Moins d’un an après le ruban coupé, l’usine toulousaine d’Evotec s’apprête à changer d’enseigne. Le groupe suisse Sandoz a signé fin juillet 2025 un protocole d’accord pour reprendre ce site dédié aux biomédicaments. Un mouvement rapide, à la fois stratégique et révélateur des tensions qui structurent aujourd’hui la bioproduction en Europe.

Reprise en vue du site toulousain, un an après son inauguration

Evotec a ouvert en septembre 2024 son unité toulousaine de bioproduction, intégrée à l’Oncopole. Fin juillet 2025, l’entreprise allemande a acté avec Sandoz un protocole d’accord non contraignant portant sur la cession du site et des capacités associées de Just-Evotec Biologics, pour un montant de 257,5 millions d’euros (Le Journal des Entreprises, juillet 2025).

La transaction, encore soumise aux due diligences et autorisations habituelles, interviendrait à peine douze mois après la mise en service officielle. Elle s’inscrit dans un repositionnement d’Evotec sur ses métiers historiques de recherche pharmaceutique, tandis que Sandoz matérialise son accélération sur les biosimilaires, un segment en forte expansion.

Le site toulousain s’étend sur environ 15 000 m² et mobilise actuellement près d’une centaine de salariés. En cas de finalisation, Sandoz entend y déployer sa plateforme de développement et de fabrication, avec un transfert des équipes à effectif constant.

Un protocole d’accord non contraignant fixe les paramètres principaux d’une opération envisagée, sans obliger juridiquement les parties à conclure. Il organise en général la période de due diligence, précise les exclusivités éventuelles, cadre le périmètre cédé et définit un prix indicatif. La signature n’engage pas à fermer la transaction, mais elle crée une trajectoire de négociation avancée.

Sur le plan industriel, l’intérêt de Sandoz pour l’actif toulousain tient à son niveau d’automatisation et à ses procédés à haut débit. Ces briques technologiques permettent de réduire les temps de cycle, de maîtriser les coûts et d’augmenter la reproductibilité. Un triptyque décisif lorsque les volumes sont appelés à croître sur des marchés soumis à de forts enjeux de prix.

Un calendrier resserré et des agencements opérationnels

La dépendance au calendrier réglementaire sera déterminante. À ce stade, le schéma de cession suggère une prise de contrôle dès que les audits seront bouclés, les autorisations d’exploitation mises à jour et les principaux contrats transférés. La bascule industrielle devra préserver la continuité des activités, notamment les services de développement et les cycles de production en cours.

Au-delà des équipes, l’opération se jouera aussi dans l’intégration des systèmes qualité et des chaînes logistiques. Harmoniser rapidement les standards GMP, l’outillage documentaire et les référentiels de qualification évitera des ralentissements coûteux.

Chiffres clés de l’opération envisagée

Les éléments financiers et sociaux mentionnés ci-dessous résument l’objet de la cession telle qu’annoncée par les deux groupes.

Métriques Valeur Évolution
Prix indicatif de cession 257,5 M€ N/A
Effectifs concernés ≈ 100 salariés Transfert prévu
Surface industrielle ≈ 15 000 m² Stable
Ouverture du site Septembre 2024 +1 an

Financements publics et exigences attachées aux aides

Pour bâtir l’usine, Evotec avait annoncé en 2021 un investissement d’environ 150 M€. Le projet a été soutenu par des aides publiques structurantes. L’État a apporté 43 M€ via France 2030, la région Occitanie a contribué à hauteur de 6 M€, et la Banque européenne d’investissement a octroyé un prêt de 150 M€.

Ces soutiens s’inscrivent dans la stratégie de souveraineté sanitaire européenne et dans l’effort national d’industrialisation de la santé. Ils s’accompagnent habituellement de conditions relatives au maintien de l’activité, à la localisation des emplois et, parfois, à des objectifs de montée en charge technologique.

Clauses de restitution et continuité d’activité

En cas de cession, les conventions d’aide publique peuvent prévoir des clauses de remboursement partiel ou total si les engagements ne sont plus respectés. Le cas échéant, une reprise par un industriel du secteur, qui maintient l’activité sur site et préserve l’emploi, tend à sécuriser la conformité aux objectifs initiaux. L’appréciation finale dépendra des stipulations exactes des conventions signées.

Du côté du financement privé, un prêt de la BEI comporte généralement des clauses de changement de contrôle et de cession d’actifs. L’opération devra donc être notifiée et, le cas échéant, réaménagée pour rester compatible avec les engagements bancaires.

France 2030 agrège des dispositifs ciblant l’industrialisation de technologies critiques, dont les biothérapies. Outre des subventions, des avances remboursables et des appels à projets First Factory, l’État cofinance l’accélération des capacités GMP, la montée en échelle des bioprocédés et l’intégration de la chaîne de valeur. En 2025, neufs nouveaux lauréats ont été retenus pour le dispositif Première Usine (Direction générale des Entreprises, 2025).

Incidences fiscales et prix de cession

Les subventions d’investissement peuvent créer des effets fiscaux différés, notamment via l’étalement de la taxation des subventions d’équipement, ou l’incidence sur la valeur nette comptable des actifs. Le prix de 257,5 M€ négocié avec Sandoz reflète à la fois les équipements, l’automatisation, le capital humain et la valeur du carnet d’opérations transféré. Il ne préjuge pas des éventuels ajustements postérieurs à la cession, courants en pratique.

Sur la composante immobilière, l’intégration au campus de l’Oncopole confère un avantage de localisation. Elle facilite l’accès aux compétences, aux plateformes hospitalo-universitaires et aux partenaires de recherche. Cet écosystème réduit le coût d’opportunité et pèse positivement dans la valorisation.

Points de vigilance pour les aides publiques en cas de cession

Avant la réalisation d’une cession d’actifs industriels aidés, les entreprises vérifient en pratique les éléments suivants.

  1. Présence de clauses de restitution ou de pénalités en cas de changement de contrôle.
  2. Conditions de maintien de l’activité, des emplois et des investissements sur le territoire.
  3. Compatibilité des sûretés et covenants bancaires avec le transfert d’actifs.
  4. Modalités de transfert des autorisations réglementaires et certifications qualité.

Emploi et transfert des contrats, quels garde-fous juridiques

La cession prévoit le transfert des équipes d’Evotec au sein de Sandoz. En droit français, le passage d’un actif organisé dédié à une activité s’accompagne en principe du transfert automatique des contrats de travail à l’acquéreur, selon l’article L. 1224-1 du Code du travail.

Concrètement, cela assure aux salariés la poursuite de leur contrat, avec maintien des droits acquis, des rémunérations et de l’ancienneté. Les instances représentatives doivent être consultées, et l’employeur sortant comme entrant veillent à garantir la sécurité et la continuité des opérations.

Dans les activités pharmaceutiques, le transfert s’accompagne souvent de reprises de processus documentaires et d’outils qualité. Les formations GMP, la qualification des équipements et la gestion des lots sont assurées sans rupture. Le plan de communication interne et la coordination avec les autorités sanitaires réduisent les risques opérationnels et préservent la conformité réglementaire.

Préserver la compétence collective

Les procédés biologiques reposent sur un savoir-faire tacite, difficilement codifiable. La conservation des équipes, des routines de laboratoire et des opérateurs expérimentés est donc un actif stratégique. L’engagement de Sandoz à reprendre la centaine de salariés constitue un signal rassurant pour l’écosystème local et pour les donneurs d’ordre.

Le maintien des emplois qualifiés participe, par ailleurs, à la sécurisation des soutiens publics consentis au projet initial. Il renforce la probabilité d’un transfert sans friction sur les engagements attachés aux aides.

Ambitions de sandoz sur les biosimilaires et rôle de toulouse

Acteur mondial de référence dans les génériques et biosimilaires, Sandoz a été introduit en Bourse et scindé du groupe Novartis en 2023. Il emploie plus de 20 000 collaborateurs dans le monde, avec un chiffre d’affaires 2024 proche de 9 milliards d’euros selon ses publications financières. La montée en puissance de ses gammes biosimilaires est au cœur de sa trajectoire post-scission.

La reprise de l’usine de Toulouse s’inscrit dans cette feuille de route. Sandoz y voit une capacité à développer et fabriquer plus vite, en s’appuyant sur l’automatisation et sur des procédés à haut débit. Objectif affiché : gagner en productivité, tout en conservant un niveau de qualité élevé et en contrôlant strictement les coûts de revient.

Sandoz : stratégie et résultats

L’industriel cible les aires thérapeutiques où les références biologiques pèsent lourd dans la dépense de santé, comme l’oncologie et l’immunologie. Sa stratégie repose sur trois leviers : pipeline large, positionnement prix compétitif, et capacités de production multi-sites.

Le renforcement de l’outil industriel en Europe, dont Toulouse, complète ses implantations sur d’autres continents. Cette diversification réduit les risques d’approvisionnement, soutient les volumes et améliore la négociation avec les systèmes de santé.

Pourquoi les biosimilaires changent l’économie de la santé

Les biosimilaires sont des médicaments biologiques similaires à un produit déjà autorisé, qui en reprennent le mécanisme thérapeutique avec une équivalence de qualité, de sécurité et d’efficacité.

  • Effet prix : ils génèrent une pression concurrentielle sur des marchés historiquement protégés.
  • Accès élargi : l’arrivée de biosimilaires augmente le nombre de patients traités à coûts constants.
  • Écosystème industriel : ils impliquent des capacités GMP robustes et un savoir-faire biotech pointu.

À l’horizon 2035, certains analystes estiment que les biosimilaires pourraient représenter jusqu’à 300 milliards de dollars de ventes annuelles (données sectorielles citées par Sandoz, 2025).

Le rôle de toulouse dans l’équation sandoz

La localisation toulousaine, au cœur d’un bassin de R&D et de production de santé, offre un double avantage. D’abord, des compétences locales en biotechnologies et en ingénierie des procédés. Ensuite, une proximité avec des hôpitaux, centres académiques et industriels ancrés à l’Oncopole, propices aux collaborations.

L’orientation vers des procédés à haut débit et l’automatisation devrait permettre d’accélérer la mise à l’échelle. Pour Sandoz, c’est un effet de levier concret afin d’alimenter rapidement ses portfolios, au moment où plusieurs brevets de biologiques historiques arrivent à échéance.

Evotec recentre son modèle, implications industrielles

Evotec emploie environ 4 800 personnes et se positionne comme un spécialiste de la recherche et du développement externalisés. Face au cycle de financement plus contraint dans les biotechs, l’entreprise a enclenché en 2024 un recentrage sur ses activités historiques de découverte de médicaments et de partenariats pharmaceutiques.

La cession envisagée à Sandoz participe de cette rationalisation. Céder un actif industriel capitalistique à un pure player des biosimilaires permet à Evotec de libérer des ressources et de réduire son exposition à la montée en charge manufacturière, plus lente et plus intensive en capitaux.

Qui est evotec et pourquoi se désengager d’une usine neuve

Evotec a développé ces dernières années une offre intégrée, allant de la recherche amont à des capacités de bioproduction via Just-Evotec Biologics. Le site toulousain s’inscrivait dans cette stratégie verticale. Le contexte actuel, combinant pression sur les coûts et étirement des calendriers d’industrialisation, a réorienté l’arbitrage.

Vendre un site tout juste inauguré peut s’expliquer par un calcul de portefeuille : récupérer un prix de cession attractif, réduire le besoin en capital et concentrer l’allocation de ressources sur des activités à rotation plus rapide. Pour les clients d’Evotec, la présence d’un repreneur industriel solide facilite la continuité des services.

Les campagnes GMP doivent prouver la robustesse des procédés, avec validations, lots pilotes et contrôles qualité approfondis. Les chaînes d’approvisionnement, notamment en milieux de culture et résines, doivent être sécurisées. Ces étapes, incompressibles, mobilisent du cash et des équipes, d’où l’intérêt d’acteurs spécialisés pour porter l’effort industriel.

Toulouse et l’oncopole renforcent leur attractivité

Implantée sur l’Oncopole de Toulouse, l’usine est entourée d’acteurs de premier plan, à commencer par l’Institut universitaire du cancer de Toulouse Oncopole et plusieurs entreprises de santé. Cette concentration d’infrastructures et de talents nourrit un effet cluster tangible.

La reprise par Sandoz, si elle se confirme, ancrerait davantage la vocation bioproduction du site. Elle s’ajoute aux signaux nationaux favorables envoyés par France 2030 et par les appels à projets dédiés aux premières usines, qui structurent un pipeline d’investissements industriels en santé.

Écosystème local et retombées économiques

L’impact sur l’économie toulousaine passe par le maintien d’emplois qualifiés, la sous-traitance locale et l’attraction de nouveaux projets. Les écoles d’ingénieurs et les universités régionales, déjà mobilisées sur la bioproduction, bénéficient d’un débouché accru pour leurs diplômés.

Pour les pouvoirs publics, conserver une capacité industrielle de pointe sur le territoire permet de capitaliser sur l’argent public investi et d’augmenter les chances de voir émerger un leadership européen dans la biofabrication.

En bref : ce que la reprise changerait pour Toulouse

Au-delà du changement d’enseigne, la cession ouvrirait la voie à une consolidation industrielle porteuse d’effets multiplicateurs.

  • Stabilité de l’emploi grâce au transfert des contrats de travail.
  • Montée en cadence des lignes, adossée au pipeline biosimilaires de Sandoz.
  • Rayonnement renforcé de l’Oncopole, avec de nouvelles collaborations R&D.
  • Valorisation des soutiens publics si les engagements territoriaux sont maintenus.

Marchés, prix et accès aux patients

En France, les biosimilaires participent à l’efficience de la dépense de santé par un double mécanisme. Ils générent une baisse de prix sur le produit de référence et permettent de traiter davantage de patients à budget constant. La réussite industrielle de Toulouse pourrait se traduire par une meilleure disponibilité et, in fine, par une pression tarifaire accrue au bénéfice des payeurs.

Reste la question de l’interchangeabilité et des pratiques hospitalières. L’enjeu n’est pas seulement de produire plus, mais d’orienter rapidement la prescription et l’achat public vers ces alternatives. Les industriels qui sécurisent qualité, volume et prix gagnent en conséquence une position robuste dans les appels d’offres.

Paramètres réglementaires et gouvernance de l’opération

La vente d’un site de bioproduction en France nécessite une orchestrations précise des autorisations administratives. Les changements d’exploitant et les mises à jour des dossiers d’exploitation sont à prévoir auprès des autorités compétentes, tout comme la reconduction des certifications qualité associées.

Au niveau concurrence, il s’agit d’un actif individuel et non d’une fusion globale. Hors situations particulières, un traitement simplifié est envisageable. La notification préalable aux instances internes de gouvernance et la consultation des représentants du personnel restent des étapes structurantes du calendrier.

Approvisionnements et contrats critiques

Les contrats d’approvisionnement en matières premières, résines, filtres ou milieux de culture, souvent pluriannuels, seront renégociés ou cédés à Sandoz dans le respect de leurs clauses. Garantir la continuité des volumes et de la qualité est un prérequis pour l’augmentation de cadence visée.

Un autre point clé concerne les licences technologiques et les logiciels métiers. Le transfert des droits et des licences d’utilisation devra être aligné pour éviter toute rupture dans les chaînes de documentation, le suivi des lots ou la libération pharmaceutique.

Focus juridique sur la cession d’actifs industriels en pharma

À la différence d’un share deal, une cession d’actifs en pharma impose une cartographie précise des autorisations, des engagements qualité, des contrats fournisseurs et des relations clients. En pratique, un périmètre d’actifs bien défini et un plan de transition outillé permettent un transfert sans perte d’information ni de conformité.

L’expérience de Sandoz dans l’intégration d’actifs multi-sites et la présence d’équipes locales aguerries constituent des garanties pragmatiques pour exécuter ce plan de transition à un rythme soutenu.

Ce que la transaction dira de la souveraineté biotech en europe

La reprise par Sandoz d’un site neuf, soutenu par des fonds publics, sera scrutée comme un test grandeur nature. D’un côté, elle pourrait démontrer que l’argent public, bien dirigé, catalyse une industrialisation rapide en attirant un acteur mondial et en pérennisant l’emploi. De l’autre, elle pose la question des conditions d’appropriation et de l’encadrement des transferts lorsque des actifs soutenus changent de mains dans un laps de temps court.

Sur le fond, l’opération reflète une réalité économique incontournable. La massification des biosimilaires nécessite des champions industriels disposant d’un réseau d’usines interconnectées, d’une maîtrise fine des coûts et d’un accès aux marchés. Si Toulouse s’inscrit dans cette géographie, la région Occitanie pourrait s’imposer davantage comme un pôle européen de la bioproduction.

Pour Evotec, la cession clarifie la trajectoire : recentrer, accélérer les activités de recherche et sécuriser la rentabilité dans un cycle biotech qui reste heurté. Pour Sandoz, elle incarne une montée en puissance industrielle au bon moment du cycle des brevets, avec à la clé une capacité accrue à répondre aux besoins des systèmes de santé européens.

À Toulouse, le passage de témoin en préparation illustre une dynamique plus large : l’équilibre, encore en construction, entre l’ambition industrielle européenne en santé, la soutenabilité financière des acteurs et la promesse d’un accès élargi aux traitements biologiques.