+0,14 point en un an : l’absentéisme progresse encore en 2024 en France. Derrière ce mouvement mesuré, un signal fort ressort des données d’entreprises et des organismes publics : la poussée des maladies professionnelles, tirées par les troubles psychosociaux et les TMS, redessine les risques pour les employeurs et alourdit les arrêts longs.

Absentéisme 2024 : un palier franchi et des pathologies professionnelles en forte hausse

Le baromètre annuel du groupe Apicil, élaboré avec le cabinet JLO, fixe le taux d’absentéisme global à 4,41 % en 2024, contre 4,27 % en 2023. La progression est modérée, mais elle s’accompagne d’un basculement qualitatif.

Les arrêts motivés par une maladie professionnelle bondissent de 16,7 % par rapport à 2023. Ces situations ne pèsent que 0,2 % des arrêts recensés, mais l’ampleur de la hausse interpelle les assureurs, DRH et partenaires sociaux.

Les constats de terrain convergent avec les informations de l’Assurance Maladie, qui documente une tendance haussière des sinistres liés au travail. Les données disponibles pour 2022 ont pu être sous-estimées pour des raisons administratives, un biais qui complique les comparaisons strictes d’une année sur l’autre tout en renforçant l’idée d’un rattrapage statistique.

Lecture économique : à court terme, l’écart entre une hausse globale contenue et un rebond des maladies professionnelles indique une gravité plus marquée des dossiers. Pour les entreprises, cela se traduit par des remplacements plus longs, une plus forte désorganisation opérationnelle et des coûts indirects supérieurs à l’absentéisme de courte durée.

Comment lire un taux d’absentéisme

Le taux d’absentéisme agrège le volume de jours d’absence rapporté au nombre de jours théoriquement travaillés, tous motifs confondus. Les comparaisons entre études doivent être interprétées avec prudence, car le périmètre retenu, la taille des échantillons et les catégories d’arrêts incluses peuvent varier selon les baromètres.

La reconnaissance d’une maladie professionnelle par l’Assurance Maladie ouvre des droits spécifiques au salarié et implique des obligations renforcées pour l’employeur en matière de prévention. Pour la gestion, ces cas traduisent souvent des arrêts de plus longue durée, des aménagements de poste et un besoin de suivi rapproché par les services RH et santé au travail.

Troubles psychosociaux et TMS : les moteurs des arrêts longs

La montée des troubles psychosociaux est désormais centrale. Selon l’Assurance Maladie, les maladies professionnelles associées à ces troubles ont progressé de 117 % entre 2019 et 2023, une dynamique confirmée en 2024 sur les arrêts de longue durée.

La cellule médicale d’Apicil constate que plus de 40 % des arrêts de plus de 90 jours suivis par l’assureur relèvent de pathologies psychologiques telles que fatigue psychique, dépression ou burn-out. Les troubles musculo-squelettiques complètent le tableau et forment, avec les RPS, le duo de causes dominant pour les arrêts prolongés.

Le message managérial se précise. Comme le souligne Thomas Perrin, directeur général adjoint services d’Apicil, les mutations du travail ont intensifié les risques psychosociaux et renforcé les attentes en matière de qualité de vie au travail. Au-delà de l’intention, la traduction opérationnelle renvoie à des arbitrages sur la charge, les priorités et le style de management, avec un effet direct sur la durée des arrêts.

Analyse de risque : la combinaison RPS + TMS constitue un multiplicateur d’absences. Des environnements à contraintes physiques ou posturales, couplées à une pression temporelle et émotionnelle, alimentent des arrêts plus longs et plus difficiles à résorber, notamment dans les organisations en sous-effectifs.

RPS : symptômes fréquents cités dans les dossiers d’arrêts

  • Fatigue psychologique intense et prolongée.
  • Épisodes dépressifs caractérisés, parfois associés à des troubles du sommeil.
  • Burn-out avec rupture du lien au travail et incapacité à reprendre une activité.

Les arrêts supérieurs à 90 jours sont un indicateur de gravité et de désorganisation interne. Ils mobilisent les dispositifs de maintien dans l’emploi, les aménagements et les parcours de reprise progressive. Leur hausse structurelle traduit des problématiques de fond plus que des épisodes conjoncturels.

Écarts marqués selon métiers, âge et genre : une cartographie du risque

La photographie 2024 ne touche pas uniformément la population active. Les ouvriers affichent 6,5 % d’absentéisme, loin devant les cadres à 2,4 %. L’effet de l’usure professionnelle et de l’exposition aux contraintes physiques demeure visible et stable dans le temps.

Côté démographie, les seniors de plus de 50 ans culminent à 5,9 %, quand les moins de 30 ans sont à 3,3 %. La prévalence des pathologies chroniques, la probabilité d’accidents et la durée de récupération expliquent en partie cet écart. Enfin, un différentiel genré persiste, avec 5,2 % pour les femmes contre 3,6 % pour les hommes, reflet de l’exposition à certains métiers, de l’organisation du travail et des contraintes extra-professionnelles.

Pour les DRH, cette cartographie signale des priorités d’action ciblées : ergonomie et prévention des TMS dans les métiers physiques, accompagnement des transitions de fin de carrière, politiques d’égalité professionnelle et aménagements d’horaires pour réduire les pics de charge.

Lecture économique pour les DRH : trois conséquences budgétaires immédiates

  1. Coûts de remplacement plus élevés sur les postes en tension, avec recours à l’intérim ou heures supplémentaires.
  2. Perte de productivité liée au transfert des tâches et à la courbe d’apprentissage des remplaçants.
  3. Budget prévention à réallouer vers les risques prédominants, notamment RPS et TMS, pour abaisser la durée moyenne d’arrêt.

Secteurs économiques sous pression : ESS, éducation, industrie et BTP en première ligne

Certains domaines restent nettement plus exposés. L’économie sociale et solidaire, l’éducation, l’industrie, le BTP, le commerce et les transports figurent parmi les secteurs les plus touchés selon le baromètre Apicil. Une analyse relayée par la presse économique confirme l’essor des arrêts liés aux troubles psychosociaux dans ces univers.

Dans l’industrie et le BTP, la combinaison des TMS et des facteurs psychologiques amplifie la durée d’absence. Le secteur santé et services sociaux, exposé à des charges émotionnelles intenses et à des contraintes organisationnelles, enregistre également une hausse notoire. Dans la fonction publique, la dynamique est plus marquée : 6,1 % d’absentéisme contre 5,1 % dans le privé, avec un allongement des arrêts pour motifs psychosociaux, et un impact plus brutal dans les grandes collectivités.

Industrie et BTP : contraintes physiques et pression opérationnelle

Les chaînes de production et les chantiers imposent des gestes répétitifs, du port de charges et des cadences élevées. Quand la pression temporelle s’ajoute à des organisations tendues, le risque de TMS et de troubles psychologiques se cumule, prolongeant mécaniquement les temps d’arrêt.

Santé et services sociaux : charge émotionnelle et intensité

La relation d’aide multiplie les situations à forte intensité émotionnelle. L’exposition chronique à la souffrance d’autrui, les sous-effectifs et le travail en horaires décalés créent un terrain propice aux RPS, avec des reprises plus complexes et une fréquence de rechute supérieure à la moyenne.

Transports et commerce : variabilité des flux et exigences clients

Les pics d’activité, la tension sur les délais et les interactions clients parfois difficiles favorisent la survenue d’arrêts. La variabilité des plannings complique la prévention et rend les aménagements ponctuels moins efficaces que les démarches structurelles.

Fonction publique territoriale : dynamique des arrêts et taille des collectivités

Les grandes collectivités affichent des taux plus élevés que les petites, un écart associé à la complexité organisationnelle, à la diversité des métiers et aux contraintes de service public. L’allongement des arrêts pour motifs psychologiques accentue les effets de structure et pèse sur la continuité des services.

  • Multiplication des métiers et des environnements de travail à risques hétérogènes.
  • Complexité de coordination entre directions, allongeant le temps d’adaptation aux mesures de prévention.
  • Effet taille sur la diffusion des bonnes pratiques et la surveillance fine des signaux faibles.

Cadre public et initiatives : une charte pour ancrer la santé mentale au travail

La santé mentale au travail est positionnée comme priorité nationale par les autorités publiques, avec des mesures de prévention et de soutien à la qualité de vie au travail. En août 2025, dans le cadre de la Rencontre des Entrepreneurs de France, une charte d’engagement portée par l’Alliance pour la santé mentale et soutenue par le ministère du Travail est venue encourager la montée en maturité des entreprises sur ces sujets. L’ambition est claire : renforcer les formations managériales, installer des dispositifs de détection précoce et intégrer la santé mentale au cœur des politiques de prévention.

Cette charte, décrite par l’administration, participe d’une logique d’outillage et de diffusion de pratiques éprouvées. Les premiers retours d’experts estiment qu’une adoption large pourrait contribuer à freiner la hausse de l’absentéisme. Reste l’essentiel : transformer l’engagement en actions graduées, pilotées et évaluées dans le temps.

  • Formation des managers à l’identification des signaux faibles et aux postures de prévention.
  • Programmes de détection précoce des difficultés psychologiques et orientations vers les dispositifs d’aide.
  • Intégration de la santé mentale dans les stratégies de prévention et de gestion des risques.

Pour les entreprises : leviers de prévention et de pilotage à activer

Du point de vue économique, l’investissement dans la prévention des risques psychosociaux et des TMS est présenté comme un levier de réduction des coûts liés à l’absentéisme, estimés à plusieurs milliards d’euros par an en France. Les entreprises qui structurent leur action obtiennent en général des résultats plus robustes sur la durée moyenne d’arrêt et la fréquence des récidives.

Plusieurs axes se dégagent, en ligne avec les recommandations d’acteurs de la protection sociale et les constats statistiques :

  • Évaluer régulièrement les risques et mettre à jour les actions de prévention en conséquence.
  • Former l’encadrement aux pratiques managériales qui diminuent l’intensité des RPS.
  • Améliorer l’équilibre vie professionnelle-personnelle par une gestion plus prévisible des horaires et des charges.
  • Mettre en place des parcours de retour progressif après un arrêt long, identifiés comme facteurs limitant les rechutes.
  • Suivre les arrêts longs et répétés avec une logique de cas complexes, mobilisant services de santé au travail et dialogue social.

Au-delà de la conformité, le pilotage s’appuie sur une lecture fine des données internes. L’objectif n’est pas de contrôler les individus, mais de prioriser les actions au bon endroit et de démontrer l’impact des mesures sur la durée moyenne d’arrêt et la capacité de reprise.

  • Taux global d’absentéisme et ventilation par motifs lorsque c’est possible.
  • Part des arrêts de plus de 90 jours, signal de gravité et d’inefficacité des compensations court terme.
  • Durée moyenne d’arrêt et taux de rechute dans les 12 mois suivant une reprise.
  • Exposition par métiers et tranches d’âge pour cibler ergonomie, prévention et aménagements.

Qui est le groupe Apicil : baromètre et expertise

Apicil réalise chaque année un baromètre de l’absentéisme en collaboration avec le cabinet JLO. Sa cellule médicale suit les dossiers d’arrêts, notamment ceux de plus de 90 jours, ce qui permet d’identifier la montée des pathologies psychologiques et le poids des TMS dans les absences prolongées.

Deux repères chiffrés à garder en tête

  • 4,41 % de taux d’absentéisme en 2024, contre 4,27 % en 2023, selon le baromètre Apicil-JLO (source: Apicil/JLO).
  • +117 % de maladies professionnelles liées aux RPS entre 2019 et 2023, d’après l’Assurance Maladie.

Lecture croisée des études : écarts de mesure, même direction

Les résultats du baromètre Apicil sont confortés par d’autres analyses du marché. Une étude WTW France situe l’absentéisme à 5,1 % en 2024 et identifie également les risques psychosociaux comme moteur principal de la hausse. Les chiffres ne sont pas strictement comparables du fait des différences de périmètre et de méthodologie, mais la trajectoire ressort identique : davantage d’arrêts longs, une part croissante des pathologies psychologiques et des TMS, et des organisations mises à l’épreuve.

Dans le secteur public, l’écart est plus prononcé, avec 6,1 % d’absentéisme contre 5,1 % dans le privé, ainsi qu’un allongement des arrêts pour motifs psychosociaux. Le diagnostic confirme une tension spécifique aux grandes collectivités territoriales, où l’hétérogénéité des métiers et la taille des effectifs rendent l’action de prévention plus complexe.

L’Insee, dans son édition 2024 dédiée à l’emploi et aux revenus du travail, rappelle enfin que certaines données 2022 sur les accidents du travail pourraient être sous-estimées, ce qui appelle à la prudence pour lire les séries temporelles. L’augmentation des incapacités liées à la santé mentale et aux conditions de travail, elle, reste un signal robuste.

Les baromètres d’assureurs, de cabinets et les données publiques ne reposent pas sur les mêmes bases. Les différences portent sur le champ couvert, les définitions des motifs d’arrêt et les modes d’agrégation. Pour piloter, privilégier les tendances convergentes et l’évolution interne à l’entreprise plutôt que les comparaisons brutes entre sources.

2024-2025 : stabiliser la trajectoire, condition d’un regain de productivité

Si la hausse 2024 est contenue, la poussée des maladies professionnelles et des arrêts longs impose un changement d’échelle dans la prévention. Les engagements formalisés, comme la charte soutenue par le ministère du Travail et portée par l’Alliance pour la santé mentale, doivent désormais s’ancrer dans les pratiques quotidiennes des entreprises et collectivités.

Les signaux sont connus, les leviers aussi. La stabilisation évoquée par certains experts suppose un pilotage outillé des RPS et des TMS, une attention accrue aux populations les plus exposées et des parcours de reprise plus fluides. C’est à ce prix que l’absentéisme pourra refluer et que la productivité s’en trouvera, in fine, renforcée.

Cap sur la prévention, le management de terrain et l’évaluation régulière des actions pour transformer la tendance en atout de compétitivité.