives qu’au plus fort de la pandémie segmentent les volumes adressables. Cette mécanique influence directement les prévisions de revenus, la gestion des stocks et le calendrier des mises à jour.

Pour les vaccins : 1) FDA pour l’autorisation de mise sur le marché. 2) ACIP pour les recommandations d’usage (âges, facteurs de risque, fréquence). 3) CDC pour endosser les recommandations, ouvrant la voie à la prise en charge par les payeurs. Chaque maillon impacte la taille de marché et la prévisibilité des ventes.

Bilans et allocation du capital : deux philosophies financières

Les trajectoires financières divergent. Moderna a privilégié une stratégie d’intégration complète de son vaccin Covid-19, intensifiant à la fois l’investissement en R&D et les rachats d’actions depuis 2021. BioNTech, fort de son accord de long terme avec Pfizer, a maintenu un profil de liquidité élevé tout en procédant à des rachats et à des dividendes, mais avec un accent marqué sur la sélection de projets et les alliances en oncologie.

Au 30 juin 2025, les sociétés affichent des coussins de trésorerie significatifs, avec une position de liquidités prudentielle plus élevée chez BioNTech. Des analystes sell-side soulignent que cette prudence, adossée à des partenariats, confère une marge de manœuvre supérieure pour traverser la décrue Covid-19 et investir dans des programmes à création de valeur plus différenciants.

Moderna : stratégie et bilan

  • Rachats d’actions engagés depuis 2021 pour un montant cumulé de plusieurs milliards de dollars, signalant une confiance affichée mais au coût d’opportunité discuté a posteriori.
  • R&D soutenue, avec des dépenses cumulées très significatives depuis 2021, afin d’étendre la plateforme ARNm au-delà du Covid-19.
  • Liquidités au plus près de la mi-2025 à un niveau jugé confortable par le marché, mais nettement inférieur à celui de BioNTech selon les données financières communiquées.
  • Mix géographique davantage exposé aux États-Unis, ce qui renforce la sensibilité aux recommandations américaines et au jeu concurrentiel local.

BioNTech : stratégie et résultats

  • Partenariat 50/50 avec Pfizer sur le vaccin Covid-19, mutualisant profits et risques et sécurisant la distribution.
  • Trésorerie très élevée au milieu de 2025, laissant des marges de manœuvre pour des acquisitions ciblées et des accords industriels.
  • Politique de capital plus prudente que celle de Moderna, incluant rachats et dividendes, sans sacrifier les moyens dédiés à l’oncologie.
  • Accès européen favorisé par des contrats pluriannuels qui offrent une meilleure visibilité de revenus par rapport aux cycles nord-américains plus erratiques.

Aux États-Unis, les rachats d’actions sont soumis depuis 2023 à une taxe d’accise de 1 %. Pour un émetteur, ils soutiennent le BPA court terme, mais réduisent le capex stratégique potentiel en période de demande incertaine. Dans un cycle post-pic, la discipline d’allocation du capital devient un différenciateur de qualité des bénéfices.

Dépendance au Covid-19 : modèles économiques sous pression

Le cœur d’activité reste, pour l’heure, corrélé aux vaccins Covid-19. En 2024, la grande majorité du chiffre d’affaires de Moderna et un large pourcentage de celui de BioNTech provenaient encore de cette franchise. Cette concentration accroît la volatilité des revenus quand les recommandations se resserrent et que les campagnes de rappel perdent en intensité.

Plusieurs voix du sell-side (TD Cowen, BMO Capital Markets, William Blair, Leerink Partners) convergent sur trois points :

  • La demande était déjà en repli fin 2021-début 2022, avant les récentes évolutions de recommandations.
  • Les abaissements de guidances 2025 pointent des ventes inférieures à 2024, à la faveur d’un marché plus étroit et plus tardif dans la saison.
  • Les prévisions de court terme se situent souvent dans le bas des fourchettes quand les recommandations privilégient les personnes âgées ou à risque.

La conséquence financière immédiate : une gestion délicate des stocks, un phasing de revenus plus concentré et une nécessité d’optimiser les coûts pour préserver la marge brute sur des volumes plus incertains.

Lecture rapide pour CFO et investisseurs

  • Sensibilité américaine élevée pour Moderna : recommandations et remboursements influencent directement les volumes.
  • Visibilité européenne supérieure pour BioNTech-Pfizer grâce aux engagements pluriannuels.
  • Trésorerie comme amortisseur : plus elle est élevée, plus la capacité à financer des essais et des acquisitions est robuste.

Diversification thérapeutique : ce qui avance, ce qui cale

Les deux sociétés investissent dans des vaccins ARNm de nouvelle génération (grippe, VRS, VIH) et des programmes oncologiques. La vitesse d’exécution diffère toutefois.

BioNTech : oncologie au cœur du pipeline

BioNTech réoriente son effort vers l’oncologie, sa thèse initiale. L’entreprise a annoncé en 2024 l’acquisition de Biotheus pour un montant d’environ 800 millions de dollars, intégrant notamment l’anticorps BNT327.

Un partenariat avec Bristol Myers Squibb comporte un paiement initial conséquent, sécurisant des moyens pour co-développer tout en partageant les risques. Sur les marchés, plusieurs observateurs estiment que la valorisation de BioNTech pourrait se recalibrer au rythme des inflexions cliniques en cancérologie.

Moderna : vaccins respiratoires et cancer en embuscade

Moderna a obtenu en 2024 l’approbation d’un vaccin VRS, mais la montée en puissance commerciale reste freinée par des recommandations restrictives au lancement. Le programme combinant grippe + Covid-19 progresse avec quelques retards, dans un environnement réglementaire exigeant et une fenêtre saisonnière courte. La société dispose néanmoins d’un pipeline qui s’étoffe, y compris en oncologie, mais avec un périmètre plus modeste que son concurrent allemand.

En bourse, l’oncologie concentre des pools de revenus plus pérennes que la vaccination saisonnière, via des thérapies ciblées à prix unitaires élevés et des durées de traitement plus longues. La réussite clinique y a un effet de dérisque puissant sur la capacité à générer du cash-flow, d’où l’attention des investisseurs à chaque lecture d’essai.

Politiques publiques en Europe et en France : cap sur la relocalisation

Le cadre européen tend à lisser la demande grâce à des achats coordonnés et des contrats pluriannuels. BioNTech, ancrée en Allemagne, bénéficie d’un accès privilégié aux appels d’offres, tandis que l’alliance avec Pfizer demeure un atout logistique et commercial.

En France, le plan France 2030 place la bioproduction au rang de priorités industrielles. Un dossier de presse gouvernemental publié le 10 avril 2025 met en avant l’ambition de développer 60 biomédicaments innovants produits en France, avec un accent sur la relocalisation et la montée en puissance des sites nationaux. Une actualisation mise en ligne le 29 septembre 2025 revient sur les investissements orientés vers cette relance productive en santé (info.gouv.fr).

La France porte également un effort sur la résistance aux antimicrobiens, avec un calendrier d’actions 2025-2027 présenté à l’Assemblée mondiale de la Santé en mai 2025 et réaffirmé par le ministère de l’Agriculture. Cette politique élargit l’horizon d’innovation au-delà de la vaccination, vers des antibiothérapies et des approches préventives multisectorielles.

Sanofi et l’écosystème français : dynamique industrielle

En parallèle, des acteurs comme Sanofi renforcent leurs investissements en biotechnologie, confortant l’idée d’une chaîne de valeur intégrée en France, de la recherche académique à l’industrialisation. L’articulation avec France 2030 pourrait accélérer l’implantation de sites de bioproduction et favoriser des alliances avec des biotechs, y compris étrangères, à la recherche de capacités européennes.

BioNTech : ancrage allemand, accès marché européen sécurisé

BioNTech profite d’un socle de revenus plus prévisible en Europe grâce à des engagements multi-annuels. Cette stabilité contraste avec la dépendance plus marquée de Moderna aux ventes États-Unis, où la demande est plus élastique aux recommandations annuelles et à la concurrence directe, notamment de Pfizer. Sur un plan stratégique, cette différence d’exposition géographique se traduit par des profils de risque/rendement distincts.

Les entreprises de biotechnologie en France peuvent mobiliser le Crédit d’impôt recherche jusqu’à 30 % des dépenses éligibles, un levier incitatif pour ancrer la R&D et l’industrialisation. Côté réglementation, l’EMA maintient un standard élevé d’évaluation, garant d’une qualité perçue dans les marchés export. Résultat : un tissu industriel mieux armé pour les achats publics européens et les partenariats transfrontaliers.

Entre volatilité américaine et relais européens : le jeu reste ouvert

Le pic Covid-19 a offert une vitrine spectaculaire à l’ARNm. La normalisation a rappelé ses lois : un marché plus étroit, des recommandations variables, des arbitrages budgétaires serrés. Dans cet environnement, BioNTech semble bénéficier d’un socle européen plus prévisible et d’un pipeline oncologique plus lisible, quand Moderna doit composer avec une exposition américaine élevée et un calendrier de diversification encore en construction.

Pour les directions financières et les investisseurs, l’enjeu est désormais d’évaluer la capacité à financer la prochaine vague d’innovations sans sacrifier la discipline d’allocation du capital. Les initiatives publiques en Europe, en particulier via France 2030, offrent des relais tangibles à moyen terme. La saisonnalité Covid-19 devenue structurelle, la partie se jouera sur l’oncologie, la bioproduction et la qualité d’exécution.

Rester positionné sans s’exposer aux angles morts revient, plus que jamais, à distinguer la promesse scientifique de la résilience financière.

Questions fréquentes

Quel est l'impact des recommandations américaines sur les ventes?

Les recommandations de la FDA influencent directement les volumes de ventes des vaccins. Par exemple, des recommandations plus restrictives peuvent réduire le marché adressable.

Comment les biotechs se préparent-elles à la baisse de demande?

Moderna et BioNTech ajustent leur production et optimisent leurs stocks en fonction de la dégradation anticipée de la demande.

Quelles tendances en matière de rappels sont observées?

Un taux de rappel en baisse a été observé, avec des chiffres nettement inférieurs aux campagnes de primovaccination.

Quel rôle jouent les investissements en R&D pour ces sociétés?

Moderna a investi massivement en R&D depuis 2021, visant à étendre son portefeuille au-delà des vaccins Covid-19.

Comment les variations de recommandations affectent-elles les actions?

Les fluctuations des recommandations impactent la volatilité des actions de ces sociétés, entraînant des corrections de prix sur le marché.